Marc Fesneau : "C'est le moment de montrer que la France peut se ressaisir. La clé est au Parlement."
Retrouvez ci-dessous l'intervention de Marc Fesneau en réponse à la déclaration de politique générale du Premier ministre Sébastien Lecornu.
Seul le prononcé fait foi
Madame la Présidente,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs les membres du Gouvernement,
Mes chers collègues,
Nous sommes ici par la seule volonté des Français.
Ils ont voté, il y a seulement un an, et cette Assemblée nationale est issue de leur vote, souverain. Ils ne l'ont pas fait contre leur gré ou à la légère. Ils l'ont fait en pleine conscience, comme en témoigne le taux de participation inégalé depuis des décennies lors de ces élections.
Ils l'ont fait pour envoyer deux messages, que cela plaise ou non à certains ici :
Ils ont d'abord dit : nous ne voulons pas de l'extrême droite au pouvoir.
Et ils ont dit aussi : vous avez tous échoué à nous convaincre - ceux qui sont en place depuis 2017 comme ceux qui aspirent à gouverner. Ils ont donc dit : entendez-vous pour faire mieux.
Cela ne satisfait personne mais cela s'impose à nous tous.
Et j'entends ceux qui réclament à longueur de tribune de faire revoter les Français, espérant à chaque fois que ce vote leur soit favorable et, s'il leur déplaît, continueront de le remettre en cause.
Et voici qu'à son tour, le Rassemblement national joint ses voix à celles de la France insoumise, dans une forme de réflexe pavlovien, sautant sur leurs fauteuils tels des cabris : « Censure, censure, censure », comme seule réponse aux maux du pays. Abandonnant la stratégie de la cravate, pour celle de la cravache, ils dévoilent ainsi leur vrai visage et deviennent les mêmes agents d'instabilité que leurs collègues insoumis.
Mais le vote n'est pas une loterie et on ne continue pas à jouer jusqu'à espérer gagner. Parce que ça n'est pas un jeu !
Respecter le vote, cela porte un nom et je sais que nous sommes nombreux et majoritaires encore à chérir ce nom, ce mot, c'est celui de « démocratie ».
C'est le mot de démocratie…
Si l'on veut que notre assemblée soit respectée des Français, il faut les respecter dans leur vote.
Car nous sommes condamnés à nous entendre plutôt qu'à nous opposer. Il y a pire condamnation tout de même que celle d'avoir à chercher des compromis.
N'en déplaisent à ceux qui veulent le chaos et le conflit, c'est la manière dont fonctionnent toutes les grandes démocraties. Et j'ai été heureux déjà d'entendre des voix, à gauche et à droite, plaidant désormais pour le compromis et abandonnant leurs lignes rouges comme nous le demandions depuis des années. On a donc jamais tort d'avoir raison trop tôt.
Et ce n'est pas parce que les Français ont constitué cette assemblée fragmentée qu'ils nous invitent par nos attitudes et nos décisions à nous fracturer plus encore. Je crois au contraire qu'ils nous demandent de trouver un point d'équilibre et une forme de stabilité.
Une assemblée qui se respecte et qui est respectée, c'est aussi une assemblée qui respecte le pluralisme. Nous l'avons toujours défendu : il n'y a pas de député de seconde zone, de seconde classe.
C'est donc égalité des droits mais c'est égalité aussi des devoirs - c'est-à-dire que quand on est dans l'opposition, on n'est pas condamnés à l'irresponsabilité pathologique.
Dans la série des devoirs, il y a aussi, quand on fait la loi, celui de respecter la Constitution.
Et singulièrement, au moment où nous ouvrons le débat budgétaire, de respecter l'article 40, sauf à s'exposer à une censure quasi automatique puis venir se répandre sur la prétendue « République des juges ».
On ne teste pas la Constitution. On la respecte. On ne la choisit pas à la découpe. On l'accepte. Sur les lois qui traitent de la sécurité ou des libertés publiques comme sur les lois de finances.
Et c'est dans ce cadre, celui du budget, que le Premier ministre a indiqué faire le choix de ne pas recourir à l'article 49, alinéa 3, de notre Constitution.
C'était une demande d'un certain nombre de groupes, notamment à gauche. Nous n'y étions pour notre part pas favorables sur la question du budget. Mais, par esprit de compromis, monsieur le Premier ministre, nous n'en n'avons pas fait une ligne rouge.
Et donc, sans 49.3, la liberté des parlementaires, vous l'avez rappelé, est immense sur le budget. Mais leur responsabilité doit l'être tout autant. Et je mets en garde sur l'exercice d'une liberté qui ne s'accompagnerait pas de cet esprit de responsabilité.
Jusqu'alors, on s'accommodait, reconnaissons-le, assez facilement du 49.3 tant il permettait de :
- dire n'importe quoi ;
- de faire n'importe quoi ;
- de ne rien assumer ;
- et de pouvoir se parer de la vertu de certaines victoires avec amendements démagogues, en sachant que le Gouvernement assumerait, lui, de ne pas les garder.
Sans 49.3, personne ne pourra se défausser. Tout le monde devra assumer. Les démagogues et populistes de cette assemblée vont s'en donner à cœur joie, je vous le promets, et nous, démocrates, vous nous trouverez, et j'espère que nous y serons nombreux, sur le chemin de la responsabilité.
Et vous monsieur le Premier ministre, vous aurez aussi une responsabilité car vous aurez pour mission avec le Gouvernement de permettre l'émergence de compromis et de les faire respecter dans la navette parlementaire.
Il faudra une majorité de députés, de gauche, de droite et du centre dans cet hémicycle, pour ne pas laisser libre cours à une folie budgétaire qui rendrait in fine le budget invotable et nous livrerait pieds et poings liés aux marchés. Souvenez-vous de Liz Truss, ce sont les marchés, au final qui lui ont dicté sa politique et je ne souhaite pas cette humiliation pour notre pays.
Sans sursaut de notre part pour adopter un budget avant le 31 décembre, c'est l'impuissance généralisée qui nous guette.
Cette Assemblée veut défendre les services publics ? Nous aussi.
Alors nous avons la responsabilité de nous entendre et de leur trouver un financement et un budget pour éviter de les paralyser comme l'an dernier.
Cette Assemblée considère que les entreprises sont vitales pour l'emploi et que les associations sont vitales pour la cohésion sociale ?
Alors nous avons la responsabilité de leur donner de la visibilité sur le cadre dans lequel elles vont évoluer.
Cette Assemblée veut défendre les collectivités locales ? Alors nous avons la responsabilité là aussi de nous entendre et leur donner des assurances, pour qu'elles puissent voter leur budget et investir dans les prochaines semaines.
Cette Assemblée veut améliorer le pouvoir d'achat des Français ?
Alors nous avons la responsabilité de nous entendre pour réduire les incertitudes, faire baisser les taux d'intérêt, et réduire le poids des contributions sociales sur le seul travail.
Car depuis plus d'un an, l'instabilité a une conséquence directe. Sur les Français d'abord : des familles ne peuvent pas concrétiser l'achat d'une maison, des entrepreneurs ne peuvent pas investir et donc créer des emplois.
Sans parler des doutes dans les esprits de nos partenaires européens et mondiaux et des appétits prédateurs de ceux qui pensent pouvoir en tirer profit et qui jouent la déstabilisation et l'ingérence, vous l'avez rappelé monsieur le Premier ministre. Cette instabilité sert les ennemis de la France. Et ils ont des complices manifestement jusque dans cet hémicycle.
Cette instabilité et incapacité à nous entendre a un cout. La seule hausse du taux d'intérêt depuis un an, c'est une facture de 8 milliards d'euros au bout de 2 ans, 20 milliards d'euros la cinquième année. Rendez-vous compte, les budgets des ministères de la justice et de l'agriculture réunis !
En aggravant à chaque fois la situation budgétaire, chacun de ces épisodes nous contraint à devoir faire des choix encore plus difficiles, nourrissant à leur tour le populisme et l'instabilité politique.
Des élections anticipées, qu'elles soient législatives ou présidentielles, loin de mettre un terme à ce cercle vicieux, ne feraient que le renforcer.
Nous devons, dès maintenant — pas dans six mois, pas dans dix-huit —, donner une perspective à la France. Et je crois que nous en avons les moyens.
C'est pourquoi, dans mon groupe, nous croyons que c'est le moment du ressaisissement.
Il fut un temps il y avait une expression : « à l'ouest, rien de nouveau ». « A l'est et à l'ouest tout est nouveau ». Le monde avance, nos compétiteurs ne nous attendent pas. Eux, ils se réforment. Eux, ils cherchent du consensus. Et eux, ils se préparent, y compris au pire.
C'est donc le moment de démontrer les vertus d'un Parlement fort et libre.
Oui, c'est le moment de dire aux Français que le compromis, c'est aussi — et, au vu du contexte, j'ai envie de dire « surtout » — reconnaître ses désaccords et savoir les dépasser. Personne n'a à renier ses convictions mais tout le monde doit faire un pas.
Notre enjeu est donc de trouver, avec méthode, les plus grands dénominateurs communs.
Et puisque, après la taxe Zucman, la remise en cause de la réforme des retraites semble être un élément central du devenir du pays et de votre Gouvernement monsieur le Premier ministre, j'en dirai ici un mot.
Au groupe Les Démocrates, nous ne refusons pas, par principe, de rouvrir ce débat. Il l'avait d'ailleurs été par François Bayrou au printemps dernier et nous avions proposé et voté une clause de revoyure. Et nous avions demandé de mieux associer les partenaires sociaux.
Un compromis est possible pour retrouver de la stabilité dans le pays, mais sans travestir la réalité.
Suspendre cette réforme, c'est un pari ou un risque pour nos finances publiques, c'est un risque pour la pérennité de notre modèle social. Et nous devons aux jeunes, aux générations futures, de ne pas fermer les yeux sur ces risques et d'accompagner toute décision, comme vous l'avez dit monsieur le Premier ministre, d'un esprit de responsabilité.
Nous devons aux jeunes et aux Français dans leur ensemble des réponses et nous n'assumerons pas les mensonges et la facilité, parce que ces mensonges-là, un jour ou l'autre, ils nous rattraperaient.
Comptez sur nous pour continuer de dire la vérité et nous baser sur le réel, notre seule véritable ligne rouge.
Nous voulons aussi que ce budget puisse être celui de la justice fiscale que notre groupe défend avec une forme de continuité depuis 2017. Peut-être, monsieur le Premier ministre, l'année 2025 marquera enfin le couronnement de nos efforts, en tout cas, je le souhaite. Parce qu'il n'est pas juste de considérer le capital utile à notre économie comme la rente, qui bénéfice trop souvent des effets d'optimisation ou d'aubaine fiscale.
On ne règle jamais, ceci étant, un problème en désignant un bouc émissaire que ce soient les riches, les immigrés, les chômeurs, les fonctionnaires ou les retraités, même si c'est parfois attendu par ses propres électeurs.
Sachons distinguer les choses, et trouvons les moyens de cibler la rente sans mérite et sans effort qui échappe encore trop souvent à l'impôt. Les plus fortunés doivent prendre leur part de l'effort. C'est une question de civisme.
La justice, c'est aussi défendre la France du travail. Et c'est pourquoi nous pensons effectivement qu'il est urgent de rapprocher sur la feuille de paie le salaire net du salaire brut.
C'est nécessaire si nous voulons redonner du pouvoir d'achat aux Français. C'est essentiel si nous voulons effectivement relancer la production nationale.
Sans évoquer tous les sujets, il est en est un, vous l'avez évoqué, qui est essentiel : c'est celui de la simplification. Il faut absolument accélérer l'effort.
Car l'empilement des normes coûte cher, très cher et tous les rapports en conviennent. C'est de la dépense publique supplémentaire, sans effet sur la qualité de vie. C'est de la dépense privée aussi, pour les ménages et les entreprises et, à la fin, des emplois qui disparaissent ou ne sont pas créés.
Les Démocrates seront force de proposition pour le budget que vous annoncez.
Et nous le ferons pour d'autres sujets : la santé, dont les Français parlent tous les jours, réindustrialisation, l'agriculture, la transition énergétique, les services publics, le logement, l'éducation. Je crois qu'il existe dans cet hémicycle une majorité pour avancer, pas à pas.
Personne ne sort parfaitement satisfait ni victorieux d'un compromis. Mais, si nous y mettons de la bonne volonté, si nous acceptons majoritairement le réel, je suis certain que la France et les Français en sortiront grandi. Et pour nous, c'est bien cela l'essentiel.
Je vous remercie.