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Discours de François Bayrou au Congrès du Parti Démocrate européen

Retrouvez le discours de François Bayrou, président du Parti Démocrate européen, président du Mouvement Démocrate et maire de Pau, prononcé lors du 21e Congrès du PDE le vendredi 21 novembre 2025.

Seul le prononcé fait foi.

 

Il n’y a rien de pire que les discours de conclusion des congrès. Quand tout le monde a une journée pleine d’interventions et d’éloquence dans l’oreille, et un peu dans les bottes, comme on dit en français, et de voir le président répéter ce que les autres ont dit — et on sait ce qu’il va dire à l’avance — c’est une épreuve que beaucoup d’entre nous ont subie et que je ne voudrais pas vous infliger. Je vais essayer de dire l’essentiel en quelques minutes.

D’abord, je suis très heureux d’être ici. Je suis probablement le seul dans le même parti politique que nous formons aujourd’hui. Et je me suis engagé très jeune, à l’époque où l’Espagne, c’était Franco. Et le président, tout à l’heure — le lehendakari tout à l’heure — a rappelé ce qu’étaient les dates et les anniversaires, et où les leaders de la démocratie chrétienne, c’était le PNV en exil en France. Et nous avons construit avec eux le Parti nationaliste basque ; nous avons construit avec eux l’Internationale démocrate chrétienne, qui n’était pas du tout ce qu’elle est devenue depuis — je vais en dire un mot dans une minute.

Et c’étaient des frères en exil. Et ces leaders de tout premier plan parlaient fraternellement avec le jeune militant que j’étais. Nous étions voisins, mais à l’époque les Pyrénées formaient une muraille infranchissable pour des raisons politiques. Et donc, c’était pour moi une expérience extraordinaire : que eux, et les militants et responsables de la démocratie chrétienne d’Amérique latine ; que les responsables chiliens, y compris ceux qui allaient connaître le sort le plus tragique, étaient ensemble, avec le sentiment de porter un patrimoine, un message et un héritage que personne d’autre, à cette époque, ne voulait défendre — en tout cas en France.

Et donc cette fraternité d’armes — je le dis au lehendakari, je le dis à Aitor — pour moi, c’est une des choses les plus précieuses, et c’est la raison pour laquelle je ne me suis jamais, dans ma vie politique, laissé séparer du PNV. J’ai voulu, depuis les premiers jours, que cette fraternité forgée dans l’exil se perpétue dans la gestion politique et dans les succès. Et Dieu sait que le PNV a eu plus de succès que nous, qui étions à l’époque les grands frères, mais qui avons beaucoup à apprendre d’eux.

Et donc j’étais particulièrement heureux d’être ici, d’être à Bilbao. Que le lehendakari ne se soit pas contenté de venir assister à un discours puis qu’il soit parti ; il est resté tout du long. Et le discours remarquable que le président du PNV a prononcé à la tribune ne fait qu’ajouter à cette gratitude. Alors je voudrais vous demander de les remercier en les applaudissant, au nom de cet engagement que nous avons partagé.

[Applaudissements]

J’étais particulièrement heureux, Sandro, de voir le succès de ce congrès, le travail remarquable d’élargissement. Nous étions, quand tu es arrivé, sept partis politiques au sein du Parti Démocrate européen. Nous sommes aujourd’hui quatorze partis politiques. Et c’est très important, parce que c’est la garantie que nous sommes en train d’ensemencer, de jeter la semence sur des terres nouvelles. Et c’est une chose infiniment précieuse, parce que c’est très rare d’arriver à faire vivre, grandir, naître et renaître des partis politiques.

La vie a fait — m’a réservé cette chance — que nous ayons pu… et permettez-moi d’avoir à cet instant une pensée pour Marielle… si nous n’avions pas été là, à quelques-uns très peu nombreux, très peu nombreux : Romano Prodi, Francesco Rutelli, toi Sandro, Marielle et nous — cette famille politique aurait disparu. Mais il n’est pas dans la nature des grandes familles politiques de disparaître. Les vraies, pas les familles d’opportunité ; les familles qui sont construites sur une colonne vertébrale de convictions, qui fait qu’en nous écoutant toute la journée, chacun d’entre nous avait le sentiment qu’on lui parlait dans sa propre langue, des problèmes qui sont les siens, des difficultés, des enjeux, des menaces qui sont les nôtres. Donc j’étais très heureux, Sandro, de cette organisation.

[Applaudissements]

Et puis je me faisais une réflexion étrange : je me disais, qu’était en train de naître ici un mouvement dont nous avons rêvé pendant plusieurs décennies, avec ceux que j’évoquais là. Et ce mouvement était celui de la naissance, ou de la reconnaissance, du grand courant démocrate dans le monde, la global democracy, que chacun croit attaché à son propre pays. Les Américains croient que le Parti démocrate américain est américain. Les Indiens — je suis particulièrement sensible à leur présence, moi qui fus dans ma jeunesse un militant de la non-violence gandhienne, de Gandhi — croient que le Parti du Congrès est indien. Les Japonais croient que le Parti démocrate japonais est japonais. Eh bien, en réalité, ces mouvements-là ne sont que le surgeon, la pousse, la repousse, dans chaque pays, d’un mouvement qui est un mouvement universel, et qui est aujourd’hui profondément en danger.

Ce que nous faisons naître — et Sandro l’a dit — c’est pour moi un rêve depuis 30 ans : que tous ces démocrates-là se reconnaissent entre eux et pensent qu’ils ont à construire ensemble et à apprendre les uns des autres. On a beaucoup de questions… On a vu dans le débat — et c’est rare de voir des débats intéressants en politique — on a vu, dans le débat que Laurence animait, que vous vous êtes dit des choses qui n’étaient pas uniquement tendres, qui n’étaient pas uniquement de bonne composition. Et vous avez raison ; je vais tout à l’heure essayer d’expliquer pourquoi. Mais c’était extraordinairement intéressant, et c’est pour moi le prélude à la reconnaissance réciproque des mouvements démocrates.

Nous, nous sommes un petit mouvement, mais central — j’y reviendrai. De même que le Pays basque est une petite nation, mais centrale. Si l’on s’attache à l’essentiel, c’est-à-dire à la reconnaissance de la vraie nature du pluralisme et de la diversité culturelle en particulier ; si l’on s’attache à l’essentiel, alors on comprend que ce qui se joue dans cette recherche partagée est une des clés de l’avenir du monde. Je vais essayer de dire pourquoi, en quelques phrases.

Vous avez souligné tous — chacun d’entre nous — nous avons souligné le basculement de monde auquel nous avons assisté et dont nous sommes partie prenante. Le lehendakari, à la tête du gouvernement basque ; moi, il y a encore quelques semaines, à la tête du gouvernement français : c’est un basculement de monde. Par quoi ce basculement de monde est-il marqué ? On l’a tous dit, et je veux le répéter, parce que c’est la formule que j’ai prononcée le jour même de l’invasion de l’Ukraine par l’armée de Poutine. J’ai dit — et la formule a souvent été reprise — j’ai dit ce jour-là : « On vient de passer du monde construit sur la force de la loi au monde construit sur la loi de la force. » Et c’était la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale et la chute du mur de Berlin.

Jusque-là, nous croyions tous — nous imaginions tous — que peu à peu, et difficilement, une nation après l’autre, on allait vers le respect de la loi, y compris entre les nations. Ce respect de la loi fondé sur un principe : qui est que la loi protège les petites nations aussi bien que les grandes nations, que ce n’est pas la puissance qui fait la justice. Nous imaginions qu’un monde viendrait où la justice ferait la puissance. C’est ça qui a basculé sous nos yeux le jour où Poutine a essayé d’envahir l’Ukraine.

C’est très important de le dire aujourd’hui, en ce vendredi 21 novembre, parce que l’Ukraine et son président, Volodymyr Zelensky, sont placés aujourd’hui sous une pression immorale. 

[Applaudissements]

On essaie aujourd’hui d’expliquer à l’Ukraine qu’il faut qu’elle cède, et que si elle ne cède pas, elle y perdra tout. Alors, ils sont avantagés, évidemment, les puissants : d’abord par leur capacité industrielle, militaire, financière, politique, géopolitique ; et par le fait qu’il y a un de ces scandales, comme il arrive qu’il y en ait dans tous les pays, chacun à leur tour. Mais vous voyez bien qu’ils se servent de cela pour forcer Zelensky à plier.

Je lisais tout à l’heure ses déclarations, et visiblement il est devant cette question. Je veux simplement dire au président ukrainien que son héroïsme personnel a été l’image de l’héroïsme ukrainien, que nous n’avons pas l’intention de l’oublier, et que nous voulons renouveler ici, à cette tribune, le soutien, la volonté inébranlable de soutien qui est la nôtre, celle des Européens, et précisément celle des démocrates européens pour l’Ukraine martyrisée.

[Applaudissements]

Donc nous avons vécu ce basculement de monde. Et je dois le dire — ceux qui travaillent avec moi depuis longtemps le savent — depuis la première minute, nous avons compris que ça ne s’arrêterait pas à la situation militaire entre la Russie et l’Ukraine. Depuis la première minute, nous avons compris que quelque chose s’était enclenché pour que le monde assiste, impuissant, au renoncement général aux principes qui étaient les nôtres, et que nous affichions, que nous affirmions, et que désormais nous acceptions de voir piétiner.

Alors nous savons très bien que c’est le même ordre que la Chine cherche à imposer, par la force industrielle et commerciale, à l’univers entier, et spécialement à notre Union européenne. Ce qui nous pose une question centrale dans notre réflexion sur l’avenir de notre Union.

Nous savons très bien que c’est exactement ce qui se passe au Moyen-Orient, dans le drame qui a commencé avec l’agression du Hamas et qui a continué avec le combat militaire contre Gaza, en Iran, à Gaza. Nous savons très bien que ce sont des enjeux de cet ordre. Et nous ne savions pas, nous n’imaginions pas, que le président des États-Unis qui allait être élu se livrerait lui-même, à l’égard de ses propres alliés, à un renoncement aux principes que nous avions partagés, annoncés et soutenus ensemble contre toutes les puissances, et notamment au moment de la guerre froide.

Ce qui s’est joué dans ces trois ans n’est qu’un enchaînement de causes et de conséquences absolument désastreuses. Nous avons vu ça et nous comprenons aujourd'hui, on l'a tous dit, que le cœur de cible c'est la démocratie et c'est nous qui sommes le continent qui a voulu faire de la démocratie sa règle. 

Et c'est la raison pour laquelle tu as eu parfaitement raison, Aitor, de renvoyer cette question à la question de notre diversité européenne. Nous sommes le continent qui a choisi de faire vivre ensemble, sur les mêmes principes, non seulement des identités différentes, mais des identités disproportionnées par le nombre. Nous avons affirmé le droit de chacun à exister, à défendre sa culture et à s'entendre avec les autres. C'est un immense sujet, je ne vais pas m'y attarder. 

Nous avons en France, nous sommes les seuls à avoir des notions ou des combats idéologiques sur ce sujet que nous appelons chez nous la laïcité. Qu'est-ce que c'est la laïcité ? Et elle n'est pas que religieuse, je vais essayer de l'affirmer. La laïcité, ça part de la question de la tolérance. J'ai écrit des livres sur un roi de Navarre, devenu roi de France. Et à l'époque, le roi de Navarre, c'était le souverain du Béarn, parce que la Navarre avait été reprise par tous ceux qui ne supportaient pas de voir quelqu'un de l'autre côté des Pyrénées sur le trône à Pampelune. Henri IV a été le souverain de la tolérance à l'époque où l'Europe et la France, plus que tout autre, étaient déchirées par les guerres de religion. Et il a affirmé quelque chose qui, à cette époque, au XVIe siècle, était impossible à entendre : c'était que dans le même État, dans le même royaume, on avait les mêmes droits, quelle que soit sa religion. C'est le premier pas de la tolérance. 

Mais il y a un deuxième pas pour moi, qui est, que nous appelons laïcité — laïcité, ça vient du grec, nos camarades grecs qui étaient là, c'est laïkos, c'est le peuple, c'est ce qui fait un peuple en dépit des différences — et la laïcité pour moi je la définis comme non seulement la tolérance, mais la compréhension mutuelle. Et plus que la compréhension mutuelle, le souhait que les autres demeurent ce qu'ils sont, même s'ils sont différents de vous. 

Alors l'univers entier a oublié ça, des continents entiers, des états continents entiers ont oublié ça. J'étais très frappé parce que notre ami américano-italien — je ne le vois pas très bien à cause des éclairages — ce qu'il a dit sur les sondages aux Etats-Unis, que presque la majorité, 45%, dans un camp et dans une génération, croient que la violence est justifiée, y compris si elle entraîne la mort de l'adversaire. Et cette justification de la violence dans tous les domaines, les domaines de la vie internationale, et les domaines de la démocratie ou du combat dans chaque pays, cette justification de la violence, c'est précisément le sujet pour lequel nous avons construit ce grand courant politique-là. 

C'est parce que nous pensons que ce qui est en jeu, c'est le progrès de l'humanité, sur le fait que, précisément, nous commençons, ou nous devons affirmer, que ça n'est pas parce qu'on est profondément attaché à son identité, à sa religion, à sa philosophie, à son engagement politique, qu'on doit s'imaginer que le monde serait meilleur, si les autres disparaissaient, si les autres étaient écrasés. 

Ceci est l'engagement démocratique par essence. C'est-à-dire, non seulement j'accepte que d'autres sensibilités que la mienne existent, mais je souhaite qu'il y ait d'autres sensibilités que la mienne. On y est arrivé en matière de religion. J'imagine qu'il n'y a plus de catholiques qui rêvent d'un monde dans lequel il n'y aurait que les catholiques et dans lequel les autres confessions chrétiennes, protestants ou orthodoxes ou évangéliques, je ne sais, auraient disparu et les musulmans auraient disparu et les juifs eux-mêmes, les pères de toutes ces religions, auraient disparu. 

Alors je sais qu'il y a des continents entiers sur lesquels cette question de l'identité religieuse n'est pas réglée. Et il y a des continents entiers dans lesquels le droit de croire n'est plus reconnu. Et il y a des continents entiers dans lesquels le droit de changer de religion expose aux plus graves condamnations jusqu'à la mort. 

De la même manière, il y a des continents entiers dans lesquels, des continents, en tout cas des pays entiers dans lesquels, la condition de la femme, je voudrais que dans chacune de nos manifestations, les femmes afghanes et les femmes iraniennes aient leur place. Elles à qui on interdit de se montrer, à qui on interdit de sortir, à qui on interdit désormais de faire des études, à qui on interdit désormais de chanter. Et vous voyez bien que cette question, non seulement de l'acceptation, mais de la volonté de voir les autres vivre selon ce qu'ils sont, est une question centrale pour nos sociétés et pour l'humanité. C'est à ce carrefour-là que nous sommes, les pires des dangers et les plus importantes des chances. 

Aitor, je t'écoutais tout à l'heure et depuis le début de l'après-midi, je l'ai dit dans l'oreille à Sandro, je suis frappé par quelque chose que je vais vous dire crûment et que nos interprètes me pardonnent : je me dis que c'est le dernier congrès où il faut des interprètes. J'espère qu'il y en aura beaucoup qui feront d'autres tâches. Mais l'intelligence artificielle avec un micro à la boutonnière et une oreillette à l'oreille fera, Aitor, que la question des langues officielles en Europe elle va être dépassée par les progrès nouveaux qui sont ouverts. Tu pourras parler basque, je pourrais parler béarnais, en tout cas je suis sûr de pouvoir parler français, et nous n'aurons plus ces efforts démesurés pour avoir une seule langue qui s'impose à toutes les autres, ce qui n'est pas tout à fait ma philosophie des choses. 

Quelque chose est en train de changer. Je veux à cette tribune et pour finir dire qu'il faut bien qu'il y ait un parti de l'optimisme démocratique, de l'optimisme civique. Il n'est pas vrai que la loi de la force a déjà gagné la partie. Ça n'est pas vrai. Ce que les pays qui se livrent à la loi de la force vont perdre dans ces affrontements inhumains va être considérable. Et je crois que nous, nous pouvons défendre l'idée qu'au contraire, nous construisons quelque chose qui est de l'ordre de l'union des cultures, des États, des générations.

Il faut qu'on s'habitue à une idée qui est assez souvent écartée aujourd'hui. C'est quelle est la vraie nature du conflit en démocratie ? Les conflits sont naturels. La plupart des orientations et des puissances qui s'expriment pensent que le conflit s'est fait pour le triomphe des uns sur les autres, pour l'écrasement des uns par les autres. 

Et moi je crois le contraire. Je crois que le conflit peut se résoudre dans quelque chose qui ressemble à un chemin nouveau qu'on trouvera à partir de la compréhension mutuelle. Les conflits, y compris religieux, y compris culturels, y compris identitaires, y compris de génération, s'il y a quelque chose qui caractérise dans certains de nos pays — en tout cas la France aujourd'hui — la situation, c'est que les générations les plus jeunes sont sacrifiées. Elles sont sacrifiées par l'accumulation de dettes, elles sont sacrifiées par des déficits impossibles à corriger, elles sont sacrifiées par des institutions qui ne fonctionnent plus, et elles sont sacrifiées parce que ce que nous leur devons, l'éducation par exemple, n'est pas tout à fait à la hauteur de ce que nous voudrions. 

Nous avons un projet de société qui est en réalité un projet de civilisation et que nous voulons partager avec ceux qui, comme nous, rencontrent les difficultés des temps. J'ai été très heureux qu'à Bilbao, ce congrès nous permette de vérifier que nos intuitions nous soudent, nous réunissent et qu'un grand courant est en train de naître dont nous croyons qu'il peut changer la face du monde. 

Merci à tous.

 

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