François Bayrou : « Nous réduisons en esclavage les jeunes qui rembourseront les emprunts que nous avons décidés le cœur léger »
Ce jeudi 28 août, François Bayrou, Premier ministre, prononçait un discours lors de la Rencontre des entrepreneurs de France, organisée par le Medef.
Retrouvez sa transcription ci-dessous.
Seul le prononcé fait foi.
Monsieur le ministre d’Etat,
Mesdames et messieurs les ministres,
Monsieur le président du MEDEF,
Mesdames et messieurs les chefs d’entreprise,
Mesdames et messieurs,
Pour le jeune garçon épris de tous les sports que j’étais et que d’une certaine manière je suis encore – parce que vous le savez bien, même tout au long de la vie, l’enfance et l’adolescence, leurs rêves et leurs enthousiasmes ne s’effacent pas – pour ce jeune adolescent-là, si on lui avait annoncé qu’il se retrouverait un jour sur le central de Roland-Garros, devant un public choisi et chaleureux, ce n’est pas à la politique qu’il aurait pensé. Il aurait eu de rêves d’exploits, de raquettes et de balles, et pas vraiment d’une rentrée politique à haut risque.
Mais d’une certaine manière, ce sont des rêves semblables de défis qui paraissent hors d’atteinte, de triompher d’adversaires qui paraissent plus puissants et de mobilisation de toutes les énergies.
Mais les entrepreneurs de France et les entreprises de France, tous ceux qui les font vivre, depuis leurs créateurs, leurs dirigeants, leurs cadres et leurs salariés, tous ceux-là sont confrontés au défi même qui est celui de tous les humains depuis que l’humanité s’est formée en sociétés : comment se projeter vers l’avenir, ce qui impose de décider de vaincre l’impossible.
Se projeter vers l’avenir, c’est exactement notre défi. La situation du monde vous la connaissez, la situation de l’Europe et celle de la France également. En face de cette situation, il y a deux attitudes possibles : la déploration, ceux qui se plaignent en pensant que c’était mieux autrefois, comme disait le grand poète Horace dans la Rome antique laudator temporis acti, ceux qui chantent les louanges du bon vieux temps ; et ceux qui comprennent qu’un nouveau monde est en gestation et que c’est ce nouveau monde dans lequel nous devrons trouver les chances qui jusque-là nous paraissaient interdites.
Cette projection vers l’avenir non seulement n’empêche pas la lucidité mais la requiert, tant sont impressionnants les défis qui sont devant nous et qui vont nous obliger à changer d’attitude, à délaisser les réflexes prêts à l’emploi et à inventer au contraire la carte et la boussole de notre avenir.
Je veux dire cela devant vous monsieur le Président Patrick Martin et devant toute votre équipe, avec qui nous avons souvent échangé depuis que je suis entré en fonction. J’ai apprécié que nous partagions à chaque instant cette conviction. Même si, nous n’avons pas toujours eu les mêmes points de vue, notamment sur le « conclave » comme on a dit, où, je le crois, nous avons été si près d’aboutir. Même à ce moment difficile, j’ai apprécié que vous considériez que le dialogue ne devait jamais être rompu et j’ai apprécié la communauté d’engagement avec toutes les entreprises et tous les entrepreneurs français dont vous n’avez jamais cessé de faire vos repères, tout au long de nos multiples rencontres.
Vous connaissez ma conviction, peu partagée dans le monde politique français mais qui est pour moi chevillée à l’âme : il n’y aura d’avenir pour notre démocratie que si la démocratie sociale s’affirme dans le même mouvement de responsabilité que la démocratie politique.
Le monde dans lequel nous essayons de tracer un chemin, cette jungle constamment renouvelée, ne peut pas être dirigé par un poste de commandes unique qui serait la responsabilité politique. La réalité est tellement diverse, tellement foisonnante, à chaque instant tellement nouvelle qu’il faut plusieurs centres de responsabilité qui dialoguent entre eux, qui s’estiment et se respectent pour que le juste chemin se trouve tracé.
Je prends, et le Gouvernement prend la démocratie sociale non seulement au sérieux mais nous la considérons indispensable à l’équilibre qui est la condition de notre avenir.J’entends bien que ce n’est pas un chemin pavé de roses mais peut-être m’accorderez-vous que la démocratie politique non plus n’est ni facile, ni évidente, ni bienveillante, ni attendrissante. Et si quelques-uns d’entre vous en doutent, demandez au Premier ministre, je suis sûr qu’il aura en ces jours quelques éléments à vous apporter.
Mais le dialogue n’est pas seulement entre la démocratie sociale et la démocratie politique. Ces deux univers sont deux univers représentatifs. Tous les deux apportent et recherchent entre la réalité souvent brutale de la vie des médiations. Dans l’Antiquité, et notamment dans la Grèce ancienne, c’était le rôle qui était dévolu au théâtre. On disait que la fonction du théâtre antique, c’était la catharsis, c’est-à-dire la purgation des passions.
Nous vivons dans un univers de plus en plus violent et cette violence est même désormais instituée en principe d’organisation par les grandes puissances de ce monde, par les Empires chinois, américain, qui ont proclamé la fin d’un monde où la force était celle de la loi pour entrer dans un monde où la loi est celle de la force. Chacun à sa manière. Moscou par l’attaque insupportable contre l’héroïque Ukraine, mobilisation de la puissance de toutes les armes y compris contre les populations civiles – encore 14 Morts cette nuit à Kiev.
Pékin, avec une stratégie construite et redoutable dans le domaine technologique, industriel, commercial et des matières premières rares – une stratégie de domination pour faire pendant à la fragilité démographique qui peut frapper même un Etat de plus d’un milliard 300 millions d’habitants. Et les Etats-Unis dont nul n’imaginait qu’ils pourraient ouvertement, sans plus aucune précaution de langage, affirmer la volonté de domination y compris face à ses plus proches et plus anciens alliés que nous Européens avions été sans faille. Le plus récent épisode de cette volonté de domination par l’instauration de droits de douanes unilatéraux a montré au monde et hélas à nous-mêmes où était la puissance et où était l’hésitation et au bout du compte l’acceptation.
On peut étaler à l’envi les raisonnements économiques pour expliquer que le résultat de cette négociation à mes yeux humiliantes c’était mieux que si c’était pire. Il demeure que l’un a dicté sa loi et que l’autre l’a acceptée et que tel est aujourd’hui l’état du monde dans lequel nous avons à choisir un chemin.
J’ai beaucoup aimé, et ce n’est pas la première fois, le discours que Mario Draghi a tenu à Rimini à la fin de la semaine dernière. Et notamment sa phrase centrale : cet été s’est évaporé le rêve ou l’illusion d’une Europe qui compte dans le monde. Mesdames et messieurs, le chemin dans lequel nous sommes engagés et que seul le Président de la République française a essayé de détourner pour passer de la faiblesse à la volonté de l’Union européenne, ce chemin-là nous pose une question existentielle qui est l’éternelle question de la vie des hommes, celle que Shakespeare a dépouillée jusqu’à l’essentiel : to be or not to be, être ou ne pas être.
Elle se traduit simplement aujourd’hui : si l’Europe continue à choisir de ne pas exister, ou de n’exister que partiellement ou de n’exister que vélléitairement, de ne pas se battre ou de ne se battre que pour faire semblant et une fois que la défaite est actée de se féliciter parce qu’elle aurait pu être pire, alors cela emportera l’affaiblissement de chacune des parties, c’est-à-dire nos Etat et nos peuples.
Et puisque j’évoquais le témoignage de Mario Draghi, cette question de la volonté comme la condition de l’existence, c’est la même que celle qui a été traitée dans le rapport Draghi, préparer l’avenir impose des efforts de dimension conséquente, coordonnée, qui touche aussi bien aux règles que nous imposerons à nos partenaires et à nos concurrents de respecter comme nous les respectons nous-mêmes, que dans la dimension des investissements nécessaires pour préparer l’avenir, innover, et stimuler la productivité.
Et cela impose aussi une certaine idée de la France. Notre Nation à vocation universelle parce que universaliste ; notre Nation moyenne par le nombre mais par la vocation au premier rang des nations du monde, insérée dans la communauté de civilisation que l’histoire et la culture ont construite en Europe et dont nous sommes comptables aujourd’hui et responsables pour demain.
Cela entraine deux impératifs : le premier de ces impératifs est de mesurer nos atouts, nos forces, à nuls autres pareils.
Il n’y a pas d’autre puissance moyenne par le nombre qui comme nous, et il faut d’abord en rendre grâce au Général de Gaulle, ait été capable de construire une capacité scientifique, des stratégies technologiques, des démarches industrielles telles que nous existons au premier rang dans l’univers du spatial, en produisant des lanceurs et des satellites qui se déploient sur la planète ; dans l’univers de l’aviation, avec les meilleurs avions du monde ; dans l’univers civil et dans l’univers de la défense, avec les meilleurs hélicoptères du monde et des sous-marins nucléaires, je le dis avec fierté, avec la fierté régionale que je n’abdique pas ; dans le transport avec de très bonnes automobiles même si le cap des mutations est difficile à passer notamment en raison des concurrences abusives ; une présence reconnue sur toute la planète dans le domaine des mathématiques, de l’Intelligence artificielle, de la physique, de la chimie, de la pharmacie, de la génétique, de l’agronomie, de l’algorithmique, de la robotique. Et ce déploiement au sommet de la pyramide de l’œuvre humaine, ce ne sont pas des réussites du passé, ce sont des réussites actuelles et qui ont tout pour se déployer dans l’avenir.
Il n’est pas de Nation de taille comparable qui puisse revendiquer des réussites aussi impressionnantes. Et ces dernières années, depuis 2017, grâce à l’obstination du Président de la République, grâce à une politique appuyée sur des évènements comme Choose France et des actions puissantes comme France 2030, ces aptitudes se sont encore développées.
Hélas cette médaille qui devrait être brillante a son revers. Et ce revers se traduit dans les chiffres du commerce extérieur. Je me souviens d’avoir été invité par le MEDEF alors que j’étais commissaire au plan pour analyser avec vous ce que nous dit le bilan « produit par produit » du commerce extérieur. Nous sommes les plus forts dans ce qui est le plus difficile et nous sommes dépassés dans ce qui devrait être le plus accessible, si nous avions une volonté coordonnée. C’est le cas dans le domaine des équipements de la maison, de l’électroménager, le machinisme, les produits transformés… Et j’affirme devant vous que dans ces domaines le ressaisissement est possible.
Disons la vérité : personne ne le croit, parce que nous continuons à raisonner comme nous étions obligés de le faire dans le vieux monde, celui qui est en train d’être submergé par la vague des révolutions technologiques. Il y a quelques années, la variable essentielle pour les entreprises industrielles c’était le coût du travail.
Tous nous convenions, même à notre corps défendant, de mauvais gré plutôt que de bon gré, mais nous étions bien obligés d’en venir à cette conclusion, qu’avec un coût du travail 8 ou 10 fois moins cher en Extrême-Orient qu’il ne l’était chez nous, les délocalisations lointaines ou un peu plus proches étaient devenues inéluctables. Cette variable déterminante ne s’est pas effacée, elle n’a pas disparu bien sûr, mais elle est en train en partie de s’effacer, dans tous les domaines de l’activité de production.
L’algorithmique, les capacités de calcul infiniment multipliées par l’avènement du quantique, l’automatisation et la robotique font que nous pouvons entrer de plain-pied, en vertu de nos capacités scientifiques et technologiques dans la nouvelle ère qui s’avance. Si c’est bien l’algorithmique et la robotique qui deviennent le principe d’organisation de la nouvelle ère industrielle, alors nous ne sommes pas dominés par d’autres continents. Le travail jamais interrompu des unités robotiques et des imprimantes 3D n’est pas plus cher chez nous qu’il ne l’est sous des latitudes éloignées. Probablement même la proximité, la capacité de surveillance, la communauté de langue deviennent-ils des aouts par rapport aux habitudes travail des capacités de production délocalisées.
Dans l’ancien état du monde, nous avions perdu la bataille industrielle ; dans le nouvel état du monde nous avons tout ce qu’il faut pour la gagner.
Cela nécessitera bien des conditions. Je voudrais en énoncer devant vous quelques-unes.
La première de ces conditions c’est l’édification d’une stratégie nationale de reconquête productive et commerciale. Dans plusieurs rapports au commissariat au plan, j’ai préconisé que l’on bâtisse hardiment une stratégie de filière partant de l’analyse méticuleuse, produit par produit, de nos déficits dans les domaines où nous pourrions déployer nos aptitudes. Cela impose que soient réunis autour de la table, dans un travail assidu, les pouvoirs publics (Etat et collectivités locales), les grandes entreprises qui ont conquis une connaissance de la production et des marchés, et les innovateurs ou les candidats à l’innovation. Les pouvoirs publics peuvent fédérer et organiser, les grandes entreprises peuvent partager leur expérience par exemple au plan de la commercialisation, et les innovateurs peuvent ouvrir des portes que l’on croyait jusque-là fermées.
Je voudrais insister sur ceci : nous sommes devant un grand effort national qui impose que l’on considère qu’au-dessus des intérêts particuliers, au-dessus même de l‘intérêt social de l’entreprise, il existe un intérêt national auquel chacun peut participer de l’endroit où il se trouve avec sa capacité. Cette entreprise de reconquête exige le dépassement et la mise en commun de capacités dont ni les pouvoirs publics seuls, ni les entreprises seules, ni les innovateurs seuls ne peuvent assurer la matérialisation. Cette fertilisation croisée, comme on dit en génétique, cette fertilisation est la condition même de la reconquête du génie français.
J’introduis une question au passage : est-ce-que ce génie français est contrarié par l’impératif européen. Je crois le contraire. Là encore il y a fertilisation croisée. Ça n’est pas parce qu’on bâtit une communauté qu’on renonce à son identité. C’est vrai pour nos cultures et c’est vrai en Europe pour la France. Il ne s’agit pas, comme aurait dit le Général al de Gaulle, que les Allemands soient moins allemands, les Italiens moins italiens, les Français moins français … pour construire l’Europe. C’est tout le contraire : il faut que chacun soit-lui-même et qu’il assure le rayonnement que l’histoire et la culture ont offert aux peuples.
Deuxième condition : il faut que chacun d’entre nous dans ses fonctions, dans ses responsabilités et dans son aventure personnelle, soit le garant de la cohésion de notre société et de la Nation. Cette idée de cohésion s’est effacée, elle est aujourd’hui presque ruinée par la violence des conflits, par ceux qui refusent toute autre perspective que l’affrontement intérieur, la guerre des uns contre les autres, la guerre des classes et des castes, la volonté de transformer toute tension en affrontement, et tout affrontement en guerre civile. Ce dévoiement de la juste défense des intérêts des uns et des autres est une menace mortelle pour la Nation.
La décision que j’ai prise, et sur laquelle je reviendrai dans une minute, d’enger la responsabilité du Gouvernement pour partager le constat de la situation de notre pays, est une réponse à l’ère des mises en accusation, des injures, des blocages, dont notre pays pas plus aujourd’hui qu’à aucune autre époque de son existence ne se relèverait. Le Gouvernement quel qu’il soit et de quelque orientation qu’il soit, s’il n’est pas défenseur de l’unité nationale, de la cohésion et de la compréhension mutuelle, trahit sa mission.
Et c’est la même chose dans l’univers des rapports sociaux. Dans la conception qui est la mienne et je suis sûr de beaucoup d’entre vous, l’entreprise n’est pas responsable que l’intérêt de l’entreprise, elle est responsable de la cohésion du pays autour de la solidarité du pays avec ses entreprises. Les organisations syndicales ne sont pas responsables que de l’intérêt de leurs adhérents, des salariés ou des cadres, les organisations syndicales sont responsables de la solidarité du pays avec les travailleurs. L’administration n’est pas responsable que du contrôle et du respect des normes et de la sévérité des sanctions ; l’administration est responsable de la reconnaissance que le pays doit construire autour de ceux qui font respecter ses règles et sa loi.
Cette conception de la cohésion et de la coresponsabilité de chacun d’entre nous dans ce que nous devons à la Nation qui nous a fait ses héritiers, qui nous a formés, qui nous a confié la responsabilité de son destin où que nous soyons, cette conception partage en réalité en deux les acteurs de l’histoire : ceux qui veulent qu’on avance ensemble et ceux qui veulent que la société soit un champ clos où nous nous affrontons.
Peut-être y a-t-il eu des époques dans lesquelles, chaque pays vivant enfermer dans ses propres frontières, on pouvait considérer que la logique de l‘histoire était la lutte des uns contre les autres. Mais nous savons que la France a failli mourir dans des guerres de religion, qu’elle a failli mourir dans la Terreur révolutionnaire. En tout état de cause, aujourd’hui, l’idée d’un pays fermé sur lui-même dans lequel on s’affronterait pour savoir qui va dominer les autres, cette idée n’est plus viable.
Car nous sommes dans un monde ouvert et que nos divisions internes nourrissent notre faiblesse et notre faiblesse nous met à terre dans la compétition internationale. La question ce n’est pas de savoir qui va gouverner le bateau et qu’importe ce qu’on jette à l’eau. La question est de savoir si le bateau va pouvoir affronter la haute mer, arriver à bon port. Et nous sommes tous sur le bateau.
Troisième condition : la question des investissements. Il n’y a pas d’aventure industrielle imaginable sans accès à l’investissement. C’’est vrai dans tous les secteurs.
J’ai en particulier à l’esprit le secteur du logement. Je sais qu’il y a des approches différentes mais dans la crise du logement que nous vivons aujourd’hui la question de l’incitation à l’investissement est une grande question.
C’est pourquoi j’ai inscrit dans mon discours politique générale le sujet de l’investissement privé, le statut du bailleur privé, que nous devons définir pour réorienter ou pour apporter une sève nouvelle à un secteur crucial aujourd’hui en difficulté.
Quatrièmement, et nous abordons ici le sujet même du moment de vérité que j’ai voulu clarifier avec l’ensemble des Français et leurs représentants parlementaires, nous vivons un moment critique de notre histoire nationale. Et tous les atouts que j’ai décrits, auxquels il faut ajouter la chance de l’histoire dont nous sommes les héritiers, les paysages, la richesse culturelle du pays, tous ces atouts sont menacés. Et chaque entreprise comme chaque famille se trouve menacée par la dérive de nos comptes publics. Je n’ai pas besoin d’insister auprès de vous sur la menace d’asphyxie que nous subissons : 3 350 milliards d’euros de dette accumulés sur les 50 dernières années. Ces 3 350 milliards d’euros de dette nous obligent à mobiliser des sommes colossales et toujours plus importantes pour faire face à nos annuités. Nous étions au début des années 2020 à quelque 30 mds de charge de la dette, nous sommes passés à 40 puis 50 milliards, l’année dernière en 2024 c’était 60 milliards, cette année ce sera 67 milliards, en 2026 75 milliards, et la Cour des Comptes nous dit que si nous ne faisons rien nous dépasserons de loin les 100 milliards de charge de la dette en 2029.
Il y a un autre chiffre très simple pour comprendre ce qui se passe : la France à son rythme de croissance actuelle crée chaque année 50 milliards de richesse supplémentaire. Vous produisez 3 000 milliards, nous produirons l’année suivante 3 050 milliards. Sur ces 50 milliards, la moitié à peu près sont captés par la dépenses publique et par les prélèvements, et sur les 25 qui restent 10 sont consacrées à la charge de la dette. 10 milliards ! Qu’est-ce-qui reste pour la vie du pays ?
Il y a des gens qui nous disent : « ce n’est pas grave, vous exagérez. Cette dette on ne la remboursera jamais. Tout va très bien, Madame la Marquise. Ceux-là se trompent, et en réalité ils nous trompent. Il suffit de regarder l’exemple de tous les pays qui nous entourent, l’Espagne, le Portugal l’Italie, sans aller même jusqu’à la Grèce, qui ont été obligés dans les années 2010 à consentir des sacrifices sans précédent pour redresser leurs comptes publics. Et il faut des années pour s’en relever. Les premiers de ces sacrifices sont très simples pour nos concitoyens : on commence par couper dans les retraites, on coupe dans les salaires de la Fonction publique, on augmente les impôts de 4 ou 5 points de TVA …
Et qui paie tout cela ? Ce sont les plus faibles. Ce sont les plus fragiles, ce sont les jeunes femmes qui élèvent des enfants toutes seules, ce sont ceux qui ont des salaires moyens et plus encore ceux qui sont dans la précarité. Tous ceux qui n’ont pas voix au chapitre et qu’on condamne parce qu’on refuse d’ouvrir les yeux.
Une deuxième catégorie de population est victime et c’est insupportable si on y réfléchit : ce sont les plus jeunes. Vous voulez la vérité : nous sommes en train de les réduire en esclavage en les obligeant pour des décennies à rembourser les emprunts que nous avons décidés le cœur léger.
Mais il y a plus vicieux encore que cet héritage de dette que nous allons leur laisser, il y a plus obscène : un certain nombre de ceux qui sont les responsables par leur génération de cette situation ont réussi à convaincre les plus jeunes qu’il fallait qu’ils manifestent pour demander encore plus de dette. Ça me rappelle 1984, d’Orwell : la liberté c’est l’esclavage. Et cette guerre de générations menée par les plus âgés contre les plus jeunes est un des stigmates les plus révélateurs de la désinvolture de notre époque à l’égard des responsabilités qui sont les siennes.
Voilà la question j’ai décidé d’affronter depuis les premiers jours en parlant d’« Himalaya de difficultés », avec une conviction que je vérifie tous les jours : si nous choisissons le redressement il faut que nous consentions comme peuple à des efforts importants mais supportables de freinage de nos dépenses. Ce n’est pas l’austérité, c’est un freinage pour que le pays se ressaisisse.
Et après encore trois années supplémentaires, si nous sommes sérieux nous en reviendrons à l’équilibre de la dette, c’est-à-dire qu’elle ne grossira plus chaque année.
Voilà le plan. Et voilà ce qui justifie les 44 milliards de maitrise que j’ai proposés et qui sont l’étape nécessaire sur le chemin du rééquilibrage.
Nous avons indiqué précisément les propositions qu’on pouvait faire pour arriver à cet équilibre. Ces propositions peuvent toutes être discutées, elles sont toutes amendables à condition qu’elles ne remettent pas en cause le résultat de l’effort nécessaire.
Mais ma conviction, ma certitude, c’est que cette volonté ne peut pas exister sans prise de conscience des Français. On l’a bien vu depuis des semaines : au lieu de prendre en considération la nécessité de l’effort, les débats se sont concentrés sur les mesures, par exemple les jours fériés que j’ai proposé de transformer pour deux d’entre eux en journées d’activité pour le pays. Pour vous donner la mesure de ce débat, sur les 44 milliards nécessaires, les jours fériés c’est un peu plus de 4 milliards. Si quelqu’un pense qu’on peut chercher d’autres jours fériés, d’autres moyens, je suis ouvert à la discussion, mais je suis de ceux qui pensent qu’on n’exagère pas en estimant que le mois de mai, où l’on vole de point en pont, est le mois le moins travaillé de l’année.
Une politique nécessaire, urgente ne peut pas se mettre en place si les Français n’en partagent pas la nécessité. Sans ça c’est l’épreuve de force, avec la stigmatisation, la mise en accusation des responsables accusés de défendre des intérêts particuliers, par exemple ceux du patronat ou des riches. Alors qu’il s’agit de la sauvegarde du pays, alors qu’il s’agit purement, simplement et élémentairement de la sauvegarde du pays.
Je n’accepte pas que cette sauvegarde soit transformée en guerre du haut contre le bas, des pouvoirs contre les Français. Et c’est cet impératif de prise de conscience qui fait que la cohésion du pays permet seul l’effort partagé qui m’a conduit à la décision que vous savez et qui sera tranchée le 8 septembre.
J’ai dit effort partagé, et cohésion du pays : il n y’aura cohésion autour de l’effort que s’il y a justice. Permettez-moi d’illustrer devant vous deux chapitres de cette justice. Un débat s’est développé autour d’un rapport du Sénat sur les aides publiques aux entreprises. J’entends bien que ce rapport du Sénat a additionné des réalités complètement hétérogènes entre elles, des allègements de charges qui ne sont pas seulement au bénéfice des entreprises mais d’abord au bénéfice des salariés qui autrement n’auraient pas trouvé d’engagement professionnel, des crédits d’impôt, comme le crédit impôt recherche, et des prêts de toutes natures.
Donc le chiffre de 211 milliards est largement sujet à débat. Mettons qu’il reste une centaine de milliards qui soient des aides directes ou indirectes aux entreprises, je pense que nous devons à l’égard des entreprises comme à l’égard de toutes les catégories de Français réfléchir à un nouvel équilibre. J’ai proposé – et j’ai été heureux de lire que Patrick Martin était en accord avec cette démarche – qu’on recherche des allègements de ces contributions compensées par des allégements des obligations paralysantes qui vous sont imposées. Simplification, allègements de normes et qu’on se mette tous ensemble à préciser toutes ces décisions que j’ai proposé de trancher par ordonnance pour que le débat ne s’enlise pas.
Le deuxième impératif de justice est qu’il faut que nous garantissions aux Français que les plus aisés dans la société, les plus favorisés, dont beaucoup ont construit pierre à pierre leur situation je le sais bien, vont participer à la juste mesure de leurs capacités à l’effort national. J’ai proposé que ce soit avec les commission parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat que nous précisions cet effort dont je veux simplement affirmer qu’il ne devra pas toucher l’outil de travail. Nous devons considérer l’investissement productif comme un trésor national. Tout ce qui amoindrit le redressement productif détourne notre pays, tout ce qui pousserait au déplacement des investisseurs nous devons le considérer comme un risque. Mais nous devons aussi considérer comme un risque un certain nombre de dispositifs d’évasion fiscale, d’optimisation multipliée. Je le dis devant vous : dans le budget qui sera examiné cet automne la justice est la condition même de son acceptation et de son soutien non pas par les parlementaires mais par les Français.