Jean-Noël Barrot : « Il faut agir vite et fort : frapper ces chefs de gang au portefeuille, là où ça fait mal »
Dans un entretien accordé au Journal de Dimanche, notre ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, détaille son plan de lutte contre le narcotrafic. Douze accords internationaux, une académie régionale anti-crime, et des sanctions financières contre les cartels : il promet une diplomatie offensive et musclée.
Le JDD : Pour la première fois de son histoire, le Quai d’Orsay annonce un plan de lutte contre le narcotrafic. Quelles sont les marges de manœuvre du MAE ?
Jean-Noël Barrot :
Le narcotrafic et la criminalité organisée qui l’accompagne sont des fléaux frappant de nombreux pays, dont la France.
Tous les territoires de la République sont désormais concernés. Les conséquences ravageuses de ce phénomène menacent la santé publique et la sécurité des Français. Dix mille hospitalisations annuelles sont directement liées à la consommation des stupéfiants. Leur trafic explique quant à lui 80 à 90 % des règlements de comptes, des meurtres et des tentatives de meurtre entre délinquants, selon un rapport parlementaire.
Avec la loi du 13 juin 2025, la France s’est dotée d’un arsenal pour lutter contre ce fléau, constitué notamment d’un état-major interministériel et d’un parquet anti-criminalité organisée.
Mais face à la mondialisation accélérée des trafics, il faut aussi agir pour éradiquer le mal à la racine. J’ai décidé de mettre le Quai d’Orsay en ordre de bataille pour qu’il prenne toute sa part dans la guerre contre la drogue.
À travers ces annonces, souhaitez-vous démontrer aux Français que l’action du Quai d’Orsay a des conséquences sur leur quotidien ?
Les Français sont parfaitement conscients que les Affaires étrangères nous concernent tous.
Ce qui se passe au-delà de nos frontières a des conséquences directes et immédiates sur nos vies quotidiennes. Maîtrise de l’immigration, réindustrialisation, lutte contre le terrorisme et contre tous les trafics : sur tous ces sujets, l’action diplomatique est nécessaire, et le Quai d’Orsay voit tout et ne lâche rien.
C’est vrai aussi lorsqu’il s’agit de protéger nos compatriotes à l’étranger. C’est l’honneur de notre diplomatie d’avoir réussi à mettre enfin en sécurité Cécile Kohler et Jacques Paris à l’ambassade de France à Téhéran. On est très loin de la diplomatie des bons sentiments.
Moi, je défends une diplomatie de résultats et d’impact.
Vous avez entamé une tournée en Amérique du Sud, d’où provient l’immense majorité de la cocaïne consommée en France. Qu’espérez-vous ?
Je suis cette semaine en Amérique latine et dans les Caraïbes pour lancer le premier volet de mon plan de lutte contre le narcotrafic. C’est en effet dans cette région qu’est produit l’ensemble de la cocaïne qui déferle dans les rues des villes et des villages de France, où elle est consommée par plus d’un million de personnes. Et les cartels de la région sont désormais actifs en Europe.
J’ai d’abord signé un cadre de coopération douanière avec le Mexique, à l’occasion de la visite d’État du président de la République. Je me suis ensuite rendu en Colombie, d’où sont issues 70 % de la production mondiale de cocaïne, pour constater les excellents résultats de notre coopération avec les autorités colombiennes, notamment la marine, et renforcer notre dispositif et nos moyens. Au Canada en début de semaine prochaine, je retrouverai mes collègues du G7, au moment où la France s’apprête à en prendre la présidence, pour les engager à agir conjointement contre le narcotrafic et la criminalité organisée.
Mexique, Colombie, Bolivie… Ces États sont rongés par la corruption et voient certaines de leurs régions être entièrement contrôlées par les cartels. Peut-on envisager une coopération pérenne avec eux ?
Notre coopération avec ces pays produit des résultats.
Sous l’autorité du Premier ministre, elle mobilise de nombreux services de l’État. En Colombie, par exemple, notre travail avec la police colombienne a permis la saisie et la destruction de stocks de cocaïne, l’interpellation de 17 personnes recherchées par la France, et conduit au démantèlement d’un réseau. Mais c’est insuffisant.
Nous allons donc augmenter de 20 % les effectifs spécialisés dans les ambassades et tripler leurs moyens d’intervention. Pour permettre à nos partenaires de monter eux aussi en puissance, je souhaite créer en 2026 une Académie régionale de lutte contre la criminalité organisée, basée en République dominicaine, qui formera chaque année 250 enquêteurs, magistrats, douaniers et analystes financiers issus des forces de sécurité et de justice des pays partenaires.
Vous annoncez frapper les trafiquants au portefeuille, y compris lorsqu’ils sont à des milliers de kilomètres du territoire national. Comment comptez-vous faire ?
Il faut agir vite et fort. Frapper ces chefs de gang au portefeuille, là où ça fait mal et à la bonne échelle.
Nous nous sommes dotés de la capacité de les sanctionner au niveau national. Je défends la création d’un régime de sanctions européen qui permettra de geler leurs avoirs, de leur interdire toute transaction financière et l’accès au territoire européen.
Les têtes des réseaux de narcotrafiquants sévissent bien souvent depuis l’étranger. Là aussi, vous souhaitez faciliter les extraditions. Par quels moyens ?
Le projet de loi portant approbation de la convention d’extradition entre la France et la Colombie, que j’ai signé avec mon homologue l’année dernière, vient d’être déposé au Parlement et sera je l’espère voté très bientôt. Il s’ajoutera aux accords que nous avons avec de nombreux pays.
Mais là encore, il faut aller beaucoup plus loin. Dans les douze prochains moins, je souhaite que nous puissions signer douze accords supplémentaires avec les pays d’Amérique latine et des Caraïbes que nous avons identifiés comme prioritaires. Ils couvriront tous les domaines de la défense à la justice en passant par la sécurité et les douanes.
(...)
Aux États-Unis, Donald Trump a opté pour la solution forte. Désormais classés comme groupes terroristes, les cartels sont régulièrement visés par des frappes aériennes. Que pensez-vous de cette méthode ?
Nous avons suivi avec préoccupation les frappes dans les eaux internationales menées par les États-Unis, qui s’affranchissent du droit international et du droit de la mer.
Mais soyons clairs, nous ne pouvons laisser prospérer ces mafias sans foi ni loi qui menacent la sécurité d’une région du monde dans laquelle la France est présente via nos territoires et compatriotes d’outre-mer.
Et la France n’hésite pas à mobiliser ses moyens militaires pour arraisonner les navires des narcotrafiquants, en coopération étroite avec les pays concernés, comme nous l’avons fait récemment au large de Madère.
En plus d’une politique répressive assumée, quelles sont les actions à mettre en place pour mettre à mal la « culture de la drogue » si prégnante en Amérique latine ?
Il est en effet essentiel de réorienter les économies d’Amérique latine vers des cultures de substitution à celle de la coca. Nous le faisons déjà en Colombie, en Équateur et au Pérou, avec des résultats prometteurs.
Pour aller plus loin, je vais doubler l’aide au développement consacrée à ces projets ainsi qu’aux projets de lutte contre le blanchiment et de sécurisation des infrastructures de transport dans la région. Elle passera de 200 à 400 millions d’euros et fera l’objet d’une évaluation stricte.
Il est beaucoup moins cher de traiter les causes du narcotrafic plutôt que ses conséquences. La sécurité des Français est en jeu.
Lire l'entretien complet dans le Journal de Dimanche.