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Lettre de Marc Fesneau au Premier ministre Sébastien Lecornu

Groupe Les Démocrates

Dans une lettre adressée au Premier ministre le 4 octobre 2025, Marc Fesneau, président du groupe Les Démocrates à l’Assemblée nationale et premier vice-président du MoDem, appelle à un dialogue sincère et transparent entre les forces politiques. Il plaide pour une méthode de gouvernement fondée sur le compromis et la responsabilité du Parlement, tout en réaffirmant les priorités du groupe centriste : maîtrise de la dette, équité fiscale et valorisation du travail.

Monsieur le Premier ministre,

Le président de la République vous a chargé de mener un dialogue avec les forces politiques parlementaires en vue notamment de l’adoption d’un budget pour la Nation. Votre nomination comme Premier ministre intervient alors que nous connaissons une instabilité inédite liée à l’absence de toute majorité dans notre Assemblée, équation qui a conduit à la chute de deux gouvernements successifs. Nous devons absolument éviter de prolonger ce chaos.

Comme il l’a toujours fait depuis 2017, le groupe Les Démocrates facilitera un dialogue constructif avec des propositions concrètes et équilibrées permettant à notre Assemblée de trouver les compromis et les solutions dont le pays a tant besoin pour avancer. Vous avez évoqué une rupture, y compris sur la méthode, ce qui est absolument nécessaire. Il ne s’agit pas seulement de prendre acte de la configuration politique actuelle mais aussi de défendre le pluralisme comme principe et le compromis comme méthode, ce que notre groupe fait et porte depuis toujours.

En décidant de ne pas recourir à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, vous avez envoyé un signal au Parlement, et singulièrement à l’Assemblée nationale, en lui laissant la capacité de démontrer qu’elle pouvait œuvrer dans un esprit de responsabilité. Notre groupe se reconnaît dans ce choix d’une Assemblée nationale davantage respectée et pouvant sortir enfin de l’impuissance dans laquelle – il faut le dire sans détour – elle s’est souvent elle-même enfermée.

Surtout, sans recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, notre responsabilité collective dans ce débat parlementaire est grande. Il appartient tout d’abord aux groupes politiques qui soutiendront le futur gouvernement comme à ceux qui s’y opposeront de dialoguer afin de nouer des compromis. Il s’agit aussi de votre responsabilité, comme Premier ministre, de faciliter, dans le cadre d’une méthode partagée et d’une coordination étroite de toutes les forces politiques, la sincérité de ce dialogue, d’en assurer la transparence et d’éviter ainsi que l’enlisement ou les surenchères populistes et démagogiques ne viennent rendre impossible l’adoption par le Parlement de tout budget.

Cela ne ferait finalement que démontrer notre irresponsabilité et notre impuissance pour mieux nourrir le discours anti-parlementaire. Cela conduirait aussi, vous le savez, à l’adoption d’un budget par voie d’ordonnances ou par une loi spéciale, qui, de fait, ne peuvent être que des expédients. Ce serait un échec que, tous, nous devons conjurer sincèrement.

Afin d’y parvenir, au-delà de la méthode, une clarification est nécessaire sur le fond. Pour notre groupe, il ne serait pas acceptable que le pacte que nous formons avec les forces du bloc central depuis 2017 ne soit désormais plus que la variable d’ajustement de négociations avec la Droite Républicaine ou le Parti Socialiste. Il nous faut nous dire clairement ce que nous avons envie de préserver, de continuer à construire ensemble et quelles sont nos spécificités. Il s’agit d’une condition sine qua non pour assurer notre cohésion tout d’abord, mais aussi pour pouvoir librement assumer nos accords et nos désaccords avec la droite et la gauche de gouvernement, seul gage d’un compromis solide.

Rien ne serait plus incompréhensible que de voir les forces qui ont soutenu loyalement le président de la République depuis 2017 être mises en marge d’un accord sur le budget ou sur d’autres orientations ou textes portés par le Gouvernement. Ce n’est qu’en défendant notre identité commune, en identifiant nos réussites et en tirant les leçons de nos échecs, que nous pourrons dialoguer sincèrement et efficacement avec nos oppositions, et ne pas finir otages des extrêmes.

Il vous appartient, monsieur le Premier ministre, de proposer à nos mouvements du bloc central une méthode qui le permette. Il s’agit de connaître les intentions des groupes avec lesquels vous discutez actuellement, de savoir en transparence quelles demandes de leur part vous entendez satisfaire, et quelle sera la cohérence avec la politique que vous entendez mener ainsi qu’avec les positions des groupes du bloc central. De cette transparence dépend votre réussite. Sinon, personne ne se sentira lié et personne ne se sentira engagé.

En second lieu, notre groupe souhaite donc connaître beaucoup plus précisément vos propres priorités et orientations en vue du budget, pour que nous puissions connaître le cadre dans lequel construire un compromis et ce sur quoi nous serions engagés. Les Démocrates portent des convictions claires et constantes :

  • L’impératif de maîtrise de l’emballement de la dette et la nécessité de faire passer le déficit public sous les 5 % du Produit Intérieur Brut en 2026, avec un effort portant majoritairement sur la réduction de la dépense publique. Nous souhaitons connaître plus précisément ce sur quoi vous entendez faire porter les efforts pour que chacun puisse, avant l’entrée dans le débat budgétaire, se positionner et donc s’engager ;
  • Un recours mesuré à l’impôt qui puisse conjuguer attractivité, compétitivité et pouvoir d’achat, en étant juste, ce qui signifie avant tout lutter contre la rente et l’optimisation fiscale. Pour être compris et acceptés par les Français, les efforts demandés doivent être équitables, ce qui signifie que chacun doit contribuer à la hauteur de ses moyens. Nous faisons depuis 2017 une proposition qui répond à tous ces impératifs : la mise en place d’un impôt sur la fortune improductive ;
  • Enfin, la valorisation du travail à travers la défense du pouvoir d’achat, en rapprochant le salaire net du brut, par exemple au moyen d’une bascule sensible de la Contribution Sociale Généralisée.

D’autres solutions peuvent et doivent être explorées, mais notre groupe estime que la clarté sur ces orientations tant attendues par les Français peut constituer l’un des fondements du compromis à venir.

Au-delà du compromis parlementaire sur le budget, notre groupe propose plusieurs orientations pour poursuivre les efforts entamés avec les forces qui se sont rassemblées derrière le président de la République en 2017 : améliorer l’accès aux soins, poursuivre la bataille de l’emploi et la réindustrialisation du pays, consolider notre souveraineté alimentaire, assurer la sécurité du quotidien, améliorer notre justice, mettre en place une vraie politique d’intégration, investir puissamment dans la transition écologique et énergétique pour lutter contre le changement climatique.

Nous devrons par ailleurs répondre à l’exigence de simplification de l’action publique, un impératif autant budgétaire que démocratique, pour lutter contre les dépenses inutiles et la défiance à l’égard des pouvoirs publics que génère la complexité. Nous devrons également traduire concrètement les résultats des négociations menées par les partenaires sociaux en conclave sans revenir sur l’équilibre des comptes sociaux, notamment par la réduction de l’âge de la décote et les avancées en faveur des femmes, et continuer au Parlement les échanges pour trouver une réponse aux questions de la pénibilité et de l’usure professionnelle.

Enfin, dans un contexte de tensions géopolitiques et face aux ingérences étrangères, il nous faut consolider des fondamentaux de notre démocratie en protégeant l’expression du pluralisme, les contre-pouvoirs, et en premier lieu l’indépendance et la liberté de la presse. Dans ces domaines, nous croyons possible de trouver des accords y compris avec les forces d’opposition, et notre groupe y œuvrera. Et nous souhaitons connaître, y compris par le calendrier parlementaire que vous imaginez, vos priorités.

Au-delà de nos divergences, il existe une majorité de parlementaires qui peut partager avec nous la volonté de sortir le pays de l’immobilisme et d’éviter son effacement, une majorité qui puisse avoir conscience des urgences climatiques, géopolitiques et commerciales, budgétaires et sociales. Une majorité qui se soucie de l’avenir des générations futures.

Notre groupe ne fixe aucune ligne rouge mais propose des réponses qui semblent s’imposer au pays et faire largement consensus dans l’opinion et à l’Assemblée. Vous pourrez réussir avec une méthode et des orientations claires. Vous connaissez les interrogations, les attentes, les propositions et surtout l’état d’esprit et la loyauté de notre groupe. Plus largement, vous savez que les interrogations du groupe que j’ai l’honneur de présider sont partagées par celles et ceux qui souhaitent que nous réussissions et soyons à la hauteur des enjeux.

Nous n’avons pas fait tout cela pour abandonner l’idée de dépassement, plus que jamais nécessaire, ou pour être otages des extrêmes et abandonner nos valeurs. Nous devons donc, en réponse, connaître votre méthode, votre approche sur le fond et l’architecture gouvernementale envisagée qui, ensemble, doivent exprimer cette volonté d’équilibre. Et c’est sur cette base que nous vous indiquerons les modalités du soutien que notre groupe pourra apporter.

Pour s’engager sincèrement, il faut savoir ce sur quoi, sincèrement, on nous demande de nous engager. Tel est le sens de ce courrier.

Dans l’attente rapide – puisque le temps presse – de vos réponses, je vous prie d'agréer, monsieur le Premier ministre, l'expression de ma très haute considération.

Marc Fesneau

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