📻 François Bayrou, invité de Fréquence Protestante

François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de David Schwaeger sur  Fréquence Protestante, ce mercredi 14 octobre à 12h05.

Bonjour, je suis heureux de vous retrouver avec un invité de prestige car nous recevons François Bayrou, le Haut-commissaire au Plan et à la prospective.

Bonjour.

On ne vous présente presque plus : vous êtes une des figures majeures de la vie politique française, ministre de l'Éducation sous trois gouvernements de droite de 93 à 97 : Balladur et Juppé 1 et Juppé 2.

Vous êtes député des Pyrénées-Atlantiques de 1986 à 2012, président du Conseil général de ce même département de 1992 à 2001, député européen de 1999 à 2002, maire de Pau pour votre élection en 2014, éphémère ministre de la Justice du premier gouvernement d'Édouard Philippe en 2017 et, depuis le 3 septembre 2020, Haut-Commissaire au Plan et à la Prospective afin, comme le dit votre lettre de mission signée par le chef de l'État, d'éclairer les choix collectifs que la nation aura à prendre pour maintenir ou reconstruire sa souveraineté.

À la suite de tout le parcours qui est le vôtre, comment avez-vous accueilli cette nomination ?

Quelle place prend cette nomination dans votre parcours, François Bayrou ?

J'ai beaucoup milité pendant des années et des années pour que cette mission du Plan, cette responsabilité du Plan soit refondée. Vous savez que le Plan a été une des grandes institutions françaises après la guerre, lorsque le pays était dans la situation tragique, que souvent provoquent les guerres et les après-guerres.

C'est le Général de Gaulle qui a inventé cette mission, qui l'a confiée à Jean Monnet. C'est dire à quel point c'était important pour eux et pour le pays. Le Plan a joué un très grand rôle et j'ai été frappé depuis des années, j’ai, vous le savez, souvent écrit là-dessus et fait de ce sujet un des thèmes des campagnes présidentielles que j'ai menées, c'est frappant de voir à quel point notre pays, depuis des années et des années, s'est laissé entraîner à ne gouverner que dans le court terme.

Depuis peut-être 20 ans, je ne fixe pas de date précise, mais vous voyez bien que la période précédente est une période dans laquelle c'est l'urgence, le scandale, les événements, les irruptions des réseaux sociaux, les télévisions en continu qui, pendant 24 heures, répètent à satiété la même information. C'est tout cela qui fait le cadre des décisions des exécutifs.

Je militais pour cela, pas du tout en pensant que cela me serait confié, car j'avais à l'époque évidemment d'autres visions, mais j'ai été très heureux qu'au cours de la pandémie du printemps, parce qu’il y en aura peut-être une de nouveau à l'automne, le Président de la République dise au fond : "on va faire cela", et me le confier.

C'est une responsabilité très lourde, car plus que jamais dans notre histoire, nous sommes devant l'incertain, devant l'incertitude, devant l'interrogation, devant le brouillard diraient certains. C'est justement là qu'il est intéressant d'essayer de discerner ce qui se manifeste à l'horizon ou ce qui se devine à l'horizon et de réfléchir à la manière dont nous pourrions, nous France et nous Europe, apporter des réponses à ces questions.

Le Plan, il a existé déjà en France de 1946 comme vous le disiez - c'est Jean Monnet le premier Haut-commissaire au Plan - à 2006.

C'est devenu ensuite un organe d'analyse stratégique, c'est devenu le Centre d'analyse stratégique puis France Stratégie et il a été recréé spécialement pour vous.

Que répondez-vous à ceux qui trouvent la planification un peu désuète aujourd'hui ?

Je suis frappé de voir que, chaque fois que l'on constate un échec, pas tant parce que la prévision de l'avenir, on va en citer des exemples, cela a été depuis 20 ans un échec patent. On a laissé par exemple la France se désindustrialiser. Pourquoi ? Parce que, en effet, les mêmes qui pensent que c'est désuet, imaginaient et défendaient à l'époque l’idée que le marché et les décisions internes des entreprises suffisaient à ce que les décisions aillent dans le bon sens.

Vous savez : « la main invisible du marché » dit une phrase très célèbre chez les économistes.

Mais, je ne dis pas que le marché, ce ne soit pas utile, ni même le cadre normal des échanges marchands. Le marché, c'est le marché, mais un pays, une nation surtout une nation aussi soucieuse de son destin que la nation française, forgée au cours de l'histoire autour d'une philosophie unique au monde ou en tout cas affirmée sous cette forme unique au monde, une nation comme cela ne peut pas abandonner son destin à des décisions qui lui échappent, qui lui sont totalement extérieures. Elle a besoin de réfléchir à une stratégie pour elle en tant que nation, pas en tant qu’économie, avec des entreprises qui prennent les décisions.

Je comprends très bien, quand une entreprise décide de délocaliser, elle le fait parce qu'elle pense que du point de vue de ses profits, de ses retours sur investissements, elle va faire mieux en délocalisant qu'elle ne le ferait en maintenant une production locale.

Pour l'entreprise, cela se comprend. Pour la Nation c'est tout à fait autre chose car vous avez une perte de substance.

Quand une production s'en va, tout s'en va, c'est-à-dire les usines bien sûr, les emplois bien sûr, mais la recherche autour du produit, l'amélioration du produit et le savoir-faire de vos équipes. Et donc il y a là une réflexion qui devrait être une réflexion d'intérêt général.

Je vais prendre un exemple pour illustrer ce que je veux dire, un exemple issu de l'expérience de maire qui est la mienne. Quand vous avez un bâtiment à construire, vous avez le choix entre deux manières de diriger la construction : ou bien vous la sous-traitez à une entreprise extérieure dont c'est le métier, avec des planificateurs qui surveillent les chantiers, ou bien vous le faites avec vos équipes et, moi, la plupart du temps, je choisis de le faire avec nos équipes internes à la mairie.

Pourquoi ? D'abord je pense que cela ne coûte pas plus cher et que, même assez souvent, cela coûte moins cher, mais ce n'est pas cela la question principale. La question principale, c'est que lorsque vous habituez vos équipes à conduire une tâche, en même temps vous leur donnez l'expérience de ce chantier et vous les faites monter en compétences, vous leur donnez l'expérience, la connaissance, le savoir-faire qui pourront servir à d'autres chantiers.

C'est la même chose pour un pays. On peut avoir le même produit, mais ce n'est pas la même chose pour la nation si, surtout sur des produits stratégiques, on a une démarche, comme le Président de la République le dit dans sa lettre de mission, de souveraineté.

Rentrons un peu plus avant dans ce que va être votre place.

Vous dites que, dans le cadre de cette mission votre interlocuteur premier - c'est dans Le Monde du 13 septembre -, ce sera le chef de l'État mais pour nos auditeurs pouvez-vous préciser quelle place stratégique vous allez exactement occuper dans l'appareil d'état, sous la tutelle de qui et, dans le fond, à partir de cette place, avez-vous l'impression que vous aurez réellement un impact, une écoute pour changer la politique de la France de demain ?

On verra parce que, comme vous le savez, ce n'est pas les galons qui font l'autorité, c'est autre chose, c'est parfois l'autorité qui donne son sens aux galons, mais ce n'est pas la même chose et, de surcroît, je ne cherche pas à avoir du pouvoir et Jean Monnet disait déjà la même chose.

Ce qui est nécessaire, c'est l'influence, c'est-à-dire la possibilité de peser sur les décisions qui vont être prises et sur le débat public. C'est cette influence qui, me semble-t-il, est la clef de cette mission, si on la réussit.

Si on ne la réussit pas, alors la France continuera comme elle fait depuis 20 ans à décider pour les 30 jours qui viennent et pas pour les 30 ans qui viennent.

Vous êtes techniquement sous la tutelle de quel ministère ?

Je ne suis pas sous tutelle.

C'est dit !

Entrons encore plus dans le vif du sujet, c'est passé assez discrètement dans le fil de notre actualité, vous avez déjà délivré votre discours programme devant le CESE le 22 septembre. Vous y pointez quelques-unes des 25 questions stratégiques pour la France qui vont décider de ce que sera notre pays dans 20 ou 30 ans. Pouvez-vous nous en citer quelques-unes ?

Questions stratégiques, d'abord nous sommes devant une question stratégique qui est l'épidémie et l'interrogation que l'on va devoir prendre à bras-le-corps et que je vais peut-être essayer de devancer qui est : comment allons-nous vivre si l'épidémie dure ? Quelles sont les conséquences, et à mon sens elles sont immenses car je pense que cet accident, cet épisode, cet événement, cette catastrophe à certains égards a plusieurs caractéristiques.

La première, c'est qu'elle est planétaire. La deuxième, c'est qu'il n'y a pas de responsable et la troisième, c'est que cela change nos façons de vivre, nos habitudes, nos mœurs, nos coutumes. Et, d'une certaine manière, cela a des conséquences pas seulement économiques, pas seulement sociologiques, mais anthropologiques, qui touchent à notre manière d'être homme, d'être humain et d'avoir des relations entre nous, car une société dans laquelle on ne s'embrasse plus, on ne se serre plus la main, on ne se touche plus, on ne se visite plus et on ne voyage plus, c'est à peu près exactement le bouleversement de la société que nous avions formée en occident, tout l'occident.

Deuxièmement, c'est le contraire du modèle universel que nous avions bâti, parce que le modèle universel depuis 200 ans est fondé sur l'augmentation croissante des échanges, échanges de personnes, échanges de biens, échanges de produits, échanges de productions. C'était le modèle de la planète.

Ce modèle est ruiné. On disait assez souvent : un grain de sable peut arrêter la machine. Ici, ce n'est pas un grain de sable, c'est 1 million de fois plus petit qu'un grain de sable, un virus, c'est un ordre de grandeur assez juste, je ne cite pas le chiffre au hasard, et qui paralyse la planète et qui bouleverse et qui nous met devant des questions absolument centrales pour notre société et peut-être pour quelque chose de plus intime qui est nous-mêmes, nos relations.

Vous voyez à quel point ce tremblement de terre peut être suivi de tsunamis considérables, ce que je crains. Alors, j'espère, que ce soit bien clair, entendons-nous bien, que, oui, on va trouver un vaccin très vite, oui on va trouver des médicaments très vite. Je le dis, mais notre devoir à tous et singulièrement le mien, c'est de se poser la question de ce qui se passe si l'on n'y arrive pas, car c'est très long de trouver un vaccin. Il y a bien des virus à propos desquels on cherche des vaccins depuis des décennies et que l'on n'a pas trouvés.

J'ai envie d'aller plus loin dans cette question du Covid-19. La crise du Covid-19, ce sont des milliers de morts, c'est la tragédie des EHPAD, c'est le chômage, ce sont les bars qui ferment.

N’est-ce quand même pas dû au fait que pendant trois Présidences de la République successives, des milliers de lits ont été supprimés. Je vous donne un chiffre : 69 000 lits en 15 ans selon le Quotidien du médecin qui est quand même un quotidien de référence. C'est le recul de la France au classement de l'OMS qui était première aux alentours des années 2000, c'est un recul selon certains classements elle est seizième, selon d'autres classements elle est derrière la trentième place.

Est-ce que, dans le fond, il n'y a pas, là, concrètement quelque chose à faire ?

Que cette crise soit révélatrice de nos faiblesses, je n'ai aucun doute sur ce point et je ne vais pas en faire des tirades et des dissertations parce que j'ai passé les 20 dernières années de ma vie à pointer ces difficultés, ces faiblesses, ces affaiblissements. Vous vous souviendrez que j'ai fait la dernière campagne que j'ai livrée devant les Français sur le thème : produire en France, produire en Europe qui, à l'époque, paraissait comme vous dites complètement désuet.

Vous vous souvenez, il y avait même des personnalités économiques majeures qui disaient : ce qu'il faut maintenant, ce sont des entreprises sans usines et donc au fond, selon un modèle qui est le modèle anglo-saxon ; ce qui compte, c'est le commerce.

Or je prétends que le commerce n'apporte pas une compétence particulière et, ce qu'il faut, c'est faire monter la société en compétence.

Qu'il y ait eu des faiblesses, je n'ai aucun doute. Si on me dit qu’en France on est mal soigné, on a beau m'opposer des statistiques, je ne le croirai pas, ce n'est pas vrai. On est soigné très bien et gratuitement.

Si cette épidémie a autant causé de dégâts, c'est parce qu'on manquait de lits en réanimation.

Je ne crois pas cela. D'abord vous dites : « autant causé de dégâts », je sais très bien, il faut ouvrir la question de savoir pourquoi on a des statistiques en France qui sont très différentes de l'Allemagne par exemple et quand on approfondit un peu, on s'aperçoit que ces statistiques ne sont pas si différentes selon les régions françaises.

Par exemple, tout l'Ouest de la France a des statistiques aussi bonnes voire meilleures que l'Allemagne. Ce qui s'est passé, il y a un phénomène accidentel, c'est que l'épidémie s'est répandue d'abord dans le Grand Est, un accident sanitaire et, ensuite, les très grandes unités urbaines, les métropoles, la métropole de l'Île-de-France, l'immense métropole, les 12 millions d'habitants de l'Île-de-France ont été en effet un foyer de dissémination de la maladie. Il faut se demander pourquoi et c'est très intéressant de se le demander, mais je ne crois pas que l'on soit plus mal soigné en France qu'on ne l'est ailleurs.

Si vous regardez l'Italie, l'épidémie s'est répandue dans la région la plus avancée en matière médicale de l'Italie. Pourquoi ? Parce qu’au début, dans le système hospitalier, il y a eu des contaminations, les malades du Covid étaient au milieu des autres affections et cela a provoqué une épidémie.

Il suffit d'aller dans les hôpitaux français pour voir qu'en effet il y a des difficultés qui sont importantes du point de vue de la charge de travail, du point de vue de l'absence d'un certain nombre de spécialités.

Pourquoi ? Parce qu’on a fait un numerus clausus pendant des décennies avec l'accord de tout le monde qui a empêché un certain nombre d'étudiants pourtant brillants de devenir médecins et on s'est trouvé dans une pénurie de médecins au point d'aller chercher des médecins dans d'autres pays qui n'ont pas forcément le même niveau d'exigence que la France. Donc il y a des faiblesses considérables, il y a des faiblesses dans notre système éducatif, des faiblesses dans notre économie, des faiblesses dans peut-être l'organisation du système de santé. Peut-être on n'a pas mis les généralistes en première ligne comme on aurait dû les mettre, peut-être y a-t-il eu du temps pour l'articulation entre privé et public. En tout cas, on n'avait pas prévu l'épidémie ce qui fait que nous avons été au début en pénurie de masques, en pénurie de médicaments, que l'on s'est trouvé en rupture de molécules, de médicaments absolument essentiels.

On s'est trouvé en rupture ou menacé de rupture de médicaments pour les chimiothérapies des cancers, pour les corticoïdes, pour les antibiotiques et même pour le paracétamol, Doliprane et autres qui sont des molécules élémentaires.

Pourquoi ? Parce qu'on a délocalisé au loin, en Extrême-Orient, dans d'autres pays et d'autres zones de production, ce qui aurait dû être les productions françaises et européennes parce que c'est la même chose.

Ponctuons ici sur le Covid pour juste évoquer un certain nombre d'autres questions qui concernent votre place au Plan.

L'écologie, c'est une préoccupation qui s'est exprimée récemment dans les urnes avec le triomphe écologiste aux municipales. On peut constater le dérèglement du climat au vu de certaines températures d'hiver ou d'été, la calotte polaire ne sera bientôt plus qu'un souvenir comme le permafrost. Quelles pistes pour ce chantier en France pour que la politique écologique de la France soit efficiente ?

La piste essentielle, c'est de hiérarchiser nos priorités. Qu'est-ce cette situation analysée par les scientifiques - et je dépasse toutes les polémiques sur ce sujet - nous dit ?

Elle nous dit une chose, c'est que l'on a un devoir, une exigence, c'est d'abaisser l'émission des gaz à effet de serre et principalement du CO2.

Cela demande une logique et une cohérence.

Qu'est-ce qui émet du gaz à effet de serre dans toute l'Europe et le monde entier ? Les centrales à charbon, on en a encore quatre en France que l'on va fermer mais dont on a été obligé de se servir pendant l'été, au moment des pics où les climatiseurs marchaient particulièrement. Depuis un mois, on n'a pas de pic, on est plutôt dans une séquence fraîche et humide.

Donc gaz à effet de serre. Cela pose des questions très importantes sur l'énergie. Si nous devons baisser nos émissions de gaz à effet de serre, cela veut dire qu'il faut regarder le nucléaire différemment parce qu'on a dit en même temps : on va baisser les gaz à effet de serre et on va mettre un terme à la production d'électricité nucléaire.

Vous voyez bien qu'il y a là, si l'on réfléchit de cette manière, une contradiction. Cette contradiction avait disparu du débat public. Les spécialistes le savaient bien. Nous sommes, comme vous le savez, le pays dans le monde qui émet le moins de gaz à effet de serre par kilowatt produit en électricité, pas le reste.

C'est très important. C'est la première chose à faire.

La deuxième chose : dans les priorités, on a un devoir de défense de la biodiversité qui est là aussi une question. On a d'autres questions qui touchent à notre manière de concevoir le monde, par exemple la condition animale et moi qui suis un éleveur et qui partage cette passion ancestralement, de génération en génération, je sais que les éleveurs ne demandent qu'une chose, c'est le bien-être animal, mais il est vrai qu'il y a des démarches peut-être qui ont été trop risquées de ce point de vue-là, désinvoltes, en considérant que seule la production était importante. Là aussi, il y a une démarche à faire.

Voilà comment je réfléchirais à la question de l'écologie.

Merci de répondre aussi précisément François Bayrou. Une dernière question à propos de votre place au Plan et de ce que vous programmez pour la France et pour l'Europe de demain.

Vous évoquez dans Le Monde du 13 septembre la nécessité de déterminer au travers du Plan les clés de voûte de notre indépendance et de notre souveraineté, à la fois française et européenne.

Actuellement, deux points diplomatiques majeurs : mettre aux prises notre pays avec la Turquie, les tensions gréco-turques en Méditerranée et la question du Haut Karabakh.

Ne trouvez-vous pas que la France est très seule sur ces terrains face à la Turquie bien sûr, mais aussi face aux États-Unis et à la Russie et l'Europe de la diplomatie comme de la défense encore complètement à construire.

Elle est peut-être en voie de construction, mais arrêtons-nous un instant à la Turquie.

Ce n'est pas pour triompher après coup, mais vous vous souviendrez que j'étais de ceux ou au premier rang de ceux qui se sont opposés à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, qu'un certain nombre d'esprits sans doute généreux mais à mon sens peu réalistes, voulaient imposer à toute force.

Posons-nous la question de ce que serait l'Europe aujourd'hui s'il y avait M. Erdogan au sein du Conseil européen. Première question. 

Au passage, dans cette crise immense où nous avons en effet tant de difficultés à corriger, quels atouts avons-nous ? Nous avons un atout, un, outre les qualités du peuple français sur lesquelles je n'ai pas besoin de sortir les tambours et les trompettes parce que je pense profondément que c'est un peuple qui, en effet, a les qualités nécessaires, mais nous avons un atout qui est la Banque Centrale Européenne qui nous permet d'emprunter des sommes considérables à 0 % et de reporter le remboursement de ces sommes au moment où nous serons redressés, c'est-à-dire dans 8 ans.

Où en serions-nous, si nous avions écouté les esprits qui, à l'époque, très nombreux, demandaient que l'on vote non à Maastricht, non à l'euro, non à la Banque Centrale Européenne ?

Nous serions avec une monnaie attaquée tous les jours par les spéculateurs et nous n'emprunterions pas à 0, mais à 8, 10,12 %, c'est-à-dire que nous n'emprunterions pas.

Les erreurs se paient en histoire et parfois aussi les bonnes décisions, on peut en récolter les fruits. Face à la Turquie, la seule réponse, comme toujours depuis le début des temps, c'est la fermeté.

Et sur l'Europe de la diplomatie ?

L'Europe de la diplomatie, elle va s'imposer. Je ne crois pas une seconde que l'on en reste là, mais il y a beaucoup à faire. Je vais vous citer un exemple que je cite souvent car pour moi, c'est une brûlure de chaque instant.

Il y a quelques années, quand les États-Unis ont décrété des sanctions contre l'Iran, unilatéralement, tout seuls, que s'est-il passé ?

Nous avions nous Français, nous Européens, un certain nombre d'entreprises totalement indépendantes des États-Unis qui étaient sur le sol iranien. Eh bien, la seule décision des États-Unis unilatérale a fait que les entreprises françaises et européennes, j'en cite quelques-unes : Total, Peugeot, qui étaient implantées sur le sol iranien, ont été dans les quinze jours obligées de quitter l'Iran. Des entreprises françaises et européennes, une décision unilatérale des Américains et, en réalité, la preuve de la soumission que parfois nous acceptons dans les terribles soubresauts de l'histoire que nous avons aujourd'hui.

Eh bien, si nous étions des citoyens conscients, avec la fierté nécessaire d'un pays comme la France et d'une union comme l'Union européenne, nous ne devrions pas accepter cela, or cela a été accepté. Il y a 10 ou 12 ans, vous vous souviendrez qu'un jour il y a eu un procès contre la BNP et que la BNP a dû payer à la justice américaine 10 milliards d’euros, je dis bien 10 milliards d’euros, c'est-à-dire 10 000 millions d’euros pour n'avoir pas respecté une décision unilatérale des États-Unis.

Ce jour-là, nous avons accepté cela. Nous nous sommes trompés, nous nous sommes trompés gravement et cela a induit une situation de soumission sur des sujets qui sont des sujets de souveraineté.

S'il y a quelque chose à dire de la part des gouvernements français ou gouvernements européens, c'est que cela n'est pas acceptable.

Avant de continuer, une petite plage musicale en hommage à votre passion pour le natif de Pau, Henri IV, le roi libre, avec une pavane extraite de la messe de requiem du roi Henri d'Eustache du Caurroy par l'ensemble Douce Mémoire.

….

François Bayrou, on peut voir dans votre présence aujourd'hui sur Fréquence protestante autre chose qu'un hasard puisque vous êtes natif de Bordères non loin de Pau, la capitale historique du Béarn, terre chère aux protestants depuis le seizième siècle et l'introduction de la réforme en Navarre. Vous vous dites très attaché à votre terre dont paraît-il vous parlez la langue couramment.

On raconte qu'avec Jean Lassalle vous échangiez en béarnais à l'Assemblée Nationale pour ne pas être compris des autres députés.

Est-ce vrai ?

Oui, probablement, mais j'ai d'autres raisons d'être à votre micro parce que j'ai écrit, il y a longtemps, un livre que j'ai beaucoup aimé écrire sur la naissance de la réforme, sur les trois premiers siècles de la réforme, jusqu'à la révocation de l'Édit de Nantes.

C'est un livre que j'ai beaucoup aimé écrire et que j'aime beaucoup encore aujourd'hui qui s'appelle : « Ils portaient l'écharpe blanche », parce qu’il n'y avait pas d'uniforme dans les guerres de cette époque et, pour se reconnaître sur les champs de bataille, les protestants portaient une écharpe blanche, signe de leur fidélité au roi et signe de leur revendication de la royauté pour leur prince Henri qui était déjà Henri III de Navarre et qui est devenu Henri IV.

Et donc dans cette guerre qui a duré 20 ou 25 ans, qui a été une terrible histoire et un incroyable tremblement de terre de l'histoire avec un grand H puisque, en effet, le Prince des protestants est devenu le roi de France et qu'il a mis tous ses efforts depuis qu’il est monté sur le trône pour réconcilier les protestants et les catholiques.

C'est une figure qui vous a inspiré, un réconciliateur ?

Démarche à l'époque absolument pas comprise puisqu'on a fini par l'assassiner pour cette raison. Cela arrive très souvent aux réconciliateurs, songez par exemple à El Sadate.

Réconciliation qu'en fait, si on scrute la figure de cet homme incroyable, ce n'est pas autre chose que la tentative de réconcilier son père et sa mère. Sa mère était chef des protestants et son père chef de l'armée catholique.

Histoire qui a été pour moi le thème principal tout au long de sa vie que j'ai décrit dans ce livre que vous rappeliez : Henri IV, le roi libre qui a connu beaucoup de lecteurs.

300 000.

Et qui se vend encore aujourd'hui, ce que je trouve formidable.

Nous entrons dans le deuxième volet assez court de cette émission où nous voudrions en savoir un peu plus.

Pardon, je n'ai pas répondu à votre question alors je vais le faire en quelques phrases.

Vous me demandez si c'est Henri IV qui a inspiré mon goût de la réconciliation. Je crois au contraire que c'est mon goût de la réconciliation qui a inspiré ma passion pour Henri IV parce qu’aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, y compris de petite enfance, j'ai toujours eu envie que les adversaires ou les passions adverses se retrouvent et se réconcilient. On a chacun nos histoires et probablement des psychanalystes auraient des choses à dire sur ce sujet, mais c'est le fond de mon histoire.

Nous allons peut-être y revenir si nous avons le temps. En tout cas, dans cette histoire en politique, il y a quelque chose sur lequel je voudrais revenir après la mort de votre père Calixte, paysan érudit, selon Le Point du 3 novembre 2011 et maire MRP de Bordères, vous avez longtemps aidé votre mère à l'exploitation du domaine agricole familial. En quoi déjà un tel ancrage dans sa terre et dans la terre marque une vocation et une carrière politique comme la vôtre ?

C'est très important.

Encore aujourd'hui où que je sois, je regarde la terre et spécialement quand je suis chez moi car j'ai gardé quelques hectares de terre sur lesquels j'ai quelques bouts d'élevage. C'est une passion pour moi j'allais dire atavique et, si le mot avait un sens poétique, en même temps, je vois ce que l'on peut construire et créer car (poésie, cela veut dire création) ce que l'on peut construire et créer autour de cela, les parfums, les odeurs, les lumières, surtout dans les Pyrénées qui sont de ce point de vue-là extraordinairement riches. C'est une part de moi et une part de moi qui fait que toutes ces préoccupations écologiques en particulier de respect de l'environnement sont très présentes dans ma vie depuis le début.

Puis, vous me demandez implicitement pourquoi au moment de la mort de mon père, j'ai décidé d'assumer cette responsabilité dans la ferme familiale en même temps que j'étais prof très jeune.

Pourquoi ? Pour une raison très simple. Je déteste la mort.

Pour moi, s'il y avait un ennemi, ce que je dis n'est pas religieux encore que l'Évangile dit exactement cela, « et le dernier ennemi qu'il vaincra, c'est la mort ». 

J'y pensais.

Et donc j'ai tout le temps envie de dire cela, j'étais hier encore à des obsèques et surtout quand les obsèques sont tragiques, si nous sommes là c'est parce que nous croyons que la mort n'existe pas. D'ailleurs nous ne sommes pas la seule civilisation à croire que la mort n'existe pas, mais en tout cas, c'est terriblement ancré en moi.

Je déteste la mort et ceux qui sont morts, pour moi, sont présents. D'une certaine manière, je leur parle et même d'une certaine manière j'ai l'impression qu'ils sont là pour nous aider, qu'ils sont des présences mystérieuses, mais agissantes et que cette je ne veux pas faire de théologie mais cette communion entre les vivants et ceux qui sont de l'autre côté, c'est une partie de ce que nous sommes. Donc j'ai décidé quand mon père s'est tué dans un accident du travail, j'étais très jeune, on avait déjà deux petites-filles, on avait 22 ans, que je ne laisserai pas mourir tout cela.

Et je dis décidé comme si c'était une décision de la tête. Ce n'est pas une décision de la tête. C'est une décision du plus profond qui dit : je ne me rendrai pas parce que je ne peux pas me rendre. Je n'ai pas la force de me rendre. Je n'ai pas la force de signer la capitulation.

Pardon de ces confidences.

Vous avez là des paroles qui sont des confidences assez rares pour un homme politique, vous avez des convictions catholiques que vous n'avez jamais cherché à cacher.

C'est facile d'être catholique aujourd'hui en politique, François Bayrou ?

J’ai des convictions catholiques que je n'ai jamais cachées. J'ai écrit beaucoup sur le protestantisme. J'ai écrit un livre sur la laïcité et l'Islam qui s'appelait, le titre est terriblement d'actualité alors qu’à l'époque quand je l'ai écrit les gens étaient extrêmement interrogatifs sur ce titre : Le droit au sens.

Mon engagement politique, c'est qu'un responsable politique n'a pas seulement entre les mains les questions de production, de consommation, de social, d'argent, de soutien, il a une responsabilité qui touche aux raisons de vivre des gens, au sens que l'on donne à la vie et c'est pour moi, oui, très important.

Est-ce facile d'être catholique dans le monde où nous sommes ?

Non, mais je vais vous dire quelque chose qui touche beaucoup à vous, protestants. Il y a une révolution que nous avons vécue, que notre génération est la première à avoir vécu probablement dans l'histoire des hommes, c'est que nous sommes tous devenus, catholiques, protestants, athées, agnostiques, orthodoxes, bouddhistes, musulmans, juifs, nous sommes tous devenus des minorités.

Pendant des siècles, et c'est pour moi une découverte très importante enfin une révélation très importante depuis des années. Pendant des siècles, il y avait des majorités, les catholiques en étaient une et ils avaient la pompe, le décorum, les relations avec le pouvoir. Dans d'autres pays c'est l'orthodoxie qui a ce privilège. Et ces majorités induisaient des minorités et les attitudes des minorités, vous le savez bien, étaient très marquées par leur sentiment d'être extérieur à la majorité.

Eh bien, ceci, c'est fini. Nous sommes tous devenus des minorités et, dans nos offices, les vôtres, les catholiques, les juifs, il n'y a que des minoritaires. C'est une situation bouleversante de toute la manière dont nous vivons. Cela sert aussi de cadre à ma réflexion et ma réflexion sur la laïcité que j'entretiens depuis longtemps.

Vous vous souvenez avec moi qui ai interdit le voile à l'école lorsque j'étais ministre de l'Éducation nationale, parce que l'école, d'une certaine manière, c'est le signe que nous avons tous la même loi bien qu’ayant des lois de sa propre culture et religion. Mais il faut harmoniser ou permettre aux deux de vivre ensemble, ce qui est le discours du Président de la République que l'on a vécu cette semaine.

Donc ce changement-là en profondeur, nous sommes tous des minorités, c'est le nouveau visage de la société dans laquelle nous allons vivre.

François Bayrou, nos auditeurs y sont sans doute sensibles, vous parlez comme un homme de culture, comme un homme de réflexion, vous êtes un homme de lettres, vous avez fait les prépas du lycée Montaigne, vous avez étudié à l'université de Bordeaux 3, vous êtes agrégé de lettres classiques, puis vous vous retrouvez dans l'arène politique avec des agents d'assurances, des banquiers, des avocats, des énarques.

Là encore c'est facile d'être un homme de lettres qui réfléchit sur le temps long comme vous le disiez dans la première partie de notre interview dans un monde avec des gens qui ont des préoccupations sans doute plus pragmatiques ?

Il ne faut pas se laisser enfermer dans une image. Dieu sait que je ne suis pas un intellectuel, Dieu sait que dans toutes mes fonctions, j'aborde les questions pas par les concepts éthérés que l'on peut remuer dans le ciel des idées comme disait l'autre, mais je l'aborde par le côté pratique parce que j'ai le goût du pratique. Je suis un maire et tous mes concitoyens, mes collaborateurs savent que je prends la question par : quel est le prix du mètre carré, comment on construit un bâtiment, de quelle manière respecter les devis, car j'ai ce goût-là du pratique, mais je considère que le métier d'homme, à condition que nous acceptions cette idée que nous avons tous, femmes et hommes, universellement une mission ou un engagement dans la cité, c'est le métier qui exige que l'on tienne la chaîne par les deux bouts, le plus pratique : l'économie, j'aime beaucoup la réflexion économique, le social et aussi le culturel, le spirituel et le scientifique. Cette exigence de tenir la chaîne par tous les bouts, c'est une exigence que je reconnais, que j'essaie de m'appliquer, non pas d'ailleurs en faisant effort parce que c'est ma nature c'est comme cela que je suis.

Est-ce facile ?

J'ai écrit il y a plus de 30 ans mon premier livre qui a eu d'ailleurs à l'époque une certaine audience, j'étais très fier, j'ai eu le prix des lectrices de Elle ; pour moi, cela valait le Goncourt ! Cela s'appelait : La décennie des mal-appris.

C'est un livre sur l'école disant que les apprentissages n'étaient plus là, que ce serait des mal-appris.

Je disais que c'était la décennie, ce n'est pas la décennie. On a un problème de transmission de notre culture élémentaire indispensable, vitale et vivante qui, d'une certaine manière, s'est un peu effacée et c'est vrai que les joutes politiques n'ont plus rien à voir avec ce qu'elles ont été.

Il se trouve que je suis entré en politiques très jeune, j'ai adhéré à mon parti, j'avais 20 ans, le parti où je suis encore aujourd'hui.

Très rare les gens qui sont toujours dans leur parti au bout de toutes ces décennies-là.

Les gens ont des engagements, ils les abandonnent, ils passent à autre chose et après tout c'est leur vie, ils ont grandi ou mûri, mais moi je n'ai jamais changé. Je suis un peu obstiné.

Étant entré si jeune dans la vie politique, en effet il y a des choses qui ont changé du point de vue culturel, car, quand je suis entré en politique, les gens qui achevaient leur vie politique à l'époque donc qui nous marquaient, c'était des gens qui venaient de la Résistance, qui avaient tous eu l'épreuve de la guerre, de cet engagement où l'on risquait sa vie et ils avaient été au contact des très grands soubresauts de l'histoire. Peut-être va-t-on connaître des soubresauts à nouveau et, dans les soubresauts, le souvenir d’où l’on vient comme société ou comme culture, le souvenir des gens qui ont écrit ayant traversé des choses difficiles ou des poètes ou des philosophes, pas comme une spécialisation, mais comme une culture.

Vous savez, on disait ; la culture c'est ce qui reste quand on a tout oublié.

C'est assez juste, ce n'est pas quelque chose que l'on étale, la culture, c'est quelque chose qui vous irrigue par tous les pores de votre peau, qui circule dans votre sang et qui fait que votre regard n'est plus tout à fait le même parce que vous voyez non seulement ce que vous avez sous les yeux, mais un peu ce qu'il y a eu sous vos yeux pendant des décennies peut-être des siècles.

Je vous remercie François Bayrou. Nous allons terminer l'émission sur ces considérations. J'espère que nos auditeurs en sauront un peu plus grâce à cette émission sur à la fois le Haut-commissaire au Plan et ce qu'il s'apprête à prendre comme décisions, et sur l'homme François Bayrou.

Merci de votre invitation.

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