Jean-Noël Barrot : « L’Europe est l’antidote au déclin du multilatéralisme »

Jean-Noël_Barrot -JNB

Le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a répondu aux questions du Monde sur le contexte international. Il estime que la France et l’Europe ont un rôle à jouer dans la résolution des conflits au Moyen-Orient et en Ukraine.


 

Avec Donald Trump, l’Europe est spectatrice de la puissance militaire américaine. Faut-il se résigner à l’effacement européen ?

Cessons de nous flageller ! Pour résoudre la crise iranienne, la France et ses partenaires allemand et britannique disposent d’un levier très puissant. Par une simple lettre à la poste, nous pouvons réappliquer à l’Iran un embargo mondial sur les armes, les équipements nucléaires, les banques et les assurances qui avait été levé il y a dix ans. Si Téhéran se refuse à négocier un encadrement strict et durable de ses activités nucléaires et garantissant nos intérêts de sécurité, nous pourrons activer ce mécanisme au cours de l’été.

Donald Trump doit-il négocier seul avec l’Iran ?

Nous soutenons la reprise des négociations des Etats-Unis avec l’Iran, mais il est essentiel que nos intérêts de sécurité soient pris en compte. 

Le territoire européen est potentiellement à portée des missiles conçus en Iran.

A-t-on des preuves de vie des deux otages français, Cécile Kohler et Jacques Paris ?

Nous avons obtenu de haute lutte une visite à Cécile et Jacques par notre ambassade ce mardi 1er juillet. Ils ne sont pas physiquement blessés mais sont en détresse. 

Nous sommes profondément inquiets de leur état. Nous exigeons leur libération immédiate. Le président de la République a échangé trois fois avec son homologue ces derniers jours à ce sujet et j’ai fait de même auprès de mon homologue.

(...)

La France n’a pas participé aux frappes, mais elle n’a pas non plus condamné l’attaque israélienne et les bombardements américains du 21 juin. Ne serait-il pas honnête d’admettre, comme l’a fait le chancelier allemand, Friedrich Merz, qu’Israël et les Etats-Unis ont fait le « sale boulot » pour les Occidentaux ?

Ces frappes ne sont pas conformes au droit international. Elles ont certainement retardé le programme nucléaire iranien. Mais seul un encadrement négocié nous permettra d’écarter durablement le danger.

La France a-t-elle sa propre estimation du temps dont l’Iran aurait besoin pour accéder à la bombe, après les frappes ?

La France dispose de son expertise propre sur ces sujets. Par ailleurs, l’évaluation du programme repose largement sur le travail de l’Agence internationale de l’énergie atomique. 

Nous condamnons donc fermement les menaces adressées à son directeur général par l’Iran et nous appelons Téhéran à poursuivre sa coopération avec l’agence et à rester dans le traité de non-prolifération. 

Ce traité a évité à l’humanité une course à l’arme nucléaire qui aurait précipité le monde dans une immense insécurité.

Pour sauver ce traité, faut-il reparler à la Russie et à Poutine, agresseur de l’Ukraine ?

Les cinq puissances dotées de l’arme nucléaire sont les gardiennes de ce traité. 

Compte tenu de l’intensité des crises internationales, ces membres permanents du Conseil de sécurité – la France, le Royaume-Uni, la Chine, la Russie et les Etats-Unis – ont un rôle à jouer. 

Ces consultations doivent avoir lieu. C’est la raison de l’appel du président de la république avec Vladimir Poutine mardi après-midi.

Ne pas condamner des frappes que l’on juge contraires au droit international n’autorise-t-il pas d’autres pays à multiplier ce genre d’opérations ?

Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, que des libertés sont prises avec les règles des Nations unies. Est-ce à dire que le multilatéralisme est mort, comme certains semblent le penser ? Je suis convaincu du contraire. Il se réformera et survivra. Depuis huit décennies, il a apporté des dividendes considérables dont les Etats-Unis ont été parmi les grands bénéficiaires. Si certaines nations décident de prendre leurs distances avec le multilatéralisme, l’Europe reprendra ce flambeau et sera suivie par l’immense majorité des pays du monde qui ne veulent pas être les vassaux des nouveaux empires. 

L’Europe est l’antidote au déclin du multilatéralisme.

La puissance des Etats-Unis est décuplée par l’audace de M. Trump, qui change régulièrement d’avis. Est-il possible de travailler avec un partenaire aussi versatile ?

Nous sommes alliés des Etats-Unis, mais nous ne sommes pas alignés. Le président Trump défend les intérêts américains et nous défendons les nôtres. 

Nous restons convaincus que l’ordre international, fondé sur les règles de droit, né sur les ruines de la seconde guerre mondiale, garde toute sa pertinence pour engager le monde sur un chemin de paix et de prospérité.

Les frappes israéliennes en Iran ont conduit la France à reporter la conférence pour la Palestine qui devait avoir lieu en juin. Quand peut-elle être reprogrammée ?

Nous discutons avec l’Arabie saoudite d’une date le plus tôt possible. 

Il y a urgence. Urgence à Gaza, pour les otages et la population palestinienne. Urgence aussi à redonner un horizon politique qui seul permettra de sortir de l’état de guerre permanent et d’offrir aux deux peuples une réponse à leurs aspirations légitimes. 

La solution est plus que jamais minée par la colonisation en Cisjordanie, par les destructions à Gaza et par une forme de résignation de la communauté internationale. Le danger serait que cette solution politique arrive trop tard.

Après le cessez-le-feu avec Téhéran, Donald Trump peut-il imposer la fin des frappes sur Gaza ?

Les Etats-Unis, après leur intervention contre l’Iran en soutien d’Israël, sont en droit d’attendre que Benyamin Nétanyahou fasse ses meilleurs efforts pour aboutir le plus rapidement possible à un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, où la situation est absolument injustifiable. 

Il faut aussi que le Hamas, qui détient encore une cinquantaine d’otages dans l’enfer des tunnels de Gaza, accepte de les libérer, reconnaisse sa défaite et s’engage sur la voie du désarmement. J’ai la conviction que nous obtiendrons alors de la part de toutes les parties prenantes des engagements très ambitieux.

Vous ne mentionnez pas Israël, opposé à cette solution à deux Etats…

Nous restons indéfectiblement attachés à la sécurité d’Israël. Cela ne veut pas dire que notre soutien est inconditionnel. Ce n’est pas faire offense au peuple israélien que de dénoncer les atteintes de son gouvernement au droit international (colonisation, déplacements forcés de population, blocage de l’aide humanitaire, frappes sur des civils…). 

La seule solution permettant de garantir la sécurité d’Israël sur le long terme, c’est la solution à deux Etats.

(...)

L’Europe a-t-elle perdu sa boussole morale à Gaza ?

Quel est le pays qui a accueilli la première conférence internationale, le 9 novembre 2023, mobilisant 1 milliard d’euros pour l’aide humanitaire à Gaza ? C’est la France. Quel est le premier pays occidental qui a dépêché au large de Gaza un porte-hélicoptères pour soigner les blessés palestiniens ? C’est la France ! Quel est l’un des seuls pays du monde à soutenir directement l’Autorité palestinienne pour son budget ? C’est encore la France. 

Si tous les pays du monde s’étaient comportés comme la France, nous n’en serions pas là.

En dépit d’un rapport accablant sur la violation des droits humains, les Européens n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour suspendre l’accord d’association avec Israël, confortant l’idée d’une forme d’impunité du gouvernement Nétanyahou…

Le président de la République et ses homologues européens ont pris acte de ce rapport jeudi dernier. Les ministres des affaires étrangères doivent en reparler le 15 juillet. Rappelons que nous avons déjà décidé, à plusieurs reprises, des sanctions à l’encontre des entités ou des individus extrémistes responsables de la colonisation. Nous l’avons fait au niveau national et au niveau européen.

Ces sanctions ne visent pas l’Etat d’Israël et ses agissements à Gaza…

Nous avons systématiquement condamné les violations par le gouvernement israélien du droit international, à Gaza comme en Cisjordanie. Plusieurs options sont sur la table des ministres des affaires étrangères. 

En tout état de cause, il est plus que temps que le gouvernement israélien débloque l’aide humanitaire qui est stockée aux portes de Gaza, cesse son soutien à la colonisation en Cisjordanie, et verse les sommes qu’il doit à l’Autorité palestinienne.

Comment faire respecter le cessez-le-feu conclu au Liban en novembre 2024, qui est régulièrement violé par Israël ?

Ces frappes sont contraires à la souveraineté du Liban, qui doit recouvrer un Etat fort, disposant du monopole de la force légitime et capable d’assurer la sécurité de tous les Libanais. Le mécanisme de vérification du cessez-le-feu doit être renforcé pour éviter toute violation. Nous travaillons à la fois au désarmement du Hezbollah et au retrait complet des forces israéliennes du territoire libanais, en lien avec les Etats-Unis.

Les négociations lancées par Donald Trump pour mettre un terme à la guerre en Ukraine s’enlisent. Quel rôle l’Europe peut-elle encore jouer ?

Nous avons évité le scénario du pire, celui d’une capitulation précipitée de l’Ukraine. Le seul obstacle à la paix, c’est Vladimir Poutine. Il est en train de s’essouffler en Ukraine. Malgré la surmobilisation de sa force militaire, il n’a réussi à conquérir que 0,25 % du territoire ukrainien depuis le début de l’année, au prix de très lourdes pertes humaines. 

Faute de parvenir à percer le front, il s’en prend aux civils, mais les caisses russes sont vides, l’économie est en surchauffe. Le moment est venu de forcer Vladimir Poutine à s’arrêter.

Comment ?

Nous allons, dans les prochains jours, adopter les sanctions européennes les plus lourdes que nous ayons prises depuis trois ans. 

Elles se feront de manière coordonnée avec les Etats-Unis, où un paquet de sanctions massives devrait être adopté début juillet par le Sénat américain.

La justice algérienne a condamné l’écrivain Boualem Sansal à cinq ans de prison ferme. Le régime est-il devenu hostile à la France ?

Je déplore la détention injustifiée et la condamnation incompréhensible de notre compatriote Boualem Sansal. Nous espérons qu’une issue rapide, humanitaire et digne puisse être trouvée, afin qu’il soit libéré et soigné. 

Quant aux relations entre le gouvernement algérien et le gouvernement français, elles sont aujourd’hui gelées. Cette situation n’est satisfaisante ni pour la France ni pour l’Algérie. Nous avons toujours marqué notre ouverture au dialogue, mais cela ne peut se faire au détriment des intérêts de la France.

Retrouvez l'entretien complet dans Le Monde.

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