François Bayrou : « On est en situation de danger extrême »

François Bayrou, Premier ministre et Président du MoDem, était l'invité exceptionnel de BFMTV jeudi 3 juillet pour la dernière émission "Face à Duhamel".

Journaliste : Oui, c'est une page d'histoire même de BFM Story qui se tourne avec vous ce soir, Alain Duhamel, et surtout avec le chef du gouvernement, le Premier ministre François Bayrou. Bonsoir, Monsieur le Premier ministre.

François Bayrou : Bonsoir.

Journaliste : Merci d'être avec nous. C'est le dernier Face à Duhamel quotidien avec BFM Story. 

Alain Duhamel : C'est le dernier Face à Duhamel !

Journaliste : Et Alain, justement, vous allez débattre pendant ces trois quarts d'heure avec le Premier ministre François Bayrou. Pour commencer, on va balayer l'actualité politique, mais par quelque chose qui est très préoccupant, c'est le sort des deux otages français en Iran, qui sont maintenant quasiment en danger mortel, avec le nouveau chef d'inculpation dont on attend la confirmation officielle, Alain Duhamel. Est-ce que le gouvernement français se bouge suffisamment, François Bayrou, le président de la République ?

Alain Duhamel : Alors, ce n'est pas la première fois qu'il y a des drames qui concernent des otages français. Je n'ai jamais connu, quelles que soient les étiquettes politiques, un gouvernement français indifférent au sort de ses otages. Franchement, je n'ai jamais connu ça. Je sais que, dans certains cas, il y a des méthodes qui ont été utilisées et qui pouvaient être blâmables. Je sais que dans d'autres cas, il y a eu des interférences, y compris de citoyens français qui ont compliqué les choses pour le gouvernement. Mais quand il s'agit d'otages, moi j'ai toujours vu tout le monde se mobiliser.

Journaliste : Mais là, on vient de franchir une étape, François Bayrou, puisque Cécile Kohler et Jacques Paris risquent désormais la peine de mort. Que faire ?

François Bayrou : Alors, ils ont en effet été notifiés d'inculpations qui sont des inculpations qui, en Iran... vous vous rendez compte de la folie de tout ça ? Ce sont des syndicalistes enseignants qui sont en voyage en Iran et qui sont émus par le sort de ceux qui manifestent pour les femmes en Iran. Et on les accuse d'espionnage pour Israël. Ça n'a évidemment aucun sens. On a d'abord eu peur parce qu'il y a eu bombardement de la prison, de la prison d’Evin. Et puis hier, le personnel consulaire a pu avoir une visite avec eux, a pu être autorisé à une visite avec eux. Et donc on garantit qu'ils sont en bonne santé, ce qui est déjà un premier soulagement. Et puis cette inculpation qui, en effet, est inquiétante. Mais je veux croire que toutes les interventions, y compris celles directes du président de la République auprès du président de la République d'Iran, de tous les intermédiaires autorisés qu'on peut trouver, et puis le simple bon sens, la certitude que cette jeune femme...

Journaliste : Le bon sens avec la République islamique d'Iran, monsieur le Premier ministre… 

François Bayrou : Vous avez raison. 

Journaliste : Écoutez ce que disait l'avocate de la famille de Cécile Kohler, elle était notre invitée il y a quelques minutes, elle vous lance un appel.

[Extrait de l'avocate] 

Journaliste : Tous les moyens, tous les moyens disponibles et tous les moyens utiles, en essayant de comprendre les ressorts qui pourraient faire qu'une libération la plus rapide possible interviendrait. Mais vous savez bien quelle est l'organisation de l'État en Iran, où sont les véritables pouvoirs. Et on vient de voir dans la guerre des 12 jours, quelle était l'organisation et la profondeur du durcissement. Et donc, en tout cas, je dis une chose. Tous les moyens, sans exception, sont mobilisés et nous avons tous les jours des réunions pour savoir où on en est.

Journaliste : Alors, monsieur le Premier ministre, on va passer tous les sujets d'actualité en revue. Vous allez discuter, débattre avec Alain Duhamel. On sort d'une séquence canicule. On commence à en prévoir une autre d'ailleurs, peut-être sous 10 jours. Séquence canicule intense qui a touché la quasi-totalité des Français. Le gouvernement a-t-il bien fait les choses ? Prévention et action ? Alain Duhamel ?

Alain Duhamel : Quand il y a un drame, le gouvernement se mobilise et les services publics qui sont quelquefois irritants en période normale, s'il y a un vrai drame, s'il y a un incendie énorme, s'il y a ce qui se passe en ce moment, s'il y a une tempête, etc., sont souvent les services publics, dans ces cas-là, exceptionnels. Et je trouve qu'il faut le rappeler, d'autant plus qu'on a pu le constater, une fois de plus. Maintenant, derrière ça, c'est-à-dire la situation à laquelle ils ont dû faire face et à laquelle le gouvernement aussi a dû faire face, je dirais que moi ce qui me choque, c'est le comportement de certains politiques au moment où on s'aperçoit des conséquences du réchauffement climatique, d'une façon que personne de bon sens ne peut nier. On le voit, on le vit. À partir du moment où il y a effectivement ce dérèglement qui s'est installé et qui s'accélère, à partir de ce moment-là, prendre du retard, comme c'est le cas, mais comme c'est le cas depuis des années, mais prendre du retard en ce qui concerne la lutte contre le réchauffement. Et en particulier, parce que c'est ça dont il s'agit, sacrifier des projets ou repousser des projets.

Journaliste : Vous parlez de qui, de la droite ? Parce que la droite elle gouverne avec François Bayrou en ce moment.

Alain Duhamel : Alors, en l'occurrence, je ne parle pas de la droite. Je parle de Bruno Retailleau.

Journaliste : Bruno Retailleau ?

Alain Duhamel : Qui est le président des LR. Oui, je parle de Laurent Wauquiez, qui est son adversaire juré, mais qui néanmoins sur ces questions donne la même position. Et je parle de la tribune qu'ils ont signée contre l'éolien. Bon, il faut dire les choses clairement. Si on croit, si on conteste la réalité du réchauffement, c'est qu'on est idiot. Si on voit qu'il y a ce réchauffement, et qu'au même moment, on est prêt à rendre plus difficile le combat contre ce réchauffement, c'est qu'on est cynique.

Journaliste : Vous avez des ministres cyniques, Retailleau, cyniques, monsieur le Premier ministre. Vous avez lu cette tribune ?

François Bayrou : Si je peux éviter la guerre au sein de l'équipe gouvernementale, il y a suffisamment de guerres, il y a suffisamment de gens en embuscade, de groupes en embuscade, suffisamment de...

Journaliste : Il faut tenir votre ministre de l'Intérieur, monsieur le chef du gouvernement.

François Bayrou : Suffisamment de... Il ne s'est pas exprimé en tant que ministre de l'Intérieur. Et donc, mais soyons... Je vais dire les choses... 

Journaliste : Quelle est la stratégie du gouvernement ? On a Bruno Retailleau qui dit non au photovoltaïque et à l'éolien, et on a votre ministre Agnès Pannier-Runacher qui dit au contraire, il faut y aller. 

François Bayrou : Et pas seulement elle, plusieurs ministres se sont exprimés en ce sens, et moi-même je vais vous dire ce que je pense. C'est très simple. Il y a deux questions, mais il y en a deux. Il y a une question de long terme qui est ce qui vient d'être évoqué par Alain Duhamel, c'est-à-dire la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre qui participent à ce dérèglement climatique, à ce réchauffement accéléré. Et ça, on a besoin de renouvelables comme on a besoin de nucléaire pour faire de la France le pays du monde avec l'hydroélectricité qui produit son électricité avec zéro émission de gaz à effet de serre, ce qui est à portée de la main. Et on est le seul pays du monde, en dehors des pays scandinaves qui ont de l'hydroélectricité. Vous vous rendez compte, nous sommes le seul pays du monde qui réussit à atteindre cet objectif. Il y a une deuxième chose qu'à mon sens, dans les années passées, on n'a pas fait assez : c'est s'intéresser à l'adaptation des villes et des logements au changement climatique, pour pouvoir rafraîchir, par exemple, une pièce de l'appartement lorsqu'il y a une personne âgée. Et tout ceci peut se faire, d'abord avec des équipements. Par exemple, j'ai, Alain Duhamel le sait bien, depuis des années plaidé pour la géothermie. Quel est l'avantage de la géothermie ? Quand il faut chauffer, c'est 80% moins cher. Quand il faut rafraîchir, c'est 90 ou 95% moins cher parce que la terre qui est sous nos pieds, ce gisement, c'est un gisement à la fois de calories et une possibilité de rafraîchir. Mais il y a aussi des équipements de proximité, si j'ose dire.

Journaliste : La climatisation ?

François Bayrou : Des ventilateurs, je parle là d'une pièce dans un logement.

Journaliste : D'accord, mais climatisé ?

François Bayrou : Oui, qui émet de la fraîcheur. Des ventilateurs rafraîchissants qui sont à des prix accessibles et qui peuvent être une réponse pour toutes les personnes en situation de fragilité. Mais vous voyez bien que c'est deux choses. L'une de long terme, comment on produit de l'électricité sans émettre des gaz à effet de serre, avec du renouvelable et du nucléaire. Et une de court terme, comment permettre à des gens en fragilité de se rafraîchir.

Alain Duhamel : Mais il y a quelque chose d'autre qui est inquiétant, en tout cas qui mérite d'avoir des réponses, c'est le fait que, alors que la France a été parmi les pays les plus actifs dans le combat contre le réchauffement, l'accord de Paris, c'était une affaire qui a été stimulée, organisée par la France, et qu'on avait des résultats qui étaient des résultats non pas satisfaisants, mais honorables, en tout cas. Qu'on était parmi les pays, on était le pays qui atteignait des objectifs et faisait en réalité ce qu'il prêchait. Mais on s'aperçoit que depuis plusieurs années, là je ne vise pas spécialement votre gouvernement évidemment, mais c'est depuis plusieurs années, c'est un fait, on a sacrifié un certain nombre d'avancées, c'est-à-dire qu'on les a en réalité repoussées. Alors il y a certainement des questions budgétaires, je ne les nie pas, on va sûrement en reparler, et qui jouent. Mais enfin, c'est un fait que dans les réajustements, dans les tentatives d'économie, etc., c'est l'écologie qui a beaucoup payé. Et que le fait qu'on ait choisi de faire payer à l'écologie, alors je ne dis pas qu'il fallait le faire sur la défense, par exemple, bien entendu, mais c'est un problème. On était parmi les meilleurs élèves, peut-être le meilleur d'une certaine manière, et là, on s'est rétrogradé nous-mêmes.

Journaliste : D'accord, mais au-delà de ce problème-là, on voit quand même...

Alain Duhamel : C'est quand même un drôle de problème.

Journaliste : Oui, mais sur l'écologie, mais pas seulement, sur la proportionnelle, les impôts, ça part dans tous les sens dans ce gouvernement, chacun y va de ses idées. Est-ce que François Bayrou tient ses troupes ?

Journaliste : Je voulais poser la question à Alain et puis après vous pouvez répondre.

François Bayrou : Non, excusez-moi, l'expression « tient ses troupes » est complètement inadaptée.

Journaliste : Ah bon ?

François Bayrou : Ce n'est pas des troupes. C'est un gouvernement avec des ministres responsables à qui...

Journaliste : Vous êtes le chef de ce gouvernement. 

François Bayrou : Je suis le chef de ce gouvernement et c'est pourquoi je dis, quand il y a des débats, j'arbitre. 

Journaliste : Mais les débats peuvent être publics ?

François Bayrou : Bien écoutez, oui. Il se trouve que nous n'avons pas de majorité, ni de majorité absolue, ni de majorité relative, que c'est la première fois dans l'histoire de la Ve République qu'on a un mode de scrutin majoritaire qui était censé fournir des majorités et qui fournit exactement le contraire, une dispersion avec, de surcroît, un climat politique qui est désespérant. Je ne sais pas si vous avez suivi les débats de l'Assemblée nationale, les insultes, les injures, les mises en cause personnelles...

Journaliste : Les députés qui ne viennent pas voter ?

François Bayrou : Oui... l'absentéisme, le fait qu'une partie de ces courants cherche à abattre personnellement, à déchirer, à blesser le plus possible. Et on vit dans un climat où l'Assemblée nationale est devenue un lieu d'une extrême violence, alors que le Parlement s'est fait au contraire pour que les conflits soient maîtrisés. Et donc, oui, bien sûr, toutes ces tendances qui permettent d'avoir un socle commun, elles s'expriment. J'espère que l'esprit de responsabilité leur permettra de s'exprimer tout petit peu plus avec des nuances, en tout état de cause.

Journaliste : Vous appelez à la nuance ?

François Bayrou : Oui, vous savez bien ce que...

Journaliste : Le débat public, c'est bon ?

François Bayrou : Vous faites semblant de ne pas comprendre.

Journaliste : Non, Alain, le débat. Est-ce qu'il y a de la solidarité dans ce gouvernement ? Certes il y a des tendances différentes, mais il faut une solidarité.

François Bayrou : Non mais, il y a une solidarité.

Alain Duhamel : Ce gouvernement, il me rappelle d'autres gouvernements antérieurs à 1958. 

Journaliste : Ceux de la 4e République ? 

Alain Duhamel : Que j'observais, que je regardais et qui me choquaient, et dans lesquels on entendait sans arrêt des points de vue divergents de la part de ministres appelés à prendre des décisions communes. Ce n'est pas la première fois dans notre histoire, ça s'est passé malheureusement même plus souvent que l'inverse. Là, on est dans une situation qui est quand même complètement particulière. Mais autant je comprends qu'on soit obligé de constituer un gouvernement avec les appuis dont on dispose et qui sont déjà étroits. Autant je comprends aussi l'idée selon laquelle si on veut avoir des fortes personnalités comme ministre et pas simplement des second ou troisième couteau, il faut leur laisser aussi la possibilité de s'exprimer et de manifester leur originalité parce qu'ils ont des originalités et qu'ils tiennent à les faire savoir. Bon, mais encore faut-il d'une part que ça ne tourne pas à l'hypocrisie. C'est-à-dire que ceux qui ont la double casquette de chef de parti et de membre du gouvernement...

Journaliste : Comme Bruno Retailleau ?

Alain Duhamel : Bien oui, c'est un grand exemple, puisque c'est sans doute le ministre le plus populaire, donc c'est un grand exemple. Bon, encore faut-il qu'ils n'en rajoutent pas.

Journaliste : Sinon ils doivent quitter le gouvernement ?

Alain Duhamel : Mais sinon, ils ajoutent de la pagaille au fait d'être ultra minoritaire et moi ce qui me frappe c'est que parmi les ministres qui ont des responsabilités politiques dans des partis il n'y a pas d'auto-discipline, il n'y a pas d'auto-discipline.

François Bayrou : Est-ce qu'on peut éviter des mots qui sont des mots pour caricaturer ? 

Journaliste : Ce n'est pas la pagaille ?

François Bayrou : Absolument pas. La preuve c'est que le sujet dont on traite là est un sujet arbitré. Il y aura du renouvelable. Le président de la République l'a dit dans son expression aujourd'hui. L'article est d'hier.

Journaliste : On va subventionner l'éolien parce que c'est ça que Bruno Retailleau critique. C'est les subventions publiques pour l'éolien.

François Bayrou : Oui, mais vous voyez bien, ce n'est pas ça le sujet. Ça, c'est des adaptations. Le sujet, c'est est-ce qu'un pays comme la France, qui est lancé dans une politique essentielle d'être le pays du monde qui produit l'électricité avec le moins d'émissions de gaz à effet de serre. Le pays du monde, ce pays-là, il a besoin de nucléaire, c'est essentiel, il a besoin de renouvelable, c'est essentiel aussi parce qu'il se trouve que le nucléaire c'est continu et que le renouvelable, vent ou soleil, c'est intermittent. Et donc les deux sont complémentaires l'un avec l'autre. Pour le reste, il y a des réglages sur l'incitation, sur le financement. Mais on a besoin, je dis ça avec certitude, et dans mes fonctions, on a besoin d'avoir du renouvelable dans notre politique énergétique.

Journaliste : Le Premier ministre vient de donner un mot-clé, là. Financement. Il va présenter d'ici quelques jours, effectivement, les pistes. Pour le budget, va-t-il y arriver François Bayrou ou alors va-t-il sauter sur le budget ? Va-t-il y arriver avec les 40 milliards d'euros d'économie ?

Alain Duhamel : Je vais essayer de vous répondre. Je pense, et le rapport qu'a présenté hier la Cour des comptes est suffisamment alarmant, ce n'est pas un rapport alarmiste, c'est un rapport alarmant. François Bayrou connaît le sens des mots, ce qui n'est pas le cas de tous les politiques. Donc ce rapport, en fait, signifie qu'on risque non pas des difficultés, on est plongé dans des difficultés budgétaires, mais qu'on risque une catastrophe s'il n'y a pas réellement un changement brutal de cap. Et la question pour moi au moment où il va y avoir une clarification dans les deux semaines qui viennent de ce que sont les intentions, c'est qu'il y a deux options possibles. La première option qui est l'option éternelle depuis je dirais la fin du Covid, et qui est de faire du raccommodage, on reprise, on ne solidifie pas, on ne traite pas, on reprise. Bon, et il y a une autre décision qui exige beaucoup de courage, qui fait braver certainement l'impopularité encore davantage, et qui consiste à dire que la France est dans une situation exceptionnellement dangereuse en matière budgétaire, donc financière sur le plan international. Et dans ce cas-là, il ne s'agit pas de trouver des accommodements, il faut réellement un énorme changement, c'est-à-dire prendre le taureau par les cornes et donc prendre ce qui passe forcément par des décisions désagréables. Et ce qui me frappe déjà, c'est qu'avant même que le projet soit connu, avant même qu'il y ait le choix, soit un vrai choc, soit au contraire des accommodements inutiles, stériles. Avant même ça, on voit déjà au sein du Parlement, alors sur tous les bancs là pour le coup, il faut le dire sur tous les bancs, toutes les propositions possibles pour que rien ne se fasse. Et si rien ne se fait, c'est une catastrophe pour les Français.

François Bayrou : J'ai un désaccord avec Alain Duhamel, il dit il y a deux options. Moi, je pense qu'il n'y a pas deux options. Je pense qu'il n'y en a qu'une.

Alain Duhamel : J'étais sûr que vous alliez dire ça !

François Bayrou : C'est bien. C’est que vous me connaissez bien…

Journaliste : C'est l'option choc ? Option désagréable ?

François Bayrou : Si l'on décidait de faire comme on fait, non pas depuis trois ans, mais depuis 50 ans, si l'on décidait d'essayer de trouver des arrangements de manière à faire semblant de, la France se trouverait dans un état si dangereux et si dramatique…

Journaliste : On en est là ?

François Bayrou : Oui, on en est là. Oui, on en est là. On a vu sur notre continent, on a vu la Grèce.

Journaliste : On peut connaître le sort de la Grèce ?

François Bayrou : On peut… On est en situation de danger extrême. Ça ne rend pas populaire de dire ça. Ce n'est pas agréable. Un très grand nombre de Français l'ont entendu, c'est la première fois depuis longtemps, ça fait 20 ans que je mène ce combat. Un grand nombre de Français l'ont entendu, mais un grand nombre ne croit pas que ça les concerne.

Journaliste : Donc vous prendrez ces décisions désagréables ?

Alain Duhamel : « Ne croient pas… » ne veulent pas que ça les concerne ! Ils font un grand effort pour comprendre, mais ils ne veulent pas.

François Bayrou : Ils pensent que ça ne les concerne pas. Je vais vous dire, pour moi, il n'y a, devant une situation aussi dangereuse que celle-là, il n'y a qu'une option, c'est affronter courageusement, sans se laisser détourner du but, la situation telle qu'elle est, et de proposer un chemin sur plusieurs années, je pense à quatre ans, pour revenir non pas à l'équilibre des finances publiques, qu'on a abandonné depuis 1974, mais à un certain équilibre des finances publiques. Quel est le but qu'il faut atteindre ? C'est qu'on touche le point où la dette n'augmente plus. Là, elle augmente tous les ans de centaines de milliards. On peut y arriver en 2029, mais la première étape de cette année demande un effort considérable, ou plutôt un double effort. Qu'on passe l'année 2025 en respectant les engagements qu'on a pris, et on va le faire en abandonnant des crédits en cours d'année, en serrant les robinets, en fermant les robinets quand il le faut. Mais la France tiendra, si j'ai la responsabilité de cette politique gouvernementale, la France tiendra ses engagements. Et pour l'année prochaine, je l'ai dit, le 15 juillet, puisque c'est le 15 juillet que j'annoncerai ces orientations, nous donnerons aux Français les décisions, les grandes orientations qui permettront pour l'année 2026 de respecter cet engagement.

Journaliste : Oui mais Alain Duhamel a posé la question, est-ce que ce sera désagréable ? C'est le terme que vous avez employé.

Alain Duhamel : Ben oui. Ça ne peut qu’être désagréable.

Journaliste : Vous dites courageux, est-ce que ce sera désagréable ? 

Alain Duhamel : Mais on peut être désagréablement courageux.

Journaliste : Concrètement, Alain, est-ce que François Bayrou, le 15 juillet, il peut ne pas augmenter les impôts ?

Alain Duhamel : Moi, je pense qu'avant même de savoir quelles sont les grandes orientations… Dire comme le font beaucoup, y compris dans la majorité, y compris dans le gouvernement, quand ils sont chefs de parti, etc., de dire « on s'interdit de », je trouve ça stupide.

Journaliste : Donc il peut y avoir des augmentations d'impôts ?

Alain Duhamel : Non, ce n’est pas s’il peut y avoir. Moi je pense que dans les circonstances actuelles, les choses sont assez graves pour qu'on ne décide pas à l'avance, ça c'est possible, ça c'est pas possible. Non, il faut regarder quelles sont les possibilités réelles qui existent.

Journaliste : Les engagements qui ont été pris par Emmanuel Macron, par François Bayrou lui-même, de ne pas augmenter les impôts. Et puis on entend des musiques un peu différentes en fonction des personnes interrogées.

Alain Duhamel : Écoutez, si les Français prennent la dimension de ce qui se produit, alors apparemment ils commencent à effectivement le comprendre, dans ces cas-là, il ne s'agit pas de s'interdire a priori la moitié des moyens. Eh bien oui, s'il y a des augmentations d'impôts, ce n'est pas agréable, ça ne fera plaisir à personne.

Journaliste : Donc il y aura des augmentations d'impôts dans le pays le plus imposé au monde ?

Alain Duhamel : C'est moi qui vous dis, il ne faut pas s'interdire. Attendez, j'ai presque fini. Il ne faut pas s'interdire, a priori, qu'on sait que ce sera... Mais non, mais il ne faut rien s'interdire. Ni de réduction de dépense, mais bien sûr… Ou alors c'est qu'on ne comprend pas la situation et qu'on ne comprend pas sa gravité. S'il n'y a pas un choc réel, et un choc, ça fait mal. S'il n'y a pas un choc réel, on risque des glissements qui nous amènent sous le nez du fonds monétaire international.

Journaliste : Alors est-ce qu'il y aura un choc ? Alors est-ce que vous vous interdisez ou non des hausses d'impôts ? Parce que ce n'est pas clair, en fonction des personnes qui parlent, on ne sait pas.

François Bayrou : Eh bien, puisque vous m'avez interviewé, je vais vous dire quelque chose d'assez simple. D'ici au 15 juillet, je ne déflorerai aucune des mesures que nous allons prendre. Parce que comme Alain Duhamel l'explique, c'est un plan global dont nous avons besoin. Et c'est un plan global encore plus compliqué que ce qui a été évoqué par Alain Duhamel, parce que nous avons besoin en effet de remettre nos comptes en ordre sur une trajectoire de plusieurs années, avec des orientations qui seront clairement expliquées, et en même temps, nous avons besoin de soutenir la production du pays. Parce que d'où vient notre difficulté ? C'est parce que nous ne produisons pas comme nos voisins produisent, nous ne produisons pas assez, nous avons, production par français, 15% de moins que nos voisins. Alors, puisqu'on a 15% de moins que nos voisins, ça veut dire que les familles...

Alain Duhamel : En particulier parce qu'on travaille moins qu'eux.

François Bayrou : Les familles ont 15% de moins de revenus, l'État ou la puissance publique a 15% de moins de moyens à disposer. Nous sommes un pays qui s'est engagé par excès de dette et par absence de production dans une situation où nous ne pouvons pas rester. En tout cas, je dis que le gouvernement que je dirige ne l’acceptera pas. Et donc en effet, il n’y a aucun moyen interdit…

Journaliste : Donc vous n'excluez pas d'augmentation d'impôts ?

François Bayrou : Non, mais…

Journaliste : Mais sans dévoiler votre feuille de route. 

François Bayrou : Je vois bien que vous avez envie de jouer à ce jeu. 

Journaliste : Vous étiez plus affirmatif il y a quelques semaines, vous disiez : "Il n'y aura pas d'augmentation d'impôts." Là vous dites : "Attendez le 15 juillet." On peut traduire que finalement il y aura des augmentations d'impôts.

François Bayrou : Eh bien ne traduisez pas, restons-en à la situation précise dans laquelle nous sommes. Je dis que le danger pour la France est immense, que nous ne laisserons pas ce danger grandir, s'affirmer et au bout du compte nuire à notre pays, qu'il y aura un plan global, que ce plan global doit être à la fois principalement un plan d'économie de dépenses publiques, principalement un plan d'économie de dépenses publiques, et deuxièmement un plan de soutien autant que possible à la production de nouvelles recettes.

Journaliste : De nouvelles recettes fiscales ?

François Bayrou : Non, je ne crois pas… J'ajoute une chose : un plan qui est en effet aussi engageant, il a besoin de justice. Et je n'oublie pas cet aspect des choses.

Journaliste : Alors que doit-il faire François Bayrou, justement ? 

Alain Duhamel : Faire ce qui est désagréable.

François Bayrou : Non, faire ce qui est courageux.

Journaliste : Qu'est-ce qui est désagréable ?

Alain Duhamel : On peut être désagréablement courageux. 

Journaliste : Désagréable, c'est quoi ? 

Alain Duhamel : Mais il y a quand même quelque chose qu'on ne dit pas assez. Il y a des pays qui nous sont proches et qui ont connu des situations comparables à celles que nous connaissons. Ça s'est passé au Canada, ça s'est passé en Suède, ça s'est passé au Portugal, ça s'est passé en Espagne, ça s'est passé en Italie. Et tous, devant une situation de ce genre, ont fini - pas instantanément et pas de gaieté de cœur - à prendre des décisions drastiques.

Journaliste : Lesquelles ? Rappelez pour ceux qui nous regardent.

Alain Duhamel : Mais ils ont pris des décisions qui en France paraîtraient totalement... non seulement impossibles, mais même inimaginables. Ils ont baissé les retraites, ils ont baissé des salaires des fonctionnaires, quelquefois même de 20%.

Journaliste : Vous pourriez le faire, ça ? - Oui, mais ça c'est du courageux et désagréable, effectivement. Est-ce que François Bayrou est courageux ?

Alain Duhamel : Attendez, mais ils ont aussi augmenté des impôts, ils ont aussi... Il y a un modèle, à mes yeux, alors ça c'est vraiment, je parle vraiment que pour moi, mais il y a un modèle, c'est Draghi. Draghi il est à la fois…

Journaliste : Parce que M. Bayrou est le Draghi français ?

François Bayrou : Ah mais je rêverais qu'il le soit ! 

Journaliste : D'abord, le sauriez-vous ? Mario Draghi... 

Alain Duhamel : Non mais il a réussi, Draghi ! 

Journaliste : Oui mais justement ! 

Alain Duhamel : Il a tiré l'Italie d'une situation dans laquelle non seulement nous glissons, mais que nous avons dépassée et il est arrivé, ça a été impopulaire, d'ailleurs il n'est pas resté longtemps.

Journaliste : Et ensuite c'est l'extrême droite italienne qui a gagné.

Alain Duhamel : Non, elle n'a pas gagné, elle a profité des résultats qu'il a obtenus.

Journaliste : Oui, mais elle est au pouvoir aujourd'hui, Mme Meloni.

Alain Duhamel : Et maintenant, ils font la révérence devant Draghi, y compris l'extrême droite.

François Bayrou : Alors, ce qu'Alain Duhamel sait, c'est que Mario Draghi est en effet un homme politique pour qui j'ai beaucoup d'amitié, de respect d'amitié, que nous appartenons au même grand courant politique. Un mot sur l'extrême droite italienne. Madame Meloni a été élue, elle gouverne l'Italie, elle fait le contraire de ce qu'elle avait annoncé. Aujourd'hui même, vous vous souvenez, elle avait dit : "Jamais plus une régularisation, tout le monde, les immigrés, nous allons les rejeter." Elle a régularisé 500 000 immigrés, et ce matin... ils ont annoncé qu'ils allaient accepter 500 000 immigrés de plus.

Journaliste : Ils n’ont pas assez de travailleurs et il y a un problème de natalité aussi.

François Bayrou : Oui.

Journaliste : La question était, serez-vous le Mario Draghi français ?

François Bayrou : Je me contenterais d'être ce que je suis sans aller chercher des étiquettes extérieures.

Journaliste : Et ce que vous dites, c'est que si Marine Le Pen était au pouvoir, elle ferait le contraire de ce qu'elle dit.

François Bayrou : Non, je ne dis pas ça, parce que tout le but de la politique que je cherche à construire, c'est qu'on ait une prise de conscience du pays qui ne passe pas par des démagogies, des condamnations, de l'excitation d'une partie des Français contre les autres. Je suis un défenseur de l'unité de notre pays et je suis un défenseur de la naissance d'un climat, comment dirais-je, de respect mutuel chez nous. Au lieu d'avoir la guerre des extrêmes les uns contre les autres, je les reconnais, ils sont élus, je travaille à l'Assemblée nationale. Mais je n'ai pas envie de favoriser les flambées des extrêmes que vous essayez de mettre en scène.

 

Alain Duhamel : En ce qui concerne Giorgia Meloni, c'est tout à fait vrai qu'elle a renversé la politique annoncée sur l'immigration dont elle parlait avec trompette et tambour, quand même, et depuis des années et des années, mais qu'elle a fait exactement la même chose, et sur ce point en tout cas il faut s'en féliciter, en ce qui concerne l'Europe. G. Meloni dans l'opposition disait de l'Europe en gros ce que Marine Le Pen disait. Vous vous en fichez peut-être…

Journaliste : Pas du tout ! Mais puisque vous parlez de Marine Le Pen…

Alain Duhamel : Mais si ce qui est intéressant, c’est que des pays connaissant des situations comparables à la nôtre sont arrivés à s’en tirer. Que ce qui s’en sont tirés l’ont fait non pas en étant démagogique mais en étant – non pas réaliste – mais courageux.

Journaliste : Et désagréable ? 

Alain Duhamel : Et désagréable, absolument.

Journaliste : François Bayrou va annoncer le 15 juillet sa feuille de route, après il faut l’appliquer. Est-ce que vous pensez que François Bayrou aura le temps d'appliquer sa méthode et ses recettes, sachant qu'il est toujours menacé d'être censuré ?

Alain Duhamel : Alors, première chose, tout chef du gouvernement, avec la structure de l'Assemblée nationale actuelle, est quelqu'un en sursis. Ce n'est pas la peine de dire le contraire, tout le monde le sait. Ça n'est pas une question de personne, ça n'est pas une question d'étiquette, ça n'est pas une question de sympathie. On a l'Assemblée qu'on a. Et dans ces conditions, tout le monde, tout chef de gouvernement est en sursis. Bon, la deuxième chose, c'est que François Bayrou était à peine entré dans la pièce quand on lui disait : "Vous voyez que la sortie est là." Bon, ça n'est pas très malin, ça n'est pas très efficace. La troisième chose, qui à mes yeux est de loin la plus importante, qui nous ramène un peu au sujet d'avant, mais sous l'angle cette fois-ci politique, c'est qu'au moment où on arrivera au budget, donc fin septembre, puis début octobre. À ce moment-là, la France sera en grande difficulté financière. Et que ceux qui prendraient l'immense responsabilité à ce moment-là d'une motion de censure, ça serait la deuxième année de suite qu'il y aurait motion de censure par refus d'un budget essayant d'améliorer les choses. Et là, je suis persuadé, et ça me paraît dix fois plus important que la question de savoir, excusez-moi, si François Bayrou est renversé ou pas renversé. Je suis persuadé que si la deuxième année de suite, on repousse un budget, on déclenche instantanément une spéculation internationale contre nous. Instantanément.

Journaliste : François Bayrou ?

François Bayrou : Je ne peux pas dire mieux. Quelle est la question ? Elle est très simple. C'est quel peuple sommes-nous ? La France a vécu des choses beaucoup plus dramatiques que ce que nous vivons là. La guerre de 1914, un million et demi de morts, une partie très importante des jeunes hommes, les plus talentueux, les plus brillants, des écrivains, des savants, des physiciens, sont morts, et le pays tout entier est exposé à ça. La guerre de 40, c'était pas terrible, la guerre d'Algérie, c'était pas terrible, on s'en est toujours sortis. Est-ce qu'il y a dans ce peuple les ressorts pour s'en sortir ? On va le savoir. Je n'ai aucun doute, moi, que nous n'avons pas le choix.

Journaliste : D'accord, mais vous dites ça aux Français ? Mais est-ce que vous dites ça à vos opposants, à ceux qui peuvent à tout moment, comme Marine Le Pen, vous censurer ?

François Bayrou : Mais ils en ont le pouvoir ! 

Journaliste : Parce qu'aujourd'hui, vous dépendez de Marine Le Pen. 

Alain Duhamel : Mais ceux qui en ont le pouvoir en auront la responsabilité.

Journaliste : Vous ne dépendez pas de Marine Le Pen ?

François Bayrou : Non, je dépends de chacun des députés. Le Parti Socialiste, s'il veut censurer, il a essayé hier, avant-hier, il a essayé de censurer. 

Journaliste : Il n'avait pas vraiment envie… Il dépend des députés ou de Marine Le Pen, François Bayrou, Alain Duhamel ? Sa survie politique au gouvernement ?

François Bayrou : Je dépends de tous les groupes de l'Assemblée nationale. 

Journaliste : Ah non ! D’un seul en particulier… 

François Bayrou : Non, pas du tout. 

Alain Duhamel : Il y avait un accord de non-censure qui a été déchiré par le Parti socialiste. Et aujourd'hui, il y a une vulnérabilité accrue que tout gouvernement aurait, mais que ce gouvernement subit, bien entendu. Et le paradoxe, c'est qu'au moment où ce gouvernement, à la suite de la décision du Parti socialiste, se trouve en situation de vulnérabilité, si j'ose dire, symétrique, des deux côtés de l'hémicycle, à ce moment-là, on voit, non seulement à l'intérieur du gouvernement, mais dans les groupes parlementaires de ce qui est censé constituer la majorité, des comportements qui sont des comportements qui, pour moi, comme c'est ma dernière séance, si j'ose dire, je le dis comme je le pense, sont non seulement totalement condamnables, mais reviennent même, en réalité, à détruire politiquement ce qui pourrait être construit économiquement. Ça s'appelle du sabotage.

Journaliste : À l'instant, le président de la République appelle chaque ministre à s'occuper des affaires pour lesquelles il est nommé. Voilà ce que dit le président Macron.

François Bayrou : Mais vous voyez bien... 

Journaliste : Il a raison ? 

François Bayrou : C'est exactement ce que...

Journaliste : Non, tout à l'heure, vous disiez que tout le monde a le droit de parler. C'était le débat.

François Bayrou : Non, vous vous trompez sur... Alain Duhamel a dit les choses très justes. Tout à l'heure, vous avez laissé passer sans les reprendre. Alors je vais les reprendre en mon tour. J'ai voulu un gouvernement de poids lourds avec deux anciens premiers ministres, avec des hommes et des femmes qui avaient occupé des responsabilités. Un gouvernement de poids lourds, vous ne le menez pas comme une classe enfantine. Donc, vous écoutez ce qu'ils disent. Puis, il y a eu des campagnes internes à des mouvements politiques. Ça ne vous a pas totalement échappé. 

Journaliste : Non. 

François Bayrou : Et que donc, c'est un moment de règlement. Mais, il n'y a qu'une politique du gouvernement.

Journaliste : C'est celle que vous définissez ?

François Bayrou : Sur tous les sujets. C'est celle que je définis, naturellement, collégialement.

Journaliste : Mais c'est vous qui tranchez à la fin ?

François Bayrou : C'est moi qui tranche, c'est ma responsabilité. Mais surtout, le moment dans lequel nous sommes est si lourd, grave, si menaçant que franchement aucun des responsables, ni du gouvernement, ni des partis politiques qui appartiennent à la majorité, ni même des partis politiques qui ne sont pas dans la majorité, peut être assez désinvolte pour détruire ce que nous essayons de construire et qui va imposer des efforts à tout le monde. Et donc, il n'y a aucune marge pour les jeux ou pour les pièges des uns contre les autres.

Journaliste : Mais quelle est l'espérance de vie de M. François Bayrou, du Premier ministre, avec 80% d'impopularité ?

Alain Duhamel : L'espérance de vie de François Bayrou, comme de ses prédécesseurs d'ailleurs, avec cette Assemblée-là, est ténue. Il ne faut pas dire le contraire, bien entendu. Mais on arrive, et on va arriver au moment du vote du budget, à un moment où il faudra vraiment que chacun prenne ses responsabilités. Parce que ça voudra dire... 

Journaliste : Il peut passer cet obstacle ? 

Alain Duhamel : Pardon, il peut y avoir des conversions miraculeuses, et il peut y avoir des chefs de parti d'autres sensibilités que celles qui sont au gouvernement, qui se rendent compte que quand la France est dans un état aussi dangereux que celui qu'on connaîtra au début du mois d'octobre, et bien on met provisoirement de côté tout en disant que c'est pour la France et surtout pas pour le gouvernement et sa majorité, etc. Ça peut arriver. Il peut y avoir des esprits de responsabilité. D’ailleurs je suis sûr qu’il aura des hommes et des femmes qui prêcheront dans ce sens-là. Mais il faut se rendre compte que si ce budget est courageux…

Journaliste : Et désagréable ? 

Alain Duhamel : Et donc désagréable. S’il est repoussé, je répète : deux années de suite, refus de la France devant cet obstacle, crise financière et spéculation. Pas spéculation internationale contre le monde entier, spéculation contre nous.

Journaliste : Mais cette impopularité qui est constatée dans les sondages, 80%, elle est méritée ou injuste ?

Alain Duhamel : Franchement, je ne crois pas que c'est à cause de ce que François Bayrou a fait, puisque d'un côté on lui reproche de ne pas faire et que de l'autre côté, on lui reproche de faire. Donc, la réalité, c'est qu'il est arrivé dans une situation où il s'agit d'essayer de raccrocher quelque chose à un moment où tout était en train de se disperser.

François Bayrou : Si je peux répondre à la question…

Journaliste : Oui ! Sur cette impopularité, comment vous la vivez ? 

François Bayrou : Comment voulez-vous être populaire dans une situation comme celle-là ? 

Journaliste : Vous n'avez rien fait encore. Les mesures vont être annoncées…

François Bayrou : Est-ce que vous pouvez éviter de dire des bêtises ? 

Journaliste : Mais non, monsieur le Premier ministre. Les mesures vont être annoncées début juillet. Pour le moment, vous n'avez pas agi sur le budget. Comment êtes-vous arrivé à 80% d'impopularité sans encore avoir annoncé ce qui va être désagréable ? 

François Bayrou : Comment est-ce que vous pouvez faire ce métier de journaliste avec cette désinvolture ?

Journaliste : Mais ce n'est pas de la désinvolture, c'est la réalité.

François Bayrou : J'ai été nommé le 13 décembre. La France n'avait ni majorité, ni budget pour l'action publique, ni budget pour l'action sociale. Nous avons fait adopter un budget pour l'action publique, un budget pour l'action sociale, contre tout pronostic. Nous avons fait adopter une grande loi d'orientation agricole. Nous avons fait adopter une grande loi contre le narcotrafic. Nous allons annoncer une loi sur les retraites, j'ai expliqué qu'à la suite du conclave. Et tout cela, nous allons le 15 juillet, alors que d'habitude c'est en septembre qu'on annonce les orientations budgétaires. Le 15 juillet, comme je le dis depuis un mois et demi, nous allons, avec les Français, directement devant eux… Mais vous ne pouvez pas être populaire dans une circonstance aussi difficile que celle-là. L'habitude s'est prise d'être démagogue.

Journaliste : Donc on peut tenir en étant populaire et on peut agir ?

François Bayrou : Oui, demandez à Winston Churchill, vous voyez, par exemple, ou à Clémenceau, par exemple.

Journaliste : Vous êtes Clémenceau et Winston Churchill et Mario Draghi, alors ?

Alain Duhamel : Ce sont de très bonnes références. 

François Bayrou : Ils ont été un peu populaires, et ça n'est pas un problème, la popularité. Ce qui compte, c'est l'estime. Alors, ce n'est pas facile dans les temps de dérision où nous sommes, dans les temps où l'habitude est de détruire. Mais ce qui compte, c'est que les gens sachent, et ils sauront à coup sûr le 15 juillet, qu'on fait des choses sérieuses, profondes, lourdes, mobilisatrices pour le pays.

Alain Duhamel : Mais à ce moment-là, il faudra évidemment regarder comment les oppositions se comportent, quelles sont leurs réactions, s'ils acceptent de prendre la mesure de la situation. Mais il faudra aussi commencer, parce que c'est là que les choses se nouent, comment se comportent certains ministres et les groupes parlementaires censés constituer la majorité. Parce que moi qui passe chaque jour à peu près cinq heures à lire les journaux, les rapports, etc. Je les vois partir dans tous les sens, faire une véritable compétition de démagogie. Prendre des mesures qui savent impossible, annoncer des chiffres qui sont complètement faux, quelquefois du simple au double, quand il s'agit de plusieurs milliards, dire des bêtises, être irresponsable, et de voir ça parmi les groupes de la majorité, et quelquefois, il faut bien le dire, parmi certains ministres, quand ils enlèvent leur casquette de ministre pour en enfiler une autre, je dirais que la plus grande responsabilité y compris vis-à-vis des Français, ça sera d'abord eux. Et les oppositions, qui sont des oppositions, auront à démontrer leur maturité, leur prise de conscience de la vraie situation où on sera à ce moment-là. Alors ils ne seront certainement pas d'accord sur les décisions qui seront prises, évidemment, on ne leur demande pas ça. Mais ça sera un moment où il faudra réellement que chacun prenne devant les Français, à un moment qui sera dramatique, ses responsabilités.

François Bayrou : Et dans ce concours d'irresponsabilité, en effet, dont la vie politique donne chaque jour un exemple malheureux, pour ne pas employer de mots plus forts que ça, il y a une fonction qui exige la responsabilité, et c'est celle dont j'ai la charge. Et je ne manquerai pas une seule seconde à cette responsabilité et aux engagements que cette responsabilité exige. Et le premier de ces engagements, on vient d'en donner un exemple, c'est la vérité. On ne peut pas, personne ne peut éluder la situation devant laquelle nous sommes. Et il faudra que cette situation trouve des réponses précises, pas du blabla, pour que chaque Français se situe comme citoyen en face de tout ça.

Journaliste : Il n'y aura pas de blabla le 15 juillet, c'est ce que vous nous dites. Il y aura des réponses précises. Deux questions liées à l'actualité. Il y a une grève en ce moment qui perturbe grandement les passagers qui veulent prendre un avion, c'est la grève des contrôleurs aériens. Est-ce que cette grève est, selon vous, scandaleuse ?

François Bayrou : J'essaie de ne pas employer de mots excessifs, cette grève est choquante. Comme toute grève d'un groupe social qui est indispensable au fonctionnement de la nation, qui est réduit en nombre et qui prend en otage les Français. C'est prendre en otage les Français que de choisir le jour où tout le monde part en vacances pour faire une grève du contrôle aérien. On a vu ça à la SNCF parfois avec des contrôleurs du même...

Journaliste : Mais minoritaire en plus, c'est un groupe de syndicats minoritaires.

Alain Duhamel : Ce ne sont que quelques unités, on en parle comme si c'était des foules. 

Journaliste : Ils sont 270 sur plus de 1000. 

Alain Duhamel : Oui, justement. Et en plus, il faut voir aussi quel est le motif. Parce que tout ça part du fait qu'il y a eu une fois un risque réel, et on s'est aperçu après que le nombre officiel d'aiguilleurs n'avait pas été respecté par les aiguilleurs, et que du coup, maintenant, on vérifie systématiquement s'ils sont là ou pas là, et ils prennent ça pour une persécution. Alors que c'est quand même le minimum de ce à quoi ils doivent être astreints, d'autant plus qu'ils détiennent la sécurité de tous les passagers aériens. C'est eux, c'est bien plus que les pilotes, ce sont les contrôleurs aériens. Autrement dit, c'est un comportement infantile dans des fonctions qui sont essentielles.

François Bayrou : Et ce sont des fonctions essentielles pour la sécurité, et on a raison de vérifier que cette sécurité est assurée par ceux qui en ont la charge.

Journaliste : Dernière question, le rapport Bétharram qui a été rendu public hier, l'un des deux rapporteurs, le député Vannier, vous accuse de ne pas avoir dit la vérité. Le député LFI. Que lui répondez-vous ?

François Bayrou : Excusez-moi, quand on donne une information, il faut donner la vérité de l'information. Le député LFI - c'est une stratégie de LFI que tout le monde connaît - à essayer tout ce qu'il pouvait pour abattre, au travers d'une affaire avec laquelle, excusez-moi, le dernier de mes fils qui a quitté cet établissement, il était élève, c'était il y a 25 ans. Et ma fille aînée l'a quitté il y a 40 ans. Il se trouve que j'ai pu faire la preuve dans une séance qui a duré plus de cinq heures, que chacune des accusations était fausse et j'ai apporté les preuves écrites. Et c'est tellement vrai que ce député a essayé d'entraîner la Commission dans sa demande de plainte, que la Commission a refusé de le suivre, que la présidente socialiste de la Commission a refusé d'être le relais de cette plainte et que la présidente de l'Assemblée nationale a refusé hier de prendre une seconde cette plainte en considération. C'est une manœuvre politique. Si vos auditeurs, téléspectateurs, si ça les intéresse, ils vont sur le site Bayrou.fr et j'ai mis toutes les preuves écrites en ligne.

Journaliste : Donc vous avez dit la vérité ?

François Bayrou : Ça devait déranger beaucoup de monde parce qu'on a eu trois jours de cyber-attaques qui ont rendu impossible la publication des documents. Maintenant, il suffit d'aller voir, vous faites Bayrou.fr, et puis vous cliquez sur le site quand vous y êtes, tous les documents sont là. Non seulement j'ai dit la vérité, mais je suis le seul ministre à être intervenu pour susciter des inspections qui vérifient ce qu'était la... 

Journaliste : Donc vous avez la conscience tranquille ? 

François Bayrou : Ce n'est pas que j'ai la conscience tranquille. Je dis la vérité. J'affirme que tout ce qui... Il y a eu 25 ans sans plainte. Est-ce que quelqu'un savait ? Est-ce que des avocats savaient ? Est-ce que des magistrats savaient ? En tout cas, moi, je n'avais jamais eu aucune autre information que ce qui était dans le journal.

Journaliste : Alain Duhamel, pour ce dernier Face à Duhamel, vous étiez donc, avec le Premier ministre François Bayrou, satisfait de ce dialogue, de cet échange, de ce que vous avez entendu ?

Alain Duhamel : Écoutez, j'espère en tout cas qu'on ne nous aura pas trouvé superficiels ou hypocrites, c'est-à-dire faisant semblant de trouver admirable une situation détestable et feignants de trouver normaux des comportements politiques qui ne le sont pas, et je dirais qu'ils le sont d'autant moins qu'ils s'approchent davantage de celui qui est à la tête du gouvernement. Ils sont d'autant plus inexcusables qu'ils sont politiquement proches et qu'ils sont censés travailler en commun. Et alors moi qui suis de loin le plus âgé ici, mais qui ai heureusement jusqu'à présent une bonne mémoire, je me rappelle exactement les dernières années de la 4ème République, et c'était ça. 

Journaliste : Ça a fini, on a changé de République.

Alain Duhamel : C'est bien ce que je dis, mais c'est bien ce que je dis, ce n'est pas une plaisanterie que je fais, c'est ce que je dis, c'est-à-dire que quand on se comporte tellement mal, on a les résultats qu'il y a eu, c'est-à-dire que dans ce cas-là, on passe de la crise politique, de la crise financière, à la crise de régime. Et après, on peut toujours demander un mouchoir pour pleurer.

Journaliste : Pourquoi vous avez accepté de venir débattre sur le plateau d'Alain Duhamel ?

François Bayrou : Vous voyez, ça tombe bien, parce que je voulais, non pas changer de sujet, mais dire pourquoi j'avais accepté l'invitation d'Alain Duhamel. Parce qu'il n'y a pas beaucoup de grands journalistes en France. Et qu'est-ce que c'est un grand journaliste ? C'est quelqu'un qui a non seulement de la science, mais de la conscience. Et j'ai observé Alain Duhamel depuis longtemps. J'ai partagé avec lui des soucis sur la France, et parfois des enthousiasmes, mais j'ai toujours noté le scrupule qui était le sien, à partir de la vérité pour arriver à l'intérêt général. Et cette personnalité-là, elle est suffisamment riche pour qu'on puisse honorer ensemble les années passées à défendre une certaine éthique du journalisme et qu'on aura, j'espère, beaucoup d'autres occasions de retrouver et d'écouter dans d'autres formats.

Journaliste : Monsieur le Premier ministre, merci d'être venu. Merci Alain Duhamel, ça a été un plaisir pour Olivier, pour moi aussi, et un honneur.

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