Marc Fesneau : « À l’Assemblée, nous légiférons trop à vide »

Marc Fesneau, président du groupe Les Démocrates à l'Assemblée nationale, s'est exprimé dans un entretien publié dans les colonnes de L'Opinion, ce vendredi 6 juin 2025. Il alerte notamment sur un risque d'impuissance de l'institution démocratique.
Propos recueillis par Dinah Cohen et Matthieu Deprieck
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Les députés ont adopté jeudi matin une résolution visant à abroger la réforme des retraites. Quelle est votre réaction à ce vote symbolique ?
La « foule en liesse » a applaudi ce vote, mais les projets de résolution ne changent rien concrètement. C’est symptomatique de ce que nous vivons en ce moment à l’Assemblée nationale : mettre en scène notre propre impuissance.
A de rares exceptions près, vous examinez des propositions de loi, pas des textes à l’initiative du gouvernement. Qu’est-ce que cela change ?
Cela pose un problème de fond puisqu’aucune de ces propositions de loi ne fait l’objet d’une saisine du Conseil d’Etat et d’une étude d’impact y compris financière, à l’inverse des projets de loi. On prend le risque de légiférer de travers. Ce morcellement des textes conduit aussi à un morcellement de la pensée. Prenez le sujet du logement, sur lequel cinq ou six textes ont déjà été examinés. Quelle politique publique peut-on y lire ? Comment les Français ou les acteurs de ces secteurs peuvent-ils s’y retrouver ?
Mais c’est le Premier ministre qui a choisi de ne procéder que par propositions de loi. Vous lui reprochez ?
Cette situation est d’abord née des absences de majorité absolue et d’accord politique sur quelques réformes, ainsi que des pratiques d’obstruction. Dans ce contexte, vous ne pouvez que faire du consensus sur des textes très courts ou de nature symbolique. J’ai beau voir dans ce fonctionnement un danger, je ne vois pas, à ce stade, d’autre chemin que celui emprunté par Michel Barnier puis François Bayrou.
Comment expliquer l’écart entre le calendrier parlementaire embouteillé et le peu de réalisations qui en découlent ?
Les députés n’ont jamais été autant en surchauffe de travail, mais nous légiférons trop à vide. D’une part parce que très peu de textes vont aller au bout du travail parlementaire, d’autre part parce que les Français doutent de l’utilité de ce que nous faisons. Il y a pourtant des impératifs, alors que la guerre est à nos portes, que le réchauffement climatique menace et que la question budgétaire reste vitale. On introduit en plus l’idée qu’un vote en première lecture à l’Assemblée nationale vaut adoption définitive. C’est prendre le risque d’ici à quelques mois, lorsque l’on réalisera que le texte n’est pas allé au bout, que les Français pensent que nous leur avons menti ou que nous sommes impuissants. C’est très dangereux.
"Tous les objets de régulation démocratique prévus par la Constitution et le règlement intérieur de l’Assemblée nationale sont dévoyés"
En quoi est-ce dangereux ?
Tous les objets de régulation démocratique prévus par la Constitution et le règlement intérieur de l’Assemblée nationale sont dévoyés. Les semaines de contrôle et d’évaluation du gouvernement n’en sont pas réellement. Les commissions d’enquête trop nombreuses sont instrumentalisées et se noient dans la masse. Les motions de rejet sont détournées, soit parce qu’elles servent à faire de l’opposition systématique, soit parce qu’elles deviennent le seul outil dont on dispose pour lutter contre l’obstruction. Le nombre excessif de propositions de loi embouteille la publication des décrets d’application. Et on vote des textes dont on sait qu’ils ne sont pas constitutionnels en laissant la responsabilité de régulation au seul Conseil constitutionnel, pour mieux critiquer ensuite la « République des juges » ! Or, le Conseil constitutionnel a été pensé pour défendre les principes de droit que nous nous sommes choisis. Enfin la commission mixte paritaire pallie l’incapacité de l’Assemblée à débattre, alors qu’elle devrait rester un lieu pour créer du consensus avec le Sénat. La Constitution prévoit que le dernier mot revient à l’Assemblée nationale. Désormais, parce que l’hémicycle balbutie ou se tait, c’est parfois le Sénat qui fabrique « seul » la loi. Tout ça nourrit le populisme antiparlementaire et la mise à mal de l’Etat de droit, ce qui risque de faire le lit de ceux qui trouveront plus efficace de ne plus légiférer du tout. Voilà pourquoi nous sommes en danger. Nous avons besoin collectivement de défendre cette institution, dans ce qui a fondé son existence depuis la Révolution.
Que faire alors ? Réformer le règlement de l’Assemblée ?
Nous ressaisir collectivement. Et ouvrir une réforme ambitieuse du règlement pour changer ce qui peut l’être. Cela permettra de voir qui veut sincèrement améliorer notre travail ou non.
Que peut faire le groupe MoDem dans tout ça ?
Des propositions. Aujourd’hui, le droit de veto sur les règles de fonctionnement de l’Assemblée permet à un groupe d’empêcher les dix autres d’améliorer notre manière de légiférer. C’est valable sur la procédure de législation en commission et sur le temps législatif programmé, qui permet de mieux réguler les débats. On doit pouvoir aussi améliorer le contenu des semaines dites « transpartisanes » et de contrôle. Nous ne participerons pas au travail, méthodique pour les uns et inconscient pour les autres, de sape de l’Assemblée nationale. Et nous ferons entendre notre voix à toute occasion.
A quand remonte le dernier vote que vous avez jugé utile ?
Les textes sur la fin de vie et les soins palliatifs ainsi que celui sur la lutte contre le narcotrafic. J’ai eu le sentiment que c’était utile pour les Français. Comme quoi, c’est encore possible.