Session extraordinaire, vote du Parlement le 8 septembre
Le Premier ministre François Bayrou, a convoqué une session extraordinaire le 8 septembre, pour engager les parlementaires dans le redressement des comptes publics.
Madame et Messieurs les Ministres d'État, Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs,
J'ai souhaité cette communication de rentrée à un moment préoccupant, et donc décisif de l'histoire de notre pays.
C'est un moment d'hésitation et de trouble qui impose une clarification.
La planète tourne mal. La loi internationale qui imposait que soient respectés tous les pays du monde, avec des droits égaux, au moins dans les principes, est bafouée. Les grands empires ont choisi désormais d'imposer leur loi par la force. Force militaire avec l'assaut jamais interrompu de la Russie contre l'héroïque Ukraine ; tragédie du Moyen-Orient depuis le pogrom du 7 octobre, jusqu'au Liban, à l'Iran et à Gaza ; épreuve de force commerciale, avec une concurrence déséquilibrée et déloyale sur des centaines de productions de la part de la puissante Chine ;
domination avec les politiques de droits de douane unilatéralement imposés par les États-Unis de M. Trump ; force monétaire avec des dévaluations qui faussent la concurrence. Indifférence au réchauffement climatique et à ses causes, industrielle, énergétique.
L'Europe ne tourne pas bien. Elle devrait parler d'une seule voix, or elle est trop souvent divisée, chacun essayant de rechercher d'abord ses propres avantages.
450 millions d'habitants, un immense marché, une puissance scientifique, technologique, industrielle, mais, en dépit de l'effort constant de la France et du président de la République, une impuissance politique qui selon les mots de Mario Draghi cette semaine dans son discours à Rimini fait que « cet été s'est effacé le rêve d'une Europe qui compte dans le monde ».
Et notre France est un dangereux paradoxe. Un pays incroyablement doué dans tout ce qui est au sommet de la pyramide de l'œuvre humaine, sciences, mathématiques, chimie, génétique, algorithmique, quantique, technologie et productions de pointe, depuis les fusées et les satellites, depuis la production d'électricité nucléaire, les armements les plus sophistiqués, les meilleurs avions du monde, des hélicoptères, des navires et des sous-marins, y compris nucléaires, des automobiles de qualité, la pharmacie et la chimie, la culture et le luxe, l'agriculture et l'agro-alimentaire. Et cependant un commerce extérieur en berne, parce que nous sommes dépassés dans tout ce qui est la base de la pyramide de la consommation, de l'équipement de la maison, de l'électroménager, de ce qui fait la vie de tous les jours.
C'est ce paradoxe qui devrait mobiliser notre énergie et notre volonté tous les jours : préserver et conforter nos forces et corriger nos faiblesses. En premier, l'Éducation nationale, effondrée dans les classements internationaux, d'abord et surtout pour ce qui concerne les fondamentaux, la lecture, l'écrit, les mathématiques les plus élémentaires; et puis la formation des jeunes dans un pays qui a 19% de chômage des jeunes, un jeune sur cinq sans emploi, et où les entreprises ne trouvent pas de jeunes pour s'engager, pour progresser, pour prendre des responsabilités, construire des situations, prendre la succession des artisans et des commerçants. Et nous devrions nous battre avec acharnement pour la réindustrialisation du pays dans toutes les filières que nous avons à portée de la main, et autour desquelles nous devrions rassembler les pouvoirs publics et les grandes entreprises.
Bien des efforts ont été déployés ces dernières années pour créer les conditions d'un redressement de tous ces secteurs, pour l'école, pour l'emploi, pour la création d'activité. Je le sais et je sais en même temps qu'un nouveau cap reste à franchir.
Voilà ce qui devrait mobiliser la volonté de notre nation : protéger et cultiver nos incroyables atouts, et corriger d'urgence nos faiblesses.
Nous aurions tout pour cela.
Mais un danger immédiat pèse sur nous, auquel nous devons faire face, non pas demain ou après-demain, mais aujourd'hui même sans retard d'aucune sorte, sans quoi l'avenir nous sera interdit et le présent durement et lourdement aggravé.
Notre pays est en danger parce que nous sommes au risque du surendettement.
Sur les deux dernières décennies, malgré la succession de gouvernements de tendances différentes, la dette de notre pays s'est accrue de 2000 milliards d'euros. 1000 milliards entre 2005 et 2015, 1000 milliards entre 2015 et
2025. Ce sont des chiffres qu'il est impossible de se représenter pour un esprit humain, mais on peut les rendre plus compréhensibles : chaque heure de chaque jour depuis 20 ans, 12 millions d'euros de dettes supplémentaires, par heure, toutes les heures de jour et de nuit, toutes les heures depuis vingt ans !
Je sais que nous avons eu des crises à traverser : les subprimes, la crise financière de 2008 - 2009. Les gilets jaunes, le terrible Covid qui a mis la planète entière à l'arrêt, et aussitôt la guerre d'annexion déclenchée par la Russie contre l'Ukraine, et la crise énergétique qui s'en est suivie, et l'inflation, et le tsunami des droits de douane de M. Trump. Ce recours à l'emprunt est normal en période de crise pour passer la vague, mais nous ne sommes jamais revenus en arrière. La dépendance à la dette est devenue chronique. Et cet argent emprunté par centaines de milliards n'a pas été utilisé comme cela aurait été souhaitable et nécessaire pour investir, pour doter notre pays des meilleurs équipements, des meilleures universités, des meilleurs hôpitaux, des meilleurs laboratoires pour nos chercheurs. li a été utilisé pour les dépenses courantes, celles qu'aucune famille n'envisagerait de laisser à la charge de ses enfants.
De sorte que les sommes que nous devons rembourser chaque année ont augmenté, année après année, dans l'indifférence générale, inexorablement. La charge de la dette va devenir cette année le budget le plus important de la nation, plus que l'éducation nationale, plus que les armées. Écoutez bien : cette année, la charge de la dette représentera à elle seule plus que l'addition des budgets de l'enseignement supérieur, de la recherche, du logement et de la justice. Tous ces budgets additionnés !
C'était 60 milliards l'an dernier, 66 cette année, 75 en 2026, 85 l'année suivante, et si nous ne corrigeons pas la trajectoire 107 milliards en 2029.
Notre pays, à notre rythme de croissance, crée chaque année environ 50 milliards de richesses de plus que l'année précédente. Or, sur ces 50 milliards créés par le travail et l'initiative des Français, 10 milliards chaque année sont captés par le seul alourdissement des intérêts de la dette, c'est 20% du progrès de la France qui est ainsi confisqué chaque année !
C'est exactement ce que trop de familles connaissent hélas, ce que trop d'entreprises et d'associations connaissent. Le plus terrible, c'est de devoir aller à la banque pour emprunter de quoi rembourser les mensualités des emprunts précédents. Et comme vous êtes de moins en moins solvable, vous devez emprunter de plus en plus cher !
Je sais bien qu'il est tellement plus facile d'ignorer ce risque, de faire comme si on pouvait continuer sans rien changer à nos habitudes.
Si le chemin que nous choisissons est de feindre que le problème n'existe pas, nous ne nous en sortirons pas.
Comme État et comme société, si nous ne faisons rien, ou peu pour faire semblant, pour ne déranger personne, nous courons à la catastrophe.
C'est notre liberté qui est en jeu, notre souveraineté, notre indépendance. Dépendants financièrement, c'est comme être soumis militairement. Dépendre des prêteurs, c'est comme pour une famille dépendre de sa banque, menacée de saisie, pour une entreprise, menacée de redressement judiciaire.
Autant que je le pourrai, je ne laisserai pas notre pays s'enfoncer dans ce risque. C'est notre liberté qui est en jeu.
Je ne referai pas la liste des pays qui nous entourent, lorsqu'ils ont été rattrapés par ce cauchemar et des sacrifices qu'ils ont dû consentir, le Canada, la Suède dans les années 90, la Grèce, l'Italie, l'Espagne, le Portugal dans les années 2000. On coupe dans les retraites, parfois jusqu'à 30% de leur montant, on coupe dans les salaires de la fonction publique, on licencie des fonctionnaires, on augmente massivement les impôts.
Et ce sont des menaces auxquelles personne ne peut échapper ! Il y a trois ans à peine, au Royaume-Uni, un gouvernement pourtant conservateur, conduit par Liz Truss, a sauté en 42 jours, six semaines, parce que les marchés, c'est-à-dire les prêteurs ont considéré que les décisions de baisses d'impôts pour les plus riches et le recours massif à de nouveaux emprunts n'étaient financièrement pas viables. La Grande-Bretagne, notre voisin, un des plus influents des grands pays, membre comme nous du Conseil de sécurité des Nations-Unies, et la place-forte privilégiée des financiers et des boursiers, gouvernement renversé en six semaines !
La France ne peut pas ignorer ce danger ! Elle ne peut pas ne rien faire ! Elle court à l'accident si elle ne prend pas les décisions courageuses, mais encore possibles, et supportables, qui s'imposent.
Alors j'entends ceux, nombreux, qui disent: « il n'y a aucune raison que ce soit à nous qu'on demande des efforts. La dette, ce n'est pas nous, ce sont les gouvernements qui se sont succédé ! C'est à eux qu'il faut demander des comptes, pas à nous ! »
Il se trouve que pendant ces vingt dernières années, je me suis battu, presque toujours seul, pour convaincre de ce risque politiques et citoyens, qui, tous, je dois l'avouer, s'en moquaient comme de leur premier biberon.
Cela me permet de rappeler à tous que la dette, ce ne sont pas les gouvernements qui l'ont consommée. Cette dette colossale, elle a été, année après année, épuisée en dépenses courantes, distribuée aux Français, aux retraités pour quelque 600 milliards, aux familles en baisses d'impôt, aux consommateurs en TVA réduite, aux fonctionnaires en salaires de la fonction publique, aux assurés sociaux massivement, aux entreprises en crédit impôt recherche, aux salariés en baisses de charges pour augmenter le nombre de Français au travail. La dette, c'est chacun d'entre nous. Et les interventions parlementaires, pendant la crise, pendant les discussions budgétaires même après les crises, étaient pour demander non pas moins, mais davantage de dépenses dans le domaine particulier qui les intéressait !
Il y aurait eu une dette utile, profitable, si nous avions emprunté pour investir. Mais nous avons choisi non pas l'investissement, sauf ces dernières années à l'initiative du président de la République avec France 2030, mais pour l'essentiel pendant des décennies, les dépenses courantes. Et comme on dit depuis longtemps, la mauvaise dette chasse la bonne !
Donc la menace est là : l'explosion des taux d'intérêt, pas seulement pour l'État, mais pour chacun d'entre nous, cela signifie qu'il devient trop cher de construire, impossible d'acheter un appartement, que le secteur du bâtiment est bloqué, impossible d'acquérir des voitures, d'équiper la maison.
Les taux modérés, c'est l'oxygène pour l'économie, l’explosion des taux c’est l’asphyxie générale.
Voilà ce que le gouvernement ne veut pas laisser faire ! Et je me battrai, bec et ongles, en prenant tous les risques, pour que ce danger soit évité par le seul moyen disponible, la prise de conscience des Français.
Or ce débat, vital pour notre pays, a sombré dans la confusion. Et c'est pourquoi il faut une clarification.
Le débat devrait être centré autour de la nécessité, je le répète, vitale, de dépenser moins et produire plus, pour placer le pays dans la trajectoire nécessaire pour retrouver l'équilibre.
Or ce débat a été dévoyé et déplacé. Il n'a plus été question de l'impérieuse nécessité à laquelle nous devons répondre, mais seulement des mesures, par exemple des jours fériés pour produire plus, mesures dont j'ai indiqué qu'elles étaient toutes discutables, amendables, améliorables, avec les partenaires sociaux et avec le Parlement, dont c'est la mission.
Ne débattre que des mesures, c'est oublier la nécessité du plan d'ensemble. Or c'est le plan d'ensemble, sa nécessité et son urgence, qui est la vraie question! Tous les débats exacerbés sur les mesures, débats qui conduisent à renoncer et à ne rien faire, sont une impasse pour le pays.
Sur ce débat s'est greffé un mouvement de contestation radicale, dont LFI et M. Mélenchon ont maintenant pris la tête, qui vise selon leurs propres termes à « bloquer tout », et à la grève générale.
Il y a quelques années, M. Mélenchon avait défini sa stratégie : pour obtenir à terme la révolution, « tout conflictualiser », faire de tous les sujets une guerre, un affrontement, parce que le conflit systématique mène au désordre, et le désordre abat la société. Il a revendiqué cette semaine devant ses troupes « nous sommes des spécialistes dans l'organisation du bordel ». Sans jamais s'interroger sur le mal que va faire aux entreprises et aux familles cette « organisation du bordel » qu'il revendique pour le 10 septembre. Et il n'est pas étonnant qu'il ait été rejoint par celle qui a prononcé publiquement une des phrases les plus scandaleuses de l'été, Mme Sandrine Rousseau : « la rentabilité de l'agriculture, je n'en ai rien à péter ! », phrase qui a été prise comme un crachat au visage par tous les paysans et par tous ceux qui aiment et respectent les paysans, et considèrent qu'ils sont, par leur travail et leur courage, une élite de la nation !
Rien à faire de ceux qui vont trinquer, tout pour abattre ceux qui essaient de s'en sortir, et l'enfermement dans le communautarisme, voilà où ceux-là veulent conduire notre pays en cette rentrée si difficile.
Cela, je le dis avec certitude, ce n'est pas cela la France !
La France, ce n'est pas ceux qui veulent l'abattre par le désordre, c'est ceux qui veulent la construire par le courage et la générosité.
C'est pourquoi il faut, dès cette rentrée, une clarification.
Y a-t-il ou pas urgence nationale à rééquilibrer les comptes du pays et à échapper, parce que c'est encore possible, au surendettement, en choisissant une trajectoire de retour à la maîtrise de la dette en quatre ans, en dépensant moins et en produisant plus ?
Voilà la question centrale.
La discussion sur les mesures est une étape différente. Elle viendra après, avec les partenaires sociaux, et pendant les débats budgétaires à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Se recentrer sur le problème essentiel, voilà la clarification.
Clarification urgente et, pour cette clarification, il y a un lieu, une institution, c'est le Parlement. Dans un débat ordonné, suivi d'un vote, et non pas dans le désordre des affrontements de rue et des injures.
J'ai demandé au président de la République qui l'a accepté de convoquer le Parlement en session extraordinaire le lundi 8 septembre. J'engagerai ce jour-là la responsabilité du gouvernement sur une déclaration de politique générale, conformément à l'article 49 premier alinéa de notre constitution.
Cette déclaration de politique générale aura pour objet de poser explicitement la question centrale : savoir s'il y a bien gravité du danger pour la nation, urgence ou pas, et choisir la route qui permettra d'échapper à la malédiction du surendettement, en retrouvant la maîtrise de nos finances, en choisissant de réduire nos déficits et de produire plus.
Ce choix consacrera la dimension de l'effort à consentir, celui-là seul qui ne peut être éludé, quelque 44 milliards de réduction du déficit, sur une prévision de dépenses de plus de 1720 milliards pour l'année prochaine, quelque 2 % d'effort. Ce choix confirmera aussi les principes, et notamment le principe de justice dans la répartition de l'effort : tout le monde participe, l'État le premier, tout le monde participera et les plus favorisés seront appelés à prendre leur juste part de l'effort national.
Et la discussion sur chacune des décisions, sur chacune des mesures de ce plan d'urgence, aura lieu ensuite, en pleine lumière, sous le regard des Français, au cours de la négociation avec les partenaires sociaux, au sein des deux chambres du Parlement.
J'ai la conviction que les Français auront conscience de la gravité de la situation. J'ai la conviction qu'ils accepteront de participer à l'effort pourvu que l'effort soit juste.
Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs, cette clarification est la condition même du ressaisissement de notre pays. La France échappera aux deux écueils qui seraient mortels pour notre pays, l'impuissance à retrouver l'équilibre, et le désordre qui détruit tout.
C'est l'essentiel qui se joue pour ceux dont on ne parle jamais. Ceux qu'on oublie tout au long de ces débats, et ceux, en fait, au nom de qui je m'exprime aujourd'hui, les enfants. Je ne veux pas que nous leur laissions un monde écrasé de dettes, un monde découragé et décourageant.
C'est en pensant à eux que nous devons prendre nos décisions, en adultes responsables et affectueux, qui savent que protéger les enfants, c'est le plus important pour construire l'avenir.
Chacun est placé devant ses responsabilités, le gouvernement prend les siennes pour clarifier les choses, le Parlement aura le 8 septembre la décision entre les mains, chacun s'engage devant les Français, c'est là que la démocratie prend tout son sens.
Je vous remercie.