UR 2025 : Discours d'ouverture de François Bayrou
Absent(e) lors de notre Université de rentrée ? Revivez le discours d'ouverture de François Bayrou lors de notre Université de rentrée 2025 à L'Isle-sur-la-Sorgue.
Seul le prononcé fait foi.
Merci. Bonjour à tous. Je salue les courageux et courageuses qui sont arrivés en avance, ou en tout cas plus tôt que les autres, parce que ce n’est pas si évident d'arriver à l’Isle-sur-la-Sorgue pour le vendredi soir.
Alors je salue les courageuses et courageux députés nationaux, courageuses et courageux sénateurs, sénatrices et sénateurs nationaux. Je salue les courageuses et courageux députés européens qui sont là. Je salue madame la haute-commissaire à l'enfance qui est là. Et puis, je veux dire à quel point je suis heureux de voir Sylvie Brunet en forme comme ça. Merci à tous d'être venus et merci à l'avance des trois jours que nous allons passer ensemble.
Je ne surprendrai personne en disant que c'est un moment probablement sans précédent que nous sommes en train de vivre ensemble. Sans précédent pour notre pays, sans précédent pour l'Europe et sans précédent pour ce qui se passe à la surface de la planète.
Nous avons vécu un immense mouvement de bascule, immense mouvement dont j'imagine personne n'attendait l'amplitude et la gravité puisque, bien entendu, chacun a en tête les questions de changement climatique avec le jeu différent des grands États, certains disant oui c'est un problème majeur, c'est ce que dit la Chine, je ne sais pas si elle suit exactement ses propres affirmations, mais l'Inde dit : « Ne comptez pas sur nous pour abandonner le charbon », et les États-Unis en sont aujourd'hui à nier la réalité même du changement climatique et à refuser toute réflexion partagée avec les grands États du monde sur ce sujet.
Et c'est le moment que nous sommes en train de vivre. Et quand je dis que nous avons vécu un moment de bascule, c'est évidemment ce qui crève les yeux. Nous avons vécu, jusqu’à deux-trois ans, jusqu'à l'invasion de l'Ukraine, et encore il nous a fallu du temps pour comprendre que l'invasion de l'Ukraine avait changé les choses. Pas nous. Nous avons été, je crois, parmi les premiers à dire immédiatement à la seconde même quelle était la gravité du changement d'époque dans lequel l'agression de Poutine sur l'Ukraine nous a plongés.
Mais ce moment de bascule, il s'explique, il s'énonce en très peu de mots. Nous avons vécu pendant plus d'un demi-siècle avec l'illusion probablement que nous étions désormais assurés, garantis, j'allais dire tranquilles, dans un monde dominé par la loi, par le droit, par le multilatéralisme, par le respect réciproque des États entre eux. On savait bien que les plus forts ne cessaient pas d'avoir conscience de leur force. On savait bien que les plus faibles étaient parfaitement conscients de leurs difficultés à faire entendre leur voix.
Mais au moins avions-nous un projet, un cadre auquel on pouvait se référer, qu'on pouvait expliquer aux plus jeunes, qu'on pouvait expliquer dans les cours d'éducation civique, aux enfants, aux étudiants. Et dont on faisait, au fond, un cadre pour nous dans la vie démocratique. Et c'est ça qui, tout d'un coup, a cédé devant le passage à une autre ère, une autre époque, un autre acte des siècles que nous vivons.
On est passé du cadre de la loi au cadre de la force brutale avec la guerre en Ukraine. Brutale avec la stratégie industrielle et de domination et de maîtrise des matières premières que la Chine impose. Brutale avec la négation de toutes les règles commerciales. Et brutale avec l'affirmation sans pudeur, de la part du président des États-Unis, que c'était lui qui décidait, et personne d'autre, qui décidait, de notre sort à nous, qui sommes, étions, ses principaux alliés. On va traiter de ce sujet dans la table ronde qui va suivre. Incroyable mouvement de bascule.
Et dans le même temps pour l'Europe, vous en êtes tous les témoins, un moment d'hésitation, de doute, où un certain nombre d'attitudes internes à notre Union font que nous acceptons les diktats américains sans beaucoup les discuter. Plus que ça, nous nous précipitons dans un golf écossais qui est la propriété privée de Donald Trump pour aller accepter les conditions qu'il nous pose et lever le pouce pour garantir que nous sommes très heureux d'avoir cédé.
Et ceci pour beaucoup d'entre nous, pour ceux qui sont les militants d'une Union européenne dont le but est de se faire respecter, qui sommes les héritiers directs de ceux qui ont voulu cette Union européenne et qui l'ont construite et qui l'ont faite. Pour beaucoup d'entre nous, c'est une, je le dis comme je le pense, c'est une souffrance. C'est l'œuvre à laquelle nous avons donné ce que nous avions de plus précieux et qui se trouve remise en cause par ses partenaires même, avec des États qui s'enorgueillissent du rôle de cheval de Troie qu'ils revendiquent à l'intérieur de l'Union européenne.
Avec des responsables de gouvernement et politiques qui parlent de leurs partenaires européens sans respect, et avec des États membres de l'Union qui sont décidés à remettre en cause les règles fondamentales de l'Union. C'est ça la vérité.
On a dit quelques phrases sur le monde, elles ne sont pas rassurantes. On a dit quelques phrases sur l'Europe, elles ne sont pas rassurantes non plus. Et il nous faut ouvrir les yeux sur la réalité de la France. Et la réalité de la France n'est pas très rassurante non plus.
Il s'est passé il y a 15 jours, un peu plus de 15 jours, un événement que moi je considère comme révélateur. Le gouvernement que j'étais heureux de conduire et qui était une équipe soudée, amicale, en dépit des différences que j'avais voulu articuler autour de poids lourds, a engagé sa responsabilité sur une question essentielle, qui est de savoir si oui ou non il y a quelque chose d'urgent et de grave dans la situation de notre pays, dans la situation financière de notre pays sur un constat, comme on dit, élémentaire, mon cher Watson.
Avant de conduire une politique, il faut qu'on vérifie si on est d'accord sur quelque chose. Et on voit, donc, le Parlement a répondu non, nous ne voulons pas nous mettre d'accord sur un constat. Et ce constat, au fond, il est peu important que nous le partagions ou pas.
Plutôt avec la véhémence de ceux qui se sont exprimés à la tribune, plutôt de négation de la gravité du constat, à un moment où la phrase que j'avais utilisée, m'adressant aux parlementaires, c'est « Vous avez le droit et le pouvoir de renverser le gouvernement, mais vous n'avez pas le pouvoir d'effacer le réel. » Et le réel nous rattrape tous les jours.
Et ce que nous voyons depuis deux semaines est une situation inquiétante. De très grands partis français qui furent des partis de gouvernement, qui nient la réalité, non seulement qui disent « nous ne voulons pas d'économie », mais qui ajoutent une liste de dépenses nouvelles à assumer.
Et Marc, toi qui nous représentes au sein de toutes les discussions parlementaires, tu mesures chaque fois à quel point sont loin les déclarations des groupes de l'opposition, loin de la réalité. La réalité, vous l'avez vu. Il y a huit jours, avec l'agence de notation Fitch qui a dégradé la note de la France, dans le temps où elle regradait la note de l'Italie, et puis vous avez vu les chiffres qui sont sortis hier, qui indiquent que la France a passé le cap des 3 400 milliards d'euros de dette, avec des revendications au sein des discussions pour savoir si on peut faire un accord pour trouver au fond un moment ou un début de rassemblement, avec des discussions qui, tout entières, visent soit pour reporter la réforme des retraites, soit pour refuser des économies sociales ou de l'action publique, soit pour multiplier des dépenses à venir, toutes positions qui ont une conséquence : c'est que certains veulent qu'on augmente la quantité de dette beaucoup plus encore qu'elle n'était prévue dans les projets de budget.
Et je m'arrête une seconde, parce que la dette c'est des données comptables et souvent les données comptables ça échappe. Je m'arrête une seconde pour dire ceci : la question de la dette principale, c'est qui va payer la dette. Et la réponse à la question, c'est que ceux qui vont payer la dette, c'est ceux qui sont au travail et les plus jeunes de ceux qui sont et vont venir au travail.
Un pays qui décide de mettre sur le dos des plus jeunes, de ses enfants, la charge des dépenses publiques qui sont les siennes. Ce pays-là est devant un problème qui ne s'effacera pas par des accords politiques, qui ne s'effacera pas par des décisions publiques, qui ne s'effacera pas par des ententes ou des mésententes, ce pays est devant une question qui lui est posée en tant que génération. Et pour moi, c'est le principal souci que nous avons devant nous.
Je dis le principal parce qu'il y en a un second, qui vient et qui est pour moi très préoccupant et qui s'adresse particulièrement à nous. Parce que le mot que nous affichons est le mot de démocrate. Et le doute qui est en train de se développer parmi nos concitoyens.
Pire encore, mais ça n'est pas sans lien avec ce que j'énonçais à l'instant. Le doute se développe particulièrement parmi les plus jeunes de nos concitoyens. Des enquêtes qui viennent de sortir et qui montrent que ce sont les générations les plus jeunes qui ne seraient pas loin de revendiquer des autorités fortes, comme on dit, des gens qui prendraient tout en main et décideraient à votre place. Il y a cette tentation, comme vous le savez. Elle n'est pas seulement aux États-Unis avec Donald Trump, elle est aussi sur le territoire européen.
Doutes sur la démocratie au travers de la question de l'impuissance publique. Est-ce que nous arrivons à changer le réel ? Est-ce que nous faisons quelque chose ? Ou est-ce que nous palabrons, nous racontons des histoires et au bout du compte rien ne change ? Rien ne change pour ceux qui sont dans la difficulté du travail ou de la recherche de travail, rien ne change dans la vie de tous les jours et c'est une terrible question. Et est-ce qu'on a confiance dans les institutions ? Par exemple, à propos d'événements récents, est-ce qu'on a confiance dans la justice ?
Et cette immense question de la démocratie : ne regardez pas ailleurs, regardez ici, c'est à nous de lui apporter des réponses. Notre revendication, l'expression qui est la nôtre, elle est dans notre titre. Démocrates comme mouvement, les démocrates comme groupe parlementaire, et je pense qu'il faut que cette dénomination, les démocrates, devienne un facteur commun pour nous tous.
Au moment où la démocratie est attaquée, c'est aux démocrates d'inventer des réponses. Alors nous sommes là pour ça, vous êtes là pour ça, chacune des séquences, très nombreuses. Est-ce que je puis, en votre nom, remercier Maud Gatel ? Lève-toi, lève-toi ! Pour le magnifique travail qu'elle fait, alors maintenant c'est bien parce qu'elle a une petite main à côté d'elle dans le bureau voisin, et j'essaie de lui apporter toute l'aide que je peux lui apporter au 133.
Et donc nous avons d'une certaine manière renforcé notre équipe sans que ça ne nous coûte rien. Et vous qui étiez à la tribune à l'instant, vous savez bien de quoi on parle. C'est infiniment précieux. Donc le programme est chargé. À mon avis, un peu trop chargé. Mais il ne faut pas le dire parce qu'elle ne supporte pas que... Alors, à mon avis, un peu trop chargé, disent François Bayrou et Marc Fesneau, qui tous les deux partagent le même sentiment.
Mais enfin, bon, comme c'est elle la patronne, Maud, on obéit, et c'est comme ça que les choses marchent. Donc vous savez, Maud, elle a un parcours. Elle a commencé avec Marielle. Donc elle a beaucoup appris chez elle. Voilà. Les démocrates, nous sommes. Et c'est aux démocrates à apporter des réponses.
La situation, je ne veux pas faire de superlatifs. La situation est pour moi la plus grave que la France ait rencontrée depuis 60 ans. Parce qu'un pays qui refuse officiellement, par la voix de ses parlementaires, pas tous, non, encore heureux, encore heureux, par la voix de la majorité de ses parlementaires, de reconnaître la réalité de la situation qu'elle doit affronter et d'envisager les yeux ouverts les décisions acceptables qu'elle doit prendre.
On peut les discuter, on peut changer, on pouvait changer les décisions qu'elle doit prendre pour essayer de remettre son pays sur les rails. Ce pays-là, avec des institutions discutées, avec multiplication d'incompréhensions sur la manière dont elle fonctionne, l’institution politique, la manière dont elle fonctionne, l’institution judiciaire. Ce pays-là, il a besoin de se réinventer. Et ce que j'ai dit au sortir de Matignon, au moment de la passation des pouvoirs, c'était exactement ça. La question, c'est qu'on est là pour aider.
Le jour où il y aura un gouvernement, on l'aidera de toutes nos forces. On est là pour avancer, on est là pour inventer le monde nouveau qui vient. Et qui vient à coup sûr, qui peut venir au travers de tremblements de terre, d'orages, d'accidents, de crispations.
Je suis frappé de la violence du monde dans lequel on vit, de la violence des propos. Mais le monde, un monde vient, quelles que soient les étapes par lesquelles nous allons passer. Ce monde-là, il nous appartient de dire qu'il ne peut pas se constituer hors des principes démocratiques que notre pays a mis des siècles à vouloir et qu'il a maintenant le devoir de défendre.
Et ce que dit et fait le président de la République dans ce sens mérite aussi d'être salué. Nous, notre responsabilité, c'est de participer à l'invention de ce monde qui vient et à la défense des principes que tout le monde laisse tomber, a envie d'abandonner et que nous, nous voulons au contraire célébrer et porter. Vous voyez que ça va servir ces trois jours. Merci à tous.