Jean-Noël Barrot : "L'insécurité sur Internet sape la confiance des citoyens dans la transition numérique"

Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications et vice-président du MoDem, a pris la parole face aux sénateurs lors du début de l'examen de son projet de loi de sécurisation et de régulation de l'espace numérique. Revoir son intervention.

L'insécurité que rencontrent nos concitoyens sur Internet sape leur confiance dans la transition numérique.

Tous les Français sont concernés. Tous constatent les désordres qui s'accumulent dans l'espace numérique, et en particulier les Français les plus vulnérables, les Français les plus modestes, les plus âgés, qui sont les victimes privilégiées des cybercriminels.

Nos enfants, bien sûr, qui sont exposés de manière très précoce à des contenus inappropriés, nos entreprises que la loi du plus fort placent sous le joug et la dépendance des géants du numérique, et notre démocratie qui est soumise aux coups de butoir incessants des professionnels de la désinformation.

Face à ces désordres, la France agit résolument depuis cinq ans à tous les niveaux.

Au niveau national, avec des initiatives parlementaires qui nous ont permis de progresser, notamment en matière de lutte contre la désinformation, de protection des mineurs en ligne, de lutte contre le cyberharcèlement.

Au niveau européen, j'y reviendrai brièvement, avec deux règlements majeurs adoptés l'année dernière sous présidence française de l'Union européenne.

Au niveau international, ensuite, avec des initiatives multipartites prises par le Président de la République, et qui ont contribué à éveiller la conscience mondiale sur ce problème de notre siècle.

Ce projet de loi qu'il vous est proposé d'examiner aujourd'hui poursuit le même objectif, celui d'instaurer un ordre public numérique et de créer des protections nouvelles pour nos concitoyens, nos enfants, nos entreprises et collectivités et notre démocratie.

Il s'est formé à partir de trois affluents.

Le premier de ses affluents, ce sont ces deux règlements européens adoptés l'année dernière sous la présidence française de l'Union européenne, qui sont d'application directe mais qui nécessitent que nous modifions notre droit pour qu'ils puissent correctement s'appliquer dans notre pays.

Le premier de ces règlements, le règlement sur les services numériques, fait entrer les grandes plateformes de réseaux sociaux dans l'ère de la responsabilité en leur imposant des obligations de modération, en leur imposant d'analyser et de corriger le risque systémique qu'ils font peser sur la santé de leurs utilisateurs, mais aussi sur la sécurité publique, et les événements récents ont confirmé à quel point il était nécessaire et urgent qu'un tel règlement puisse intervenir.

Et puis, ce règlement impose des interdictions nouvelles, comme celle, par exemple, de faire de la publicité ciblée sur les mineurs.

Deuxième règlement le règlement sur les marchés numériques, qui vient rétablir l'équité commerciale et mettre fin à un certain nombre d'abus de positions dominantes dans l'économie numérique, en définissant 26 pratiques anticoncurrentielles qui seront désormais interdites dans l'Union européenne : l'auto-préférence, le fait pour une entreprise du numérique d'utiliser des données collectées sur l'un de ses services au profit d'un autre ou du fonctionnement d'un autre de ses services, l'interopérabilité entre les messageries, etc.

Le premier affluent, c'est celui-ci, la mise en œuvre de ces deux règlements européens majeurs.

Le deuxième affluent, ce sont vos travaux, mesdames et messieurs les sénateurs, les travaux parlementaires qui ont porté notamment sur l'exposition des mineurs aux contenus pornographiques. Je pense évidemment au rapport de Laurence Rossignol, Laurence Cohen, Annick Billon et Alexandra Borchio-Fontimp. Je pense également au rapport qui a été rendu par Amel Gacquerre et Franck Montaugé, Sophie Primas sur la souveraineté numérique, ou plus récemment, au rapport de la mission d'information sur le règlement sur les données de Catherine Morin-Desailly, de Florence Blatrix-Contat et d'André Gattolin.

Nous n'avons ni plus ni moins, Mesdames et Messieurs les sénateurs, que fait que reprendre certaines des propositions qui figuraient dans ces rapports et qu'il me paraissait important que nous puissions mettre en œuvre au plus vite.

Troisième affluent, les consultations que nous avons menées sous l'égide du Conseil national de la refondation, et qui ont inspiré certaines des mesures que vous retrouvez dans ce projet de loi, notamment en ce qui concerne la lutte contre le cyberharcèlement.

Et donc, en définitive, des protections nouvelles que je veux décrire en quelques mots devant vous, en soulignant les apports décisifs apportés par les travaux de la commission spéciale qui s'est rassemblée la semaine dernière pour examiner le texte.

Au chapitre de la protection de nos concitoyens, trois mesures fortes.

La première, c'est le filtre anti-arnaque, en tout cas la base légale de ce filtre, qui servira de rempart contre les campagnes de SMS et de mails frauduleux.

Nous avons tous reçu un mail ou un SMS du compte personnel de formation ou de la Sécurité sociale. Nous avons tous hésité à cliquer. Et à vrai dire, mesdames et messieurs les sénateurs, ce sont 18 millions de nos concitoyens qui, l'année dernière, ont été victimes de la cybercriminalité, dont la moitié se sont vus soustraire de l'argent au passage.

Et évidemment, ce sont nos concitoyens les plus fragiles, les plus éloignés du numérique, qui sont les plus susceptibles de se faire ainsi aspirer dans la spirale infernale de l'usurpation d'identité dont ils mettent parfois plus d'une décennie pour pouvoir se sortir.

Il nous faut donc, avec ce filtre anti-arnaque, couper le mal à la racine et dévitaliser le commerce de ces pirates qui ont décidé de faire, de nos smartphones et de nos tablettes, l'instrument de leur racket.

Deuxième mesure, une peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux, pour une période de six mois, portée un an en cas de récidive, pour les personnes reconnues coupables de faits de cyberharcèlement ainsi que d'autres faits de violence en ligne.

Le cyberharcèlement se propage comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Les responsables ? Une minorité d'internautes qui se comportent parfois comme des chefs de meute, qui désignent des victimes à la vindicte de leur communauté et qui déclenchent sur ses victimes des raids de violence et de haine.

Avec cette mesure, qui est inspirée de la peine complémentaire d'interdiction de stade, nous voulons couper là aussi le mal à la racine en privant ces chefs de meute de leur caisse de résonance, en confisquant leur notoriété et en rendant impossible la récidive.

Je veux saluer les travaux du rapporteur Loïc Hervé, qui a permis d'étendre cette peine complémentaire dans un certain nombre de dimensions qui permettront au juge, qui décidera de s'en saisir, de faire en sorte que cette question de la récidive sur les réseaux sociaux soit dûment traitée.

Troisième mesure de protection de nos concitoyens, un régime encadrant les nouveaux jeux en ligne fondés sur les technologies du Web 3.0. Il s'agit là de créer les conditions pour que ces activités puissent se développer en France, tout en assurant le plus haut niveau de protection aux mineurs, mais aussi de garantir la lutte contre le blanchiment et la lutte contre le terrorisme.

De ce point de vue là, je veux remercier et féliciter le rapporteur Patrick Chaize d'avoir su rédiger en dur la disposition qui définit l'expérimentation pendant une durée de trois ans dans laquelle ces activités vont pouvoir se déployer avec un certain nombre de garanties les entourant, là où la copie initiale du gouvernement, il faut bien le confesser, consistait en une habilitation à légiférer par ordonnance, donc je veux remercier le rapporteur pour son travail.

Au chapitre de la protection des mineurs, deux mesures fortes.

La première consiste à donner à l'Arcom le pouvoir d'ordonner le blocage, le déréférencement et des amendes dissuasives à l'encontre des sites pornographiques qui ne vérifieront pas l'âge des utilisateurs grâce à la loi du 30 juillet 2020, l'obligation est faite aux sites pornographiques de vérifier l'âge de leurs utilisateurs, ça n'est toujours pas fait à l'heure actuelle.

Une procédure est en cours devant le tribunal judiciaire de Paris, qui rendra son verdict vendredi, c'est-à-dire dans trois jours. Constatant les délais de cette procédure, le rapport des sénatrices a ouvert un certain nombre de pistes complémentaires, dont cette faculté donnée à l'Arcom d'ordonner en quelques semaines le blocage des sites pornographiques pour les affaires à venir.

Et effectivement pour les affaires à venir, cette disposition nous permettra d'aller beaucoup plus vite et beaucoup plus fort.

Autre mesure de protection des enfants, une peine d'un an d'emprisonnement et 250 000 € d'amende pour les hébergeurs qui ne retireront pas les contenus pédopornographiques qui leur sont signalés par les services de la police et de la gendarmerie en moins de 24 heures, à l'image de la sanction qui est prévue pour le non-retrait par les hébergeurs des contenus terroristes.

Je veux rappeler que l'année dernière, 74 000 contenus pédopornographiques ont été signalés aux hébergeurs par les services de la gendarmerie et de la police. Il faut donc assortir cette obligation de retrait d'une sanction et c'est ce qui est prévu par le texte.

Deux mesures ensuite de protection de nos entreprises et de nos collectivités.

D'abord pour nos entreprises, l'encadrement des avoirs commerciaux, l'interopérabilité et l'interdiction des frais de transfert sur le marché de l'infonuagique, c'est-à-dire sur le marché du cloud.

C'est un marché qui est extrêmement concentré entre les mains d'une poignée d'acteurs qui tiennent nos entreprises dans un lien de dépendance et d'assujettissement.

Là aussi, il faut en finir avec la loi du plus fort. Cela a été proposé par un certain nombre de rapports du Sénat. Nous y avons été très sensibles avec Bruno Le Maire, puisque la souveraineté en matière de numérique et de cloud est une priorité pour nous, et vous trouverez donc dans ce projet de loi affiné par les travaux de la Commission spéciale, des mesures qui nous permettront de rendre leur liberté et donc un peu d'air aux entreprises de France.

Et puis, pour les collectivités, une base de données unique pour leur permettre de mieux réguler l'activité des meublés de tourisme.

Une expérimentation s'est tenue ces dernières années, qui a associé cinq collectivités et cinq plateformes de location. Avec le projet de loi, nous proposons de pérenniser cette expérimentation, et que les collectivités, pour pouvoir vérifier la bonne application du droit et en particulier la limite des 120 nuitées par an, puissent pouvoir se tourner vers un interlocuteur unique, de manière à vérifier que les règles, et en particulier celle des 120 nuitées, sont bien appliquées sur leur territoire.

Enfin, je voudrais souligner une mesure de protection de notre démocratie avec le pouvoir donnée à l'Arcom de mettre en demeure et d'ordonner le blocage des sites qui diffuseront des médias frappés par des sanctions telles que celles que l'Union européenne a prises à l'encontre de RT France et de Sputnik.

La désinformation est l'une des menaces les plus lourdes qui pèsent sur notre démocratie. 

Les ennemis de la démocratie dévoient la liberté d'expression pour instiller dans le débat public le mensonge. Avec cette mesure nous complèterons notre arsenal de lutte contre la désinformation.

Ce projet de loi, je l'avais dit lorsque je l'ai présenté devant la commission spéciale, a vocation à être enrichi et renforcé au Parlement et singulièrement au Sénat.

Je serai pour ma part attentif à ce que nous veillons collectivement à ne pas franchir deux lignes rouges.

La première de ces lignes rouges, c'est de veiller à ce que les compromis que la France a apportera au niveau européen, et qui ont donné lieu au règlement sur les services numériques, au règlement sur les marchés numériques, soient respectés par ceux par ce texte dont nous allons débattre ensemble.

Il s'agit donc de compromis. La France n'a pas pu obtenir tout ce qu'elle aurait voulu, mais le fait que ce soient des compromis européens leur donnent toute leur force, et c'est effectivement en faisant le levier du marché unique européen que nous avons pu ainsi obtenir un certain nombre de concessions et que les sanctions associées au non-respect de ces règlements seront d'une sévérité suffisamment dissuasives pour que les géants du numérique modifient une bonne fois pour toute leur comportement.

La deuxième ligne rouge, c'est que s'agissant de tous ces désordres que nous constatons au quotidien dans l'espace numérique, il est parfois tentant de vouloir y mettre fin d'une manière qui enfreignent à certaines des libertés fondamentales sur lesquels repose notre fonctionnement démocratique : la liberté d'expression, la liberté d'information et la liberté de communication.

Il nous faudra dans nos débats, discerner pour faire en sorte que vos propositions et que les nôtres se tiennent bien entre ces deux lignes rouges : le respect des compromis obtenus par la France au niveau européen et le respect des libertés fondamentales sur lesquels repose notre démocratie.

Je compte évidemment sur le Sénat pour enrichir et renforcer ce texte qui poursuivra ensuite son chemin vers l'Assemblée nationale et je vous remercie par avance pour la qualité de nos échanges.

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