François Bayrou : « Ce sont nos actifs et nos enfants qui paieront l’addition de notre désinvolture »
Retrouvez le discours de Premier ministre, François Bayrou, sur la motion de censure déposée par le groupe socialiste.
Seul le prononcé fait foi.
Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les députés,
Madame la députée Estelle Mercier,
Ne croyez surtout pas que je veuille banaliser cet événement. Mais c’est la huitième motion de censure que notre gouvernement doit affronter. Et la deuxième du groupe socialiste. Le tout en six mois et demi. C’est un rythme vous l’avouerez respectable et donc un exercice que je tiens à respecter.
Même s’il y a parfois des aspects baroques. Récemment, c’était une censure demandée contre gouvernement parce que l’Assemblée n’était pas contente de l’Assemblée. Cette fois, c’est un peu plus complexe encore : la motion de censure a été annoncée par le président du groupe socialiste, solennellement, parce que, je cite « le gouvernement a trahi sa parole, il avait promis un projet de loi sur les retraites présenté devant le Parlement. Il n’y a pas de projet de loi. Donc nous censurons le gouvernement. »
Le problème, c’est qu’il y aura un projet de loi, que je l’ai officiellement confirmé, reprenant les avancées nombreuses et significatives à mes yeux du travail du « conclave », que je vous ai entendu qualifier de « mesurettes » et nous allons vérifier si ce sont des mesurettes ou pas.
Ce qui fait que, ne le prenez pas mal, Mesdames et Messieurs du groupe socialiste, vous vous retrouvez le bec dans l’eau, ce qui par les temps de canicule que nous vivons peut avoir des aspects rafraîchissants, mais n’est pas, nous en conviendrons tous, une position durable !
Donc, le but de la motion de censure, le Président François Hollande l’a clairement indiqué, ce n’est pas la censure du gouvernement, c’est un signal pour qu’il soit clair aux yeux de tout le monde et singulièrement aux yeux du Parti socialiste lui-même qu’il est dans l’opposition. Je donne bien volontiers acte au groupe socialiste qu’il est dans l’opposition.
Je n’ai pas de qualification particulière mais je délivre bien volontiers à cette tribune au Parti socialiste un certificat d’opposition, de mécontentement, de condamnation, d’indignation, de révolte, de protestation, de sanction, d’accusation, de mise en cause, de dénonciation perpétuelle et continue ! Je signe des deux mains autant de certificats autographes que vous le voudrez.
Mais je voudrai vous rappeler le souvenir de Galilée : « e pur si muove », proclamait-il quand l’inquisition, au prix des pires menaces, mettait en cause sa vision scientifique, fondée sur des constats indiscutables, que c’était, contrairement aux affirmations des théologiens, la terre qui tournait autour du soleil, et pas l’inverse. On le forçait à plier. « Et pourtant, elle tourne ! », marmonnait-il.
Et c’est bien cela la question de fond, à laquelle si vous le permettez, oubliant les côtés acides qui, dans un pays de rugby viennent naturellement sous la plume, à laquelle je souhaite m’attacher au cours de cette réponse : qu’y a-t-il de réel, d’indiscutable, dans la situation des retraites, dans la situation des finances publiques de notre pays, dans la situation respective des générations, qui nous oblige, nous oblige ! si nous sommes responsables, comme nous le prétendons l’être, à prendre des décisions même difficiles, pour opérer dans nos affaires une remise en ordre nécessaire ?
Stabiliser, remettre en ordre pour aller de l’avant, voilà le triptyque de l’action gouvernementale.
Alors, c’est simple ! Il y a, et vous pouvez enregistrer cette affirmation, il y a que la situation ne peut plus continuer, au risque d’une guerre des générations, au risque d’un péril mortel pour notre modèle social, pour notre économie, pour les finances de notre pays et au bout du compte pour notre République !
Notre système de retraites, je le dis non pas pour vous qui le savez tout cela pertinemment, est par répartition. Cela signifie que la règle d’or qui l’organise, c’est que les pensions devraient être payées, chaque année, chaque mois, par les cotisations des entreprises et des salariés ! Directement, si j’osais dire, du producteur au consommateur, du cotisant au pensionné.
Mais il y a des décennies que cette règle n’est plus respectée ! Pour la part des retraites dévolue à la fonction publique, ce sont quelque 30 ou 40 milliards qui manquent, chaque année ! ; pour les retraites du privé elles-mêmes, ce sont, d’après les chiffres de la Cour des Comptes, 6 ou 7 milliards en 2030, 15 en 2035, 30 en 2045 ! chaque année ! Ce qui fait que si rien n’est fait, ce que la Cour des Comptes annonce, ce sont écoutez bien, rien que pour le régime général, 350 milliards d’euros de dette accumulée dans les vingt années qui viennent !
Et ces chiffres, que je dénonce depuis des années, souvent seul, ces chiffres de désinvolture et d’immoralité, ce sont les chiffres de la pénalisation des enfants par les parents, des travailleurs qui n’en peuvent mais au profit des pensionnés.
Ces sommes, si nous les avions, si nous les financions, il n’y aurait aucun problème, un pays riche est bien libre d’affecter à l’usage qu’il choisit, l’argent tiré des impôts, des taxes et des charges qu’il prélève.
S’agissant du social, on connaît très bien ce système, c’est le système beveridgien, du nom de l’économiste anglais qui le définit pour le gouvernement de Winston Churchill, pendant la guerre. L’autre système, celui dans lequel les actifs participent, par un système d’assurance mutuelle, c’est le système bismarckien. Il n’y aurait aucun problème à ce que nous soyons un peu des deux, un peu cotisations et un peu produits des impôts et des taxes.
Mais cet argent, en dépit de la multiplication des impôts et des charges, nous ne l’avons pas ! Et ne l’ayant pas, nous l’empruntons tous les ans, tous les mois, tous les jours. Et il faudra bien que quelqu’un rembourse ! Et on sait très bien qui remboursera ! Ce sont les travailleurs d’aujourd’hui et de demain, les salariés, les entreprises, les indépendants, tous ceux qui paieront des impôts et des charges pendant les vingt, trente, quarante ans qui viennent ! C’est-à-dire les actifs d’aujourd’hui, et leurs enfants !
S’ils comprenaient le piège dans lequel on les a enfermés depuis 40 ans, ils manifesteraient, et spécialement les plus jeunes, contre ces gouvernants irresponsables et contre les démagogues qui plaident pour qu’on continue et qu’on creuse encore davantage le déficit !
Mesdames et Messieurs les députés, je ne vous parle pas seulement en tant qu’élus, je vous parle en tant que concitoyens, et au travers de vous qui les représentez à tous les citoyens, femmes et hommes, de notre pays, pour vous dire ceci : cette situation, c’est un piège mortel. Mortel ! Un pays ne peut pas survivre à un tel engrenage. Si personne n’alerte, si personne n’entend, nous allons nous perdre dans le surendettement et ce sont nos actifs et nos enfants qui paieront l’addition de notre désinvolture !
Je ne suis pas là et le gouvernement n’est pas là pour être dans le confort, pour être tranquille, pour échapper à des motions de censure successives, résignés à la douce lâcheté et au renoncement pour durer.
Nous sommes là pour que les Français sachent ce qu’il en est, où nous en sommes, où nous allons et où nous pouvons aller ! Et qu’ils prennent ensemble, les yeux ouverts les décisions qui rendront possible la sauvegarde de leur pays. Et ce que je dis sur les retraites, nous le retrouverons dans quelques jours dans la réflexion que nous aurons à conduire pour les finances publiques de notre pays.
Et donc je vous entends, vous dites : puisque vous refusez de revenir sur l’âge de 64 ans, de revenir à 62 ans, certains disent à 60 ans, nous vous censurerons, nous abattrons votre gouvernement, comme nous avons abattu le précédent !
Je vous réponds : c’est votre pouvoir ! Je respecte la représentation nationale, dans toutes ses compétences, je respecte nos institutions et les droits du Parlement dont le droit de censurer, encore que je pense depuis longtemps que la censure devrait s’accompagner comme chez nos voisins de l’obligation de présenter un gouvernement de remplacement, ce qu’on appelle censure positive !
Vous avez de grands droits et je les respecte, mais nous, nous avons un devoir, moi j’ai un devoir ! Celui de dire la vérité au peuple qui nous gouverne, de ne pas le tromper, de ne pas accepter son affaissement et son asservissement aux prêteurs, aux intérêts étrangers ! D’être ici, à cette tribune, et en quelque lieu que je m’exprime, son défenseur véridique, même s’il dit des choses difficiles, même s’il est par voie de conséquence impopulaire, et pas le démagogue applaudi qui conduit à l’abîme.
Vous avez le pouvoir d’abattre le gouvernement. Personne ne vous le conteste, et nous entendons tous les jours, plusieurs fois par jour la menace proférée de tout côté. Mais vous n’avez pas le pouvoir de décréter que ce qui est n’est pas, que ce qui menace, ce qui arrive par désinvolture généralisée sur la tête de nos enfants, que cette menace n’existe plus, qu’elle disparaisse, supprimée par votre censure ! Vous avez le pouvoir de renverser le gouvernement, mais ce serait, je veux le dire devant vous, plus grave après qu’avant !
Veut-on de surcroît prouver que le gouvernement est en position de fragilité ? Il n’y a aucun doute à ce sujet ! Je vous en donne acte ! C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République que le gouvernement n’a pas de majorité, pas de majorité absolue et pas davantage de majorité relative. Et tout cela, je le dis au passage pour nourrir d’autres réflexions, au scrutin majoritaire. Il n’y a rien de plus facile que de faire tomber le gouvernement ! Il suffit d’un seul vote ! Vous avez donc tous, et pas seulement un bord ou l’autre, vous avez tous le sort du gouvernement entre vos mains, mais vous n’avez pas, je vous le dis respectueusement, vous n’avez pas le pouvoir de faire trahir à ce gouvernement l’intérêt national, l’intérêt général et les Français dans leur vie, dans leur famille, dans leurs enfants.
Ce devoir-là, il est pour moi, pour nous, plus fort que toutes les menaces, parce qu’il ne s’agit pas de question pouvoir, il ne s’agit pas de question politique, il s’agit de nos raisons de servir, et au bout du compte de nos raisons de vivre. Et cela nous appartient, personnellement ! François Mitterrand le disait déjà à ceux qui, sous la menace, envisageaient le faire démissionner : « il n’y a rien d’assez puissant pour forcer la volonté d’un homme ! »
Voilà pour la situation du pays ! Et voilà pour notre détermination.
Alors quel chemin stratégique avons-nous suivi ? Cette question des retraites a été omniprésente dans le débat public, a sous-tendu tous ces affrontements depuis le printemps de l’année dernière. Elle explique en partie le résultat des élections européennes. Avec la perte de confiance qui a entraîné la dissolution et les mois de mise en cause qui ont fini par entraîner la chute du gouvernement de Michel Barnier.
Au moment de ma nomination, j’avais une indication présente à l’esprit, c’est que la quasi-totalité des acteurs de ce dossier complexe m’avaient, au long de ces mois, assuré – la plupart du temps en tête à tête – que des marges de progression existaient bel et bien.
Il se trouve que, même minoritaire, je crois profondément en la démocratie sociale, et même que je pense que l’avenir de notre pays, de notre société, serait mal pris en charge si nous continuions à tenir la démocratie sociale en lisière, comme un prétexte ou comme un luxe. Je pense que nombre des problèmes d’une société comme la nôtre ne doivent pas remonter au politique, sous peine de multiplier les sujets d’affrontements, blocs contre blocs et fronts contre fronts. Nombre de ces sujets, je le crois, peuvent se régler par le travail en commun de ceux qui, sur le terrain, connaissent la réalité de la situation, sa complexité, et savent saisir les chances que l’innovation à la base offre constamment.
Très souvent, par exemple, syndicats et représentants des entreprises, alors que nous évoquions le climat social, m’ont assuré que dans les entreprises, à la base, la plupart du temps, cela marchait très bien. Je ne crois pas que tout soit sujet d’affrontement partisan, spécifiquement lorsque les décisions à prendre sont portées par le constat de la réalité, laquelle réalité n’est pas perpétuellement idéologique.
C’est fort de cette intuition que j’ai proposé aux partenaires sociaux de se saisir du dossier des retraites dans ce qu’on a appelé le conclave, pour proposer en trois ou quatre mois des négociations qui pourraient aboutir.
Et c’est, Mesdames et Messieurs les députés, ce qu’il s’est passé. J’ai entendu bien des observateurs prononcer le mot d’échec ! je nie absolument à cette tribune que le conclave a été un échec. Même s’il est vrai que certains des participants n’ont pas osé faire le dernier pas. Comme si l’on craignait l’accusation de trahison de son camp.
En réalité, les progrès ont été déterminants. Ils ont même été beaucoup plus significatifs qu’on ne pouvait les imaginer au départ de ce processus. Ce bilan est un bilan positif et encourageant.
Je sais bien qu’il ne plaît pas à tout le monde de voir la démocrate sociale apporter des résultats. Que de nombreux courants, de nombreuses autorités qui pensent sans le dire – ou même en le disant – qu’il n’y a rien à attendre des entreprises toujours réputées égoïstes et pour d’autres qu’il n’y a rien à attendre des syndicats toujours réputés démagogues. Je crois exactement le contraire. Je pense qu’il y a dans une société comme la nôtre des marges de progressions incroyables, en tout cas remarquables à attendre pour le plus grand bien de l’esprit civique, de la prise de responsabilité conjointe des représentants des acteurs de terrain.
Je veux donc devant vous faire le bilan du conclave et présenter la stratégie du gouvernement devant cette question des retraites.
D’abord rappeler, peut-être ne l’avons-nous pas fait assez, quels étaient les espoirs et les ambitions du gouvernement pour la délégation paritaire permanente pour les retraites.
Le premier objectif, le plus important, était de garantir l’avenir de notre système de retraites par répartition en fixant comme condition le rétablissement son équilibre financier d’ici à 2030. C’était la condition préalable et la seule que j’avais fixée aux partenaires sociaux, condition qui a été acceptée par tous. Le deuxième objectif était d’augmenter autant que nous le pourrons la proportion de nos compatriotes qui choisissent de rester au travail plus longtemps. En effet, la faiblesse de l’emploi des seniors en France est, comparativement à nos voisins, un handicap majeur qui menace l’avenir de notre système de retraites. Le troisième objectif était de garantir une meilleure justice. Meilleure justice tout d’abord à l’égard des femmes, meilleure justice à l’égard de ceux qui sont contraints de travailler plus longtemps et meilleure justice à l’égard des salariés pour qui le travail pénible a des conséquences sur leur santé. Quatrième objectif, ne pas alourdir le coût du travail, car c’est du coût du travail que dépend, dans la compétition mondiale, l’avenir de nos entreprises, et c’est de la réussite de nos entreprise que dépend l’emploi. Cinquième objectif : faire que le débat sur les retraites ne soit plus une fracture politique et sociale et qu’il ne devienne pas un conflit de générations. Enfin, sixième et dernier objectif, poser la question avec les Français et devant eux de la gouvernance du système.
Sur ces objectifs, les quatre mois de travail – que tous les participants décrivent comme sérieux et respectueux – ont permis de dessiner des accords extrêmement riches. Je veux mentionner devant vous les principaux progrès.
Le premier de ces progrès est la reconnaissance du caractère vital de l‘équilibre budgétaire qui doit être trouvé avant 2030. Si cet équilibre n’est pas trouvé, on connait l’enchaînement dramatique auquel serait soumis notre système des retraites : soit une baisse des pensions, ce qui n’est pas acceptable, soit une hausse des cotisations, c’est-à-dire baisse des revenus du travail, ce qui ne l’est pas davantage.
Deuxièmement, tous les participants ont admis que la question de l’âge était dans notre système incontournable. Il suffit de rappeler que le Conseil d’orientation des retraites, le COR, a fait adopter un rapport à l’unanimité des participants pour faire le constat de l’urgence d’un rééquilibrage qui ne peut être en réalité permis que par le déplacement progressif de l’âge de départ à la retraite.
Le troisième progrès, c’est le plus important, parce qu’il touche à la première injustice, la situation faite aux femmes, dont les maternités empêchent souvent l’établissement des droits. Les femmes auront désormais, accord trouvé à l’unanimité, non plus la référence des 25 meilleures années pour l’établissement des pensions mais, si elles ont un 1 enfant les 24 meilleures années, et si elles ont eu deux enfants ou davantage, on retiendra les 23 meilleures années. Et vous irez leur dire que ça n’a aucun intérêt, que ce sont des mesurettes ! Vous êtes scandaleux à l’égard de celles qui travaillent et de celles qui ont besoin qu’on les entende pour prendre leur retraite !
Le quatrième progrès, et c’en est un particulièrement pour les femmes, c’est que l’âge de suppression de la décote sera fixé non plus à 67 ans mais à 66 ans et demi. Je sais bien que six mois dans la vie pour vous, ça n’a aucune importance. Vous êtes tous totalement en dehors de tout ça et j’affirme que si vous dites aux femmes qui travaillent que vous vous opposez à ce genre de progrès, en réalité vous travaillez contre elles parce que vous êtes indifférents à l’égard de leur vie ! Il n’y a que la politique électorale qui vous intéresse ! Ça n’est pas notre cas et nous avons l’intention d’aller plus loin !
Et j’affirme que pour les métiers usants dans le domaine de la santé, de la dépendance, du handicap, de la vieillesse, ou de la petite enfance, après des carrières hachées, ce gain de six mois est une vraie reconnaissance. En tout cas, c’est ce qu’ont pensé les organisations qui étaient autour de la table : la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC, le Medef et la CPME ! À l’unanimité, ils ont accepté ces progrès et vous qui êtes loin du travail, vous voulez nous expliquer qu’il faut les oublier ! Ce n’est pas du tout la manière que nous avons de vivre. Vous n’êtes pas sur le terrain, vous exploitez les difficultés de nos concitoyens !
Cinquième point, la question cruciale pour les organisations syndicales de la pénibilité. Vous le savez, la réforme de 2023 avait conservé six critères de pénibilité : le travail de nuit, le travail en 3x8, le travail caractérisé par la répétition à une fréquence élevée des mêmes mouvements, l’exposition aux bruits, l’exposition aux températures extrêmes et le travail en caisson hyperbare. Mais elle avait exclu trois critères, qui sont tous les trois très importants dans la vie de tous les jours au travail des femmes et des hommes. Le premier, c’est le port de charge lourdes, le deuxième, c’est l’exposition aux vibrations et le troisième, ce sont les postures pénibles. Au nombre de ces postures, je prends par exemple le travail des ATSEM, le plus souvent des femmes, ou le travail dans les crèches, ou bien le travail dans les EPHAD, avec les problèmes musculosquelettiques qui se multiplient dans l’avancée en âge.
Le conclave a décidé de réintégrer ces trois critères. Je considère que c’est un progrès déterminant.
Deuxièmement, à partir de ces trois critères, les organisations syndicales demandaient la mise en place de la cartographie de ces métiers à risques qui doivent mobiliser le plus précocement possible l’attention et la volonté de préserver la santé de ceux qui les assument. Le principe de cette cartographie a été accepté à l’unanimité.
Troisième demande, la définition des actions collectives que doit induire la reconnaissance de ces critères. La plus prioritaire de ces réponses collectives, qui a fait elle aussi l’unanimité des participants au conclave, c’est une grande politique de prévention, notamment du repérage précoce des troubles musculosquelettiques. C’est là que se trouve en vérité une vraie stratégie de lutte contre l’aggravation de ces troubles.
Et puis reste la question de la réparation, c’est-à-dire la réponse à apporter aux salariés exposés durablement à ces sources de pénibilité. Sur ce point, il est vrai, une divergence n’a pas été résolue.
Les représentants des entreprises souhaitent que la réparation soit individualisée, après visite médicale, et les représentants syndicaux souhaitent au contraire qu’elle soit l’objet d’une reconnaissance collective sans avoir besoin d’apporter de preuve supplémentaire. C’est une divergence dont je ne sous-estime pas la portée mais je crois pourtant qu’un chemin existe pour rapprocher les deux points de vue et que le gouvernement tranche de manière à réunir tous les acteurs.
Car, pendant les débats du conclave, les partenaires sociaux ont avancé sur le sujet des transitions professionnelles et de la réorientation. Ils ont par exemple récemment décidé que cet effort de réorientation commencerait par une visite médicale à 45 ans. Et si’ l’on se place dans la perspective d’une vie de travailleur, d’une vie de salarié, on peut imaginer que cette visite médicale précoce puisse être le premier pas vers une proposition de réorientation professionnelle pour tous ceux qui sont exposés à ces métiers pénibles. Le but en effet ne peut pas être de prolonger à tout prix ces salariés dans l’exposition aux risques mais de raccourcir la période pendant lesquels ils sont exposés à ces risques, de réduire ces risques et de définir avec eux, cela est valable pour le privé comme pour la fonction publique, quel métier, quelle nouvelle étape professionnelle épanouissante ils pourraient entreprendre pour que, riches de leurs expériences, ils puissent trouver d’autres exercices moins périlleux.
Impératif d’équilibre financier, acceptation lucide du cadre d’âge, abaissement de l’âge de la décote, reconnaissance de la situation des femmes ayant eu des enfants, reconnaissance des critères de pénibilité, reconnaissance de la cartographie des métiers à risques, reconnaissance des politiques de prévention et approche d’une politique de réparation, ce sont des pas en avant immenses. La volonté du gouvernement est d’inscrire dans la loi les avancées réelles qui ont été celles du conclave, que personne ne peut nier, et qui nous permet de dessiner ce que doit être une méthode d’association des Français, des entreprises, des salariés et des professionnel à la gestion de leur avenir commun. La démocratie sociale est prise en compte, la démocratie politique prend ses responsabilités et la société française, je le crois, doit en être plus responsable et plus unie.
J’ajoute que d’autres pas en avant ont été permis par ce travail sur le financement par accord des entreprises et des représentants des salariés : l’ensemble des dispositions que j’ai exposées devant vous représentent environ 1,4 milliards d’euros, un accord a été trouvé sur les deux tiers – 1 milliard – avec l’accord des délégations syndicales et d’entreprises. Reste à trouver le financement d’environ 400 millions et le gouvernement prendra ses responsabilités dans le texte qui sera présenté pour que cette question trouve une réponse sans pénaliser les uns ni les autres. Et sans augmenter le coût du travail, dont l’ alourdissement serait lourd de conséquences pour la compétitivité des entreprises dans le monde de concurrence sauvage dans lequel nous sommes, et par voie de conséquences pour l’emploi. 400 millions sur 407 milliards d’euros de pensions versées, ça fait un peu moins d’1 millième et je suis persuadé qu’on peut y arriver par des adaptations justes et légères.
Il y a une dernière question que je tiens à aborder à cette tribune, qui est pour moi la conséquence logique de la méthode d’articulation entre la démocratie sociale et la démocratie politique dont la France – j’en suis convaincu – a le plus urgent besoin et qui était que soit ouvertement posée la question de la gouvernance des régimes de base du privé. Si nous croyons à ce que nous avons dit les uns et les autres depuis des décennies, alors nous devons travailler l’idée, et pour ma part dans la responsabilité qui est la mienne je la défendrai, qui est de confier aux partenaires sociaux la gouvernance et la gestion de ce régime de base des retraites. Les partenaires sociaux ont donné, avec la gestion des complémentaires de l’Agirc-Arrco, un exemple remarquable. Ils versent 25 % des pensions des Français, le financement est assuré et les adaptions ont été faites au travers du temps, avec l’accord de toutes les sensibilités d’entreprises et syndicales, qui permettent aujourd’hui à ce régime d’être non seulement à l’équilibre mais d’avoir constitué des provisions importantes qui garantissent son avenir. Les partenaires sociaux ont fait la preuve de leur responsabilité et de leur capacité gestionnaire, en même temps que de leur sensibilité à la situation des salariés. Cette démarche doit être reconnue par tous et doit permettre de faire un pas décisif dans le sens d’un équilibre durable et d’une responsabilité sociétale cohérente avec notre modèle social français.
Ainsi, si l’on va dans ce sens, cette question des retraites que tout le monde présentait comme irrémédiablement bloquée, lorsqu’elle est prise en charge par la démocratie sociale relayée dans les derniers mètres par la démocratie politique, peut finalement constituer un exemple, un prototype d’avancée sociale dans une société de responsabilité. Tout le monde sait que les temps sont durs. Mais la preuve est apportée que nous pouvons avancer ensemble, ou plus exactement et plus profondément, que c’est parce que les temps sont durs que nous devons avancer ensemble.
Merci beaucoup.