Kazakhstan : entre révoltes sociales et conflit géopolitique

Frédéric Petit

Début janvier, des manifestations ont éclaté partout au Kazakhstan pour s'opposer à la politique du régime en place. Frédéric Petit, député des Français établis hors de France, revient sur la situation dramatique dans laquelle est plongée le pays. 

Pourriez-vous nous expliquer la situation dramatique au Kazakhstan ? Pourquoi les habitants descendent-ils dans la rue ? 

Descendaient-ils dans la rue plutôt, aujourd’hui il n’y a plus de manifestations, elles ont été lourdement et violemment réprimées dans ce que le pouvoir en place appelle des « opérations anti-terroristes ».

Les Kazakhs sont descendus dans la rue pour protester contre la forte augmentation du prix du GPL (gaz de pétrole liquéfié). C’est le carburant standard dans ce pays. Ces manifestations ont commencé dès les premiers jours de l’année 2022 et se sont rapidement transformées en manifestations contre le régime.

Pour rappel, ce régime était tenu depuis près de trente ans par Noursultan Nazerbaïev. En 2019, ce dernier a décidé de mettre en scène une passation de pouvoir avec Kassym-Jomart Tokaïev afin de faire croire à une transition. Nazerbaïev et son clan ont bien sûr gardé la mainmise sur les ressources du pays et donc sur le pouvoir. Ce refus de Nazerbaïev de lâcher le pouvoir a créé des tensions entre son clan et celui de Tokaïev…

Nous avons été plusieurs à croire à un mouvement contestataire qui allait durer et bousculer le régime, que ce pays vivait des heures d’espoir, de liberté et de démocratie. C’était effectivement vite oublier les guerres de clans qui font rage dans le pays et la peur immense du Kremlin de voir naître des « révolutions de couleurs ».

Avec du recul, beaucoup de choses laissent penser que ces manifestations, qui étaient sincères au début, sont devenues rapidement l’occasion pour ces deux clans de s’affronter, le clan de Nazerbaïev se servant des manifestations pour déstabiliser Tokaïev et en envoyant des éléments formés à la violence et au combat parmi les manifestants.

Peut-on mesurer l’ampleur de la répression à l’heure actuelle ? 

Non, nous n’avons aucune source fiable et internet a été coupé. Nous savons que les forces de sécurité du régime kazakh, soutenues par les forces militaires de l’OTSC (l’Organisation du Traité de Sécurité Collective), ont tiré quasiment à volonté sur les manifestants à certains moments, d’après certaines images qui nous sont parvenues. D’autres images montrent des morgues remplies de cadavres…

Le gouvernement a publié un bilan officiel faisant état de plus de 150 morts mais quel crédit lui donner ? Il y a de très fortes chances pour que le bilan soit beaucoup plus lourd. Surtout que le régime a indiqué avoir tué des « terroristes » mais qu’il était invérifiable de le constater car d’autres « terroristes » auraient volé leurs corps dans les morgues… Le régime est une source qu’on peut difficilement qualifier de « fiable ».

Pourquoi le président du Kazakhstan a-t-il fait appel à Moscou ? 

Tokaïev a évoqué une attaque terroriste menée par « 20 000 combattants » venus de l’étranger et a appelé Moscou à intervenir dans le cadre de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective. Cette organisation pensée par Poutine comme le parallèle eurasiatique de l’OTAN est composée de la Russie, du Kazakhstan, de l’Arménie, du Bélarus, du Kirghizistan et du Tadjikistan. La sécurité d’un des membres de l’OTSC étant prétendument menacée, elle, se devait d’intervenir. La Russie y a envoyé 3000 forces de sécurité, essentiellement composées de forces spéciales.

Sans être un spécialiste des politiques en Asie centrale, je pense que Tokaïev voulait montrer au clan de Nazarbaïev que désormais son clan était soutenu par le Kremlin, et donc que Poutine avait fait son choix entre les deux grands clans. Même si le démarrage des manifestations de rue a pu être plus ou moins « sincère », surtout dans les régions ouest du pays, très dépendantes des activités énergétiques, il est sans doute probable que cette crise s’est peu à peu cristallisée autour de conflits de blocs économiques et politiques.

De son côté, la Russie a également fait passer un message à la communauté internationale. Avec la première intervention de l’OTSC, Poutine a ainsi réaffirmé que ce qu’il considère comme son « étranger proche » constitue sa chasse gardée et que son organisation militaire est efficace.

Pourquoi la France et l’Union européenne ne sont pas intervenues jusqu’à présent ? 

La question que nous devons collectivement nous poser dans cette situation c’est : que pouvons-nous faire ? Nous voyons bien que même avec l’Ukraine qui est à nos portes, notre champ d’action en tant qu’Européens est extrêmement limité, alors en Asie centrale…

Nous, les Européens, devons évidemment condamner les actions criminelles du régime pour « maintenir la paix » mais nous ne pouvons pas seulement nous payer de mots.

Une certaine lassitude s’installe chez nos concitoyens mais aussi chez des responsables politiques, des militants associatifs et des observateurs des relations internationales quant à cette formule vaine et vide de « profonde préoccupation / great concern » des dirigeants européens lorsqu’un conflit éclate ou semble poindre. Nous devons donner à l’Europe les moyens politiques de peser réellement sur l’ordre du monde. Pour l’instant, le constat est simple : l’Union européenne n’est pas suffisamment puissante et surtout n’est pas considérée comme une véritable puissance. Il est difficile de gagner un rapport de force dans ces conditions…

Quel est le rôle des États-Unis dans cette histoire ? 

Le rôle des États-Unis est également extrêmement limité, ils ont exprimé leurs préoccupations et ont mis en garde contre des violations de droits humains. Des enfants ont été tués dans ces manifestations où le gouvernement en place avait donné ordre de « tirer sans sommation » sur les manifestants. Tuer des enfants n’est-ce pas l’une des plus terribles violations des droits humains ?

Je ne suis absolument pas certain que les États-Unis réagissent plus que cela. Aujourd’hui, ils découpent leurs intérêts par région, l’indo-pacifique et la Chine sont leurs priorités, l’Europe et la crise autour de l’Ukraine les occupent car c’est la crédibilité de l’OTAN qui est en jeu mais l’Asie centrale ne figure pas du tout au sommet de leurs priorités. Il s’agit même certainement d’un dossier de plus avec la Russie qu’ils aimeraient mettre de côté pour apaiser les relations.

Comment la situation va-t-elle évoluer selon vous ?

Avec le peu d’informations dont nous disposons et les différentes manipulations dont elles font l’objet, je crois que la seule chose que nous savons c’est que nous ne savons rien ou si peu. Les régimes russes et kazakhs sont tellement opaques et durs qu’il est difficile de lire et anticiper l’évolution de la situation. Ce qui est certain en revanche, c’est que le régime de Tokaïev s’est endurci et qu’il est désormais soutenu par Moscou. Les heures du clan Nazarbaïev sont donc comptées.

Nous pouvons tirer au moins un enseignement de cette crise, et évidemment de crises précédentes comme au Bélarus : se battre pour la liberté, pour la démocratie, contre la corruption dans les pays de l’ex-bloc soviétique est extrêmement risqué aujourd’hui. Vous êtes tout de suite traité de « terroriste » et surtout, traité comme un terroriste.

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