Patrick Mignola : « Parler de budget d'austérité est politiquement malhonnête et arithmétiquement sans aucun fondement »

À l’approche de la conférence de presse de François Bayrou, Patrick Mignola récuse la notion de « budget d’austérité ». Le ministre des Relations avec le Parlement fustige également « le cynisme » de Jean-Luc Mélenchon, accusé de récupération politique du mouvement du 10 septembre dans un entretien accordé au JDD.
Le JDD. Les syndicats préparent la riposte au projet de budget du Premier ministre, vous attendez-vous à une rentrée sociale explosive ?
Patrick Mignola. Le gouvernement a toujours placé son action dans la confiance faite aux partenaires sociaux. Nous aurons besoin d’eux au moment de prendre des décisions courageuses, que ce soit sur l’assurance chômage ou sur la traduction des avancées identifiées lors du conclave sur les retraites. Je pense en particulier aux carrières des femmes, au départ à taux plein pour les salariés qui ont eu des carrières hachées, ou encore à une meilleure prise en compte de la pénibilité. Il y a évidemment, comme à chaque rentrée budgétaire depuis trente ans, des postures, des réactions hostiles, et d’autres légitimes. Je rappelle simplement le contexte : nous voulons impulser une rupture. Depuis des décennies, l’économie française a décru, s’est désindustrialisée.
Nous avons fait le choix de réduire le temps d’activité au point que la durée effective de travail des salariés à temps complet en France est devenue l’une des plus faibles d’Europe. S’ajoute à cela le déclin démographique, avec un nombre de décès qui, aujourd’hui, dépasse le nombre de naissances. Or le financement de notre modèle social, unique au monde, repose sur les épaules des 22 millions d’actifs.
L’équation n’est plus tenable. D’autant que nous devons, de surcroît, dégager des moyens conséquents pour le réarmement du pays et la transition écologique. Tout cela nous oblige à rompre avec ces trente dernières années où l’on avait pris l’habitude de présenter des arbitrages budgétaires que chacun, dans son secteur d’activité ou son segment électoral, essaie de négocier à son avantage pour échapper à l’effort. Nous recherchons un effort juste, pas juste des efforts.
Un appel à bloquer le pays le 10 septembre, apparu sur les réseaux sociaux, est aujourd’hui repris par La France insoumise, le PS et les écologistes, n’y voyez-vous pas le risque du retour d’une forme de mouvement « Gilets jaunes » ?
À sa source, le mouvement du 10 septembre est apparu comme le prolongement de la mobilisation des « Nicolas ». Or nous nous retrouvons tous d’une façon ou d’une autre, à un moment de notre vie, dans cette figure incarnant l’un des 22 millions d’actifs qui supportent la totalité de la charge de la dépense publique, et en particulier des dépenses sociales. Je ne peux que m’étonner que Jean-Luc Mélenchon, qui propose exactement l’inverse, s’en soit autoproclamé le leader : c’est à la fois l’expression d’un immense cynisme et de son incontestable talent pour la récupération.
Face au budget courageux que nous défendons, certains affirment que ce sont toujours les mêmes qui paient. Je suis assez indulgent, en l’occurrence, parce que c’est précisément ce que nous combattons.
Et donc, d’une certaine façon, le mouvement du 10 septembre est très en phase avec les constats qui ont été faits par le Premier ministre, qui souhaite non pas faire peser l’effort sur une catégorie – les actifs –, mais les répartir équitablement sur tous les acteurs économiques de la société.
Pour autant et pour courageux que soit l’effort de vérité du Premier ministre, ne craignez-vous pas une flambée de colère dans le pays ?
Il faut toujours rester attentif et profondément respectueux des expressions populaires. Le pays est fragile, la population est divisée. Les fractures se nourrissent et s’amplifient à coups d’algorithmes sur des réseaux devenus « antisociaux », pour citer Claude Malhuret : un univers dans lequel chacun est enfermé dans sa propre logique, son intérêt particulier, et parfois son individualisme. Il y a évidemment toujours un risque d’éruption sociale. Mais je suis un démocrate et je crois en la résolution pacifique des conflits.
Nous avons posé un cadre budgétaire courageux, qui s’impose à nous comme il s’imposera à tous nos successeurs dans les années qui viennent.
Cela peut provoquer des incompréhensions, des inquiétudes légitimes, voire des colères. Il revient au Parlement de trouver une issue politique pour le faire aboutir. Je m’en remets à la sagesse d’Olivier Faure, le Premier secrétaire du Parti socialiste, qui a lui-même reconnu que « c’est à la représentation nationale de trouver un débouché politique aux colères qui peuvent s’exprimer ici ou là ».
Avant même la reprise de la session parlementaire, La France insoumise, rejointe par le PS et les écologistes, annonce le dépôt d’une motion de censure. Quel chemin espérez-vous trouver pour l’éviter ? Tendre la main au RN ?
La rentrée politique venue, chacun s’adresse à son électorat, brandit la censure, comme si faire chuter le gouvernement pouvait effacer la dette ou travestir la vérité économique.
Je préfère retenir les voix de ceux qui, à l’Assemblée nationale et au Sénat, se sont engagés à faire des propositions alternatives. Nous suivrons la même méthode que celle que nous avons suivie pour le budget précédent, en associant tous les groupes politiques, sans perdre de vue que nous sommes à la veille d’un moment où la France pourrait se retrouver en défaillance financière. Si cela se produit, comme l’Italie ou le Portugal l’ont vécu, ce ne seront plus les politiques qui construiront le budget, mais bien les agents du FMI. Les mesures qui nous seraient imposées seraient aussi violentes pour les Français qu’humiliantes pour notre nation.
Faut-il donc se résoudre à un budget d’austérité ?
Parler de budget d’austérité est politiquement malhonnête et arithmétiquement sans aucun fondement. La dépense publique et sociale devait augmenter mécaniquement de 66 milliards l’année prochaine. Nous proposons un effort de 44 milliards. Donc, la dépense publique et sociale va continuer d’augmenter de 22 milliards d’euros. Personne ne peut donc raisonnablement soutenir que c’est un budget d’austérité. Il s’agit de refroidir le moteur en trouvant la répartition la plus juste possible de l’effort.
La suppression de deux jours fériés, sans rémunération, est un chiffon rouge pour les syndicats, et contredit le principe selon lequel le travail doit être payé. Comment justifiez-vous ce choix ?
Je suis sûr que des forces politiques de droite, du centre, de gauche sauront proposer des alternatives, intégrant la nécessité de collectivement produire davantage de richesses. Nous y sommes ouverts.
Il n’y aura ni totem, ni tabou dans les discussions qui s’engagent.
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Vous parlez de juste répartition des efforts, mais la gauche vous reproche d’épargner les Français les plus riches. Pourquoi ne pas les mettre davantage à contribution ?
Toutes les propositions sont recevables, à une condition : ne pas bloquer la croissance et l’économie française. D’aucuns nous reprochent d’avoir baissé de 40 milliards d’euros les contributions des entreprises via l’impôt sur les sociétés et la « flat tax », en omettant de rappeler que ces mêmes contributions ont rapporté depuis 2017 plus de 70 milliards d’euros aux finances de l’État. Lorsque l’on baisse la fiscalité sur les entreprises, elles retrouvent de la croissance, font des bénéfices, embauchent des salariés supplémentaires et reversent, les années suivantes, des contributions fiscales plus importantes. C’est un cercle vertueux.
Rétablir des taux d’imposition sur les entreprises, les petits patrons et les artisans au niveau de 2016, ce serait se faire plaisir à court terme, mais cela reviendrait à se priver de rentrées fiscales à long terme.
L’exigence d’égalité, ce n’est pas de couper les plus grands arbres, c’est de permettre aux plus petits de s’élever.
Au moins pourriez-vous mettre à contribution les patrimoines les plus riches, hors appareil productif ?
Au MoDem, nous avons fait des contributions en ce sens ces dernières années, et je ne doute pas que mes collègues Marc Fesneau ou Jean-Paul Matteï feront, dans les semaines qui viennent, des propositions permettant de faire davantage contribuer les hauts patrimoines en encadrant mieux la suroptimisation fiscale. Mais nous ne réintroduirons pas un impôt punitif comme pouvait l’être l’impôt sur la fortune.
Les patrons, eux aussi, sont mécontents, notamment de la volonté de leur transférer la charge des arrêts maladie du 4e au 7e jour…
Je ne rencontre pas un chef d’entreprise qui ne se dise pas démuni face aux arrêts maladie à répétition. Il ne s’agit pas de culpabiliser les gens qui tombent malades, mais on constate que la fraude aux arrêts maladie a été multipliée par deux en deux ans.
C’est donc un problème de fraude. Pourquoi en transférer le coût aux entreprises ?
Nous, nous faisons une proposition budgétaire à discuter et à parfaire avec les partenaires sociaux. Si leurs contributions permettent de lutter utilement contre cette dérive, nous serons naturellement à l’écoute.
Cet été, le Conseil constitutionnel a censuré la loi Duplomb. Le gouvernement envisage-t-il de remettre sur la table l’utilisation du pesticide controversé dont certains producteurs ont besoin ?
Premièrement, il faut être aux côtés des agriculteurs parce que c’est probablement une des professions qui souffrent le plus aujourd’hui. J’étais d’ailleurs cet été aux côtés des éleveurs savoyards durement touchés par une épizootie. Deuxièmement, je ne crois pas qu’il faille attaquer le Conseil constitutionnel, qui n’a fait que dire le droit. La Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle, exclut explicitement tout ce qui peut être considéré comme un recul en matière sanitaire ou environnementale.
La seule voie possible, c’est la science.
La responsabilité du gouvernement est donc d’inviter l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) à établir rapidement une analyse incontestable des conditions d’utilisation de l'acétamipride. C’est extrêmement important pour les agriculteurs, mais aussi pour la santé des Français. Je rappelle néanmoins que s’il y a eu 2 millions de signataires contre la loi Duplomb, 1 million de pots d’une célèbre pâte à tartiner à base de noisettes traitées à l’acétamipride sont vendus chaque jour dans notre pays. Pour un débat sain, je crois qu’il faut sortir d’un certain nombre d’hypocrisies.
La réforme de l’audiovisuel public va-t-elle enfin aboutir ?
Il n’y a aucune raison pour que cette réforme n’aille pas à son terme. Dès le 22 septembre, nous aurons une dizaine de textes à faire adopter parmi lesquels le statut de l’élu, la loi Gremillet sur l’énergie, et, bien sûr, la réforme de l’audiovisuel public.
Malgré un Parlement « original », le gouvernement a mené l’examen de 150 textes et fait adopter définitivement plus de 50 lois.
Ce qui démontre que malgré les éclats de voix et les injustes accusations d’immobilisme, ce gouvernement a trouvé les moyens de faire travailler ensemble des personnalités politiques qui ne pensent pas toujours la même chose.
Lire l'entretien complet dans le JDD.