Jean-Noël Barrot : « À New York, nous allons consacrer l’isolement définitif du Hamas »

Dans un entretien exclusif à La Tribune, Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères explique en exclusivité la décision d’Emmanuel Macron de reconnaître la Palestine et livre sa feuille de route pour la conférence sur la solution à deux États coorganisée par la France qui se tient lundi et mardi aux États-Unis.
LA TRIBUNE DIMANCHE - Pourquoi décider de reconnaître un État palestinien ?
JEAN-NOËL BARROT - Cette décision est le fruit d'un long processus initié par le président de la République qui a mobilisé la diplomatie française pendant des mois. Elle est l'expression du refus de l'injustifiable à Gaza et de l'inacceptable en Cisjordanie. Le refus de voir un peuple privé définitivement de son droit à disposer de lui-même. Le refus de voir s'effacer définitivement la solution à deux États, seule susceptible de garantir la paix et la sécurité dans la région.
Par la politique qu'il mène aujourd'hui, le gouvernement de Benyamin Netanyahou hypothèque la sécurité d'Israël à laquelle la France est indéfectiblement attachée.
Et pourquoi l'annoncer le 24 juillet au soir sur X ?
La perspective de l'existence d'un État de Palestine n'a jamais été aussi menacée ni aussi nécessaire. Menacée par la destruction de la bande de Gaza, la colonisation israélienne débridée en Cisjordanie qui fragilise l'idée même d'une continuité territoriale, la résignation de la communauté internationale. Nécessaire, car penser obtenir un cessez-le-feu durable et la libération des otages du Hamas et sa reddition sans avoir préalablement dessiné une perspective politique est illusoire.
J'ai fait vingt déplacements au Proche-Orient, j'ai eu des centaines d'entretiens avec mes homologues pour que s'enclenche une dynamique collective conduisant à réanimer cette solution politique à deux États, palestinien et israélien, seule susceptible de ramener la paix et la stabilité dans la région.
La France a donc abandonné toutes ses conditions préalables ?
Les conditions de la paix restent inchangées.
Notre priorité absolue reste un cessez-le-feu immédiat, la libération de tous les otages du Hamas et l'entrée massive, et sans entrave, de l'aide humanitaire. Le Hamas doit être désarmé et exclu durablement de toute gouvernance de Gaza et de la Palestine.
L'Autorité palestinienne doit être profondément réformée. Les pays arabes doivent normaliser leur relation avec l'État d'Israël et construire avec lui une architecture commune de sécurité. La dynamique collective que nous avons initiée a d'ores et déjà permis de susciter des engagements inédits sur tous ces points. D'autres se cristalliseront dans les prochains jours et semaines.
Comment qualifiez-vous la décision du président ? Est-elle historique dans la politique arabe de la France ?
C'est l'aboutissement d'un engagement pris par le président de la République à la suite de ses prédécesseurs depuis quarante ans, fidèle à l'engagement historique de la France pour une paix juste et durable au Proche-Orient. Mais c'est aussi et surtout un commencement. D'ici au 21 septembre [date de l'annonce solennelle de la reconnaissance de l'État palestinien par la France à l'Assemblée générale de l'ONU], nous allons oeuvrer sans relâche pour réunir d'autres pays susceptibles de reconnaître la Palestine, et de nouveaux engagements des pays arabes vis-à-vis de la sécurité d'Israël, en plus de ceux déjà obtenus.
Membre permanent du Conseil de sécurité, la France ne peut tolérer cet état de guerre permanent. Nous avons une responsabilité particulière envers la sécurité, la liberté et la paix dans le monde. Nous devons aussi défendre nos propres intérêts, français et européens.
Or chacun sait que l'instabilité au Proche-Orient a des répercussions considérables sur la vie quotidienne des Françaises et des Français.
Qui espérez-vous entraîner dans votre décision ?
La démarche que nous avons entreprise a d'ores et déjà permis de susciter des engagements très forts de la part du président de l'Autorité palestinienne. Lundi 28 et mardi 29 juillet, la France réunira à New York l'ensemble de la communauté internationale pour une conférence sous l'égide des Nations unies. C'est une initiative que nous avons lancée avec l'Arabie saoudite au mois de décembre dernier.
À cette occasion et pour la première fois, les pays arabes condamneront le Hamas et appelleront à son désarmement, ce qui consacrera son isolement définitif. Des pays européens y confirmeront à leur tour leur intention de reconnaître l'État de Palestine. La moitié des pays européens l'a déjà fait. Tous les autres y réfléchissent.
(...)
Cette reconnaissance n'est pas une fin en soi, elle vous engage... Qu'allez-vous faire pour que cet État soit viable ?
Créer les conditions de l'émergence d'un État palestinien et des conditions de sécurité pour Israël exige un certain nombre d'engagements de la part de l'Autorité palestinienne. Dans une lettre adressée au président Macron en juin, le président Mahmoud Abbas a pour la première fois qualifié le 7 octobre 2023 d'attentat « terroriste». Il a appelé au désarmement du Hamas. Il a promis des élections d'ici un an qui permettront un changement générationnel des dirigeants, en excluant le Hamas et tous groupes terroristes et violents. Il a aussi accepté que cet État de Palestine soit démilitarisé. C'est considérable.
La force armée est pourtant l'un des attributs d'un État...
En acceptant ce principe de démilitarisation, l'Autorité palestinienne démontre que cet État ne présentera aucune menace pour la sécurité d'Israël à l'avenir.
Benyamin Netanyahou accuse la France « d'encourager la terreur ». Êtes-vous surpris de cette déclaration ?
Je renvoie le Premier ministre israélien à son discours de Bar-Ilan de 2009 dans lequel il définissait les conditions d'une solution à deux États. Ces conditions ne sont ni plus ni moins celles que nous avons mises sur la table.
J'invite le gouvernement israélien à se saisir de cette initiative de la France pour sortir de l'impasse, fermer le chapitre de la guerre, ouvrir celui de la paix.
J'ajoute que la divergence que nous avons avec le gouvernement israélien sur les conditions de la paix n'enlève rien à la coopération étroite que nous avons depuis longtemps sur la menace existentielle qui pèse sur Israël, le nucléaire iranien. La France est et restera un interlocuteur privilégié du gouvernement israélien.
Le ministre des Finances israélien a justement affirmé que la décision de Paris donnait « à Israël une raison supplémentaire » d'annexer la Cisjordanie occupée depuis 1967. Et mercredi, le Parlement a aussi exhorté le gouvernement à annexer le territoire palestinien. Qu'en pensez-vous ?
La colonisation de la Cisjordanie est contraire au droit international. Elle hypothèque la sécurité d'Israël à terme. Il suffit de se pencher sur les actes extrêmement violents que l'on a constatés en Cisjordanie, y compris à l'encontre de l'armée israélienne, pour s'apercevoir qu'elle conduit tout droit à l'embrasement.
Que peut faire la France pour l'empêcher ?
Nous avons plusieurs fois pris des sanctions à l'encontre d'individus ou d'entités responsables de la colonisation extrémiste et violente. Nous l'avons fait au niveau national et au niveau européen. Nous avons proposé de le faire à nouveau en coordination avec le Royaume-Uni et le Canada, entre autres, qui considèrent aussi que la colonisation est non seulement contraire au droit international mais contraire aux intérêts de sécurité d'Israël.
Mais ces mesures n'ont servi à rien jusqu'à présent...
L'Union européenne a engagé ces dernières semaines un dialogue exigeant avec le gouvernement israélien. Elle a obtenu de premiers engagements sur l'accès de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza, qui n'ont pas encore été tenus. Mais la pression monte en Europe et nous allons durcir le ton. La Commission européenne va clarifier ce que nous attendons : l'abandon de tout nouveau projet de colonisation en Cisjordanie, la dissolution du système militarisé de distribution humanitaire qui a provoqué des bains de sang à Gaza. La Commission doit mettre sur la table dans les prochains jours les mesures que nous prendrions si la tragédie devait se poursuivre.
Comment mettre fin à ce conflit, justement, la famine à Gaza, les massacres de civils ?
Gaza est en proie à la famine, la dévastation et la mort.
Notre levier le plus puissant est entre les mains de l'Union européenne. Elle doit notamment exiger la levée du blocus financier et le paiement des sommes dues à l'Autorité palestinienne par Israël. Comment s'étonner de la faiblesse de cette Autorité quand on la prive de 2 milliards d'euros ?
Trump a assuré le 25 juillet que la décision du président de la République n'a « pas beaucoup de poids ». Comment avancer dans ce dossier sans le soutien des Américains ?
La décision du président de la République a été saluée par l'immense majorité des pays du monde, dont 148 ont déjà reconnu la Palestine. Cette semaine à New York, avec l'Arabie saoudite, acteur majeur de la région, nous présenterons une vision commune pour « l'après-guerre » en vue d'assurer la reconstruction, la sécurité et la gouvernance de Gaza et d'ouvrir ainsi la voie à la solution à deux États.
Notre démarche est parfaitement compatible avec la logique des accords d'Abraham adoptée par le président Trump lors de son premier mandat. Elle facilitera, le moment venu, la conclusion de nouveaux accords portés par l'administration américaine. Mais d'ici là, l'inaction n'est pas une option.
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