Jean-Noël Barrot : « Les affaires étrangères sont, plus que jamais, les affaires de tous »

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Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a rencontré trois lecteurs d’Ouest-France, lundi 7 juillet. Guerre en Ukraine et au Moyen-Orient, sanctions contre la Russie, reconnaissance de l’État palestinien, otages français en Iran, tensions avec l’Algérie et bras de fer avec les États-Unis étaient au cœur des échanges.

Après la déclaration américaine concernant la fin des livraisons d’armes à Kiev, quelle est la position de la France ?

Premier constat, nous avons évité le pire, qui aurait été une capitulation forcée de l’Ukraine. Beaucoup la redoutaient après la rencontre houleuse entre le président Zelensky et le président Trump à la Maison Blanche. Grâce au travail que la France a fait, notamment le président de la République, pour faciliter les échanges entre les États-Unis et l’Ukraine, nous avons écarté ce scénario. 

Deuxième constat : 

Vladimir Poutine s’essouffle. Son économie est en surchauffe. 

Depuis le début de l’année, il n’a réussi à grignoter que 0,25 % du territoire ukrainien ; et on s’aperçoit qu’à défaut de pouvoir briser la résistance ukrainienne et percer le front, il s’en prend aux civils et aux grandes villes en faisant pleuvoir des drones et des missiles pour pouvoir saper le moral des Ukrainiens. Mais c’est peine perdue car la résistance ukrainienne est héroïque et inaltérable.

Il faut pourtant affaiblir encore plus la Russie ?

Dans ce contexte, nous sommes sur le point de faire aboutir le paquet de sanctions le plus lourd que nous ayons pris depuis plus de trois ans. Il vise à forcer Vladimir Poutine à cesser le feu pour que des négociations puissent s’engager en bonne et due forme et mènent à une paix durable. Nous poursuivons le travail engagé autour de la France et du Royaume-Uni pour rassembler les pays européens et alliés de l’Ukraine, préparer la revitalisation de l’armée ukrainienne et concevoir les garanties d’un accord de paix durable. Et nous poursuivons nos efforts pour soutenir la résistance ukrainienne. 

Comme cela a été annoncé il y a peu de temps, des sociétés françaises - dont des entreprises du secteur automobile - vont s’installer en Ukraine pour coproduire du matériel militaire, avec des entreprises ukrainiennes, en particulier des drones.

(...)

La « revitalisation de l’armée ukrainienne » suppose-t-elle l’équipement d’une 2e brigade et une nouvelle livraison de Mirage 2000 ?

La régénération des forces ukrainiennes a pour objectif, une fois le cessez-le-feu obtenu et les négociations engagées pour une paix durable, de dissuader toute nouvelle agression. 

Après une guerre qui aura mis à rude épreuve l’armée ukrainienne, il sera nécessaire qu’elle puisse se revitaliser. C’est pourquoi la contribution des pays amis et alliés sera décisive. Cela pourra passer par de la formation et par de l’équipement. 

Ce sont ces éléments qui seront discutés mercredi, à Londres, où le président de la République sera en visite d’État. Il y coprésidera, avec le Premier ministre britannique, une réunion de la Coalition des pays volontaires. Sur les livraisons, je n’ai pas d’annonce particulière à faire. La France a pris des engagements tout récemment de deux milliards d’euros de soutien à l’effort de guerre ukrainien pour 2025.

Quelle est la stratégie de la France face à la guerre numérique que mène la Russie ?

L’agressivité de la Russie ne se limite effectivement pas à l’Ukraine. 

Les pays européens, au premier rang desquels la France, ont été directement ciblés par des manœuvres menées par la Russie. 

Je pense au champ électoral, avec des élections qui ont dû être annulées en Roumanie ; à des actions de sabotage comme en Allemagne ; à des cyberattaques dont la France a été victime, notamment au moment des Jeux olympiques ; à des campagnes de désinformation comme celle sur le mouchoir du président de la République. Emmanuel Macron aura l’occasion de s’exprimer prochainement sur toutes les menaces auxquelles nous sommes confrontés. De mon côté, je mène un chantier au sein du ministère des Affaires étrangères pour doter le Quai d’Orsay d’une véritable force de frappe dans la guerre informationnelle.

De quelle nature ?

Dès que des acteurs étrangers s’en prendront à l’image de la France, l’objectif sera de riposter avec la même vigueur. Nous allons donc nous doter d’outils nouveaux permettant aux équipes du ministère de consacrer du temps à détecter ces attaques et à riposter, notamment sur les réseaux sociaux. 

Nous voulons que la voix de la France soit entendue et non pas couverte par ceux qui veulent nuire à nos intérêts.

(...)

Pourquoi l’ONU n’arrive-t-elle pas à faire cesser les horreurs à Gaza ?

L’ONU fête ses 80 ans cette année. Les principes ayant présidé à sa fondation restent valables : le respect de l’intégrité territoriale, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le respect des Droits de l’Homme et le règlement des différends par des voies pacifiques. 

On ne peut résoudre durablement les situations de conflit que par la négociation, par le droit. 

Ces principes, évidemment, sont ébranlés, mais pas périmés. La France et l’Europe sont l’antidote à cet affaiblissement du droit international des Nations unies. À condition de relever le gant, de réformer les institutions garantes du droit international et d’être toujours du côté du droit et de la justice.

Comment qualifiez-vous la situation à Gaza ?

C’est une tragédie, un scandale. Il doit cesser au plus vite. Nous appelons au cessez-le-feu immédiat, à la libération de tous les otages du Hamas, qui doit être désarmé, à l’accès sans entrave de l’aide humanitaire tant attendue par les populations civiles palestiniennes. 

Nous nous préparons aussi activement, en lien avec le président de la République, à la tenue d’une conférence sur la solution à deux États. 

Cette perspective politique consiste à amener dans un mouvement collectif, initié par la France, un certain nombre de pays à reconnaître l’État de Palestine. Dans le même temps, des pays arabes et musulmans apporteront des garanties pour la sécurité d’Israël. L’objectif, à terme, est d’avoir deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité.

Qu’est-ce qui empêche la France de reconnaître dès maintenant l’État palestinien ?

Nous sommes déterminés à le faire, mais ce que nous avons préparé, c’est bien plus qu’une reconnaissance par la France. C’est une reconnaissance par la France et d’autres pays, ce qui aura d’autant plus de poids. Nous commençons déjà à voir les effets de la dynamique que nous avons enclenchée. 

Ces effets, c’est la lettre de Mahmoud Abbas, le président de l’autorité palestinienne, adressée à Emmanuel Macron et au prince héritier de l’Arabie saoudite. Il y condamne l’attentat du 7 octobre, affirme que l’État de Palestine sera démilitarisé, s’engage à ce que des élections puissent se tenir sous un an, redit sa volonté d’une réforme en profondeur de l’autorité palestinienne afin qu’elle devienne forte et robuste. 

À l’horizon de cette conférence, nous attendons que les pays arabes prennent eux aussi des engagements très forts : établir des relations diplomatiques avec Israël, mettre en place une sécurité régionale aux côtés de deux États, s’engager financièrement à la reconstruction de Gaza.

(...)

Votre démarche ne risque-t-elle pas de renforcer les tensions avec Donald Trump ?

La démarche qui est la nôtre est complémentaire de l’approche qui était celle du président des USA lors de son premier mandat. Elle consistait à rapprocher les pays arabes de l’État d’Israël afin de garantir une stabilité dans la région.

Le Quai d’Orsay soutient-il le mandat d’arrêt lancé contre Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien ?

La Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt à l’encontre d’un certain nombre de dirigeants. La France soutient le travail indépendant de la Cour. 

C’est à l’autorité judiciaire, et non au gouvernement, de traiter les réquisitions en provenance de la Cour pénale.

L’Iran était vraiment sur le point de se doter d’armes nucléaires ?

Les frappes israéliennes et américaines - qui n’étaient pas conformes au droit international - ont retardé le programme nucléaire et iranien, mais elles n’empêcheront pas l’Iran, demain, de reconstituer cette capacité. 

Nous avons besoin de revenir à un encadrement strict et durable de leur programme nucléaire, par la voie diplomatique, tel que nous avions réussi à le négocier il y a 10 ans. 

Les États-Unis sont sortis de cet accord en 2018, sur une décision unilatérale du Président Trump. L’Iran a saisi ce prétexte pour relancer son programme. Le pays est allé bien au-delà de ce qu’imposait l’accord de non-prolifération, en se dotant de capacités d’enrichissement d’uranium 10 fois supérieures aux limites maximales autorisées, sur des quantités 30 fois supérieures aux seuils fixés.

Quelles nouvelles avez-vous des otages français détenus en Iran ?

Nous avons accueilli avec un immense soulagement la libération d’Olivier Grondeau, il y a quelques mois, détenu depuis presque trois ans en Iran. Nous avons accentué la pression sur l’Iran pour obtenir la libération de Cécile Kohler et Jacques Paris, otages d’État retenus en Iran depuis plus de trois ans, dans des conditions indignes, assimilables en droit international à de la torture.

Comment ?

En faisant prendre à l’Union européenne des sanctions à l’encontre des magistrats responsables de leur détention arbitraire, et en déposant plainte devant la Cour internationale de justice pour violation de l’obligation faite à l’Iran de donner droit à nos compatriotes à des visites consulaires de notre ambassade. 

Cette pression leur a permis de bénéficier de ces visites, dont ils étaient privés depuis plus d’un an, ce qui était inacceptable. 

Depuis le regain des tensions et la guerre entre Israël et l’Iran, il ne se passe pas un seul jour, ou presque, sans que je ne sois en contact avec mon homologue, le ministre des Affaires étrangères iranien pour le presser de les libérer. Le président de la République l’a également fait à son niveau.

On a appris, cette fin de semaine, qu’un jeune Français de 18 ans avait disparu en Iran. Où est-il ?

Notre ambassadeur sur place est pleinement saisi du sujet. La famille de ce jeune homme est en lien constant avec le centre de crise et de soutien du ministère. Je n’en dirai pas plus.

Boualem Sansal, condamné en appel à 10 ans de prison ferme en Algérie. Est-il lui aussi un « otage d’État » ?

En aucun cas Boualem Sansal ne doit faire les frais des tensions entre les autorités algériennes et françaises. 

Je réitère notre appel à une issue humanitaire, tenant compte de son âge et de son état de santé, pour qu’il puisse être libéré et soigné dans les meilleures conditions.

Et pour le journaliste Christophe Gleizes, condamné à 7 ans de prison pour avoir fait son métier ? Que comptez-vous faire ?

J’ai reçu ses parents samedi, au ministère, à la fois pour leur exprimer notre soutien et coordonner notre action avec eux et celle de Reporters Sans Frontières. Nous avons été sidérés par la condamnation dont il a fait l’objet. Nous restons mobilisés sur ce dossier.

Est-ce qu’il faut revenir sur les accords de 1968 sur l’Algérie, que demandait Bruno Retailleau ?

Nous n’avons qu’une seule boussole : l’intérêt de la France et des Français. Si cela commande de revoir certaines des règles, nous n’aurons pas de difficulté à le faire. Je rappelle par ailleurs que les présidents Macron et Tebboune avaient annoncé, ensemble, en 2022, une troisième révision de ces accords, de façon à les actualiser.

L’intérêt national n’est-il pas de continuer à coopérer avec l’Algérie, notamment en matière de lutte contre le terrorisme ?

Nous avons intérêt à une coopération avec l’Algérie sur les questions migratoires, la reconduite à la frontière des Algériens en situation irrégulière, la lutte contre le terrorisme au moment où des foyers de terrorisme islamistes se constituent au Sahel, mais également en matière d’économique. 

Les acteurs de la filière agroalimentaire bretonne le savent, ils ont besoin des débouchés algériens pour créer des emplois. Cependant, pour coopérer, il faut être deux. Je rappelle que c’est par leur décision très brutale d’expulser nos agents français en poste en Algérie que les autorités algériennes ont interrompu le dialogue avec nous.

Quel rôle jouez-vous en ce qui concerne les négociations sur les tarifs douaniers que veulent nous imposer les Américains ?

Mon rôle, en toutes circonstances, c’est de défendre les intérêts des Français. Sur les droits de douane, c’est la Commission Européenne qui négocie directement avec les États-Unis. Je suis donc là pour rappeler à la Commission ce que sont nos intérêts en matière commerciale. 

Nous ne voulons pas d’un accord asymétrique, qui serait plus avantageux pour les États-Unis que pour nous-mêmes. C’est une question de crédibilité. 

Les États-Unis étant le premier partenaire commercial de l’Europe - et réciproquement - nous n’avons donc aucun intérêt à une élévation des droits de douane. Cela ne ferait que des perdants. Je pense que nous parviendrons à trouver un accord respectueux de nos intérêts.

L’instabilité gouvernementale est-elle un handicap pour la politique étrangère que vous menez ?

Ce qui est certain, c’est que le poids de la France à l’extérieur dépend de notre force intérieure. Force militaire pour dissuader les menaces, forces économiques pour n’avoir pas à dépendre des autres, mais force morale et politique aussi. 

La polarisation du débat politique, comme on le voit à l’Assemblée nationale, nous fragilise à l’intérieur, ce qui atténue la capacité de la France à défendre sa vision du monde. 

Dans un moment pourtant où nous sommes appelés à jouer un rôle particulier, où une immense majorité de pays, qui n’ont pas envie de se retrouver vassaux de nouveaux empires, attendent la voix de la France et de l’Europe.

Pensez-vous que nous pourrons continuer à vivre en paix, comme depuis 80 ans ?

La paix sur le continent européen n’est pas tombée du ciel. Elle est le résultat du travail d’une génération d’hommes et de femmes qui nous ont précédés et qui ont voulu changer le cours des choses et faire basculer le destin. On a célébré cette année le 75e anniversaire de la déclaration historique de Robert Schuman, prononcée au quai d’Orsay cinq ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors que des tensions se ravivaient entre la France et l’Allemagne. 

La paix mondiale ne sera préservée qu’avec des efforts créateurs, à la hauteur des dangers qui la menacent. Nous avons besoin de nous inspirer des esprits visionnaires qui nous ont précédés pour nous prémunir contre la guerre au XXIe siècle.

Retrouvez l'entretien complet dans Ouest-France.

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