François Bayrou : « Nous avons un besoin impératif de complémentarité entre la démocratie sociale et la démocratie politique »

Ce mardi 26 août, François Bayrou, Premier ministre, prononçait un discours lors de la rentrée syndicale de la CFDT à Bierville. 

Retrouvez sa transcription ci-dessous.

Madame la secrétaire générale, monsieur le secrétaire général adjoint, madame la ministre, madame la préfète, et mesdames et messieurs. 

Parmi les très nombreux défauts et très soulignés qui sont les miens, il en est un dont je veux bien reconnaître l'étrangeté et la gravité, c'est que je suis très sensible aux signes. Nous sommes en août 2025 et il y a exactement un siècle, en 1925, était élu ici à Boissy-la-Rivière un nouveau maire. Et le nouveau maire de Boissy-la-Rivière, c'était un philosophe engagé, militant engagé, qui va jouer un très grand rôle dans l'histoire de France et un très grand rôle dans le courant d'idées, de convictions, qui fait que nous partageons le orange qui est votre bannière et la nôtre. Il s'appelait Marc Sangnier et il avait acheté ce domaine en 1921, il a été élu maire en 1925, comme je le disais, et il a offert ce domaine à la CFTC, le grand syndicat chrétien d'avant et d'après-guerre, d'où la CFDT, par la majorité de ses adhérents, a été issue. Et vous m'accorderez, et Marylise Léon m'accordera, et Yvan Ricordeau m'accordera, que ce n'est pas votre organisation, ni ma demande, qui avait prémédité l'organisation de ce débat ici à Bierville. C'était la Bourse du Travail qui devait nous accueillir et vous savez que si cette rencontre n'a pas été possible là-bas, c'est en raison de l'évolution contrastée des relations entre les organisations syndicales. Vous voyez par quel détour le hasard, certains diront le destin, vous choisirez le mot que vous préférez, a voulu que par votre décision, nous nous retrouvions ici à Bierville. Permettez-moi d'y voir une manière pour la présence matérielle, mais moi je crois réelle, d'un esprit comme celui de Marc Sangnier, de susciter une rencontre inédite entre ses héritiers syndicaux, ses héritiers politiques, ses co-héritiers en idéalisme et en responsabilité. Une phrase de Marc Sangnier a inspiré toute ma vie, pardon pour ceux qui m'ont entendu la ressasser à longueur d'événements, et je suis sûr qu'elle pourrait inspirer la vôtre. Marc Sangnier dit : la démocratie, c'est l'organisation sociale qui porte à son plus haut la conscience et la responsabilité des citoyens. C'est exactement conscience et responsabilité, ce qui est pour moi l'essentiel des raisons pour lesquelles, femmes et hommes, nous choisissons de nous engager dans le monde comme il est, au moment où il se trouve, au service d'une certaine idée de la société que nous construisons ensemble. Et j'ai été très heureux, très souvent heureux, de partager avec vos responsables, permettez-moi de le dire à Marylise Léon, dont j'admire la constance et la combativité, et à Yvan Ricordeau, parce qu'on a beaucoup travaillé aussi ensemble, permettez-moi de vous dire que j'ai à chaque moment vérifié que conscience et responsabilité étaient en effet les deux exigences qui nous permettent d'aborder, parfois d'affronter, le monde comme il est. 

Vous voyez très bien dans quel moment nous sommes, et c'est un moment extraordinairement inquiétant. C'est un moment précisément de bascule, alors que nous imaginions révolu, ou en tout cas presque révolu le monde des rapports de force, de la force militaire, de la force financière, de la force commerciale, de la domination par les réseaux. Nous croyions que c'était un monde d'avant et que la loi avait pris la place de la force. Et c'est le contraire que nous constatons tous les jours. Partout, c'est la force qui triomphe et non plus le respect du droit. Et ce monde, en particulier, nous rend attentifs à une chose que nous avons en partage, c'est que l'esprit européen, pour lequel Marc Sangnier a tant fait, depuis l'œuvre des auberges de jeunesse jusqu'au lancement des amitiés franco-allemandes après la guerre, lorsqu'il est à l'Assemblée nationale, député du groupe de notre courant de pensée, député du MRP. Cette Europe-là, que nous avons voulu pour qu'elle parle d'une seule voix, qu'elle porte la défense d'une société, de ses valeurs fondatrices, cette Europe apparaît hélas inconsistante et soumise. Nous venons de le vivre avec la décision unilatérale qui a été prise par les États-Unis de M. Trump, imposant aux Européens des droits de douane de 15% sur toute leur production sans même que nous ayons la velléité de nous défendre. Et cela peut s'expliquer, sans doute, économiquement, pour des facilités, mais ça ne peut assurément pas être défendu symboliquement. 

Mario Draghi, qui est un autre des rejetons de ce courant de pensée, l'a dit la semaine dernière dans un discours très important à Rimini, il a dit : « cet été, le rêve d'une Europe qui compte dans le monde s'est évaporé ». Et nous savons tous bien, vous syndicalistes et moi, militants engagés et responsables publics, nous savons tous bien ce que cet effacement de l'Europe représente pour nous. Et nous savons qu'à cet idéal de conscience et de responsabilité, nous ne renoncerons jamais. Et nous savons, comme à chaque époque de notre histoire, qu'il va falloir reconstruire à partir de nos idéaux.

Alors je voudrais vous dire le plus profond de ce que je pense. Je pense qu'un nouveau monde est en gestation, en raison des impératifs qui devraient être écologiques, qui devraient être pris en charge, de la survenue comme une vague, comme un tsunami de l'intelligence artificielle, de la numérisation générale de la société et de la logique de domination des empires que je décrivais un peu plus tôt. Tout cela va bouleverser profondément la société dans laquelle nous vivons. 

Face à cette nécessité, le premier risque, celui dont nous ne nous relèverions pas, c'est le déni. Alors je ne vais pas refaire devant vous la totalité des arguments que j'ai développés depuis des mois, hier encore, sur la dette, mais cette charge dont nous accablons aujourd'hui les Français qui sont au travail, et dont nous acceptons que soient accablés dans l'avenir les plus jeunes d'entre nous, cette charge-là, elle va écraser les initiatives, elle va empêcher le déploiement des innovations. Associée à l'effondrement démographique, elle va mettre en péril le contrat social du pays. Un pays construit sur son contrat social. Et qui va se trouver tout d'un coup à voir s'effondrer les piliers sur lesquels il y a 80 ans exactement, par exemple, la sécurité sociale a été construite. Et donc, j'ai pris le risque de mettre devant leur responsabilité les représentants des Français, notamment à l'Assemblée nationale. C'est un moment de clarification et c'est un moment de vérité. Alors je vois bien tous ceux qui, devant cette exigence de clarification, choisissent d'être purement et simplement les artisans du chaos. C'est le contraire de l'esprit de responsabilité et même de co-responsabilité que défend le courant démocratique, social, lucide, réformiste, qui soude les militants de la CFDT et qui est en partage avec les militants de la démocratie sociale. Tout le contraire de ce que ceux-là veulent. Et donc, dans les 13 jours qui viennent, les Français vont choisir, vont influencer leurs représentants pour qu'ils choisissent et disent s'ils se placent du côté du chaos ou du côté de la conscience et de la responsabilité. 

Une fois la réalité acceptée, comme un grand peuple, nous pouvons dire, nous ne fuirons pas nos responsabilités. Nous avons la charge de nos enfants et on ne va pas les laisser dans cette dérive. Alors il y a, précisément là, à inventer le monde nouveau. Et cela passe autant, c'est ma conviction, par la démocratie sociale que par la démocratie politique. 

Et c'est pourquoi je veux, avec vous, aborder un certain nombre des voies qui existent de novation profonde. D'abord parce que nous devons regarder nos faiblesses en ce qu'elles sont incompréhensibles, elles ne s'expliquent que par la multiplication de choix erronés, de choix dilatoires, qui existent depuis des années, depuis la dégradation de notre balance commerciale, jusqu'à l'acceptation générale de la désindustrialisation, à commencer par l'Éducation nationale où nous avons plongé dans tous les classements planétaires. Et donc, de ce point de vue-là, et c'est vrai aussi pour ce qui concerne le chômage, particulièrement le chômage des jeunes, dont le taux a crû de 2%, la dernière année est passée à 19%, un jeune sur cinq au chômage alors que des centaines de milliers de postes demeurent non pourvus dans l'industrie et dans le tertiaire, alors même que les entreprises ne parviennent pas à recruter et à trouver des jeunes pour s'engager et prendre des responsabilités. 

Ces questions que je balaie devant vous, je veux affirmer une chose essentielle, elles ne sont pas solubles si nous n'avons pas conscience du caractère vital de la démocratie sociale dans leurs résolutions. Il n'est pas possible de répondre aux problèmes aussi complexes d'une nation en ayant comme référence unique la démocratie politique. La démocratie politique ne peut pas prendre en charge la totalité de la complexité d'une société. Si on se laisse aller à cette illusion, alors inévitablement tout remonte au sommet politique et donc aux affrontements. Et donc il ne reste dans une telle société que deux attitudes possibles, être pour ou être contre. Et évidemment c'est le contre qu'on choisira le plus souvent. 

Nous avons un besoin impératif de complémentarité entre la démocratie sociale et la démocratie politique pour affronter les immenses défis qui se dressent devant la France et devant l'Europe. Et c'est parce que nous sommes devant des moments si difficiles, si inédits, que nous avons le devoir d'inventer un monde plus juste. Et cela passera en particulier par la confiance dans les organisations représentatives et dans les organisations syndicales en particulier. Or, ces dernières décennies, c'est très précisément l'inverse qui s'est passé. Le fonctionnement des régimes sociaux a été en grande partie étatisé. Et il faut y voir selon moi la conséquence de ce mal français, au fond : l'État ne fait pas confiance à la société. Sans confiance de l'État, il n'y a pas de responsabilité collective. Et dans cet esprit de responsabilité au regard des réussites, par exemple des partenaires sociaux dans la gestion de certains régimes, notamment des complémentaires retraites, je propose que nous changions de cap et que nous fassions pleinement et entièrement confiance aux partenaires sociaux, en leur confiant la gestion des principaux piliers du système de protection sociale, notamment les assurances chômage et vieillesse. Et cela avec une règle d'or, que la condition d'équilibre financier soit fixée dans la loi, afin de ne pas faire peser sur les générations futures le poids du surendettement et des dérives financières. Ce changement d'architecture, c'est un changement de monde et je voulais l'énoncer devant vous. 

S'engager, chère Marylise Léon, c'est un verbe qui vous intéresse et qu'on va découvrir dans les jours qui viennent sur la couverture de votre livre. S'engager, c'est faire preuve de combativité et d'un véritable esprit de dialogue afin de faire vivre la démocratie et de combattre ensemble les injustices. Je suis témoin que pour tout ce qui a concerné la concertation sur les retraites, ce qu'on a appelé le conclave, entre guillemets, avec d'autres organisations syndicales, vous avez pu proposer des améliorations du système et notamment, j'y tiens, un meilleur calcul de la pension des retraites et un accès facilité aux dispositifs de carrière longues pour les femmes qui ont connu des périodes de maternité et une meilleure prise en compte, une vraie prise en compte, de la pénibilité du travail. Comme je m'y suis engagé, le gouvernement présentera des articles pour retranscrire dans la loi des avancées sur ces points et le Parlement aura le dernier mot sur ces mesures avec les procédures adaptées pour faire adopter ces véhicules législatifs. 

C'est pourquoi j'ai proposé un plan d'ensemble pour retrouver une situation économique et financière qui nous permette d'honorer la promesse française de solidarité. Ce plan repose, et il n'est pas facile, je lis dans vos pensées, ce plan repose sur deux piliers, le premier pour arrêter l'expansion incontrôlée de notre dette et le second pour relancer la capacité de production de notre pays. Dans la définition de ce plan, une conviction nous a guidés : on ne peut refonder un modèle de justice sociale en bafouant la justice sociale. Mais on ne peut assurer la justice sociale, la solidarité et la redistribution si l'on sape la condition de son équilibre qui est la croissance de l'économie française. Toutes les propositions que nous avons faites sont ouvertes au dialogue, dans le cadre fixé par cette conviction. Lorsque vos moyens sont plus importants, votre contribution au redressement des finances publiques doit l'être aussi. C'est pourquoi un effort spécifique sera demandé aux plus hauts revenus, à ceux qui optimisent leur fiscalité en particulier, et les niches fiscales qui profitent d'abord aux ménages aisés et aux grandes entreprises seront supprimées chaque fois qu'elles seront constatées comme injustes et inutiles. À cette suppression, il faut ajouter la réduction, ou le rééquilibrage de plusieurs aides aux entreprises. Vous savez que le Sénat a publié un rapport indiquant que c'était 211 milliards. La vérité, c'est que ce rapport additionne des sommes de nature très différentes, des subventions, des prêts. Mais nous avons la conviction qu'un rééquilibrage peut se produire avec une diminution des aides aux entreprises, équilibrée par un allègement des normes, des complexités, de la bureaucratie qui vient alourdir. Comme vous le savez, un rapport européen récent l'a montré. Dans les autres pays européens, le poids de ces normes et de cette bureaucratie est de l'ordre de 0,5 à 0,8% de la production par an. Or, en France, c'est estimé par le même rapport à plus de 4%. Parce que vous vous rendez compte de ce que représente le potentiel de productivité et de production de ces 4%. Et donc nous identifions actuellement ces normes superflues et nous allons les simplifier. Ce gain d'efficacité doit permettre de revenir sur certaines aides que la puissance publique, par une sorte de compensation, accorde aujourd'hui aux entreprises, il suffirait de supprimer les raisons de la compensation. 

Enfin, la lutte contre la fraude sociale et fiscale va être intensifiée grâce à un projet de loi pour renforcer la lutte contre l'évasion fiscale, étendre la responsabilité aux donneurs d'ordre en cas de travail dissimulé et mieux contrôler les actions de formation financées sur fonds publics. 

Si la justice sociale n'était pas notre souci, aucune de ces mesures n'aurait été proposée. Elles peuvent toutes être ajustées, améliorées, rendues plus intelligentes, elles ne le sont pas beaucoup sans doute au départ, grâce au dialogue avec les organisations syndicales, mais sur la base du respect, y compris pour les organisations, y compris pour le gouvernement, sur la base du respect, de la bonne foi et de la recherche de justice de chacun. Personne n'essaie de tromper personne. 

Et cela vaut aussi pour le deuxième axe du plan, c'est-à-dire celui de la relance de la production. Je me refuse, et pas depuis cette année, à admettre qu'un pays comme le nôtre, grand pays de recherche, grand pays de technologie, grand pays de compétences, d'inventivité et d'énergie, se résolve au déclassement que nous subissons depuis des années. Le séisme commercial que nous vivons appelle un ressaisissement européen, notamment en ce qui concerne les mesures de défense commerciale et de préférence européenne. Elle appelle aussi une action de l'État dans le soutien aux entreprises et filières en difficulté. Je défends depuis des années, notamment quand j'étais commissaire au plan avec un certain nombre d'entre vous, que nous devons définir des stratégies de filières sur la base d'une analyse produit par produit des chiffres du commerce extérieur, qui associera les pouvoirs publics et les grandes entreprises pour apporter un soutien décisif à la création d'activités nouvelles et à la volonté d'équilibrer les chapitres dans lesquels nous sommes absents. 

Mais nous devons également examiner les fondations de l'ensemble de l'activité productive. Je veux en mentionner trois : l'investissement, les compétences et les conditions de travail. Nous devons d'abord préserver et favoriser l'investissement productif. Cela concerne la recherche. C'est pourquoi la trajectoire prévue par la loi de programmation de la recherche en 2020 va être poursuivie. Cela concerne les filières d'avenir dans lesquelles nous continuerons d'investir, notamment au travers de France 2030. Cela concerne plus largement l'investissement dans l'outil de travail. Si nous voulons que notre économie, que chaque entreprise, que chaque service public se dotent des meilleures technologies, notamment numériques, de l'intelligence artificielle partout où elle permet des avancées réelles et respectueuses du travail, des meilleurs moyens de limiter le réchauffement climatique et de s'y adapter, alors nous devons mieux flécher les aides aux entreprises et notamment, je le disais, faire une revue des niches fiscales dès le prochain budget avec les commissions parlementaires. 

La relance de la production repose également, c'est un grand combat et la CFDT y est engagée depuis longtemps, sur la mobilisation des compétences. Nous nous privons bien plus que nos voisins européens des compétences des jeunes et des compétences des travailleurs expérimentés. En ce qui concerne l'emploi des jeunes, dont la première expérience sur le marché du travail reste marquée par les difficultés, les contrats de courte durée et l'absence de perspective, les ministres de l'Éducation nationale et du Travail ont présenté au mois de juillet un plan d'urgence. Dès cette rentrée, et tout à l'heure Astrid vous en parlera, nous allons également améliorer leur orientation et préparer l'expérimentation d'une année de propédeutique commune au BTS des filières de production et du tertiaire. 

Pour les travailleurs expérimentés, l'accord interprofessionnel conclu le 14 novembre dernier a été transposé dans un projet de loi qu'il revient maintenant à l'Assemblée nationale d'approuver définitivement. Si le taux d'emploi des 55-64 ans a progressé, nous ne pouvons accepter qu'il demeure de 5 points inférieur à la moyenne européenne. Ce projet de loi comporte aussi pour l'ensemble des actifs des mesures de simplification des transitions professionnelles qui transposent l'accord interprofessionnel du 25 juin. Et je veux saluer votre action et l'action générale des partenaires sociaux qui ont permis ces avancées. 

La relance de la production passe par une plus grande mobilisation des compétences, mais notre situation ne nous permet pas d'ignorer d'autres moyens possibles de les solliciter. Le temps de travail des actifs à temps complet est inférieur de plus de 110 heures par an à la moyenne européenne et il est impossible que cet accord n'ait pas une répercussion sur notre prospérité. Les questions du travailler plus, du travailler plus nombreux, travailler dans une meilleure organisation s'imposent, et je pense aussi à l'amélioration du retour à l'emploi, et donc au fonctionnement de l'assurance chômage. Les causes du paradoxe que nous connaissons, 7,5% de taux de chômage, mais 450 000 postes non pourvus, ces causes sont multiples, et elles tiennent notamment aux conditions de travail que j'évoquerai dans un instant. Mais nous pouvons certainement rendre plus efficace le retour à l'emploi. Par exemple avec une adaptation de la rupture conventionnelle trop souvent détournée de sa justification. Sur ces sujets également, j'ai proposé aux partenaires sociaux d'ouvrir un dialogue et je me suis engagé à ce que ce dialogue respecte les principes que vous avez défendus dans l'accord interprofessionnel du 15 novembre, en particulier en ce qui concerne les conditions d'indemnisation des jeunes et des seniors. Est-ce que nous pouvons l'envisager différemment de ce qui a été prévu à l'ouverture de ce dialogue ? Différemment la question de la durée pour ouvrir les droits au chômage ? Je suis tout à fait prêt à y réfléchir. 

Enfin, troisième grand combat sur lequel je veux insister devant vous, la relance passera aussi par l'amélioration des conditions de travail. Il y a quatre ans, au sortir de l'épidémie de Covid, la France, comme d'autres pays, a été touchée par une grande remise en question du travail. Je n'ai jamais vu dans ce mouvement une crise de paresse. J'ai voulu, notamment dans mes fonctions de haut-commissaire au plan, en analyser les ressorts profonds. Et il est apparu que ces ressorts profonds tenaient en France à un sentiment de perte de sens et de perte de reconnaissance du travail, nourris par des causes multiples, allant de la pression croissante dans notre société sur le court-termisme, notamment financier, à l'irruption non contrôlée de certaines technologies, en passant, je ne veux pas l'ignorer, je ne veux pas l'oublier, par la difficulté de plus en plus grande à se loger grâce à son travail. Mais une cause est apparue plus immédiate que les autres, le caractère particulièrement vertical dans l'organisation de nos façons de travailler. Or, la CFDT a depuis longtemps réfléchi aux moyens de combler ce handicap en renforçant notamment le dialogue professionnel et en l'articulant avec le dialogue social. C'est le dialogue professionnel qui souvent permet d'alerter quand la charge du travail dérape. Nous ne pouvons pas accepter que 49% des salariés français disent vivre en état d'anxiété au travail, quand ils sont 30% en moyenne dans l'Union européenne et 12% en Allemagne. 

J'aurai l'occasion ce jeudi, devant vos partenaires du MEDEF, dans la rencontre dite des entrepreneurs de France, de demander et de proposer les moyens de les impliquer davantage sur ce sujet. Mais c'est l'ensemble de nos conditions de travail que nous pouvons et devons améliorer. Personne ne le sait mieux que les organisations syndicales. Je serai votre porte-parole, voyez. C'est pourquoi j'ai souhaité identifier avec elles les sujets sur lesquels une grande négociation sur le travail, les conditions de son exercice, et la levée des freins identifiés au recrutement devait être ouverte. La ministre du Travail mène depuis hier des concertations pour en définir les objets et il est inutile, mais je vais le faire quand même, de lui dire ma confiance sur ce sujet. Je crois que cette négociation pourra notamment faire de la prévention des risques professionnels une priorité quotidienne. La France a un taux d'accident du travail deux fois plus élevé que la moyenne européenne, avec un nombre inacceptable d'accidents graves et mortels, et je ne dis pas ça en l'air parce que mon père s'est tué dans un accident du travail. 

La négociation pourra également améliorer la condition des salariés en temps partiel contraint, qui pour 80% d'entre eux sont des femmes, en ce qui concerne leur salaire, la prise en compte de leur temps de trajet, la réduction des coupures horaires qui asservissent le temps libre. Elle pourra enfin renforcer le dialogue social dans les très petites, petites et moyennes entreprises et accroître un jour, combat ancien, et qu'il faut faire aboutir, la place des salariés dans les conseils d'administration. En parallèle, le gouvernement va continuer à inciter les branches professionnelles à revaloriser leurs grilles et à négocier pour améliorer les conditions de travail. 

Ni dans sa finalité, ni dans ses modalités, cette négociation que nous ouvrons n'est une dérégulation sauvage, comme il m'est arrivé de l'entendre dire. Elle entend les demandes de simplification portées par les employeurs et partagées par nombre de salariés. Mais elle entend aussi les demandes d'amélioration des conditions de travail portées par les salariés et les organisations syndicales. Elle est donc tout sauf une vision unilatérale. Mais elle peut certainement être enrichie par le dialogue social. Certaines propositions du gouvernement ont suscité de vives interrogations, par exemple en ce qui concerne l'indemnisation des arrêts de travail. Mais ici non plus, le constat ne peut être éludé. En dehors des maladies professionnelles et des accidents du travail, l'indemnisation des arrêts de travail a crû de plus de 10 milliards d'euros entre 2017 et 2022. Et un tiers au moins de cette hausse ne s'explique ni par le vieillissement de la population active, ni par la progression des salaires. Les moyens de lutte contre cette augmentation immaîtrisée, en mettant tant les entreprises que les salariés face à leurs responsabilités, doivent aussi figurer dans la négociation. 

D'autres négociations devront être ouvertes, essentielles, fondamentales, structurelles notamment sur le financement de notre protection sociale, qui aujourd'hui pèse, on en est nombreux à en être d'accord, trop lourdement sur le travail et donc sur la rémunération des salariés. C'est un chantier d'importance primordiale qu'il nous faudra ouvrir. C'est encore le nouveau monde que j'évoquais devant vous. 

Le discours que je tiens devant vous n'est pas facile à tenir et pas aisé à entendre, parce que la réalité est dure. Je sais que pour beaucoup de Français, la vie quotidienne l'est aussi. Je ne nierai rien de tout cela. Et j'aurais, je vous assure, préféré que la réalité soit plus favorable et que nous ayons davantage de moyens pour laisser la place à des améliorations toutes souhaitables. Mais la lucidité et la franchise sont pour moi les conditions premières de la démocratie. Cela m'oblige à indiquer devant vous les problèmes que je vois et les moyens de les résoudre de la façon la plus acceptable par le grand nombre. C'est mon rôle à la tête du gouvernement. Si d'autres vous affirment en vous regardant dans les yeux que ces problèmes n'existent pas, ou qu'on les exagère, ou qu'il suffit de s'en prendre à telle ou telle catégorie pour les résoudre, aux étrangers disent les uns, aux riches disent les autres. Alors soyez sûrs que ceux-là, s'ils exercent le pouvoir un jour, non seulement ne résoudront pas la situation, mais saperont un peu plus encore notre cohésion sociale et républicaine et l'efficacité de la République. 

C'est ce souci de clarification du débat public qui m'a conduit à annoncer hier l'engagement de la responsabilité du gouvernement le 8 septembre prochain. La question centrale, vous la connaissez : y a-t-il ou pas urgence nationale à rééquilibrer les comptes du pays, à échapper parce que c'est encore possible au surendettement, en choisissant de réduire nos déficits et de produire davantage ? Voilà la question centrale. La discussion sur les mesures est une étape différente qui va être menée avec les partenaires sociaux, quand ils l'accepteront, et avec le Parlement dans la discussion budgétaire. 

La France, j'en suis sûr, est pleinement capable d'affronter ces problèmes, à une condition certaine : que la logique du tout ou rien cède devant la conscience partagée et l'exercice de la responsabilité dans l'intérêt commun que nous avons à discuter. 

Je vous remercie.

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