François Bayrou : « On peut empêcher la disparition d'une langue si on le décide »

FB Appli entretien

Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au magazine L'Express sur le projet La Ciutat.

Propos recueillis par Michel Feltin-Palas.

L'Express : Vous inaugurez le 1er juillet 2022 à Pau une sorte d'ovni culturel, architectural et linguistique nommé La Ciutat ("La Cité", en français). Comment résumeriez-vous ce projet singulier ?

François Bayrou : Cette expérience n'a en effet aucun équivalent. Elle consiste à transformer un quartier longtemps délaissé situé en plein centre-ville, le Hédas, en une cité de sauvegarde, de promotion et de création de la culture béarnaise dans toutes ses dimensions, qu'il s'agisse d'histoire, de langue, de musique, de danse, de littérature, de cuisine...

Ces différentes activités occuperont plusieurs immeubles, tous situés autour d'une même place. Symboliquement, leurs façades accueilleront en lettres monumentales le fac-similé des fors de Béarn, un texte du XIe siècle définissant les droits et les libertés des Béarnais, que l'on peut considérer comme la première Constitution écrite du dernier millénaire. Et comme la première constitution démocratique du monde moderne.

Pourquoi, en tant que maire de Pau et président de son agglomération, avoir opté pour un tel projet ? 

Sans doute parce que le béarnais, comme tant d'autres langues, est un trésor en péril. C'était la langue de ma mère et de mon père. Quand ce dernier est mort, j'avais 22 ans, je préparais l'agrégation de lettres classiques et, au programme, figurait Pétrone. J'ai lu ce grand romancier romain en pleurant car, dans ses textes, je retrouvais, presque à l'identique, les mots que mon père utilisait au quotidien en béarnais, une langue romane restée plus proche du latin que ne l'est le français.

La Ciutat revêt naturellement un enjeu collectif. La langue et la culture béarnaises sont aujourd'hui menacées de disparition à court terme. Or, non seulement on n'a pas le droit de laisser mourir une langue et une culture, mais je suis persuadé que l'on peut empêcher cette disparition si on le décide. Je connais intimement cette langue ; j'ai aujourd'hui le pouvoir de décision : sincèrement, si je ne m'en occupe pas, personne ne le fera. Donc, je le fais. Et vous le verrez : ce qui se prépare aujourd'hui à Pau servira bientôt d'exemple dans d'autres territoires.

Concrètement, que va-t-on trouver à La Ciutat ?

De multiples activités, et notamment une brasserie d'un nouveau genre centrée sur la "fastronomie", un concept novateur du chef David Ducassou qui associe la richesse de la gastronomie gasconne avec des produits bio et locaux, aux atouts de la restauration rapide. C'est aussi un lieu où l'on pourra chanter car, parmi les activités préférées des Béarnais, figure le chant polyphonique spontané, que nous appelons ici les cantères. Ce restaurant sera donc une sorte de Bearnish pub, qui participera de la fierté béarnaise, comme les Irish pub participent de la fierté celtique. Je suis persuadé que ce lieu de convivialité, de partage de la table, du chant et des émotions sera très populaire, notamment auprès des étudiants.

La Ciutat rassemblera également des bibliothèques spécialisées ; des locaux dédiés à la recherche sur la langue et l'histoire béarnaises ; un lieu de création musicale ; des cours de langue ; un centre d'interprétation du patrimoine culturel immatériel ; des studios de répétition musicale, demain d'autres studios dédiés au son, à l'image, à Internet... Tout cela au profit de la culture béarnaise, gasconne et occitane - j'utilise volontairement les trois appellations afin que chacun s'y reconnaisse.

Le béarnais, le corse, le breton, le basque, l'alsacien et les autres langues dites régionales représentent un trésor national. Il est temps que la République en prenne conscience.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de verser dans une sorte de communautarisme contraire à l'idéal républicain ?

Je pense avoir suffisamment démontré dans toutes les fonctions qui m'ont été confiées mon attachement acharné à l'universalisme, pour assumer tranquillement ma volonté d'ouverture vers les racines et la transmission de ce qui nous fait, tous, différents. Oui, je défends la culture de ma région, mais je soutiens aussi des jumelages avec la Chine ! Pau est une ville qui a toujours été ouverte sur le monde et le restera. Simplement, dans le monde, il y a aussi notre culture, qui mérite autant que les autres cultures de se maintenir. Défendre ce que l'on est, ce n'est pas attaquer les autres, c'est aimer la diversité. Pourquoi faudrait-il que tout ressemble à tout ?

D'autres ne comprennent pas que vous dépensiez de l'argent pour une langue régionale qu'ils jugent dépassée. Ils trouveraient plus pertinent d'enseigner l'anglais...

Seuls les imbéciles croient que la maîtrise d'une langue empêche d'en apprendre une autre ! Le grand linguiste Claude Hagège, qui connaît des dizaines de langues, explique très bien ceci : s'il n'avait pas commencé par apprendre une deuxième langue, il n'en aurait jamais appris une troisième. Connaître le béarnais n'empêche donc en rien d'apprendre l'anglais car l'intellect est un muscle ! Plus on le fait travailler, plus il est efficace ! Mieux encore : comme toute langue romane, le béarnais permet de comprendre plus facilement l'italien, l'espagnol ou le portugais. Quand j'étais enfant, l'instituteur nous conseillait pendant les dictées de passer par le béarnais, où toutes les lettres se prononcent. Et grâce à cette technique, nous obtenions d'excellentes notes !

📰 Retrouvez cet entretien sur le site internet de l'Express 👉 https://www.lexpress.fr/culture/francois-bayrou-on-peut-empecher-la-disparition-d-une-langue-si-on-le-decide_2175643.html

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