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Démocratie

Colloque du 11 décembre à l’Assemblée nationale : « La démocratie est en danger. Comment agir ensemble ? »

Colloque

Jeudi 11 décembre a eu lieu à l’Assemblée nationale une grande journée de colloque sur nos valeurs démocrates. Aux échelles internationale, européenne et nationale, les populismes et les démocraties illibérales progressent et menacent l’essence de la démocratie : la liberté, la justice sociale et le pluralisme. Comment réagir ? À l’initiative de l’ancien ministre Pierre Méhaignerie, président de l’amicale du MRP, ministres, élus locaux, historiens se sont réunis pour imaginer ensemble des solutions concrètes.

En ouverture, le philosophe René de Nicolay a dressé un état des lieux de l’opinion des Français (voir l’article de René de Nicolay dans le France Forum 420 : Faire France) : 70% pensent que c’était mieux avant. Une forte demande d’ordre, d’autorité et de chef charismatique s’exprime. Ce qui soude encore les citoyens ? La culture populaire, les lieux de vie, la gastronomie, le sport. Conjuguer l’individualisme et le collectif est encore possible, en s’attaquant à des sujets comme le pouvoir d’achat, la dette, les services publics, la culture.

 

Pour la première table ronde, animée par Olivia Leboyer, le président du groupe Les Démocrates et ancien ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, le président de la Fondation Robert Schuman, Jean-Dominique Giuliani, et l’historien Jean Garrigues ont débattu de la lutte contre les discours mensongers, démagogiques et les fake news

Si la désinformation et les rumeurs ont toujours existé – citons par exemple le protocole des sages de Sion – elles ont prospéré après le 11 septembre 2001. Depuis 2016 et la première élection de Donald Trump, nous sommes entrés dans une ère de post-vérité, où certains politiques assènent sciemment des mensonges qui, répétés, passent pour des vérités pour une partie de l’opinion. Or, pour des démocrates, la délibération suppose que l’on s’entende sur le sens des mots et que l’on fasse confiance à son interlocuteur comme à son public. Comment s’adapter à cette transformation d’ampleur ? Le numérique – outil ni bon ni mauvais en soi – amplifie et rend virales les informations : il est donc particulièrement approprié pour les discours extrémistes et populistes, qui usent de raccourcis et de simplification. 

Marc Fesneau souligne à quel point les affrontements dans l’hémicycle sont devenus durs et frustrants. Pour autant, il faut se battre et ne pas céder sur ce que nous sommes : le courage de la nuance, et conserver le doute, qui fait le sel de la pensée. Muscler les prises de parole, trouver des formulations percutantes, mais sans en rester au règne de l’image ou de l’outrance comme les deux partis extrêmes.

À l’échelle européenne, Jean-Dominique Giuliani a rappelé que ce sont les valeurs et la civilisation européennes que Donald Trump et J.-D. Vance attaquent délibérément : le discours de Munich de Vance, sidérant, s’en prend directement à la démocratie libérale, retournant le sens des mots. L’Union européenne doit reconnaître ses fragilités et ses blocages (trop de réglementations), mais elle doit aussi être fière de ce qu’elle a accompli et de son architecture juridique, c’est le Paradis des libertés. L’affirmer est impératif. 

Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a rejoint la table ronde plus tard dans la matinée : il a insisté sur les valeurs démocrates, déjà présentes dans le petit livre bleu de 1976, L’Autre solution. Sur le numérique, le combat pour la régulation s’impose, l’Europe devant également développer ses propres technologies. Le mécanisme de détection Viginum, créé en 2021, est un bon outil. La détection, le traitement par les sanctions et le développement d’une immunité collective, voilà la feuille de route. Comparable à une maladie ou à un virus, la désinformation doit être combattue avec méthode : conscience et responsabilité. Jean-Noël Barrot a conclu son intervention en soulignant que la France a besoin d’un choc de subsidiarité.

 

La seconde table ronde portait sur la recherche du compromis, animée par la journaliste de La Vie Pascale TournierIsabelle Clavel, autrice d’une thèse sur le consensus au MRP et à la SFIO, a rappelé la distinction entre les termes compromis et consensus, d’usage plus pertinent ici. La IVe République favorisait les coalitions et la recherche de compromis sur des problèmes précis, la SFIO et le MRP partageant certains objectifs, comme la justice sociale. Jean-Louis Bourlanges a livré une analyse brillante, rappelant que la Ve République est très réfractaire au compromis. Le système majoritaire, où l’on donne le pouvoir à la minorité la plus forte ne fonctionne que si cette minorité est vraiment forte. En 2022, c’est ce qu’Emmanuel Macron aurait dû comprendre, pour former, dès ce moment, une coalition à la recherche de compromis. La députée Sandrine Thillaye a rappelé que la culture du compromis, familière en Allemagne, a nécessité un temps d’apprentissage et est un dur travail - mais nécessaire. Le maire d’Autun, Vincent Chauvet, a expliqué comment, au niveau local, on construit du compromis, sur les politiques d’urbanisme par exemple. Sur les valeurs, il préconise avec esprit de constituer une nouvelle LCR (Ligue Centriste Révolutionnaire), où les nouveaux Alain Krivine et Daniel Bensaïd seraient Loïc Hervé et Jean-Noël Barrot !

 

Après le déjeuner, les deux tables rondes de l’après-midi se répondaient en miroir : les fractures sociales pour la première, les fractures territoriales pour la seconde, toutes deux animées par l’ancien rédacteur en chef de La Croix Yves Pitette. Le président de l’UDI et du groupe centriste au Sénat Hervé Marseille est intervenu pour souligner les deux principales injustices : le logement et l’énergie.

L’historien Bruno Béthouart, spécialiste du MRP, d’André Diligent et de Jules Catoire, a rappelé les valeurs du centre, depuis les catholiques libéraux et le catholicisme social : humanisme, solidarité, personnalisme. Une spécificité des démocrates : la dimension familiale de la politique sociale. L’économiste Antoine Foucher a développé la thèse de son remarquable essai Sortir du travail qui ne paie pas. La sénatrice du Pas-de-Calais et ancienne ministre de la Santé Brigitte Bourguignon a livré un témoignage sur son parcours : issue d’une famille ouvrière, elle s’est toujours attachée à lutter contre les inégalités de destin, dans la vie associative comme en politique. L’ancien sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe a expliqué la manière de construire du compromis au niveau local dans sa ville d’Arras. Son successeur à la mairie d’Arras, Frédéric Leturque, a développé ce même thème dans la foulée. Le livre de Jean-Marie Vanlerenberghe, Meneur de jeu, expose cette méthode avec clarté et style. La ministre de l’Aménagement des territoires Françoise Gatel a expliqué à quel point les ruralités étaient essentielles dans nos équilibres des territoires. Plus de décentralisation est nécessaire, tout ne doit pas être concentré dans les grandes métropoles. Il ne faut pas ignorer que nos chances ne sont pas les mêmes selon l’endroit où l’on vit. Enclavé dans la Haute-Vienne, par exemple, un jeune étudiant peine à se projeter vers un métier qui lui semble inaccessible. Fabien Robert, conseiller régional de Bordeaux et président de l’IFED, fait part de son expérience au niveau local, de « détaillant de la politique » tout en rappelant les valeurs démocrates, de décentralisation, de compromis, de subsidiarité.

 

Pierre Méhaignerie a livré les clés de son expérience à Vitré pour mettre en pratique les principes démocrates : faire confiance aux citoyens, les responsabiliser, favoriser une économie sociale de marché. Et ne pas tout attendre de l’État : ce qu’il ne nous donne pas, faisons-le. Enfin, Pierre Méhaignerie a conclu sur l’importance de nos liens avec l’Afrique, en particulier pour une immigration qui intègre véritablement, sans chercher à assimiler.

 

Une journée de débats utile et féconde. Rappeler les valeurs, oui, mais pour agir, en citoyens conscients et responsables.

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