Retour de Roumanie : observations et réflexions sur un pays en mouvement
Dans ce billet d'humeur, une délégation MoDem partie en Roumanie au mois d'octobre revient sur son voyage riche en enseignements.
Il y a des voyages qui marquent, non pas seulement par les paysages ou les rencontres, mais parce qu’ils nous renvoient à nos propres valeurs et à l’Europe que nous voulons construire. Notre séjour en Roumanie, à l’invitation de Carmen Olteanu et de nos amis démocrates de Transylvanie, fut de ceux-là. Entre les montagnes de Transylvanie et les rues animées de Sibiu, nous avons découvert un pays fier, résilient, et profondément européen.
La Roumanie, une métamorphose européenne
La Roumanie d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celle d’il y a vingt ans. Depuis son entrée dans l’Union européenne en 2007, le pays a connu une métamorphose saisissante. Grâce aux fonds européens, la Roumanie a pu moderniser ses infrastructures, développer ses villes et ses villages, et offrir à ses citoyens des conditions de vie radicalement améliorées. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis 2007, le pays a reçu plus de 68 milliards d’euros de fonds européens, permettant une croissance économique spectaculaire. Quand on se promène dans les rues de Răşinari ou sur les places de Sibiu, on se sent chez soi, en Europe — non pas dans un pays en transition, mais dans une nation fière, dynamique, et déterminée à écrire son propre destin. Les Roumains ont su transformer ces fonds en développement concret : routes, écoles, aéroport international qui ne demande qu'à être ouvert sur l’étranger, gestion des déchets… La Roumanie est devenue un pays moderne, où l’on croise des étudiants connectés, des entrepreneurs ambitieux, et des élus locaux qui innovent.
L’Europe, une évidence et une urgence
En Roumanie, l’Europe n’est pas une abstraction. Elle est une promesse tenue, une main tendue après des décennies d’isolement et de dictature. Les Roumains nous l’ont répété : sans les fonds européens, leur transition aurait été impossible. Routes, écoles, aéroport de Sibiu, gestion des déchets… L’Union a permis à ce pays de se relever, de moderniser ses infrastructures, et de se projeter dans l’avenir. Pourtant, derrière cette reconnaissance, perce une frustration : celle d’être encore trop souvent considéré comme un « élève » de l’Europe, plutôt que comme un partenaire à part entière.
Nous, Français, avons parfois tendance à oublier que l’Europe ne se limite pas à nos frontières. À Sibiu, nous avons vu des élus locaux, des enseignants, des entrepreneurs qui portent l’Europe au quotidien, avec une énergie et une conviction qui devraient nous inspirer.
Leur attachement à l’UE est viscéral, car ils savent ce que signifie en être privé. Alors que chez nous, certains remettent en cause les valeurs européennes, les Roumains nous rappellent que l’Europe est avant tout un projet de paix, de liberté et de solidarité.
La démocratie, un combat permanent
Rencontrer les militants de l’USR (Union Sauvez la Roumanie) a été un choc salutaire. Ce parti jeune et réformiste porte l’espoir d’une Roumanie débarrassée de la corruption et des vieilles habitudes clientélistes. Leurs adhérents — souvent des citadins éduqués, des jeunes, des femmes — croient en une démocratie transparente, en une justice indépendante, en une société plus égalitaire. Pourtant, ils se heurtent à une réalité tenace : 40 % des Roumains votent pour des partis extrémistes, nostalgiques d’un passé autoritaire ou hostiles à l’Europe.
Comment expliquer ce paradoxe ? Par la peur, sans doute. La peur du changement, la peur de l’inconnu, la peur de perdre ses repères dans un monde globalisé. Les extrémistes roumains, comme ailleurs en Europe, surfent sur ces angoisses. Ils promettent un retour à un âge d’or mythifié, où la tradition et l’ordre primaient sur les libertés individuelles. Leur discours séduit d’autant plus qu’il est simple, manichéen, et qu’il désigne des boucs émissaires — l’UE, les élites, les minorités.
Face à cela, les démocrates roumains — comme nous — doivent réapprendre à raconter une histoire. Pas celle d’un passé idéalisé, mais celle d’un avenir commun, où la liberté, la justice sociale et la protection de l’environnement ne sont pas des voeux pieux, mais des réalités tangibles.
L’école, entre excellence et défis
Notre visite à l’établissement Constantin Noica de Sibiu a été un moment fort. Ici, 97,5 % des élèves obtiennent leur baccalauréat et poursuivent des études supérieures. Les locaux sont impeccables, les enseignants investis, et les projets innovants (radio scolaire, tri sélectif, ateliers du soir). Pourtant, des questions subsistent : où est la place de l’enseignement professionnel ? Comment intégrer les élèves ukrainiens ou roms sans les marginaliser ? Comment faire de l’Europe une réalité concrète pour des jeunes qui la voient surtout comme une porte de sortie — vers l’Allemagne, la Belgique, ou l’Italie ?
L’école roumaine, comme la nôtre, est à un carrefour. Elle doit former des citoyens éclairés, capables de penser par eux-mêmes, et non des consommateurs passifs de fake news. Elle doit aussi préparer les jeunes à rester et à construire leur pays, plutôt qu’à fuir vers des eldorado souvent illusoires.
L’orthodoxie, entre immobilité sacrée et défis modernes
La Roumanie est un pays où la tradition est omniprésente. Dans les églises orthodoxes, comme la Biserica Veche Cuvioasa Paraschiva, les popes nous ont expliqué une philosophie religieuse ancrée dans l’immobilité : les rites y sont appliqués au plus près des Écritures, inchangés depuis 2 000 ans. Cette rigidité liturgique reflète une vision du monde profondément conservatrice, qui imprègne une partie de la société roumaine. Les fidèles jugent souvent avec méfiance les évolutions des autres confessions, comme le catholicisme, qui adapte régulièrement ses rites et ses prières lors des synodes.
Cette résistance au changement, cette nostalgie d’un ordre immuable, montrent à quel point la tradition orthodoxe influence encore les mentalités et les débats sociaux.
Pourtant, la Roumanie bouge. À Cluj, ville universitaire dynamique, les jeunes militent pour l’égalité femmes-hommes, la lutte contre le réchauffement climatique, une justice indépendante. Ils refusent le fatalisme et veulent une Roumanie moderne, ouverte, européenne — même si cette tension entre tradition et progrès reste au coeur des débats.
L’écologie, entre prise de conscience et résistances
Le maire de Cisnădie, Mircea Orlățan, nous a parlé de son engagement écologiste. La Roumanie a des atouts : un potentiel photovoltaïque énorme, des ressources en gaz en mer Noire, une conscience croissante des enjeux climatiques. Mais elle se heurte aussi à des résistances : le déni d’une partie de la population, la fermeture précipitée des centrales à charbon, la dépendance énergétique le soir, quand le soleil ne suffit plus.
Là encore, le parallèle avec la France est frappant. Nous aussi, nous tergiversons. Nous aussi, nous avons des territoires qui refusent la transition. La différence ? En Roumanie, l’urgence est encore plus criante, car le pays n’a pas les mêmes marges de manoeuvre que nous.
L’amitié franco-roumaine, un héritage à cultiver
La Maison d’Ille-et-Vilaine à Sibiu, symbole d’une amitié née dans les années 1990, quand des Bretons sont venus en aide à une Roumanie exsangue, reste un lieu de rencontres, de cours de français, de projets culturels. Pourtant, elle peine à trouver des financements. Comment laisser mourir un tel symbole ?
La Roumanie et la France ont une histoire commune, faite de solidarité et d’échanges. Nous devons la perpétuer. Pas seulement par nostalgie, mais parce que ces liens humains sont le ciment de l’Europe. Parce que face aux nationalismes, aux populismes, aux fake news, seule la rencontre, le dialogue, l’action commune peuvent nous sauver.
Ce que nous ramenons en France
De ce voyage, nous gardons trois convictions :
- L’Europe n’est pas un acquis, mais un combat. Les Roumains nous l’ont rappelé : sans elle, leur pays serait encore dans l’ombre. Nous, Français, devons cesser de la critiquer sans cesse, et la défendre comme un bien précieux.
- La démocratie se cultive tous les jours. Elle ne survit que si nous éduquons, si nous luttons contre la corruption, si nous donnons aux jeunes des raisons d’y croire. En Roumanie comme en France, l’abstention et le rejet des partis traditionnels profitent aux extrêmes.
- Les territoires sont le coeur battant de l’Europe. Que ce soit à Răşinari, Sibiu ou Cluj, nous avons rencontré des élus, des enseignants, des militants qui agissent localement pour un avenir commun. C’est là, sur le terrain, que l’Europe se construit.
En conclusion, la Roumanie nous a offert une leçon d’Europe. Une Europe des peuples, des territoires, des combats partagés. Une Europe qui n’a de sens que si elle est solidaire, audacieuse et humaine.
À nous, maintenant, d’y travailler.
Les membres de la délégation MoDem en Roumanie François VERICEL, Marie-Jeanne BÉGUET, Jean-Louis GAILLARD, Roland COMTE, Sylvie BERTHIOT-DELMAS, Denis DELMAS, Arnaud TARGAT