? François Bayrou, invité de Darius Rochebin sur LCI
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de Darius Rochebin ce mercredi 7 octobre à 20h40 sur LCI.
Extraits :
Bonsoir François Bayrou.
Bonsoir.
Question des Françaises et des Français sur la situation économique.
D'abord ces images qui marquent la journée, on les a vues, on a entendu le Président de la République, il est vraiment au contact des Françaises et des Français, ces dizaines, ces centaines de personnes qui sont là, qui lui parlent de leur expérience.
Vous qui avez le regard que l'on sait non seulement dans la politique maintenant, mais historique, est-ce un moment important ?
C'est un moment très important car c'est un moment d'engagement personnel probablement plus loin et plus longtemps qu’aucun de ses prédécesseurs ne l'avait fait. On avait l'habitude des visites présidentielles, y compris dans les drames, mais on restait quelques minutes et, là, le fait qu'il s'engage personnellement les yeux dans les yeux dans des dialogues qui sont vrais et longs et qu'il accepte d'être pris à partie et qu'il ne s'en va pas, il reste, il était là jusqu'à il y a quelques minutes encore, il est resté 6 heures sur le terrain avec ceux qui ont tant souffert de ce drame, de cet accident météorologique.
Vous avez 40 ans de vie politique, plus que cela. Vous savez très bien, beaucoup de politiciens regardent la personne, ils pensent déjà à celle d'après. Est-ce qu’il est vraiment différent ?
Est-ce qu’on peut être différent ?
On peut être différent et il est différent.
À mes yeux, je ne prétends pas être extra-lucide, mais j'ai regardé ce homme jeune exerçant cette fonction si lourde. Tout à l'heure vous interrogiez Sylvain Fort j'allais dire sur les rides, sur le poids que le Président de la République, Emmanuel Macron, comme personne, porte sur ses épaules comme homme, et vous lui demandiez ce qu'il sentait.
Je vais vous dire ce que je sens. Je pense que ses rides sont un plus. Je trouve que c'était un homme très jeune quand il a été élu.
Trop jeune ?
Non, je lui avais dit une fois, cela avait fait beaucoup de minutes de télévision !
Il était très jeune et il était très jeune, avec, vous l'avez souligné dans l’interview, une espèce de joie de vivre nécessaire quand on accomplit cette fonction, mais cela donnait aussi le sentiment qu'il pouvait croire que les choses étaient faciles.
Aujourd'hui, personne en France ne peut imaginer que le Président de la République croit que les choses sont faciles.
L'accumulation de tsunamis, d'obstacles, qu'il a reçus, qu'il a pris en pleine figure.
Les emmerdements dont parlait de Jean Castex…
Pas seulement des emmerdements.
La « gravitas », en bon français, cette espèce de gravité au pouvoir. C'est cela ?
Vous savez que c'est un des mots que je préfère. Il a échappé à ce qui est politicien dans la fonction, entrer dans ce qui est à la fois humain et historique car ce n'est pas une fonction politique, c'est une fonction qui touche aux raisons de vivre de chacun d'entre nous.
Vous faites l’éloge de l'expérience. C'est aussi l'éloge des personnages d'expérience.
On a l'impression que l'on retrouve au-delà d’Emmanuel Macron, l'importance de l’expérience en politique chez de Jean Castex, chez vous aussi, deux personnages dans la macronie qui reviennent en tête d'affiche.
Est-ce un signe que cela arrive maintenant selon vous ?
D'abord, c'était inéluctable. On a cru ou certains ont cru ou ont voulu croire, qu'il y avait un nouveau monde. Il ne faut jamais avoir ouvert un livre d'histoire pour croire qu'il y aura un nouveau monde et votre sourire le montre assez.
Depuis la République romaine depuis la Rome antique jusqu'à aujourd'hui, les êtres humains sont les mêmes, les réflexes sont les mêmes, le cadre médiatique change, mais les drames sont les mêmes et la charge qu'un chef d'État porte sur les épaules est la même.
On voyait tellement autour d’Emmanuel Macron des gens jeunes, trentenaires, un peu geek, beaucoup n'étaient même pas nés quand vous avez commencé votre carrière politique. Dans l'équilibre, est-ce qu’il y a un rééquilibrage selon vous ?
Je suis très en décalage avec ces questions de génération pour une raison pour moi évidente, c'est qu'un pays, ce sont toutes ces générations en même temps.
Le hasard, la chance, la providence, appelez cela comme vous voulez, a voulu qu’en France, en 2017, il y ait tout d'un coup un président plus jeune qu'aucun de ses prédécesseurs dans l'histoire.
Cela a des avantages la jeunesse, enthousiasme, mais la vérité est que cela mérite d'être enrichi par de l'expérience et le fait que plusieurs générations désormais se retrouvent à leur place, chacun dans l'équipe à la responsabilité du pays, c'est un plus.
L'expérience est un plus, vous m'avez peut-être déjà entendu dire cela.
Si je dois traverser l'Atlantique, moi qui n'ai jamais traversé l'Atlantique à la voile, ni de près ni de loin, est-ce que je prends un skipper confirmé qui a déjà fait cent fois la traversée ou quelqu'un qui est très beau sur la photo, mais qui n'a jamais fait cela ?
L'expérience est nécessaire.
François Bayrou, on vous entendra sur l'expérience, sur votre situation politique, sur l'aspect humain aussi, vos relations avec Emmanuel Macron, l'avenir, la campagne 2022, mais d'abord restons un instant sur l’actualité plus immédiate, c’est la situation du Covid-19, la situation économique et on se rapproche de votre mission Haut-Commissariat au Plan.
Faisons un point sur la situation du moment, la photographie économique du moment avec ce qu’elle a de très sombre, 1 million de nouveaux pauvres, c'est le chiffre donné hier dans le journal Le Monde en citant beaucoup d’organisations d’aides aux plus démunis.
La dette qui atteint 114 % du PIB et qui ira sans doute plus loin.
Le chômage partiel pris en charge à 100 % qui est prolongé au moins jusqu'au 31 décembre.
Est-ce qu’on sous-estime ce fardeau colossal financier, économique, qui tombe sur la France ?
Non, on ne le sous-estime pas. J'ai passé beaucoup d'années de ma vie à me battre sur la question de la dette. C'était, on m’interrogeait sur cette question, pour dire : Essayons d’être sérieux dans la gestion d'aujourd'hui car demain, peut-être, nous en aurons besoin pour faire face à des drames.
Au fond, ce que les Allemands ont fait mieux que le peuple français ne l’a fait.
On a été trop imprévoyant en France ?
Oui, on a été pendant des années dans la légèreté de ceux qui consomment en croyant que c'est éternel.
Là, on en paye le prix ; 114 %, c'est le prix de cela aussi ?
Oui, bien sûr puisque les 114 %, c’est 14 % qui viennent après les 100 premiers. C'est cela qui fait 114.
Mais, cette fois-ci, on a raison de faire appel au crédit.
J'ai proposé que cette dette soit cantonnée, qu'on isole la dette Covid, ce qui est dû à ce tsunami que personne n'avait jamais imaginé et dont personne n'a la responsabilité.
Et dont le poids va encore s'aggraver, c'est la déclaration du Président tout à l'heure quand il dit qu'il prévoit des restrictions supplémentaires là où le virus circule, mais le poids économique de cela, comment est-ce qu’on peut le prévoir ?
Eh bien, on va l'affronter.
Comment ? En isolant la dette due à cette pandémie et en ayant un report d'échéance. On commencera à rembourser cette dette grâce à la BCE dans huit ans donc on aura le temps de remonter le pays avant de commencer à faire face aux échéances de la dette que l'on vient de dépenser.
Quand on entend tant d'autres pays en Europe qui ne fonctionnent pas comme cela, les Allemands qui sont très loin de ces 114 %, ils sont à 75, beaucoup d'autres pays beaucoup plus économes.
Eux ne vous croient pas quand vous dites cela, ils disent : Il n'y a pas de miracle, à la fin les Français s'appauvriront parce qu'il faudra payer cette charge.
Ce n'est pas moi qui vais dire le contraire. La dette, un jour ou l'autre, il faut l'assumer.
Cela veut dire que les Français vont s'appauvrir ? Est-ce qu’il faut affronter cette réalité ?
Je ne crois pas cela. Je pense ce que la stratégie choisie par nécessité, grâce à la BCE, de redresser le pays avant de commencer à faire face à ces échéances ; autrement, on aurait été dans une situation dramatique.
Je m'arrête une seconde à cela. Où en serions-nous s'il n'y avait pas eu la BCE ?
Là, c'est l'Européen qui parle.
C'est l'observateur, s'il n'y avait pas l'euro, si on n'avait pas autrefois adopté le référendum de Maastricht de si peu, où en serions-nous ?
Je vais vous dire où nous en serions. Le franc, puisqu'on aurait toujours le franc, la Banque de France, seraient attaqués par tous les spéculateurs de la planète et on se retrouverait avec des taux d'intérêt insupportables.
Il serait impossible de faire face aux obligations d'une relance.
Mais, pardon, cette réalité existera aussi parce que les investisseurs auront moins envie d'investir dans un pays surendetté. Cette réalité existera en dehors de la monnaie ?
Cela, je ne crois pas.
Vous ouvrez un deuxième chapitre qui est : Est-ce qu’on peut faire de la France un pays entreprenant, créatif, attirant pour sa main-d’œuvre et pour la place des entreprises qui vont faire face aux nouvelles demandes ?
Parlons en justement, c'est le Plan, c'est votre bébé, Haut-Commissariat au Plan. Très noble idée, de Gaulle, quelle était sa formule ?
« L'ardente obligation ».
Mais c'était les années 70. On est en 2020. Dans le monde de 2020 on vous a moqué, on a dit : Oui, François Bayrou c'est un peu comme le minitel, on ressort les vieilles idées du plan etc. Dans le monde si concurrentiel, si mondialisé, si libéralisé de 2020, cela ne marche plus.
Qu'est-ce vous répondez à cela ?
Je réponds que l'on a eu sous les yeux la preuve de l'échec de cette stratégie des intérêts individuels, des intérêts personnels de telle ou telle entreprise. On a voulu laisser faire.
On a pensé que les décisions de chaque entreprise, prise pour son intérêt personnel, au bout du compte, cela ferait l'intérêt général.
Il se trouve que l'on s'est aperçu que, pendant cette pandémie, la France grand pays médical et pharmaceutique, s'est trouvée en rupture des molécules élémentaires pour faire face à la maladie.
On s'est trouvé en rupture des molécules pour les chimiothérapies, pour les cancers - quand je dis « on s'est trouvé en rupture ou presque » - Corticoïdes, antibiotiques, … Vous savez bien qu’il y a eu toute une crainte sur ce sujet d'un médicament élémentaire. La France et l'Europe parce qu'elles avaient délocalisé pour l'intérêt des entreprises en question - que je ne remets pas en cause - car l'État n'avait pas compris qu’il y a des domaines dans lesquels on ne peut pas se désarmer, se déshabiller du plus élémentaire et du plus urgent, on a été au bord d'un accident supplémentaire de santé.
Et pourtant, beaucoup de ces molécules sont toujours fabriquées en Chine et ailleurs, ce n'est pas la réalité économique. On a dit : On va faire des masques français, etc.
On voit bien le made in china qui continue, les pneus Bridgestone. N'est-ce pas la réalité de la main-d’œuvre ? C'est moins cher en Pologne qu’en France quand on voit le résultat ?
Il y a évidemment une part de vrai, il y a des différences de coût en Pologne mais, pour moi, la Pologne, c'est l'Europe.
Je ne différencie pas, cet impératif, cette exigence, cette obligation qui devrait être celle des gouvernements de s'occuper de notre indépendance, de la capacité que nous avons à avoir sous la main les produits élémentaires de notre sécurité sans que l'on puisse nous les enlever.
… Quoi qu’il en soit de cette vision étatique, beaucoup font la comparaison toute simple, très pratique avec les chantiers allemands ; c'est très concret. Les chantiers allemands, pendant la Covid, ils ont continué en partie à fonctionner. Les Français, décision étatique un peu jacobine, on a arrêté.
Il y a le constat qui est là. Il faudra rattraper cela.
Ce n'est pas vrai, les entreprises en France ont continué heureusement !
Pas toutes et pas au même rythme et on voit le résultat.
Je demande à vérifier.
Ce que vous appelez les chantiers, il y a eu en effet un mois, trois semaines d'arrêt complet parce qu'il fallait interrompre le virus.
Je ne peux pas reprocher à un gouvernement d'avoir fait face à l'urgence sanitaire. Je ne sais pas vous, mais, moi, j'ai perdu des amis très proches qui étaient en pleine forme. Ils sont morts parce qu'on a laissé circuler le virus. Il y a eu, de ce point de vue, un moment où on aurait dû prendre les décisions, elles n'avaient pas été prises.
Est-ce que cela vous a changé ? Il y a un certain nombre de politiciens qui sont passés là, certains parfois avec une expérience personnelle très forte. Est-ce que cela a changé votre vision y compris du rôle de l'État ? En tout cas, cela l’a renforcée.
Oui bien sûr. Je voudrais partager ceci avec vous. Ce n'est pas une crise comme les autres. Des crises, nous en avons connu un certain nombre, 1929, les lendemains de la guerre, 2008. Ce que l'on appelle crise, c'est un accident et, après, on recommence comme c'était avant.
Ce que je crois que nous sommes en train de vivre est d'une nature complètement différente car c'est notre mode de vie qui change.
On ne s'embrasse plus, on ne serre plus la main, on ne se prend plus dans les bras entre amis, on ne va plus dans les bars ou très peu, on ne voyage plus. Il me semble qu'en tout cas on doit examiner les conséquences de cette pandémie sur notre vie y compris économique.
Pourquoi ? Depuis 150 ans, le monde se développe selon un principe qui est celui des échanges toujours plus nombreux toujours plus loin, exponentiels comme l'on dit.
Est-ce qu’il y a une autre formule ?
Je crois que l'on va devoir expérimenter d'autres formules qui sont des formules d'analyses précises de ce dont nous avons besoin pour vivre et dont nous ne pouvons pas être privés.
On a parlé des médicaments, il y a peut-être d'autres questions qui se posent, je pense aux composants électroniques. Si un pays comme le nôtre, une communauté comme la communauté que forme l'Union européenne se trouve privée d'un certain nombre d'éléments vitaux pour son industrie, à ce moment-là, cela doit entraîner chez elle un réflexe de reprise en main de son propre destin.
Ces équilibres économiques, l'avenir dira ce qu'ils sont.
Parlons de l'équilibre politique, de votre équilibre aussi aujourd'hui dans la majorité, peut-être encore plus important que par le passé.
La République En Marche, notamment à l'assemblée, a perdu un certain nombre de plumes donc vous comptez d'autant plus.
Avec Emmanuel Macron est-ce que vous vous êtes trouvés ?
Oui, je crois depuis longtemps.
Encore plus maintenant que depuis trois ans ? Cela s'est renforcé ?
Je ne parle jamais de mes conversations avec le Président de la République. Je dis aux journalistes qui m'interrogent : « Excusez-moi, il faut que je vous dise, j’ai une maladie, j’hésite à l’avouer, je suis pris d'une amnésie systématique quand j'ai fini mes conversations. »
Vous avez le droit de le qualifier. Amis en politique, on sait que c'est toujours un peu compliqué.
Êtes-vous amis ?
Je pourrais répondre oui sans difficulté, mais il y a quelque chose d'autre qui est de l'ordre de la fraternité de ceux qui combattent ensemble.
C'est très vrai. Parfois on me dit, cela me fait rire : « en fait, vous avez un regard paternel sur lui. »
Vous avez 27 ans d'écart ?!
Pas tant tout de même, je crois que vous vous êtes trompé, disons un quart de siècle de différence.
Ce n'est pas paternel donc ?
Non, pourquoi ? Parce que j'ai des fils formidables, uniques, enfin, ils ne sont pas uniques, mais ils sont formidables.
Autrefois, quand j'étais l’ami, le bras droit de Giscard d'Estaing, on me disait : « est-ce que vous n'avez pas un sentiment filial à son endroit ? » Non, parce que j'avais un père formidable qui est mort hélas très tôt.
Mais j'ai un regard sûrement de fraternité de combattant. Oui, cela, c'est vrai, c’est-à-dire de très grande confiance. J'ai confiance en lui et je pense qu'il a confiance en moi. Et ce que l'on vient de voir encore, c'est de la confiance, c'est de l'ordre de l'affrontement où l’on donne le plus profond de soi.
Il y a quand même cette vieille doctrine militaire qui dit : La crainte est la meilleure garantie d'une alliance.
Il a besoin de vous, vous avez besoin de lui, il aura besoin de vous de nouveau en 2022 ? Cela aide.
Ce serait facile pour moi de répondre oui, mais je ne veux pas parce que ce n'est pas mon approche des choses.
Il y a des gens qui croient que la politique, ce sont perpétuellement des rapports de force et du chantage.
Or, en France, sous la Vème République, rapports de force et chantages, cela ne marche pas, c'est le contraire de ce qu'il faut.
Ce qu'il faut, c'est une adhésion, que l’on croit les mêmes choses, que l'on soit décidé à prendre sa part du fardeau et que l'on partage la responsabilité des choses les plus profondes.
François Bayrou, la voix à l'accusation : Nicolas Sarkozy qui a eu ces formules terribles sur vous, sur la trahison de François Bayrou - cela vous fait sourire parce que vous les avez toutes en tête.
Il dit : Emmanuel Macron en fera à son tour avant la fin de son quinquennat l’amère expérience. François Bayrou a toujours trahi ceux qu'il a choisis.
Qu’est-ce que vous dites à cette prophétie ?
J'ai déjà cité ici, et je ne recommencerai pas des phrases de Jacques Chirac sur Nicolas Sarkozy qui, je vous assure, étaient infiniment plus injurieuses et sévères et fondées car lui avait trahi Jacques Chirac.
Beaucoup de trahisons dans tous les sens.
Oui, mais c'est la vérité. Jacques Chirac n'en faisait pas mystère dans des conversations personnelles. Il se trouve que, moi, je n'ai jamais trahi personne.
Quand vous dites que vous allez voter pour François Hollande en 2012 ?
Oui, j’ai voté pour François Hollande car j'ai choisi de voter pour lui.
Ce n'était pas votre camp en principe !
Vous venez de Suisse !
C’est facile, répondez à la question !
Non, vous venez de Suisse, c'est-à-dire d'un des pays le plus démocratiquement confirmé qui sait une chose, c'est que la politique, ce n'est pas des camps. Vous venez d'un pays qui prouve tous les jours qu'heureusement la politique ce n'est pas deux camps.
J'ai placé toute ma vie politique sous sur cet axe-là, c'est-à-dire je suis allé un jour il y a très longtemps dans une manifestation où se fondait l'UMP pour dire : Vous dites que l'on pense tous la même chose, mais si on pense tous la même chose, c'est que l'on ne pense plus rien.
La logique des deux camps est une logique stupide, dangereuse et criminelle.
Je vous entends, quand on voit votre parcours, effectivement, Chirac, Giscard d'Estaing, Balladur, les complications entre les uns et les autres, les trahisons dans tous les sens, il y a un texte magnifique de Zweig qui dit, en parlant de Foucher qui a trahi beaucoup de gens : « la trahison, c'est l’autre nom de la liberté. »
Les gens très libres trahissent toujours un peu. Est-ce votre cas ?
Non, j'ai toujours été libre et n’ai jamais trahi. J'ai adhéré au parti dont je suis le Président aujourd'hui, j'avais 20 ans, je ne l'ai jamais quitté et je n'ai jamais accepté qu'on le place dans une situation de soumission de qui que ce soit.
[…] Est-ce que cela fait partie du jeu au fond ?
Eh bien non, la famille de Konrad Adenauer, la famille de Robert Schumann, excusez-moi de vous le dire, la qualité principale qui est la sienne, c'est l'intégrité.
Appelez cela comme vous voulez, en tout cas, la liberté, vous avez beaucoup tourné autour de cette idée-là, vous avez écrit un best-seller avec cela. La fable de la Fontaine, est-ce vrai que c’est une de vos références, le chien et le loup ?
Oui, bien, sûr.
Vous la savez par cœur ?
Oui, je peux vous la réciter.
Pourquoi cette fable-là en particulier ?
Je connais beaucoup de fables de La Fontaine, d’abord parce que cela a été mon métier, ensuite parce que c'est une passion. J'aime beaucoup la langue française, je trouve qu’on ne la défend pas assez, j'aime beaucoup la poésie française et peut-être n'est-elle pas assez défendue et j'aime beaucoup l'espèce de sagesse qui passe dans l'œuvre de La Fontaine qui est la plus acérée que l'on puisse trouver.
Le regard que cet homme-là porte, 4 siècles après presque, il est toujours aussi percutant, aussi précis sur l'âme humaine.
Vous parliez tout à l'heure de votre père, décédé de manière précoce, grand lettré, homme de la terre, à lui vous devez cela aussi ?
Oui. C'est la vérité vraie que je vais vous dire. On chargeait du maïs et mon père tenait la pelle et le petit garçon tenait le sac. On récitait des fables de La Fontaine avec ce geste ancestral qui faisait que le grain partait dans le sac pour l’emporter en récitant les fables de La Fontaine.
C'est la vérité la plus stricte, la plus réelle des choses.
Vous vous êtes battu, François Bayrou, pour mener une carrière.
Le combat contre le bégaiement. Je regardais tout à l’heure sur Internet la liste des bègues célèbres. Je ne vais pas vous rendre modeste, il y a Einstein, Jouvet, Démosthène, Churchill, on dit qu’il a une forme de bégaiement. Le travail ?
Et il y a Joe Biden qui va peut-être être Président des États-Unis et qui, lui aussi, s’est beaucoup battu sur ce sujet.
Il y a un travail sur soi qui est particulier aux bègues ?
Cela touche surtout les petits garçons. Très souvent, les petits garçons m’écrivent pour dire : « Mais qu'est-ce on peut faire ? ».
Il y a des exercices, parfois cela aide, mais le fond de cette affaire, c'est qu'il faut que vous vous réconciliez avec le petit garçon qui est en vous et qui se sent mal jugé ou qu'on ne le reconnaît pas.
Il y a une photo de sud-ouest qui publiait une photo de vous quand vous aviez je ne sais pas quel âge.
Quand vous voyez cette photo, le combat contre le bégaiement à cet âge-là, cela se passait comment ?
Franchement, c'est un handicap extrêmement désagréable. Dégueulasse pour tout dire.
C'est-à-dire ?
Vous avez les mots en vous et ils sont même très bien agencés et ils disent ce que vous avez de plus profond à transmettre et, tout d'un coup, cela ne passe pas, cela bloque.
On l'entend parfois dans certaines interviews, cela vous arrive encore.
Bien sûr, cela ne passe jamais. C'est pour cela que c'est drôle, c'est pour cela que c'est marrant.
Être capable d'apprivoiser quelque chose qui vous paralyse, être capable de vivre avec, moi je trouve que c'est important et que c'est drôle.
Beaucoup plus tard ministre de l'Éducation. Quand on a eu ce parcours du bégaiement mais ensuite très brillant intellectuel, enseignant, etc. Ministre de l'éducation, c'était un aboutissement de ce point de vue ?
Oui, c'était bien, ce n'était pas une surprise car, dans l'équation de cette époque, je trouvais que, oui, c'était ma place.
Il y a tellement de débats aujourd'hui, notamment l’arabe à l'école, c'est un des débats de cette semaine est-ce que vous y êtes favorable ?
C'est une grande langue du monde. C'est de l’arabe littéraire en plus, ce n'est pas dialectal, des différentes parties de cet univers.
Je suis pour les langues, je suis pour les langues anciennes parce que le latin et le grec, c'est un trésor, je suis pour les langues étrangères l’arabe en est une et, après tout, si cela peut être un plus, je suis pour les langues régionales.
Le Béarnais.
Oui, qui est la plus pure des langues de cet espace roman qui a couvert tout notre pays, en tout cas tout le sud de notre pays.
Mais sur l’arabe, en clair, vous pensez que cela peut ajouter du lien social que les Français apprennent aussi l’arabe ?
Je pense que c'est un plus et je suis pour que les Français apprennent le chinois. On a installé un institut Confucius à Pau alors que tant de grandes villes n'en ont pas.
Je ne suis pas d'accord avec le régime, mais je sais que 1 300 000 000 de personnes, on a besoin de pouvoir échanger avec eux et les connaître de l'intérieur.
Quelques mots sur le temps qui vient d'ici 2022 ; situation très particulière, on a vu des sondages dimanche passé où le scénario semble se réécrire de l'affrontement inévitable Macron / Le Pen.
Est-ce qu’il est inéluctable d'après vous ?
Non. En tout cas, il dit quelque chose de la réalité profonde du pays.
Est-ce qu’un candidat de droite peut encore émerger de cet électorat énorme ; beaucoup disent : la France est de droite majoritairement, mais il n'y a pas de champion.
Est-ce qu’il peut apparaître ?
L'extrême-droite, le Front National occupe des positions extrêmement fortes et, évidemment, prétendre qu'il y aurait entre Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse ou François Baroin, je crois qu'il n'a pas envie d'y aller, et Emmanuel Macron et le centre gauche, prétendre que ses trois familles seraient irréductiblement opposées, c'est ridicule.
Le candidat de la droite c'est Emmanuel Macron ?
Non, ce n'est pas ce que je viens de dire. Emmanuel Macron est sur le socle du centre français et ce socle pèse 25 % des voix.
Édouard Philippe, c'est une possibilité ?
Oui, je ne le crois pas du tout pour 2022.
Il y a un Président de la République qui conduit une politique dont je puis affirmer qu'elle n'est différente en rien sur le fond de ce que conduirait un socialiste raisonnable ou un homme de la droite républicaine.
Là, vous embrassez large !
Mais c'est cela le pays. Non ! Il y a une extrême-gauche, Les Insoumis, Jean-Luc Mélenchon, une partie des écologistes. Cela, c'est un courant très identifié, très à gauche. Il y a une extrême-droite mais entre ceux qui sont sur le champ central….
Si on vous suit, vous avez pratiqué tant d'hommes. On se rappelle Mitterrand qui finalement s'est révélé très homme de droite tout en ayant ce parcours à gauche, Chirac, homme de gauche et parcours à droite.
Emmanuel Macron, qu'est-ce qu'il est au fond, d'après vous ?
Pour moi, il est le représentant de cette grande famille du centre à la fois soucieux d'identité française et très européen.
En même temps. Ce sera toujours le cas en 2022 ?
C'est comme cela qu'il est, ce n'est pas seulement ce qu'il montre, c'est ce qu'il est.
Il a cette tâche d'affronter les plus grands orages et d'essayer de le faire en donnant au pays la modernité qui, seule, peut le sauver.
Eh bien, il est courageux pour faire cela.
Merci.
Parlez-nous le Béarnais ! Vous me renvoyiez à ma condition de Suisse tout à l'heure, on va faire du régionalisme. Comment c’est le Béarnais ? Je n’ai jamais entendu de Béarnais, je vous l’avoue.
B’en hari causes si poudi
D’abord deu tems qu’estangueri l’agulhe
N’ta retardar l’ore dolente
Ou’a d’aci calera parti.
Je vais traduire : Si je pouvais, que j'en ferai des choses, si je pouvais, d'abord du temps, j'arrêterai l’aiguille, à mon gré trop ardente, pour retarder l'heure douloureuse, ou d’ici, il faudra que je m'en aille….
Toujours s’en aller à la fin.
Président de la République, c'est fini, ce rêve est enterré ?
Personne ne connaît l'avenir.
Vous avez été candidat trois fois ! Quatrième c'est possible ? !
On a failli gagner en 2007….
Merci beaucoup.