François Bayrou : « Ma responsabilité, c’est de stabiliser, remettre de l’ordre et aller de l’avant »
Ce dimanche 29 juin, François Bayrou, Premier ministre et Président du MoDem, était l’invité du Grand Jury RTL - Le Figaro - Public Sénat - M6.
Seul le prononcé fait foi.
Olivier Bost : Bonjour à tous, bonjour François Bayrou,
François Bayrou : Bonjour.
Olivier Bost : Merci monsieur le Premier ministre d'avoir accepté notre invitation pour ce Grand Jury exceptionnel. Après six mois à Matignon, avez-vous épuisé votre méthode : favoriser en toutes circonstances le dialogue ? Certains disent : gagner du temps. Les socialistes, après vous avoir épargné, veulent vous faire tomber. C'est la conséquence directe de l'échec des négociations sur les retraites. Le Rassemblement national vous menace sur le budget. Vous cherchez toujours 40 milliards d'euros d'économie. Et pendant ce temps-là, le socle commun se délite et le président s'impatiente. Bienvenue dans ce Grand Jury, François Bayrou. À mes côtés pour vous interroger, Perrine Tarneaud de Public Sénat, Jim Jarrassé du Figaro et nous serons rejoints par Pauline Buisson de M6.
Je le disais donc, les négociations sur les retraites se sont achevées sans accord, les socialistes vous lâchent, le Rassemblement National vous menace. Avez-vous, cette semaine, François Bayrou, touché les limites de votre méthode ?
François Bayrou : En aucune manière. D'abord, ce que vous avez annoncé ou présenté n'est pas tout à fait exact. Mais remarquons pour commencer que c'est exactement comme ça depuis le premier jour. J'ai été nommé Premier ministre par le président de la République alors que le gouvernement de Michel Barnier avait été censuré, que la France n'avait ni budget pour son action publique, ni budget pour son action sociale, qu'il n'y avait aucune majorité disponible, ni d'un côté ni de l'autre, si je puis dire. C'est quand même une situation sans précédent sous la Ve République que de n'avoir ni majorité absolue ni majorité relative. Et donc c'était la déliquescence. En quelques semaines, nous avons pu faire voter un budget pour l'action publique, nous avons pu faire voter un budget pour l'action sociale. Nous avons passé des textes très importants, la loi contre le narcotrafic, la loi d'orientation agricole, la loi de reconstruction de Mayotte qui était, vous vous en souvenez, depuis la première heure un souhait.
Olivier Bost : Là, vous repassez...
François Bayrou : Non, non, laissez-moi...
Olivier Bost : Oui, mais vous repassez les six premiers mois, mais vous oubliez la dernière semaine.
François Bayrou : Pas du tout.
Olivier Bost : Non ?
François Bayrou : Et peut-être que ce serait bien qu'on s'écoute pendant l'émission.
Olivier Bost : Je vous en prie.
François Bayrou : Donc, il y avait, depuis la première semaine, cette question des retraites, qui est, comme vous le savez, la question même sur laquelle était tombé Michel Barnier, et une question lancinante depuis, j'allais dire, des décennies. Et lorsque j'ai été nommé, j'ai rencontré l'ensemble des partenaires de la vie économique et sociale, et tous m'ont dit une chose qui m'a beaucoup frappé, ils ont dit « mais on aurait vraiment pu améliorer ce texte ». Il a été adopté par le 49.3, et je ne crois pas qu'Elisabeth Borne avait beaucoup d'autres moyens de faire que de le faire passer sous cette forme, mais on pouvait vraiment l'améliorer. Et je les ai pris au mot, j'ai dit : eh bien, si vous pensez que c'est améliorable, je crois, c'est une raison essentielle de mon engagement, que la démocratie politique ne peut pas tout et qu'il faut ce qu'on appelle la démocratie sociale. C'est-à-dire les représentants des Français dans leur métier, dans leurs entreprises, par les syndicats, par les associations, tous ceux-là doivent avoir leur mot à dire. Et j'ai pris l'engagement de leur confier cette responsabilité. Et vous dites ça a été un échec ? Pas du tout. Vous vous trompez. Excusez-moi…
Olivier Bost : La CFDT ne veut plus discuter.
François Bayrou : Non. Pardon, la CFDT a dit qu'elle ne voulait plus de cette forme pour les deux ou trois semaines qui viennent. Elle n'a pas dit qu'elle ne voulait plus parler.
Olivier Bost : Est-ce que vous avez un rendez-vous avec la CFDT ? Est-ce que vous remettez autour de la table les partenaires sociaux dans les dix jours ou quinze jours qui viennent ?
François Bayrou : Excusez-moi, j'ai donné une conférence de presse devant tous vos journalistes sur ce sujet et j'ai dit très précisément les choses. Ça n'a pas été un échec, on a été au contraire à l'extrême bord d'un accord.
Olivier Bost : Oui, mais vous avez annoncé une reprise du dialogue.
François Bayrou : Non…
Olivier Bost : Vous avez donné 15 jours aux partenaires sociaux…
François Bayrou : Non, s'il vous plaît, laissez-moi…
Olivier Bost : C’est bien ce que vous avez dit vendredi.
François Bayrou : Je vieux bien faire une émission dans laquelle on se coupe à toutes les secondes…
Olivier Bost : Non, non.
François Bayrou : …comme dans toutes les autres émissions, ce qui est profondément lassant pour ceux qui nous écoutent.
Olivier Bost : Je ne dis pas ça, François Bayrou, mais sur la situation actuelle, les syndicats ne veulent plus parler sous cette forme.
François Bayou : Vous vous trompez complètement et du tout au tout sur la situation. Ce qu'on a appelé le conclave, c'est-à-dire les organisations représentant des entreprises et représentant des syndicats ont travaillé pendant quatre mois. Ils ont progressé de manière spectaculaire sur les trois grands sujets qui faisaient pour moi, depuis le début, je l'ai rappelé, la question des retraites, le sujet des femmes, le sujet de la pénibilité et le sujet du financement d'une amélioration de la réforme.
Perrine Tarneaud : Il reste, François Bayrou, des blocages qui n'ont pas évolué depuis 4 mois que ces négociations ont commencé. On voit que le MEDEF, le patronat, reste intransigeant, notamment sur le financement de la pénibilité, alors que les syndicats, eux, ont bougé. Comment vous expliquez d'une part cette intransigeance du MEDEF et comment pensez-vous que les choses puissent encore évoluer ?
François Bayrou : Vous avez raison de dire qu'il y a eu des mouvements très importants de la part des syndicats. Et le principal mouvement, comme vous le dites, c'est qu'ils ont accepté que l'âge soit désormais un des cadres de l'évolution du système de retraite.
Olivier Bost : Les 64 ans.
François Bayrou : Et ils l'ont accepté, je ne sais pas si on se rend compte, de la révolution que cela représente. Ils l'ont accepté et ils ne sont pas les seuls, puisque le Conseil d'orientation des retraites, le COR, a publié un rapport dans lequel il explique précisément que l'équilibre financier du système de retraite ne peut être atteint, ne peut être acquis, en particulier que si on respecte ces limites d'âge-là, parce qu'autrement ce sont de nouveaux prélèvements sur les entreprises, c'est-à-dire l'augmentation du coût du travail, que je crois personne de raisonnable ne voudrait, soit de nouvelles taxes et de nouveaux impôts que je ne crois pas que les Français souhaitent. Et donc, cette prise de décision impressionnante, en tout cas à mes yeux, que vous rappelez, Perrine Tarneaud, sur « accepter le cadre de l'âge et travailler à partir de là » . Et sur les trois autres sujets que j'ai indiqués, mais ce que vous avez souligné est une révolution. Sur les trois autres sujets...
Perrine Tarneaud : Mais le MEDEF reste intransigeant, ça n'avance pas.
François Bayrou : Je ne le crois pas.
Perrine Tarneaud : Il peut encore bouger ?
François Bayrou : Je ne le crois pas. Ça n'est pas le MEDEF qui a à bouger maintenant, c'est le gouvernement.
Olivier Bost : Ça veut dire quoi ?
François Bayrou : Il y a eu une séquence - mais je vais revenir aux femmes - il y a eu une séquence démocratie sociale qui est arrivée presque à quelques centimètres d'un accord. Au bout du compte, pour mille raisons, ça n'a pas été possible. Mais il demeure que des pas, vous le rappelez, essentiels ont été faits.
Olivier Bost : Pour bien comprendre, François Bayrou, ça veut dire que le dossier revient entre les mains du gouvernement ?
François Bayrou : Oui. Comme il est normal.
Olivier Bost : D'accord, mais concrètement ça veut dire quoi ?
François Bayrou : La démocratie sociale a sa responsabilité. Et ensuite, les pouvoirs publics, le gouvernement, a la responsabilité de trancher.
Jim Jarrassé : Donc concrètement, les trois semaines que vous avez accordées aux partenaires sociaux pour se mettre d'accord sur les derniers points évoqués, c'est caduque ?
François Bayrou : Ce n'est pas caduque du tout. Si en parlant entre eux, ils avancent très bien, je le prendrais en compte.
Jim Jarrassé : Dans quel cadre ?
François Bayrou : Dans le cadre des conversations bilatérales, comme on dit, c’est-à-dire les yeux dans les yeux, informel. Et ils discutent tous les jours.
Jim Jarrassé : Sur ce point...
François Bayrou : Vous l'ignorez, ou vous faites semblant de l'ignorer pour dire la vérité, mais ils parlent tous les jours. Mais de toute manière, le gouvernement va faire deux choses. D'une part, prendre en compte les avancées qui ont été faites sur les femmes, c'est très important. Il y a des millions de femmes qui ont été, à la vérité, désavantagées par la réforme de 2023. Et la pénibilité, parce qu'il y a des métiers sur lesquels il faut traiter. Alors, si vous voulez bien, on va traiter les deux sujets.
Perrine Tarneaud : Mais ça ce sont des mesures qui coûtent un peu d'argent. Or, vous aviez voulu baser cet accord sur au moins un équilibre financier.
François Bayrou : Heureusement ! Mais l'équilibre financier, ça ne veut pas dire qu'on ne fait aucun effort. Ça veut dire qu'à l'intérieur du financement comme il est, on peut déplacer des financements d'une action sur une autre action. L'argent est là. Et j'y viens dans une seconde. Mais je veux, pour ceux qui nous écoutent, parce que je suis sûr que c'est ce qui les intéresse le plus, je veux rappeler les progrès faits. Et ils ont été faits. Je ne suis pas en train de vendre du rêve, c'est la vérité des situations, la vérité des évolutions qui ont été traitées. Premièrement sur les femmes, c'est un sujet absolument central parce qu’en raison des maternités, la carrière des femmes fait qu’elles sont pénalisées dans le mode de calcul de la réforme comme elle était. Il va y avoir deux évolutions majeures sur les femmes la première c'est - vous savez que la pension était calculée sur les 25 meilleures années dans le privé - pour les femmes qui ont un enfant, on ne calculera que sur les 24 meilleures années et pour celles qui ont deux enfants ou plus on calculera sur les 23 meilleures années. Ça veut dire qu'elles gagnent un an ou deux ans pour la prise en compte de leur pension de retraite, et ce n’est pas rien. Et deuxièmement, les organisations syndicales ont obtenu aussi qu'au lieu de 67 ans pour partir à la retraite, comme on dit sans décote, c'est-à-dire avec ses droits pleins, on redescend cet âge à 66 ans et demi. Et si vous combinez les deux, alors vous vous rendez compte que pour les femmes qui ont eu des enfants, c'est un progrès considérable, en tout cas très important.
Olivier Bost : François Bayrou, sur la pénibilité ?
François Bayrou : Ensuite, il y a la pénibilité. C'est ça que vous alliez me demander, Olivier Bost ? C'est la pénibilité. La pénibilité, vous savez, dans la réforme de 2023, on avait écarté un certain nombre de critères qui, je crois, sont pourtant essentiels. Critères : est-ce que vous avez porté des charges lourdes ? Il y a des métiers dans lesquels, vous savez, ça compte beaucoup. Deuxièmement, est-ce que vous êtes exposé aux vibrations, les marteaux-piqueurs ? Et troisième critère, est-ce que dans votre métier, il y a des postures pénibles ? Je pense aux Atsem, par exemple. C'est plus souvent des femmes, qui s'occupant des petits-enfants sont obligés de se mettre à genoux dans les crèches, etc.
Olivier Bost : Vous êtes en accord avec les organisations syndicales sur ces aspects-là ?
François Bayrou : Et ces aspects-là, tout le monde a accepté qu'ils soient réintégrés dans le calcul de la pénibilité. Ce n'est pas une petite chose. Deuxièmement, ce que demandaient les organisations syndicales, c'est qu'on puisse, à partir de ces critères, et notamment des trois critères que je viens d'évoquer, qu'on puisse faire une cartographie des métiers à risque sur la pénibilité et tout le monde a accepté ça. Troisième question sur laquelle il y a eu un accord partiel c'est : à partir de cette cartographie des métiers à risque, qu'est-ce qu'on fait ? Alors il y a deux réponses possibles ou deux réponses nécessaires. La première de ces réponses, c'est « on construit une politique de prévention ». Et là, tout le monde est d'accord sur ce point. Et la deuxième de ces réponses, c'est « on recherche une politique de réparation ». Et là, il y a deux options. Et c'est vrai qu'il n'y a pas eu un accord encore, et c'est pourquoi le gouvernement va prendre ses responsabilités.
Olivier Bost : François Bayrou…
François Bayrou : Ces deux options sont, d'un côté, on réserve la réparation à ceux qui ont une visite médicale, qui peut montrer qu'ils ont été atteints, et de l'autre position syndicale, on fait au contraire des mesures plus générales. Sur ce point, il n'y a pas eu d'accord. C'est le dernier point qui reste.
Olivier Bost : Et vous avez un point de vue sur ce point-là ?
François Bayrou : J'ai un point de vue que je vais - oui, puisque vous m'interrogez, je vais vous dire mon point de vue. Il se trouve qu’hier, enfin pardon, cette semaine, le lendemain de la séparation, les organisations syndicales et professionnelles ont continué à travailler sur un autre sujet. Et cet autre sujet, c'est la recherche d'une transition pour une réorientation quand un métier est pénible. Ils ont continué à travailler. Et ils ont trouvé une réponse qui commence par une visite médicale à 45 ans. Alors vous voyez, c'est un raisonnement qui est entre nous extraordinairement utile, puisqu'il me semble que ce que nous devrions dire tous ensemble, c'est quand un métier est pénible, on ne maintient pas les femmes et les hommes dans ce métier sans leur offrir une possibilité de réorientation précoce. Il n'y a aucune raison de laisser 33 ans, puisque c'est ça le seuil qui a été fixé. Proposons des changements, travaillons. C'est vrai pour les collectivités locales aussi, parce que je pense au personnel des écoles, je pense au personnel de la voirie. On peut proposer des réorientations précoces, une visite à 45 ans, une visite à 50 ans. Et puis vous voyez que nous avons un chemin. Il n'y a pas eu d'accord sur ce point, mais le chemin existe.
Olivier Bost : François Bayrou, d'un point de vue concret, vous avez dit donc le gouvernement reprenait le dossier en main, vous allez faire des annonces quand ? Est-ce que ça sera autour du 15-16 juillet lorsque vous parlerez du budget, puisqu'il y a une question budgétaire bien évidemment derrière cette question des retraites ? Ou est-ce que c'est au moment du budget de la sécu, c'est-à-dire beaucoup plus loin dans l'année ?
François Bayrou : Oui, beaucoup plus loin, pas tellement plus loin.
Olivier Bost : La fin de l'année en tout cas.
François Bayrou : C'est la rentrée, c'est septembre, octobre. Je pense qu'en effet c'est la bonne date, parce que je me suis engagé à présenter un texte que le Parlement examinera sur ce sujet. La démocratie sociale, qui a beaucoup avancé, pas tout à fait jusqu'au bout.
Jim Jarrassé : Pardon monsieur le Premier ministre, si ce n’est pas un texte ad hoc, ce sera des éléments du PLFSS, du projet de loi de financement de la sécurité sociale ?
François Bayrou : Alors les juristes sont en train de discuter, je vais vous épargner les discussions des juristes.
Jim Jarrassé : Mais c’est important politiquement.
François Bayrou : Je pense que le cadre le plus facile c'est le PLFSS, comme on dit…
Perrine Terneaud : Mais vous n’excluez pas un projet de loi ?
François Bayrou : …c'est-à-dire le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Mais peut-être y a-t-il des dispositions, j'en discutais hier soir avec Elisabeth Borne, peut-être y a-t-il des dispositions qui nécessiteront une inscription législative.
Olivier Bost : Jim Jarrassé disait que c'était aussi un fait effectivement politique, parce que c'est pour ça que les socialistes déposent une motion de censure qui sera discutée la semaine prochaine. Ils vous reprochent de ne pas avoir fait de loi sur les retraites. Olivier Faure, le patron du PS, parle même ce matin chez nos confrères de LCI de trahison.
François Bayrou : Oui, c'est une blague. Le Parti socialiste ne fait pas une censure sur la question de l'inscription du texte législatif. Ils font une censure pour montrer qu'ils sont dans l'opposition. Ils font une censure en expliquant pour les plus éminents d'entre eux que ça ne sera pas voté.
Olivier Bost : François Hollande ?
François Bayrou : Que c'est un coup de semonce. Bon, il y a des raisons internes au Parti socialiste sur lesquelles je ne me pencherai pas. Mais vous avez remarqué très précisément qu'ils ont annoncé la censure en disant : on dépose une motion de censure parce qu'il n'y a pas de texte législatif. Et qu'ayant annoncé un texte législatif, ils maintiennent la motion de censure en disant « nous, on veut un texte législatif qui porte sur l'âge ». Comment ?
Olivier Bost : Est-ce que politiquement vous considérez que vous êtes aujourd'hui lâché en quelque sorte par les socialistes ? Jusque-là il y avait sinon une forme de soutien, en tout cas une mansuétude, on l'a vu au moment de l'adoption du budget au début de l’année.
François Bayrou : Non, je vous rappelle qu'ils ont déjà déposé une motion de censure…
Olivier Bost : Oui.
François Bayrou : …qui a donné lieu à une explication un peu vigoureuse à la tribune.
Jim Jarrassé : Vous ne regrettez pas ? Que vous ne regrettez pas, aujourd'hui ?
François Bayrou : Non, je regrette rarement les choses, parce que quand je les fais, c'est avec respect. Vous savez, le Parti Socialiste a été un très grand parti politique français.
Perrine Tarneaud : Ça ne l'est plus aujourd'hui ?
François Bayrou : Il a eu la responsabilité du pouvoir.
Olivier Bost : Alors Olivier Faure, chez nos collègues, dit à l'instant : plus aucune intransigeance avec vous.
François Bayrou : Non, plus aucune indulgence.
Olivier Bost : Indulgence, pardon.
François Bayrou : Intransigeance, je pense qu'il y a leur dose.
Olivier Bost : Indulgence, indulgence.
François Bayrou : Mais ça a été un très grand parti politique français.
Perrine Tarneaud : C'est fini aujourd'hui ?
François Bayrou : Et c'est un grand courant politique français. L'organisation partisane qui répond de ce courant, je n'ai pas à la juger. Mais vous voyez bien qu'elle arrive à des errements que, y compris ses propres membres, dénoncent. Et donc, quelle est ma vision de l'avenir ?
Jim Jarrassé : Est-ce que vous pouvez gouverner sans eux ?
François Bayrou : Nous gouvernons sans eux depuis six mois et trois semaines.
Jim Jarrassé : Oui, mais avec une forme de non-censure.
François Bayrou : Non, il n'y a pas de forme de non-censure. Ils ont déposé une motion de censure.
Perrinne Tarneaud : Cette motion de censure, elle ne passera que si le Rassemblement national la vote. Est-ce qu'aujourd'hui, vous avez l'assurance, au-delà des déclarations du RN, que les députés du Rassemblement national ne la voteront pas ?
François Bayrou : Madame Tarneaud, je n'ai aucune assurance d'aucune sorte. Le gouvernement, son prédécesseur a été censuré, il n'y a pas de majorité, et je sais mieux que personne quelle est la difficulté de la situation et la fragilité de la position du gouvernement.
Perrine Tarneaud : Vous avez entendu les menaces de Marine Le Pen, « ce gouvernement ne vivra pas très longtemps ».
François Bayrou : Oui.
Perrine Tarneaud : Vous l'avez pris pour une menace ?
François Bayrou : Tout le monde menace. Mais qui s'occupe de la situation du pays ? Que font les partis qui menacent de censurer ?
Olivier Bost : Mais où est votre chemin, François Bayrou, dans cette situation politique ?
François Bayrou : Eh bien ce chemin, je le montre et je vous dis à quoi je pense qu'il faudra arriver. Je pense que pour gouverner la France dans les difficultés où elle est, il conviendra de constituer un vaste courant de responsables, qui va du Parti socialiste comme il devrait être…
Olivier Bost : À quelle échéance ?
François Bayrou : …on va essayer de le dire comme cela. Jusqu’en passant par les mouvements du centre politique français jusqu'au gaullisme. Je pense que là, il y a...
Olivier Bost : Vous parlez de quelle échéance, François Bayrou ?
François Bayrou : Je ne sais pas quelle est l'échéance, mais je sais quelle est la voie.
Jim Jarrassé : Concrètement, ça ne fonctionne pas aujourd'hui. On voit bien que c'est cette situation-là dans laquelle on est déjà et qui montre ses limites.
François Bayrou : Vous êtes journaliste, vous êtes observateur. Vous savez très bien quelle est la situation du pays. Depuis la dernière élection présidentielle, depuis la dissolution, vous voyez bien qu'en effet, la division est à l'ordre du jour. À tous égards, vous suivez les débats de l'Assemblée nationale. Par moments, c'est effrayant.
Perrine Terneaud : Y compris dans votre propre socle central ? On a vu que les choses se délitaient un peu en ce moment.
François Bayrou : Mais nous sommes un pays dans lequel tous les cadres habituels se délitent. Et peut-être on peut aller plus loin. Nous sommes une planète dans laquelle tous les cadres habituels se délitent. C'est ce moment-là. Et quelle est notre responsabilité, en tout cas la mienne ? C'est dans ce monde où tout se divise, d'essayer de faire les trois choses nécessaires pour conduire une politique. La première de ces choses, c'est stabiliser. La deuxième, c'est remettre de l'ordre. Et la troisième, c'est aller de l'avant. Parce qu'on ne peut pas se contenter de calmer les choses. Il faut traiter les questions. Vous avez évoqué à très juste titre les questions budgétaires.
Olivier Bost : Justement, c'est votre prochain défi, monsieur le Premier ministre…
François Bayrou : Non, ce n'est pas le prochain. J'en ai un entre-temps. Je vais vous l'expliquer, puisque vous m'interrogez sur ce sujet.
Olivier Bost : On arrivera au budget après. Vous avez un défi avant le budget ?
François Bayrou : Oui. Donc, nous allons... Mais le budget, vous voyez bien, c'est le cadre de tout ça. Comment est-ce qu'on peut laisser un pays comme le nôtre, une nation comme la nôtre, une histoire comme la nôtre, livré au surendettement ? Tous ceux qui nous écoutent, ils savent très bien ce qu'est le surendettement pour une famille, courir après un nouveau crédit.
Olivier Bost : C’était une de mes questions, monsieur le Premier ministre. C'est que ça fait partie, s'attaquer à l'endettement, c'est le budget de l'année prochaine, c'est effectivement votre prochain défi. Est-ce que les 40 milliards d'euros d'économie, c'est un point de départ pour discuter ou c'est le point d'arrivée ?
François Bayrou : C'est un point nécessaire.
Olivier Bost : C'est pas précis comme réponse.
François Bayrou : Il faut expliquer, mais je vous répondrai sur le nouveau défi aussi.
Perrine Tarneaud : Non, mais est-ce que ça reste votre objectif, 40 milliards d'économies pour le budget 2025 ?
François Bayrou : Non, mon objectif est très précis. C'est que nous prenions une pente des dépenses publiques, qui nous permette de nous retrouver dans 4 ans à un niveau tel que la dette n'augmente plus.
Olivier Bost : Et est-ce que le point de cette pente, c'est 40 milliards d'euros d'économie l'année prochaine ?
François Bayrou : C'est 4.6 comme objectif de déficit. C'est-à-dire, actuellement, nous avons...
Olivier Bost : Donc ça correspond à 40 milliards ?
François Bayrou : Quand j'ai été nommé, nous avions presque 6% de déficit pour le pays. 5,8. On va passer cette année à 5,4. Et c'est très difficile. Parce que, tous les jours... Vous avez vu que hier, on a eu une alerte officielle sur les dépenses sociales.
Olivier Bost : François Bayrou, les 40 milliards sont un objectif intangible et à tenir ?
François Bayrou : 40 milliards, la pente que je décris, c'est ce que nous allons suivre et atteindre. Je l'espère. On va faire tout ce qu'on peut, mais on ne sait pas s'il n'y a pas une guerre, on ne sait pas s'il n'y a pas une crise. Mais ceci est notre objectif.
Olivier Bost : Vous avez donné un rendez-vous au pays dans 15 jours. Vous allez annoncer les grandes mesures.
François Bayrou : Exactement, je vais annoncer ce qui me paraît nécessaire de faire. Et ça sera tout sauf simple. Et je dis qu'il y a un critère, c'est que tout le monde participe.
Jim Jarrassé : Alors justement, sur la méthode, monsieur le Premier ministre.
François Bayrou : Mais vous me permettrez de dire…
Jim Jarrassé : Allez-y.
François Bayrou : Olivier Bost m'a gentiment invité à ignorer l'étape que je voulais décrire maintenant, mais je vais la décrire cependant. Nous avons un rendez-vous mardi, très important, à Chartres, où je réunis tous les préfets pour une refondation de l'État dans sa vie locale. Il y a, comme vous savez, de très grands désordres dans l'expression de l'État. Il y a mille interventions, mille agences, mille organismes qui ont chacun leur propre logique et leur manière de voir les choses, qui se parlent très peu entre eux ou pas du tout entre eux. Il y a des ministères qui conduisent chacun leur politique.
Perrine Tarneaud : Vous voulez annoncer une grande réorganisation ?
François Bayrou : Absolument. Et on a très grand besoin de remettre de l'ordre dans tout ça. Et pour cela, les préfets de département, que je rencontrerai à Chartres mardi matin, vont devenir les fédérateurs et les coordinateurs de toute l'action de l'État. Parce qu'on a besoin de mettre de la cohérence dans tout ça. On a besoin de faire des économies, on a besoin de mieux utiliser l'argent public, car je ne crois pas que faire des économies, ça veuille dire qu'on ne fasse plus rien.
Perrine Tarneaud : Mais ça, c’est une vision, quand même ,à moyen terme ?
François Bayrou : Non, non, non.
Perrine Tarneaud : Pour avoir des économies, pour produire... Avant, il y a des choix douloureux à faire pour le budget. On parle notamment d'une année zéro : zéro augmentation pour la plupart des budgets, des retraites, des minima sociaux, du barème des impôts. Est-ce que ça va être votre choix ?
François Bayrou : Nous parlerons de ça autour du 14 juillet.
Jim Jarrassé : Après le 14 juillet ?
François Bayrou : Ça sera probablement le 15, 16 ou 17 juillet, quelque chose comme ça.
Jim Jarrassé : Un mot sur la méthode-même. Est-ce que vous allez chercher un accord avec les partis politiques, comme l'avait fait Michel Barnier lors du précédent budget, ou alors vous allez poser vos objectifs et laisser les partis politiques prendre leurs responsabilités sur ce budget, quitte à ce que ça ne fonctionne pas ? Quelle est votre méthode sur cette épreuve, cet Himalaya, qui se présente à vous ?
François Bayrou : Merci de rappeler la définition que j'avais faite. Et franchement, au bout de six mois et trois semaines, je pense que c'était assez juste de voir un Himalaya dans les défis qui étaient devant nous. Et je vous rappelle, l'Himalaya, c'est une chaîne de montagnes avec une dizaine de 8000 mètres. Et donc, est-ce que je vais rechercher les accords ? J'ai toujours pensé que c'était en rassemblant les gens qu'on pouvait avancer. Je pense qu'un pays comme le nôtre, dans l'extrême difficulté où il se trouve, il est en proie à des dizaines de forces de division. Il y a des dizaines d'organisations de toute nature politique qui ne veulent que le fait qu'on se batte les uns contre les autres, qui pensent que la France c'est un ring, un champ clos dans lequel, par exemple, les syndicats et le patronat doivent s'affronter et les uns gagnent ou les autres perdent, c'est ce qu'on a vu dans les commentaires autour du conclave. Et puis à l'Assemblée nationale, vous voyez qu'on voit des forces politiques, et certaines de manière choquante, des forces politiques qui veulent abattre leurs adversaires ou ceux qui ont des différences avec eux. Je pense exactement le contraire. La France, ce n'est pas un ring de boxe, ça n'est pas un champ clos dans lequel les uns doivent battre les autres. La France, c'est un bateau dans lequel nous sommes tous embarqués. Et nous y arriverons ensemble ou nous coulerons ensemble. Et la division, je dis cela avec l'engagement de toute une vie, la division, c'est le plus sûr moyen de couler tous ensemble. Et c'est pourquoi je plaide, pas depuis aujourd'hui, mais depuis les premiers pas que j'ai faits dans la vie publique, je plaide pour la réconciliation et pour la mobilisation des énergies, pour les gens qui se rassemblent, plutôt que les gens qui se divisent et qui se séparent.
Olivier Bost : Après ce plaidoyer, François Bayrou, on va faire une toute petite pause dans ce Grand Jury. Nous retrouvons le Premier ministre dans un instant pour ce Grand Jury exceptionnel. A tout de suite.
[Coupure]
Olivier Bost : François Bayrou, le Premier ministre et maire de Pau, est notre invité exceptionnel dans ce Grand Jury. A mes côtés, Perrine Tarneaud de Public Sénat et Pauline Buisson de M6
Monsieur le Premier ministre, la France aura très chaud la semaine prochaine avec un nouvel épisode de canicule. Bruno Retailleau, le ministre de l'Intérieur, vient d'annoncer une réunion interministérielle cet après-midi. On voit les fermetures d'écoles se multiplier. Quelles décisions faut-il prendre ?
François Bayrou : D'abord, il faut être prudent. Lorsqu'il y a exposition à une chaleur excessive, les maires qui sont sur le terrain savent qu'il y a des précautions à prendre. Mais la vraie politique, elle est à plus long terme. Comment faire en sorte de lutter contre ces épisodes de chaleur excessive ? Il y a une partie du travail que la France est à peu près la seule dans le monde à avoir fait, c'est-à-dire baisser réellement ses émissions de gaz à effet de serre. Pour donner l'exemple, parce que la France, ça n'est que 1% des émissions de la planète. Donc si on les baisse de 10%, ça fait 1 pour 1000, et ce n’est pas tout à fait suffisant. C'est bien pour donner l'exemple et c'est bien pour découvrir, nous, les chemins de la production et de l'activité.
Perrine Tarneaud : Mais pourtant vous avez vu l'avertissement du Haut Conseil pour le climat qui dit « nous ne sommes pas prêts », selon cette instance indépendante, « le plan d'adaptation au changement climatique qui a été présenté en mars n'est pas suffisant pour protéger la population ». Est-ce qu'il faut accélérer ?
François Bayrou : Ils ont raison, parce qu'on ne s'intéresse pas aux actions qui peuvent permettre de protéger la population. J'en vois deux principales. La première, c'est le verdissement. On y travaille, et les maires des villes, je sais ce qu'il en est, y travaillent, vous avez de grandes places minérales et chaque fois qu'on peut, il faut les végétaliser. Et puis, il y a un travail tout à fait important pour ce qui est des logements. Vous savez, on s'est jusqu'à maintenant beaucoup intéressé à l'énergie pour le chauffage. Mais il va falloir s'intéresser à l'énergie aussi pour le rafraîchissement. Et on a une source d'énergie extraordinaire. Je suis allé ouvrir le congrès, je me passionne pour cette source d'énergie depuis des années. La géothermie. Pourquoi la géothermie ? D'abord, la géothermie, quand il s'agit de se chauffer, ça permet d'économiser beaucoup, 80%. Mais quand il s'agit de rafraîchir, la géothermie ça permet de rafraîchir en économisant plus de 90% de l'électricité disponible. C'est sous nos pieds.
Perrine Tarneaud : Oui, c'est une source d'énergie intéressante, mais est-ce que politiquement, il n'y a pas quand même une ambiance anti-écologie ? On a vu que tout ce mois de juin, il y a eu plusieurs reculs majeurs sur l'écologie au Parlement, les ZFE, les ZAN, le stop and go sur la prime Rénov', est-ce que ce signal politique globalement n'est pas mauvais pour agir contre les aléas climatiques ?
François Bayrou : Mais je plaide devant vous à l'instant, au contraire, pour des solutions bioclimatiques. N'est-ce pas ? La géothermie, une étude que j'avais publiée lorsque j'étais Haut-commissaire au plan, montrait pour la première fois que ça pouvait représenter l'équivalent de 5, 6 ou 8 tranches nucléaires.
Pauline Buisson : Alors qu'est-ce qui pose problème dans ces renoncements sur l'écologie ? Est-ce que ce sont vos partenaires qui ne sont plus si fiables ? On pense notamment aux Républicains, par exemple.
François Bayrou : Oui, je pense que la tension se déplace. Mais il faut arriver à partager avec nos concitoyens et avec les élus l'idée que des chemins énergétiques, des chemins pour l'écologie sont à portée de la main. Ce que pensent la plupart des élus assez souvent, c'est que l'écologie va imposer un recul dans nos modes de vie. Et moi je crois le contraire. Je pense qu'il est absolument évident et nécessaire, y compris en allant à contre-courant. Je vais l'expliquer dans une seconde. Moi je pense que nous devons reprendre en main, prendre en main la politique de l'eau. On est devant, en raison du réchauffement climatique, des zones entières de notre pays, des départements entiers, des régions entières qui vont manquer d'eau. Or, depuis la Rome antique et depuis l'Égypte antique, on sait que l'eau, il faut la réguler, la capter quand il y en a trop, la distribuer quand il n'y en a pas assez. Et vous savez les aqueducs que les Romains ont faits pour alimenter en eau des provinces dans lesquelles les agriculteurs, les paysans ne pouvaient plus travailler. On a à reprendre une politique qui fasse que l'eau, ce bien précieux, puisse être mise à disposition sans que nous abandonnions les paysans, par exemple.
Olivier Bost : Vous nous annoncez un grand plan de travaux, de grands travaux ?
François Bayrou : Oui, je pense, mais il y en a quelques-uns de lancés pour des régions entières de notre pays. Il se trouve que je relis en ce moment, je relis - c'est ce que les gens disent quand ils veulent faire semblant d'avoir lu avant, je ne l'avais pas lu avant - c'est l'Histoire de France de Michelet en entier. Il y a des chapitres entiers qui sont consacrés à ces départements français, notamment dans le sud de la France, qui manquent cruellement d'eau, qui sont des espèces de déserts. Et on les a alimentés en eau. On a fait le canal du Midi, par exemple. Le canal du Midi, et ça date de plusieurs siècles, et de mon ami Henri IV en particulier. Et donc, cette distribution de l'eau-là, on l'a abandonnée avec le temps. Il y en avait suffisamment, donc on considérait que… Et bien définir une politique de l'eau pour qu'on préserve la nature, les milieux naturels et la biodiversité, et en même temps pour que les agriculteurs puissent avoir une vision de leur avenir, au lieu de les condamner perpétuellement, de les cibler perpétuellement, comme s'ils gaspillaient l'eau. Ils ne gaspillent pas. Ils font ce que le monde de la Terre a fait depuis des siècles et des siècles. Mais maintenant, il faut le faire de manière moderne, parce que ces conduites-là, elles perdaient beaucoup d'eau, elles se dispersaient dans la nature. On peut avoir maintenant un plan qui soit un plan, des plans qui soient des plans sérieux.
Olivier Bost : François Bayrou, on a évoqué de manière un peu furtive les divisions de votre coalition. Parmi les sujets qui divisent, il y a la proportionnelle. Quand allez-vous déposer le projet de loi pour modifier les élections législatives ?
François Bayrou : Alors, je vais vous parler franchement…
Olivier Bost : Oui ?
François Bayrou : …comme je le fais habituellement. Il y a une majorité pour la proportionnelle à l'Assemblée nationale.
Olivier Bost : Et donc ? Vous présentez un texte de quand ?
François Bayrou : Mais cette majorité-là, elle passe au sein du socle commun.
Pauline Buisson : Le socle commun est divisé sur la question, c’est ce que vous nous dites ?
François Bayrou : Il y a une majorité large, mais au sein du socle commun, il y a des sensibilités différentes. Et donc, je présenterai ce texte après que nous aurons eu le travail budgétaire.
Olivier Bost : Donc début de l'année prochaine, début 2026 ?
François Bayrou : Par exemple, oui, ou à la fin de cette année.
Perrine Tarneaud : Vous aviez prévu plutôt de le présenter en septembre, vous le reculez donc ?
François Bayrou : Le mot de recul n'appartient pas à mon vocabulaire. Je pense que comme on va avoir les discussions budgétaires, il est nécessaire de ne pas diviser.
Pauline Buisson : C’est-à-dire que vous pensez convaincre les réticents du socle commun ?
François Bayrou : J'ai parfois assez confiance dans mes capacités pédagogiques, on va dire, pas sur tous les sujets. Mais je veux dire quelque chose d'assez simple. On ne peut pas continuer comme ça. Je ne sais pas si vous avez assisté au débat à l'Assemblée nationale cette fin de semaine. C'était effrayant. De violence, d'injure, d'accusation, de mise en cause. Les mots qui sont utilisés…
Olivier Bost : Pendant la niche parlementaire du groupe d’Éric Ciotti.
François Bayrou : …je ne veux pas les répéter ici, sont des mots effrayants et inacceptables. Et pourquoi ça ? Parce qu'il faut toujours s'intéresser aux causes. Pourquoi ? Parce qu'on a pris l'habitude, et le scrutin majoritaire donne cette habitude, qu'il faut toujours être les uns contre les autres. Jamais dans un rapport de pluralisme, jamais dans un rapport de coopération, jamais dans un rapport de consensus, mais que pour être entendu par l'opinion, il faut être violemment contre.
Olivier Bost : D'où votre plaidoyer pour la proportionnelle François Bayrou. Une autre question, Perrine Tarneaud.
Perrine Tarneaud : Il y a une chambre qui est plus stable, vous avez une majorité qui est assez forte, c'est le Sénat et pourtant vous avez décidé d'aller quand même au conflit avec les sénateurs sur la modification du scrutin des municipales à Paris, Lyon et Marseille. Vous avez choisi de donner le dernier mot à l'Assemblée nationale. Pourquoi vous opposer ainsi au Sénat ?
François Bayrou : Perrine Tarneaud, c'est drôle parce que vous êtes Public Sénat n'est-ce pas ? Vous êtes sur la même chaîne que LCP, la chaîne parlementaire. Vous appartenez au même ensemble.
Perrine Tarneaud : Vous avez besoin de cette chambre, le Sénat, notamment pour voter le budget ?
François Bayrou : Et donc, vous respectez, j'imagine, les deux chambres.
Perrine Tarneaud : Tout à fait.
François Bayrou : Nous allons examiner un texte sur l'audiovisuel public qui est une initiative sénatoriale. On a examiné cette semaine un texte sur la facilitation des activités agricoles d'initiative sénatoriale. Et je pourrais citer ainsi, décliner une dizaine de textes dont l'initiative est au Sénat. Il se trouve que cette initiative sur le mode d'élection municipale à Paris, Lyon et Marseille, qui sont les seules trois villes en France où on n'élise pas le maire, ce qui est quand même singulier. Et où 90% de la population consultée par sondage dit régulièrement qu'ils sont pour pouvoir élire leur maire. Et ce texte est d'origine Assemblée. Donc il part de l'Assemblée, il va au Sénat.
Perrine Tarneaud : Le Sénat vote d'autres textes qui viennent de l'Assemblée. Là, Gérard Larcher, vous avait quand même mis en garde cette semaine : attention, le Sénat est la seule assemblée où vous avez une majorité claire.
François Bayrou : Oui, j'apprécie beaucoup votre défense du Sénat. Et vous êtes d'une certaine manière vouée à cette défense. Mais il se trouve que je pense qu'on doit examiner les propositions. Je répète, 90% des Parisiens, des Lyonnais et des Marseillais disent on veut élire notre maire en même temps que notre maire d'arrondissement. On élit les deux avec deux bulletins de vote. Est-ce que c'est quelque chose de choquant ? Il se trouve que Rachida Dati et Gérard Larcher appartiennent au même parti politique, non ?
Perrine Tarneaud : Oui.
François Bayrou : Et Rachida Dati est un défenseur, avec d'autres élus parisiens, de ce changement de mode de scrutin. Bon, le Parlement dans ces deux chambres va s'exprimer. Et il n'y a rien de plus simple. On n'est pas obligé d'être d'accord sur tout. Mais pour moi, la vie parlementaire, elle nécessite qu'on puisse examiner des textes qui viennent de l'Assemblée et du Sénat.
Olivier Bost : Ce mode de scrutin sera prêt pour les prochaines élections municipales ou pas ?
François Bayrou : Ah oui, s’il est adopté ! S'il n'est pas adopté, on gardera le mode de scrutin qui fait qu’il y a des villes en France, trois seulement, où on n’élit pas directement le maire. Ce qui est absurde.
Olivier Bost : Un autre projet de loi, qui est celui sur l'audiovisuel, revient demain à l'Assemblée nationale. La radio publique est en grève contre ce projet. Est-ce que vous pouvez nous donner un bon argument pour cette loi audiovisuelle qui veut faire un - j'allais dire l'ORTF - mais en tout cas faire un grand ensemble avec tout l’audiovisuel public ?
François Bayrou : Alors, je répète qu'il ne s'agit pas d'un projet gouvernemental.
Olivier Bost : Oui, tout à fait.
François Bayrou : Il s'agit, pour faire plaisir à Mme Tarneaud, d'un texte d'origine sénatoriale.
Perrine Tarneaud : Monsieur Laurent Laffont.
Olivier Bost : Le président de la Commission de la Culture.
François Bayrou : …qui a présenté ce texte. Quel est l'argument de ce texte ? Ceux qui le défendent disent « mais on ne peut pas continuer comme ça ». Est-ce que vous vous rendez compte de l'assaut des très grandes entreprises mondiales, américaines souvent ?
Olivier Bost : Donc vous défendez ce texte ?
François Bayrou : Netflix par exemple, qui sont en train de contraindre - et je suis devant une chaîne de télévision très importante - sont en train de contraindre...
Olivier Bost : Donc vous défendez, François Bayrou, ce texte ?
Perrine Tarneaud : Il sera voté avant la fin de la session ?
François Bayrou : Est-ce que je peux finir mes phrases ? Je sais bien que c'est un privilège excessif que je demande. Mais bon, que voulez-vous ?
Perrine Tarneaud : Vous espérez qu'il soit adopté avant la fin de cette session extraordinaire ?
François Bayrou : J'espère que le Parlement va s'en saisir, et va s'en saisir de manière positive. Parce que, ou bien on considère que la situation actuelle est très bonne, et on reste où on en est, mais qui peut soutenir ça ? Ces déséquilibres, ces affaiblissements, avec des métiers semblables qui sont faits chacun dans son organisation et en vivant d'une certaine manière en vase clos. Regardez ce que vient de faire l'audiovisuel public. C'est très intéressant. Il y avait France Bleu et il y avait France 3 Région. Deux chaînes, l'un faisait de la télévision, l'autre de la radio. En vérité, ils font tous les deux la même chose, ou à peu près. Ils ont décidé de se réunir dans une chaîne commune qui s'appelle ICI. Qui réunit…
Olivier Bost : On a bien compris votre soutien à cette réforme.
François Bayrou : Qui réunit la radio et la télévision. Pourquoi l'ont-ils fait, à votre avis ? Puisque vous m'interrogez, Olivier Bost…
Olivier Bost : Ben non, c'est vous qui défendez cette proposition audiovisuelle.
François Bayrou : Oui, mais on peut avoir une conversation, un échange. Pourquoi l'ont-ils fait ? Ils l'ont fait parce qu'ils ont considéré qu'ils n'étaient pas assez forts. Et qu'ils avaient besoin, je ne dis pas qu'ils y soient encore, qu'ils avaient besoin de se regrouper pour être plus forts.
Olivier Bost : Donc vous défendez radio et télé ensemble ?
François Bayrou : La loi du monde dans lequel nous sommes, c'est qu'il y a tellement de puissances menaçantes qui paraissent irrésistibles, qu'il faut bien à un moment donné qu'il y ait une réponse dans un pays comme le nôtre. Et cette réponse, elle est à faire travailler ensemble, les métiers qui sont cousins, parents, les entreprises qui sont cousines et parentes, et les associations, et les gens.
Olivier Bost : On a beaucoup parlé de l'audiovisuel, monsieur le Premier ministre. On va parler un peu de la presse écrite. On a beaucoup lu d'articles plutôt sévères à votre encontre, sur votre travail à Matignon. Déjeuners qui s'étirent en longueur, apéros politiques tous les soirs, avec cette idée que vous ne travaillez pas beaucoup. Trouvez-vous ça désagréable ou ça ne vous touche absolument pas ?
François Bayrou : Est-ce que vous vous êtes intéressé une seule seconde, vous, M. Bost, à la question de savoir si c'était vrai ou pas ? Par exemple, vous m'avez au téléphone à peu près deux fois par semaine. Est-ce que vous m'avez une seule fois posé cette question ?
Olivier Bost : Non, mais je vous la pose puisque…
François Bayrou : Non, non, vous ne posez pas, vous insinuez.
Olivier Bost : Non, il n’y a pas d’insinuation du tout.
François Bayrou : Et moi, j'aime bien qu'on ait des conversations franches d'homme à homme.
Olivier Bost : Je cite des choses qui sont écrites, monsieur le Premier ministre.
François Bayrou : Je viens d'un pays dans les Pyrénées dans lequel on se parle franchement.
Olivier Bost : Il n’y a pas d’insinuation du tout.
François Bayrou : Est-ce qu'une seule fois, vous m'avez dit, est-ce que vous avez des apéros ? Je n'ai jamais d'apéro.
Olivier Bost : Je n'insinue rien, monsieur le Premier ministre.
François Bayrou : Non, non.
Olivier Bost : Je vous rapporte ce qui est lu et ce qui est écrit par un certain nombre de confrères.
François Bayrou : Non, non. Vous avez, sous forme de question…
Olivier Bost : Oui ?
François Bayrou : Vous portez des insinuations. Est-ce que j'ai des dîners politiques tous les soirs qui traînent en longueur ? Je n'ai jamais de dîner politique. Est-ce qu'on travaille de 7h du matin, de 7h30 du matin, jusqu'à minuit, tous les jours ? Donc vous vous êtes fait sciemment, parce que vous savez très bien que ce n'est pas vrai ce que vous dites, vous vous êtes fait sciemment l'expression d'accusations qui sont des accusations destinées à nuire. Et moi, je n'aime pas... Je sais bien que vous essayez de le sortir du ring, mais puisqu'il est monté sur le ring, il faut bien qu'on accepte ce genre de choses, ce genre d'échange. Ne vous mettez pas à deux, ça n'est pas la peine. Donc je dis à M. Bost, qui vient de poser une question déloyale, je lui dis, excusez-moi, renseignez-vous avant de poser les questions. Venez voir s'il y a des apéros. Jamais. Il y a des dîners qui traînent en longueur ? Jamais. Ce n'est pas comme ça que je vis. Je vis frugalement, de la manière la plus... Et d'ailleurs, je peux vous annoncer que les dépenses de Matignon...
Olivier : Je vous posais la question pour savoir si ça vous touchait, je crois que j’ai ma réponse.
François Bayrou : Que les dépenses de Matignon... Oui, n'essayez pas de biaiser.
Olivier Bost : Non, non, non, je ne biaise pas.
François Bayrou : Quand on entre dans ce type de rapport, il ne faut pas essayer de biaiser.
Olivier Bost : Non, non, pas du tout.
François Bayrou : Et donc, vous dites que vous avez...
Perrine Tarneaud : Mais François Bayrou, comment vous avez perçu la petite phrase d'Emmanuel Macron qui était en déplacement à Oslo cette semaine, qui a dit « la stabilité ne doit pas nous coûter l'immobilisme ». Est-ce que vous l'avez perçue comme un avertissement ? Comment vous l'avez analysée ?
François Bayrou : Écoutez, je travaille avec le président de la République, je parle avec lui. Et toute tentative de mettre entre nous de ces acides dont le monde entier est friand, qu'on ne s'entendrait pas ou qu'il chercherait à déstabiliser le Premier ministre. Tout ça, vous pouvez essayer, vous n'y arriverez pas, en tout cas de ma part. Je ne suis pas là pour un intérêt personnel. Je ne suis pas là en pensant à d'autres échéances. Je suis là parce que j'ai très tôt, depuis 20 ans, pris conscience de la gravité des menaces dont nous ne savions pas nous protéger, que nous n'identifions même pas. Souvenez-vous j'ai, depuis 2007, fait une campagne, même présidentielle, sur la dette. Tout le monde s'en foutait, tout le monde. Et les journalistes se gaussaient et mes adversaires politiques disaient : mais ce garçon, franchement, il croit qu'il va réunir des gens en parlant de la dette ?
Perrine Tarneaud : Justement…
François Bayrou : J'accepte d'être seul contre tous par moment. Mais la seule chose qui m'intéresse, c'est que toute notre action, tout notre travail, toute notre réflexion soit portée sur le seul sujet qui compte.
Olivier Bost : Mais qu'est-ce qui mesurera votre succès, monsieur le Premier ministre ? C'est d'avoir sensibilisé la France à cet enjeu de la dette ou d'arriver à faire passer un budget pour l'année prochaine ? Quel est le plus important ?
François Bayrou : Oui, vous croyez que c'est un jeu ? Moi pas.
Olivier Bost : Non, pas du tout. Ah non, non, je ne pose pas ça comme un jeu.
Pauline Buisson : Est-ce que les Français vous suivent dans cette question de la dette ? Parce que, quand on regarde les sondages de popularité, je sais bien que vous ne faites pas attention aux sondages. On n'a pas l’impression que les Français prennent conscience de ce que vous essayez de leur expliquer ?
François Bayrou : Eh bien, je crois qu'ils commencent à en prendre conscience. Si vous observez bien les sondages sur leurs sujets de préoccupation, depuis le mois d'avril où j'ai fait une conférence de presse entièrement destinée à ce sujet, ce sujet a progressé beaucoup dans l'opinion. Mais il faut comprendre, peut-être les gens ne comprennent pas assez.
Perrine Tarneaud : Mais dans quel état d'esprit ?
François Bayrou : Mais moi, en tout cas le gouvernement, toute mon équipe, il serait indigne et déshonorant que nous ne regardions pas les Français dans les yeux en leur disant « ceci est un danger mortel pour vous ».
Perrine Tarneaud : Et si votre discours de vérité, c'est-à-dire que le budget n'est pas entendu, notamment par la classe politique, si vous ne trouvez pas de majorité...
François Bayrou : Vous aussi, vous me faites une motion de censure, Perrine Tarneaud. Vous avez raison.
Perrine Tarneaud : Non, c’est pour voir un peu votre état d’esprit sur ce discours de vérité.
François Bayrou : Toutes les forces politiques font une motion de censure. Il y a eu un sondage cette semaine qui dit « il n'arrivera pas à la fin de l'année ». Et c'est peut-être vous qui m'aviez posé la question. Et j'ai répondu que lorsque nous avons été nommés au mois de décembre, il y avait aussi un sondage dans lequel 84% des Français ne croyaient pas que j'arriverais à la fin de l'année 2024. Bon, est-ce qu'on va arriver à la fin de l'année 2025 ? Je vais vous dire simplement, il n'y a jamais eu de gouvernement qui ait une situation aussi fragile que celle-là. Pourquoi ? Parce que le pays est dans une situation fragile et que son monde politique, au fond, ressemble au pays : divisé, incertain, avec des affrontements qui sont des affrontements insensés, indignes, qu’’aucun père de famille ou mère de famille n'accepterait de ses enfants, aucun professeur n'accepterait de ses élèves. Et là, ce sont des adultes, et des adultes représentatifs et qui se comportent avec une violence, un mépris de l'adversaire, un désir d'écraser, un désir de faire tomber, qui sont le plus mauvais signal pour la vie du pays.
Olivier Bost : François Bayrou…
François Bayrou : Et pardonnez-moi de dire, il y a peut-être peu de gens qui s'intéressent à réconcilier les gens, qui s'intéressent à les concilier, à les fédérer, à les rapprocher pour qu'ensemble on choisisse un chemin qui nous conduira à un avenir moins terrible que celui qui menace. Mais j'en suis et mon équipe en est. Tous ceux qui m'entourent, ce sont des gens qui veulent qu'on arrête avec l'affrontement perpétuel et les divisions de chaque instant pour qu'ensemble nous réussissions à trouver un chemin dont on puisse être fiers.
Olivier Bost : Merci beaucoup François Bayrou pour ce Grand Jury exceptionnel. Bon dimanche à tous, bonne semaine, on se retrouve la semaine prochaine.