François Bayrou sur l'antisémitisme : "Comment oser parler d'un « phénomène résiduel » quand, au contraire, sa progression est exponentielle ?"

Retrouvez ci-dessous le discours prononcé par François Bayrou lors du dîner du Conseil représentatif des institutions juives (Crif).
Seul le prononcé fait foi.
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le président du Conseil économique social et environnemental,
Mesdames et messieurs les membres du Gouvernement,
Madame et messieurs les Premiers ministres,
Mesdames et messieurs les parlementaires et les élus,
Madame la maire de Paris,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Monsieur le président du consistoire central Élie KORCHIA,
Monsieur le président du CRIF, Yonathan ARFI, que je souhaite féliciter pour sa réélection, remercier pour le travail commun et d'avance pour celui que nous avons à mener,
Mesdames et messieurs et chers amis,
Je vous parlerai, bien sûr, comme Premier ministre dans un instant. Je vous parlerai de notre République et du combat que la République attend de nous.
Mais permettez-moi, quelques moments auparavant, de vous parler en homme, comme le jeune étudiant que j'étais, pas encore majeur, qui assistait, passionné et engagé, dans son Bordeaux provincial, aux réunions de l'amitié judéo-chrétienne qui, du moins si ma mémoire est fidèle, venait d'y être fondée.
Un professeur qui était le protecteur de mes interrogations, me passait la revue, un tout petit format, parce que je n'avais même pas l'argent d'un abonnement.
Je n'ai sans doute pas besoin d'insister pour que vous compreniez que parmi mes camarades post-soixante-huitards, les interrogations sur les liens entre judaïsme et christianisme n'étaient pas vraiment les plus fréquentes.
J'avais, je vous rassure, les mêmes passions qu'eux. Mais de surcroît, j'avais cette préoccupation. Ce qui m'intéressait, ce qui m'intéresse tant d'années après, de la même manière, c'était, si vous me permettez, l'usage de cette expression : « l'âme juive ».
C'est que depuis mes 16 ans, j'étais entré en affection, en admiration, en fraternité au travers du temps et des livres avec un maître à penser, un maître à écrire, un maître à vibrer qui s'appelait Charles PÉGUY et qui donna à la défense de l'âme juive le plus pur et le plus profond de sa jeune vie. D'abord en étant un des tout premiers défenseurs de DREYFUS, ensuite en éclairant et en partageant la lumineuse figure de Bernard LAZARE, enfin en écrivant sur l'âme juive les lignes suivantes, que je vous lis avec la même émotion qui me les fit découvrir en ces premières années de ma jeunesse : « Je connais bien ce peuple, dit Péguy. Il n'a pas sur la peau un point qui ne soit pas douloureux, où il n'y ait un ancien bleu, une ancienne contusion, une douleur sourde, une cicatrice, une meurtrissure d'Orient ou d'Occident. Ils ont les leurs et toutes celles des autres ».
Partant de Péguy, je n'ai jamais quitté ce souci, cette préoccupation de l'âme juive. Et si je peux glisser une confidence, ma famille m'a accompagné par la passion de l'Ecriture. Certains de mes enfants ont appris l'hébreu, seuls au long du temps ou à l'université hébraïque de Jérusalem, pendant les sessions estivales que vous savez.
L'âme du peuple juif ! ce peuple millénaire, millénairement martyrisé, millénairement exilé, millénairement humilié, ceux à qui on interdisait la propriété de la terre, ceux qui, courbant le dos, subissaient les pogroms. Ceux dont Chateaubriand, dans une page admirable, a dit : « Pénétrez dans la demeure de ce peuple, vous le trouverez, faisant lire un livre mystérieux à des enfants qui, à leur tour, le feront lire à leurs enfants. Ce qu'il faisait il y a 5 000 ans, ce peuple le fait encore. Il a assisté dix-sept fois à la ruine de Jérusalem et rien ne peut l'empêcher de tourner ses regards vers Sion. Si quelque chose parmi les nations porte le caractère du miracle, nous pensons que ce caractère est ici ».
Et ce miracle s'est produit. Un jour, ce peuple a dit : « c'est fini, plus jamais vous ne nous traiterez comme cela et plus jamais personne au monde ne nous traitera comme cela. Plus jamais nous ne courberons l’échine. Plus jamais personne ne nous humiliera.
Nous y laisserons peut-être notre vie, mais ce sera debout et respectés et armés. Sur cette terre désertique, nous relèverons le pays où coulent le lait et le miel, et nous le défendrons, les armes à la main. Et ce seront nos armes, pas celles dont on nous fera l'aumône, un peuple relevé devant l'Histoire et devant le regard de ses fils ».
Nous, Français, réunis ici, ce soir, nous sommes d'un pays, nous sommes un pays, notre pays, cultivé pendant des siècles, éclairé, illuminé par l'âme juive au long des âges et qui, nous ne l'oublions jamais, a symétriquement fait naître chez les Juifs en 1791, la certitude qu'ils entraient dans la communauté nationale avec une confiance et une espérance profondes.
Mais nous sommes aussi d'un pays qui a vu se perpétrer par ses fonctionnaires et dans ses lois l'indélébile trahison de Vichy et du Vel D’hiv.
Nous en gardons même la marque chez nous, au pied des Pyrénées, dans ce camp de Gurs où se retrouvèrent internés des hommes et des femmes qui, comme Otto Freundlich, Charlotte Salomon et Hannah Arendt, croyaient avoir trouvé un refuge sûr dans notre pays.
C'est pourquoi j'ai pris l'initiative, comme Président du Pays de Béarn, de construire à Gurs le Mémorial de la douleur.
En France comme dans le monde, beaucoup avaient espéré que la victoire sur le nazisme, le procès de Nuremberg, le travail de mémoire et la proclamation universelle des droits de l'homme qui doit tant à mon compatriote René Cassin tournaient définitivement la page sur la persécution des juifs, en particulier dans cette Europe qui avait prêté son sol au pire.
Beaucoup pensaient, y compris dans cette salle, que le monstre millénaire de la haine des Juifs, cette bête délirante et meurtrière comme la vision de Daniel, était terrassée à jamais.
À ses mouvements soudains et meurtriers, pourtant, nous aurions dû comprendre que la bête dormait seulement.
Ses réveils en France se sont faits de plus en plus fréquents, de plus en plus mortels, par exemple, quand la barbarie s'est déchaînée sur Ilan Halimi – et je veux ce soir avoir une pensée pour ce garçon et pour sa famille. Et je veux avoir une pensée avec vous, pour 10 Français dont je veux prononcer le nom à cette tribune qui, après lui, ont perdu la vie pour la seule raison qu'ils étaient juifs : Jonathan Sandler, les enfants
Gabriel Sandler, Arié Sandler et Myriam Monsonego, à Toulouse, en 2012. Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada et Yoav Attab, à l'Hyper-Cacher Porte de Vincennes, en 2015. Et Mireille Knoll et Sarah Halimi.
Cela, c'était chez nous.
Mais le matin du 7 octobre 2023, au milieu des danses, de la musique, de la fête de la jeunesse sur la terre d'Israël, le plus hideux visage de la bête a resurgi. C'est Isaïe : « elle a cessé, l'allégresse des tambourins. Il a pris fin, le joyeux vacarme. Elle a cessé, la joie des cithares ». Tout cela a laissé place au pire des cauchemars.
Le plus grand pogrom depuis la Shoah a frappé de mort 1 200 personnes : des jeunes qui débordaient de vie, des femmes qui portaient la vie, des enfants à naître et des nouveau-nés. Et parmi ces vies arrachées, 49 Français, 8 autres ont été retenus en otage, 7 seulement sont revenus. Notre compatriote Ohad Yahalomi est mort dans les conditions ignobles de sa détention. 14 autres ont été blessés.
Je tiens à remercier le CRIF pour le soutien et l'accompagnement qu'il a apportés aux victimes françaises du 7 octobre. Le 7 février 2024, la nation, par un hommage unique au monde, à la demande du président de la République, a exprimé son deuil pour ceux qu'elle avait perdus ; mais elle ne cessera pas d'être fidèle à leur mémoire.
Si vous le permettez, je voudrais nous inviter à réfléchir ensemble sur le but de ces massacres, question qui n’est pas souvent posée. Ce n'était pas un accès de violence, soudain, subit, comme tant des accidents de frontières qui s'étaient succédé au fil du temps, au fil des affrontements.
Il s'agissait là d'un massacre planifié pour atteindre un but délibéré : rendre la paix définitivement impossible, la haine irrémissible en profanant l'idée même d'humanité.
Le but de cette violence et de cette haine, ce n'étaient même pas les victimes pantelantes, c'était l'espoir de paix qui avait commencé à luire à l'horizon avec les accords d'Abraham. La cible, la vraie cible, c’étaient les efforts si difficiles conduits pour qu’un certain nombre d’États qui avaient commencé de penser à la table des négociations, le Maroc, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, le Soudan, en soient découragés à jamais ; et d'autres, plus importants encore, qui auraient pu suivre.
Et on l'a bien vu dès le 8 octobre : Israël, dans sa situation de faiblesse soudaine, a été ciblé par les affidés de la République islamique d'Iran, le Hezbollah libanais, les milices armées chiites en Syrie et en Irak, les Houthis du Yémen, tous ceux à qui la perpétuation de la haine d'Israël fournit une raison d'être.
J'affirme qu'il ne pourra pas y avoir au Proche-Orient d'équilibre fondé sur le droit tant qu'Israël ne sera pas reconnu par ses voisins dans sa légitimité à vivre et prémuni contre le feu nucléaire de ceux qui n'ont cessé de proclamer leur unique obsession, leur unique intention de le détruire. À la suite de Raymond Aron, je veux redire ce soir cette phrase : « Si les grandes puissances laissent détruire ce petit État qui n'est pas le mien, ce crime m'enlèverait la force de vivre ».
Face aux pogroms, face aux menaces existentielles, je tiens à exprimer l'amitié qui est indéfectible de la France au peuple d'Israël, auquel l'unissent tant de liens personnels, culturels et scientifiques depuis 80 ans.
D'une façon mystérieuse que Milan KUNDERA est peut-être le seul à avoir su exprimer avec tant de justesse, Israël est aussi une part de nous-mêmes, nous Français et nous Européens. Milan KUNDERA disait : « si les Juifs, même après avoir été tragiquement déçus par l'Europe, sont pourtant restés fidèles à ce cosmopolitisme européen, Israël, leur petite patrie enfin retrouvée, surgit à mes yeux comme le véritable cœur de l'Europe, étrange cœur placé au-delà du corps ».
Cela, cette confiance, cette intimité avec l'âme juive au sein de l'âme française, cela n'empêche pas d'exprimer les inquiétudes, les soucis et les désaccords que nous avons avec le gouvernement israélien, comme à propos de la situation humanitaire à
Gaza. Le manque d'accès, en sécurité, des civils à l'eau, à la nourriture et aux soins.
Ces désaccords ne rompent pas notre lien avec le peuple israélien. Ils ajoutent en revanche de la force et de l'urgence à nos appels répétés à la libération des otages et au cessez-le-feu.
Il ne pourra pas y avoir de paix durable au Proche-Orient qui passe, pour la France, par une solution à deux États, sans cessez-le-feu, condamnation absolue du 7 octobre et libération de tous les otages. La France refuse qu'on oublie les 50 personnes qui subissent encore le sort qu'a connu Madame Haran, qui est présente ici, qu'ils soient israéliens ou ressortissants d'autres pays. Elle n'oublie pas les parents, les personnes âgées, les malades, les jeunes dont les jours s'éternisent dans les ravins de la mort.
Je pense aussi aux milliers de nos compatriotes dont, sur le sol d'Israël ces dernières semaines, les journées ont été rythmées par les alarmes, les courses aux abris et l'attente souvent dans l'angoisse de nouvelles de leurs proches. En 1991, alors qu'Israël était bombardé par Saddam Hussein, j'étais sur place pour exprimer mon soutien. Et je n'oublie pas les heures que nous avons passées dans un abri avec
Hubert Heilbronn, qui nous a quittés il y a un an et dont je salue la mémoire. J'ai tenu dès les premières attaques et jusqu'à la reprise complète des liaisons aériennes à ce que le Gouvernement, avec tous les ministres qui sont là, organise en urgence tous les rapatriements nécessaires.
Mais pour sortir de la guerre permanente, la France croit exactement ceci, que je vais vous lire sans changer une lettre du texte : « Dans ma vision de la paix, sur cette petite terre qui est la nôtre, deux peuples vivront librement, côte-à-côte, dans l'amitié et le respect mutuel. Chacun aura son propre drapeau, son propre hymne national, son propre gouvernement. Aucun ne menacera la sécurité ou l'existence de l'autre.
Réalisons », je cite toujours, « réalisons la vision d'Isaïe qui, à Jérusalem, il y a 2 700 ans, disait, ‘aucune nation ne lèvera plus l'épée contre une autre et l'on n'y apprendra plus la guerre’ ». Mesdames et Messieurs, l'homme qui a prononcé ces mots, c'était Benjamin Netanyahou, lors d'un discours prononcé en 2009 à l'université Bar-Ilan de Tel Aviv.
Cet idéal, exprimé dans ces phrases, aussi surprenant que puisse apparaître le rappel de son auteur, c'est celui que la République française porte dans son regard sur le monde et dans l'amitié qu'elle a avec Israël et les peuples qui vivent sur cette terre.
Mais la violence partie le 7 octobre a aussi, et très rapidement, touché sur notre sol les Français juifs. Ils l'ont été à la Grande-Motte, à Rouen, à Courbevoie, avec l'ignoble viol antisémite perpétré contre une enfant de 12 ans. Ils l'ont été à Orléans, quand le rabbin Arié Engelberg a été frappé à la sortie de la synagogue sous les yeux de son jeune fils. Et je sais, pour en avoir parlé avec lui le soir même et la communauté d'Orléans, le traumatisme que cette attaque a représenté. Ils l'ont été quelques semaines plus tard à Deauville, puis à Neuilly en la personne du rabbin Elie Lemmel, présent ce soir, à qui j'adresse tout mon soutien. Et l'on voit apparaître comme la semaine dernière à Bordeaux des menaces proférées contre une maman qui vient chercher son enfant à la crèche.
En 2024, ce sont 1 570 actes antisémites qui ont été ainsi recensés. 1 570 actes antisémites. Près de 4 fois plus qu'en 2022, près de 20 fois plus qu'au milieu des années 1990. Et depuis le début de cette année 2025, nous en sommes déjà à 375 actes dont 10 % sont des agressions physiques. Les deux tiers des faits antireligieux ciblent nos compatriotes juifs.
Alors, comment oser parler d'un « phénomène résiduel » quand, au contraire, sa progression est exponentielle ? Et l'on ne compte pas les mézouzas ôtées des portes, les noms que l'on modifie pour appeler un taxi ou se faire livrer une commande.
La bête nous surprend d'autant plus qu'elle a chez nous changé de forme. Nous connaissions les injures des journaux d'extrême droite et les délires négationnistes.
Bien sûr, ils existent toujours, mais le monstre a fait pousser d'autres têtes, alimentées essentiellement par l'islamisme radical : les contestations de l'Holocauste à l'école, les insultes et les coups dans les cours de récréation.
Au cours de l'année scolaire 2023-2024, madame la ministre d'État, 4 fois plus d'actes antisémites que l'année précédente ont été recensés dans les établissements. Parmi les plus jeunes, les discours de haine, c'est vrai, se banalisent et en viennent à former un « antisémitisme d'atmosphère ».
À l'université et dans plusieurs grandes écoles, d'autres dérives encore. La culture de la compréhension, fondement des humanités a reculé devant des organisations aveuglées, manipulées, instrumentalisées. Et je veux ici saluer la fermeté et le travail de Luis Vassy pour restaurer à Sciences Po Paris un environnement de dialogue et de respect mutuel.
Le 12 novembre, nous avons tous partagé un cortège à Paris comme à Pau et partout en France pour dénoncer cette gravissime dérive.
Nous refusons que les Français juifs aient à quitter, ni même pensent à quitter leur quartier et la terre où ils sont nés. Nous n'acceptons pas que ceux qui choisissent de rester vivent dans la peur. Nous n'acceptons pas qu'ils désinscrivent leurs enfants de l'école publique. Que 6 parents juifs sur 10 craignent pour la sûreté et le bien-être de leurs enfants s'ils le maintiennent dans le service public de l'éducation, cela est pour nous le signe indéniable d'une défaite républicaine et nationale. C'est la preuve que l'école de la République, pour laquelle toute ma vie, je me suis battu et toute notre vie, nous nous sommes battus, l'école de la République que nous exigeons accueillante pour tous, lieu d'épanouissement pour tous, de création de liens fraternels, que cette école est aujourd'hui à défendre et, d'une certaine manière, sur ce sujet, à reconstruire.
Mais, dans notre combat pour la République, nous devons prendre conscience que nous avons des armes, celles que nous avons forgées au long des siècles contre la haine. Et l'arme principale, c'est notre laïcité qui, pour moi, tient en une formule : « la loi protège la foi, mais la foi ne fait pas la loi ». La loi protège les identités, elle protège les origines, mais elle est indépendante de quelque groupe d'oppression que ce soit.
Elle permet, par exemple, la loi de la laïcité, elle permet aux étudiants croyants de passer leurs examens hors des périodes de fête. C'est l'application concrète, simple, pratique de la laïcité que, comme ministre de l'Éducation nationale, longtemps avant Elisabeth Borne, j'ai défendue, que je défends encore aujourd'hui à la tête du Gouvernement, idée et réalité pour laquelle un jeune homme venait défendre les dossiers devant moi. Il s'appelait Haïm Korsia, et je lui adresse mon salut ce soir.
Mais la laïcité c’est une promesse plus profonde encore, qui va bien au-delà de la tolérance. C'est la promesse qu'elle porte dans son étymologie, celle de faire « un seul peuple ».
Le premier pas de la tolérance, c'était l'édit de Nantes, mais l'idée de laïcité est allée encore beaucoup plus loin. Elle aboutit à cette conviction qui cimente aujourd'hui la République, même si elle est assez peu souvent articulée. C'est qu'un pays se porte mieux d'être constitué de cultures et de sensibilités différentes. La laïcité est cet engagement qui dépasse la tolérance pour atteindre la compréhension de l'autre, sans laquelle il ne peut y avoir d'unité.
Et sans unité, je le dis sur ce sujet et pour bien d'autres, sans unité, dans le monde brutal où nous vivons, aucun peuple ne survivra.
Pour affûter ces armes que sont la fermeté et la compréhension, je veux saluer le travail mené par la ministre en charge de la lutte contre les discriminations, Aurore Bergé. Les Assises de lutte contre l'antisémitisme qu'elle a réunies en février dernier, et dont je remercie tous les contributeurs, qui sont nombreux dans cette salle, ont formulé des propositions en matière de justice et d'éducation qui vont orienter le travail du Gouvernement.
D'ores et déjà, le ministre d'État, ministre de l'Intérieur mène une action résolue pour démanteler des réseaux qui alimentent l'antisémitisme. Cette action doit être intensifiée et il a pour ce faire ma confiance. La protection des lieux de culte, des écoles et des commerces juifs a été renforcée après le 7 octobre et depuis le 19 juin, les patrouilles sont doublées.
Mais devant la propagation des actes antisémites, notre réponse pénale doit impérativement être affirmée. C'est pourquoi le garde des Sceaux transmettra prochainement à tous les parquets de France une circulaire précisant les méthodes qui permettent de débusquer l'antisémitisme sous les prétextes, les insinuations et les ambiguïtés, en s'appuyant notamment sur la définition donnée par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste. Si des propositions de loi permettent d'améliorer effectivement la lutte contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, dans le respect de la Constitution, elles auront notre soutien plein et entier.
L'université ne peut plus être un lieu où de fausses théories causent de vraies blessures. Nous allons donc généraliser dans les établissements d'enseignement supérieur les cellules de veille et de signalement pour que chaque victime d'actes antisémites ou raciste trouve un interlocuteur compétent. Je salue l'engagement du Parlement sur cette question centrale, celui notamment des sénateurs Pierre-Antoine Lévy et Bernard Fialaire. Leur proposition de loi, qui vient d'être votée par l'Assemblée nationale après que le Gouvernement a voulu qu'elle soit examinée avant la fin de la session parlementaire, fait des pas décisifs dans la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, notamment en renforçant les procédures disciplinaires.
L'antisémitisme se démultiplie aussi sur les écrans, les réseaux sociaux, où se déploient des stratégies organisées, financées pour cibler les jeunes et les inciter dans l'anonymat à déchaîner leurs passions archaïques.
Et je dis que la question de l'anonymat sur les réseaux sociaux, très difficile à traiter pour les raisons juridiques que l'on sait, cette question de l'anonymat doit être posée, traitée, examinée et doit trouver une réponse.
C'est pourquoi aussi les moyens du Parquet national de lutte contre la haine en ligne vont être renforcés. Pharos, la plateforme qui recense, analyse et oriente les signalements, va être développée encore davantage, Madame la ministre du Numérique.
Mais la fermeté ne peut pas être la seule réponse. Pour atteindre au cœur l’hydre de l'antisémitisme, la République doit tenir sa promesse d'éducation à la compréhension et à la fraternité.
À l'initiative d'Elisabeth Borne, ministre d'État, le plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations oblige depuis 2023 les élèves à effectuer au cours de leur scolarité une visite mémorielle. Je veux ici saluer le travail inestimable de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, qui, en 2024, a accompagné 160 000 élèves et 6 200 enseignants.
La mémoire est un devoir imprescriptible. Elie WIESEL disait cela magnifiquement : « seuls ceux qui ont connu Auschwitz savent ce que c'était, les autres ne le sauront jamais. Au moins comprendront-ils ? Oublier les mots serait les tuer une deuxième fois. Et si les tueurs et leurs complices exceptés, nul n'est responsable de leur première mort, nous le serions de la seconde ».
Tous les élèves doivent partager cette mémoire, car nous croyons que si la mémoire, cette part, la plus intime de nous-mêmes, se partage, alors notre identité s'élargit. La coexistence de tous dans la République passe par la coexistence des mémoires, sans en effacer ni en relativiser aucune. Le Gouvernement souhaite donc que soit intégrée aux programmes d'histoire une étude approfondie des mouvements d'émancipation nationale au Moyen-Orient.
Cette coexistence ne sera jamais simple ni complète, mais tout progrès dans ce sens sera un progrès pour la République, pour que, je cite votre prière tous les samedis, « pour que la France soit forte et grande dans l'union et la concorde ». Et ce vœu qui résonne chaque semaine dans les synagogues, dans la prière pour la République est pour nous tous, un vœu précieux.
C'est le sens premier de la présence si large du Gouvernement parmi vous ce soir : rappeler que la République est d'abord cette promesse de réconciliation. La tenir, la réaliser n'est jamais simple. Mais nous avons le devoir d'y travailler chacun à sa place, chacun dans la responsabilité qui est la sienne. Allons vers le toujours plus humain, plus responsable et vers le refus de céder à la tentation de la division.
L'augmentation des actes ciblant telle ou telle communauté de notre pays – les Français juifs mais aussi les Français musulmans ou chrétiens ou d'autres – montre que les passions brûlent. Il est de la responsabilité des acteurs politiques, vous l'avez dit, Monsieur le président Arfi, il est de la responsabilité des acteurs politiques de ne pas les attiser, de refuser de les entretenir, car toutes les origines, toutes les sensibilités, tous les noms de toutes les consonances méritent la même attention et la même protection. Tous les enfants sont les nôtres.
Mesdames et Messieurs, devant le séisme du monde, chacun trouve où il l'entend les sources de l'espérance. Ces sources sont diverses, mais pour tous les Français, et je le sais particulièrement dans cette salle, la République est une espérance. Cette espérance porte un sens pour le monde, car notre projet est national, unique, mais il est aussi un projet profondément universel.
J'ai voulu ce soir vous assurer de l'engagement du Gouvernement pour condamner et combattre l'antisémitisme, mais le discours que je viens de prononcer devant vous, chacun de ses mots, vaut en défense de tous, des juifs, des musulmans, des chrétiens, des athées, des agnostiques, car la sensibilité, pour reprendre les mots d'Edmond Fleg, la sensibilité juive, elle est présente « en tous lieux où pleure une souffrance ». Et je sais, par l'engagement du CRIF contre toutes les discriminations, vous l'avez rappelé, que cette défense aura votre soutien et votre approbation. Le souci de la justice envers tous est la plus vive lueur que porte l'âme juive depuis des millénaires. Et la République, telle que nous la voulons, est cette œuvre d'unité, de fermeté et d'ouverture. De cette unité fondée sur la laïcité, vous avez été et êtes aujourd'hui les premiers défenseurs. Dès 1791, vous en avez perçu toute la fécondité.
Haïm Korsia, avec qui je parle souvent, a raison de dire que les Français juifs veulent être constructeurs de la République et que cette volonté de construire est entravée par l'antisémitisme.
Ce soir, en répondant à votre invitation, nous avons voulu vous donner, ainsi qu'à tous nos concitoyens, des raisons d'espérer dans la République et de poursuivre, ensemble, sa construction. Je vous remercie.