Tribune - La mémoire d’Alfred Dreyfus ne doit pas servir à s’acheter un brevet d’honorabilité

Alfred Dreyfus

Une proposition de loi visant à élever le capitaine Dreyfus au rang de général sera examinée en séance publique à l’Assemblée nationale lundi 2 juin. Nos députés du groupe Les Démocrates expliquent pourquoi ils s’opposent à l’instrumentalisation de sa mémoire.

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L'Assemblée nationale se prononcera la semaine prochaine sur l'attribution rétroactive du grade de général de brigade à Alfred Dreyfus, grade auquel sa carrière de polytechnicien aurait dû le conduire sans l' « affaire ».

Alfred Dreyfus est un héros français. Un homme qui fit face à l'abîme de la haine et des préjugés et resta fidèle à la République et à la France quand celles-ci l'oubliaient. Nul ne conteste désormais la reconnaissance de son honneur, de son innocence, de sa fidélité à la France, ni qu'il s'agisse d'un acquis fondamental de notre mémoire. Cette réhabilitation, la République l'a prononcée. Solennellement. Juridiquement. Politiquement. Historiquement.

Et en dépit de cette réhabilitation nécessaire, rien n'effacera les débats et les sous-jacents antisémites, les lâchetés, les années d'enfermement du capitaine Dreyfus sur l'île du Diable ou sa vie à jamais bouleversée. Rien. L'affaire Dreyfus est une tache dans l'histoire de la République et de la France, sauvées par l'honneur de quelques personnalités comme Marie-Georges Picquart, Émile Zola ou Charles Péguy.

Ce dernier, dreyfusard de la première heure, regrettait déjà au début du siècle dernier que le dreyfusisme, qui fut pour lui une « mystique » , se soit dégradé en « politique » , estimant même qu' « il y a entre le dreyfusisme et la politique une incompatibilité totale, essentielle ». Dès 1903, dans ses Cahiers, Péguy écrivait : « Les moyens politiques parlementaires ont refait l'affaire à leur image » et « une contrefaçon grotesque et lamentable de l'affaire » , s'interrogeant ainsi sur l'instrumentalisation de l'affaire à des fins politiques et parlementaires.

Les initiatives parlementaires, au Sénat et à l'Assemblée nationale, visant à élever Alfred Dreyfus au grade de général, partent d'une intention sincère et louable, celle de poursuivre l'oeuvre de justice. Mais elles soulèvent aussi une question plus troublante : que vient-on célébrer ? La République repentante, célébrant la justice et l'égalité ou ceux qui en sont les adversaires ?

Il faut mesurer le risque d'une nouvelle instrumentalisation, comme semblait le craindre Péguy il y a plus d'un siècle : sous couvert d'honorer Alfred Dreyfus, certains cherchent à blanchir leur propre récit, leur propre histoire, ancienne ou plus contemporaine, et s'approprient une figure dont, de fait, ils combattent ou ont combattu les valeurs.

Les uns qui applaudissent aujourd'hui la mémoire de Dreyfus sont parfois les héritiers de ceux qui l'ont calomnié, haï, condamné. L'affaire Dreyfus, c'est l'affaire de l'extrême droite antisémite du tournant du siècle qui allait conduire au pire lors de la Seconde Guerre mondiale.

Les autres, en instrumentalisant à des fins électoralistes les conflits au Proche-Orient et la cause palestinienne, nourrissent les passions les plus sombres, désignant comme adversaires ceux qui refusent de participer à cet engrenage de la haine, au point qu'un député du Parti socialiste soit chassé d'une manifestation du 1er Mai au cri de « sioniste ».

Le camp des antidreyfusards en ce qu'il est l'incarnation de l'antisémitisme n'a pas disparu, il avance masqué et sous d'autres formes.

Les actes antisémites ont été multipliés par quatre dans notre pays depuis le 7 octobre 2023. C'est bien en France, ces deux dernières années, que nous avons vu l'incendie de la synagogue de Rouen, celui ciblant la synagogue de La Grande-Motte et le viol d'une enfant de 12 ans, parce que juive, à Courbevoie. Et nous restons choqués des agressions antisémites ces dernières semaines d'un septuagénaire dans le Gard ou d'un rabbin devant ses enfants à Orléans.

Nous savons que l'antisémitisme persistant en France est alimenté par ceux qui le qualifient de résiduel ou ceux qui s'abstiennent de qualifier les propos haineux à l'égard des Juifs.

Nous refusons de permettre à certains d'acheter à peu de frais, et sur la mémoire d'Alfred Dreyfus, sur l'affaire symbolique de l'infamie antisémite, un brevet d'honorabilité.

La mémoire n'est pas un outil de communication. La mémoire est un trésor de transmission et de vigilance. L'affaire Dreyfus doit demeurer indélébile pour qu'elle puisse toujours sous nos yeux être un avertissement : l'Histoire a malheureusement tendance à se répéter. Et à l'heure où notre société est hystérisée par les débats communautaristes, cette tache doit aussi nous inspirer pour lutter contre toutes les haines et toutes les discriminations. À l'heure où le Parlement se perd dans des débats aussi caricaturaux que vains pour nos concitoyens, nous devons nous interroger.

En faisant mine d'être unanimes sur ce texte, au motif de commémorer à juste titre l'antisémitisme de la fin du XIXe siècle et sa figure sacrifiée, nous donnerions le sentiment fallacieux que nous serions réellement unis pour faire face à l'antisémitisme d'aujourd'hui ou de demain. Force est de constater que n'est pas le cas. Et c'est cela que nous regrettons.

C'est en menant ce combat contre l'antisémitisme de notre temps que nous serons véritablement fidèles à la mémoire d'Alfred Dreyfus et à ce que devrait nous enseigner son histoire, celle du capitaine Dreyfus, outragé à l'École militaire, victime d'une République ayant abandonné ses principes les plus fondamentaux.

Et c'est pourquoi nous ne participerons pas aux débats. Parce que nous n'entendons pas permettre aux adversaires de la figure de Dreyfus d'être réhabilités. Ceux d'hier comme ceux d'aujourd'hui. -

Signataires :

 

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