UR 2022 : intervention d'Edouard Philippe

Retrouvez l'intervention d’Édouard Philippe, ancien Premier ministre, maire du Havre et président d’Horizons.

Édouard PHILIPPE. - Mesdames et Messieurs, chers amis, cher François, merci de m'avoir invité à Guidel et merci de m'avoir proposé de prendre la parole. J'y suis sensible.

C'est un remerciement sincère et je voudrais saluer, avant de commencer à vous parler, Mesdames et Messieurs, Marc et Geneviève que je suis heureux de retrouver ici après avoir souffert parfois avec eux, mais aussi beaucoup ri avec eux, dans d'autres moments et en tout cas après avoir pu, pendant trois ans compter sur leur loyauté, sur leur amitié je crois et sur leur efficacité.

Je les salue donc vraiment avec beaucoup d'amitié.

Je suis très heureux aussi de retrouver Jean-Yves Le Drian et heureux et impatient Jean-Yves, car tu as laissé entrevoir, discrètement c'est vrai, mais néanmoins explicitement, que tu avais des talents aux platines. Je crois comprendre que l'organisation de tels événements laisse une place importante à la dimension festive ce soir, il faudra donc que tu nous montres que les Bretons savent tenir leurs promesses !

Je voudrais rassurer Jean-Paul Mattei qui m'a vu saisir mon iPad et, la semaine dernière, il m'a vu à Fontainebleau et, quand j'ai saisi mon iPad, j'ai ensuite parlé pendant 1 h 30 donc il se dit : "Zut, je vais y avoir droit pendant 1 h 30". Ne t'inquiète pas, cela va être plus court.

Enfin, le dernier que je voudrais remercier très sincèrement dans votre assemblée, c'est Jean-Louis Bourlanges, car, grâce à lui, nous savons désormais - nous avons participé à une réunion politique ensemble dans laquelle il a été dit - que Jean-Pierre Chevènement et l'OTAN, c'était pareil !

Je crois, Mesdames et Messieurs, que personne ici, que personne au sein de l'OTAN et que certainement pas Jean-Pierre Chevènement n'aurait pu imaginer une pareille correspondance !

Je suis heureux aussi de retrouver Stéphane. Je le salue avec amitié et je vais revenir sur un certain nombre de choses qu'il a dites, car je les partage tout à fait complètement.

Je suis heureux d'être à Guidel. Vous, vous avez l'habitude de Guidel. Cela fait 10 ans que vous venez à Guidel. Moi, c'est la deuxième fois. La première fois, c'était un précédent, la deuxième fois, c'est le début d'un usage, ce dont je me réjouis et donc vivement la prochaine.

Je rappelle à ceux qui l'ignoreraient encore ce que j'ai appris - c'est pour cela que je le dis avec beaucoup de certitudes - il y a quelques heures, à savoir que la devise de Guidel, c'était Loyal et fidèle, toujours.

C'est fait exprès ! Bien sûr !

Loyal et fidèle, toujours ! Très bien, soyons loyaux et fidèles toujours en général et à Guidel en particulier.

Je suis venu, au fond, pour vous dire deux choses et je voudrais les dire très simplement.

La première, et cela rejoint assez largement ce qu'a dit Stéphane, cela rejoint aussi assez largement ce qu’a dit François, comme nous ne nous sommes pas concertés, cela veut dire que nous avons besoin de le dire et que nous le croyons tous les trois très sincèrement, l'esprit qui a présidé à la construction de la majorité présidentielle doit prévaloir.

Quand je dis l'esprit qui a présidé à la construction de la majorité présidentielle, c'est cette idée qui est apparue progressivement. Comme toutes les grandes idées, elles se sont parfois heurtées à la réalité, mais l'idée que nous allions construire une majorité présidentielle sur le fondement de trois blocs, des blocs d'importances différentes, des blocs dont l'histoire était différente, dont le corpus idéologique était différent, dont l'âge de la formation politique était différent, trois blocs différents donc qui avaient vocation à s'entendre, à se comprendre, à se faire confiance.

Ce n'est pas rien, car, dans la vie politique française et dans l'histoire de la constitution des majorités, nous n'avons rien inventé. Des coalitions, des regroupements, il en a existé dans le passé et probablement en existera-t-il à l'avenir, mais l'idée de ne pas se cantonner à un bloc est bien de reconnaître dans une majorité qui était marquée par l'idée du dépassement, par l'idée qu'il ne fallait pas rester assignés à son identité politique d'origine, même si on pouvait la respecter, l'idée de constituer un bloc, pardon un ensemble, c’est le cas de le dire, de trois blocs n'avait rien d'évident.

L'idée, cela a été - je pense que l'on peut aller encore un peu plus loin dans cette idée - de constituer un système dans lequel chaque bloc est libre et autonome, mais chaque bloc est relié par un lien qui n'est pas simplement un engagement verbal, pas simplement une déclaration politique, mais des liens structurels qui ne sont pas négligeables.

Nous avons, au moment des élections législatives, et ce n'est pas rien, présenté des candidats sous une candidature commune et l'effet de cette candidature, c'était que, lorsqu'ils se déclaraient en Préfecture - comme ici, il y a des gens qui savent à peu près ce que c'est qu'une élection, je peux développer ce point-là - ils se déclaraient sous le nom Ensemble.

Cela signifie que, tout à fait conscients de leur appartenance à une formation politique, ils affirmaient devant les Français en toute transparence que leur formation politique avait vocation à appartenir à un ensemble qui s'assumait comme tel, pour la répartition des financements, pour les déclarations en Préfecture, pour la répartition des investitures.

C'est un travail d'une grande intensité et, à mon avis, d'un très grand intérêt qui a été réalisé par les trois composantes de ce mouvement Ensemble et je voudrais, puisque nous sommes en Bretagne et puisque nous sommes à Guidel, dire que ce moment de travail très intense avec François, avec Richard Ferrand, autre Breton, je dis autre Breton, pas parce que je suis Breton, puisque je suis Normand, c'est assez différent, je dis autre Breton en regardant Jean-Yves Le Drian, autre Breton que je salue avec beaucoup d'amitié, avec la participation amicale mais ferme de Marc Fesneau, était un travail à la fois passionnant et sur lequel, je crois, nous pouvons construire beaucoup.

C'est ce que je voulais dire.

Pour que cet ensemble, cette structuration de trois blocs - je me méfie car François est en train de prendre des notes ! - fonctionne, il faut évidemment que nous tenions les engagements que nous avons pris, très bien, il faut que nous respections nos partenaires qui, sur l'essentiel - je rejoins assez naturellement François et Stéphane - sont d'accord, mais qui ont parfois des différences de vues, soit en interne, soit globalement avec leurs partenaires, il faut qu'il y ait une relation de respect et de confiance.

Il est facile de s'engager et il est difficile d'avoir la discipline collective, de tenir cet engagement et je veux donc dire deux choses sur ce point.

D'abord, je ferai tout ce qui est en mon possible, exactement comme Stéphane l'a déclaré et exactement comme François le fait, pour tenir cette discipline, cet engagement que nous avons pris et je voudrais saluer les efforts et la qualité du travail effectué par la Première Ministre Élisabeth Borne qui est extrêmement attentive à cette discussion, extrêmement attentive à la qualité de nos échanges et, comme je sais que ce n'est pas facile, je la remercie encore plus.

Je vous assure.

L'objectif, c'est évidemment pas simplement de se faire plaisir en constituant un ensemble à trois. L'objectif c'est de permettre la mise en place de quelque chose, Ensemble, qui, de notre point de vue, avait vocation à la fois à élargir le bloc central et la majorité présidentielle et d'une façon à l'enraciner.

Ce qui est à l'œuvre dans cet Ensemble, ce n'est pas seulement une tactique électorale de 2022 à mon sens, ce n'est pas non plus une forme de stabilisation d'une majorité qui est apparue et est devenue une majorité relative, c'est véritablement je crois le support durable du rassemblement futur de tous les éléments du bloc central qui est indispensable si nous voulons à la fois conserver la maîtrise des affaires publiques et si nous voulons continuer à faire avancer notre pays. Et donc je me félicite et je voudrais le dire du travail avec François, intéressantes a-t-il dit, pour qualifier nos relations.

C'est assez juste.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'était pas forcément acquis, il faut reconnaître ! Ce n'était pas forcément acquis l'idée que cela puisse se passer bien. Nous sommes assez différents avec François, nous avons, au moment des élections législatives fait de concert une campagne électorale dans la belle ville, petite et belle, de Tonnerre dans l’Yonne en Bourgogne. Et, lors de ce meeting qui était un assez beau meeting car nous étions dans une très belle… Bon bref… Lors de ce meeting, je me souviens avoir dit et je pourrais le dire dans les mêmes termes aujourd'hui qu'il y avait quand même beaucoup de différences entre nous.

François est un littéraire, je suis un juriste, il est, nul ne l'ignore, Béarnais, je suis moi-même Normand et ce sont deux caractères différents. Il est montagnard, je suis plutôt porté vers la mer, il est, et il a raison de l'être, fier d'être au fond le dépositaire et l'incarnation la plus éminente de la famille centriste qui puise ses racines dans l'histoire politique de la France et je suis pour ma part plus sensible, sans être complètement insensible à la famille centriste, car je suis Normand ! Oui, non mais c'est vrai et Rouennais, mais je suis d’abord Havrais… C’est compliqué.

Je suis, moi-même, plutôt sensible à la droite du libéralisme à la française et à la "mystique gaulliste", car on ne se refait pas.

Évidemment, toutes ces petites différences, qui ne sont jamais rédhibitoires, heureusement, comptent et si, à cela, vous ajoutez quelques choix stratégiques différents dans la vie politique dans les 20 dernières années, eh bien vous avez tout ce qu'il faut pour que ce soit plus compliqué.

Mais, et au fond c'est presque plus important, vous avez aussi un certain sens de la litote. Nous avons découvert avec François, lui qui parle couramment le Béarnais et moi qui parle couramment le normand, que les deux langues avaient de fortes correspondances, lorsqu'il s'agit de la litote.

Et encore plus sérieux, car je m'en voudrais de rester que sur un registre léger, je crois que nous partageons sur beaucoup de points, sur de très nombreux points des convergences d'analyse et une volonté de ne rien lâcher pour que nous essayions de nous sortir, d'avancer et d'être à la hauteur des enjeux.

Et cela, cela compte, cela compte même beaucoup et cela compte même de plus en plus.

Ainsi, en dépit de tout cela ou grâce à tout cela, je crois pouvoir dire avec François, je crois aussi pouvoir le dire avec Stéphane et je crois surtout pouvoir le dire avec l'ensemble des Parlementaires qui composent l'ensemble des trois groupes, nous avons le substrat commun qui nous permet d'avancer, à la condition, je le redis, que nous fassions prévaloir toujours l'esprit qui a présidé à la construction de la majorité présidentielle.

C'est la première chose que je voulais dire.

La deuxième chose que je voudrais dire est que c'est très, très bien de conserver cet esprit et c'est d'autant plus nécessaire que nous allons être confrontés à des "trucs" assez bizarres, et quand je dis bizarres, je veux dire rudes, je veux dire difficiles.

C'est très facile, en ce moment, d'avoir un discours pessimiste, car toute la raison nous y conduit. Pour avoir un discours optimiste, il faut presque faire appel à des catégories intellectuelles qui sont moins la raison que la foi. Cela compte, je ne veux pas dire le contraire ici, en Bretagne, mais c'est presque de cette nature-là.

Nous allons faire face à des choses qui sont difficiles.

François l'a dit avec beaucoup de clarté il y a quelques semaines dans un long article, dans une longue interview qui s'est vue et qui a fait, à juste titre, parler et réagir. J'avais moi-même, il y a quelques mois ou années, parlé de tempête que je voyais venir. Jean-Yves Le Drian a indiqué tout à l'heure avec beaucoup de clarté tous les bouleversements et les désordres du monde qu'il lisait dans les évolutions actuelles de notre société et de notre planète.

Nous sommes en face d'une transformation liée à des facteurs extrêmement divers, aux bouleversements géopolitiques. Il y a à la fois la sur puissance chinoise, le désordre russe en Ukraine, l'avènement de plus en plus net, de plus en plus puissant et de plus en plus dangereux, me semble-t-il, d'idées selon lesquelles les démocraties occidentales, notre régime démocratique, celui auquel nous sommes attachés, et peut-être d'ailleurs pas suffisamment, car cela fait longtemps qu'il est là que nous avons l'impression qu'il sera toujours là, que nos régimes démocratiques ne sont plus les mieux placés pour garantir la prospérité et la stabilité du monde.

Pendant très longtemps, on a pensé cela. On a pensé que, de toute évidence, les régimes qui garantissaient cette stabilité et cette prospérité, avec, en plus, la liberté, c'était des régimes démocratiques.

Or, que constatons-nous aujourd'hui à la fois en termes de prospérité économique, à la fois en termes de puissance militaire et à la fois même parfois en termes de capacité à répondre aux enjeux de la planète ? L'idée selon laquelle, au fond, nos démocraties seraient trop faibles, trop inefficaces pour apporter des réponses crédibles aux sujets que nous devons régler.

Il y a, là, un changement intellectuel, une menace intellectuelle. Je ne partage pas du tout cet avis, je voudrais que l'on soit très clair entre nous, mais cette idée-là, ce poison-là et cette remise en cause-là sont extrêmement dangereux et sont extrêmement puissants.

Bouleversements géopolitiques d'abord…

Urgence climatique…

S'agissant de l'urgence climatique, je constate d'ailleurs qu'au fur et à mesure qu'elle apparaît, nous parlons de moins en moins de développement durable et de plus en plus d'urgence climatique.

Je pense que dans l'évolution de la sémantique, il n'y a pas qu'un hasard, il y a une signification profonde. C'est de moins en moins la question du développement durable qui se pose ou nous occupe et de plus en plus la question de l'urgence climatique et de notre capacité à y apporter une réponse crédible, pas simplement une réponse, mais une réponse crédible qui se pose.

Vous l'avez tous vu pendant les campagnes et si vous ne l'avez pas vu pendant les campagnes, vous le voyez forcément pendant les déjeuners ou dîners de famille, lorsque vous allez dans une université ou une école et que vous vous prêtez au jeu de la discussion.

Cette urgence climatique est le sujet n° 1 et ce n'est pas une mode, le sujet n° 1 des générations un peu plus jeunes que moi.

C'est donc un énorme sujet, qui va parfois jusqu'à remettre en cause l'idée de croissance, l'idée de progrès, l'idée de liberté politique, l'idée de liberté individuelle. Lorsque vous écoutez des gens qui ne sont pas forcément des extrémistes politiques, mais qui vous disent qu'au fond, l'état de la planète aujourd'hui impose que nous nous posions la question très politique de savoir ce qui est nécessaire et ce qui est superflu, pour nous concentrer sur le nécessaire et abandonner le superflu.

Mesdames et Messieurs, politiquement, déterminer ce qui est superflu, c'est redoutablement complexe et je ne suis même pas sûr que ce soit une bonne idée.

Vous voyez bien les affres politiques dans lesquels nous allons être plongés pour faire face à cette urgence climatique qui est indispensable. C'est assez facile, une fois que l'on a saisi l'ampleur du vertige, d'être un peu pessimiste.

Puis, il y a des effets puissants sur nos vies, de phénomènes dont nous parlons trop peu et je voudrais en citer deux très rapides, car ils doivent nous faire réfléchir.

Le premier phénomène dont nous parlons très peu au fond, mais que nous vivons tous les jours : l'impact des révolutions et évolutions technologiques sur nos vies, sur la notion de liberté, sur la manière dont nous nous projetons à l'avenir, c'est proprement vertigineux.

Toutes les semaines, tous les mois, on fait des découvertes scientifiques ou des applications nouvelles technologiques qui nous font passer insensiblement des frontières que nous pensions relativement posées, peut-être pas totalement fermes parce que quand même, mais relativement posées, en matière de biotechnologie et le Parlement s'en fait l'écho et légifère heureusement sur les questions de bioéthique, mais, en général, il légifère avec un peu de retard et le rythme auquel ces évolutions se propagent et se développent est proprement vertigineux.

Qu'est-ce la liberté dans un monde où l'hyper-connectivité et l'hyper-traçabilité deviennent la norme et sont accessibles à tout le monde ? Qu'est-ce que c'est la démocratie dans un monde où, au fond, les lieux communs de débat sont totalement émiettés et où les communautés, non pas par l'effet d'un choix, mais par l'effet d'un algorithme, finissent par se renforcer en elles-mêmes ?

Par nature, la démocratie impose que nous sortions de nous-mêmes et que nous discutions avec des gens qui ne sont pas d'accord.

Aujourd'hui, avec les réseaux asociaux, il faut bien le reconnaître, nous sommes dirigés vers des gens qui pensent comme nous et le renforcement des gens qui pensent comme nous nous donne le sentiment que nous ne sommes seuls et que nous avons donc raison.

Il y a, là, une perversion terrible du débat public et elle n'est pas seule, mais vous voyez bien que la menace que cela fait peser sur le débat public, sur nos démocraties est absolument considérable.

J'en arrête avec les révolutions technologiques et j'en viens à un deuxième phénomène, le phénomène démographique. Je passe sur l'explosion démographique à l'échelle de la planète.

Je dis juste cette chose : dans le quinquennat qui vient, ce n'est pas dans 20 ans, dans les 5 ans qui viennent, le nombre d'écoliers, de collégiens et de lycéens, mais en vérité d'abord d'écoliers, cela ne va pas tellement se voir au niveau du lycée, va baisser de 500 000.

Il y a beaucoup d'écoliers en France, mais, enfin, 500 000, cela va se voir. 500 000, ce n'est pas rien. 500 000, c'est une interrogation collective considérable sur le monde de demain.

Personne n'en parle.

Nous avons tous, et ici d'ailleurs beaucoup plus qu'ailleurs, un attachement à la politique familiale - tu as vu, je me suis rattrapé, quand même ! -, ici plus qu'ailleurs, mais la vérité vraie est que, dans le débat public, la question de savoir la France que nous nous préparons à 20 ans, alors que nous sommes dans une génération très creuse, que nous devrons payer les traites aussi dans 20 ans, semble presque déconnectée de la réalité.

Ainsi, quand on met tout bout à bout, et encore, j'ai beaucoup de choses que je n'ai pas évoquées, on a le droit d'être un peu inquiet et on a d'autant plus le droit de l'être que l'on affronte ces sujets dans une situation de relative fragilité.

Heureusement, cette fragilité n'est pas générale, d'abord car la France est la France, qu'elle a de la ressource, qu'elle est là depuis longtemps, qu'elle a des talents extraordinaires et, d'une certaine façon, nous la faisons vivre, mais elle était là bien avant nous et elle sera là bien après nous et elle a des caractéristiques qui font qu'elle a de la ressource, la France, et aussi parce que, et Stéphane a eu raison de le souligner, nous ne sommes pas restés les deux pieds dans le même sabot durant les cinq dernières années.

Un certain nombre d'actions ont été mises en œuvre lors du dernier quinquennat, des actions ont été mises en œuvre avant le dernier quinquennat, qui étaient bien aussi, mais d'autres qui étaient moins bien.

Nous ne sommes pas dans une dichotomie où nous sommes très bien et les autres très mal. Ce n'est pas vrai, ce n'est pas cela la démocratie.

Nous avons tout de même réussi à renforcer un certain nombre de domaines. Je parle de l'apprentissage, car c'est probablement ce qui me réjouit le plus, mais il y en a beaucoup d'autres que je pourrais citer.

Cependant, une fois que nous nous sommes dit cela pour nous rassurer, nous sommes tout de même face à de grandes fragilités avec des crispations sociales. Nous abordons des crises redoutables, avec un niveau de crispation sociale qui est tout de même extrêmement élevé.

Il ne faut pas oublier le malaise démocratique, qui est réel dans la qualité du débat public, dans le lien que nos concitoyens tissent avec leurs représentants, dans l'espoir qu'ils ont que leurs représentants trouvent des solutions et la capacité d'ailleurs à les accepter.

Bref, à bien des égards, le malaise démocratique est perceptible et évidemment extrêmement inquiétant, avec aussi une certaine forme de défiance de ce que nous sommes.

J'ai toujours pris avec beaucoup de distance les gens qui vous expliquaient que la France, ontologiquement, c'était mieux que tout le monde, que, d'ailleurs, les Français était ontologiquement plus intelligents que tous les autres et que : "Circulez, il n'y a rien à voir" et que nous avions le meilleur modèle pour tout.

Ce n'est pas vrai.

Quoi qu'il en soit, il y a en France très fortement, et vous le voyez très bien, une forme de défiance de ce que nous sommes, d'absence de reconnaissance, d'absence de confiance, d'absence de plaisir, de joie et de fierté d'être ce que nous sommes et, quand je dis cela, je n'appelle pas tout le monde à être naïvement extrêmement fiers, mais je constate le pessimisme récurrent - les Allemands ont un mot pour cela -, l'espèce de honte de soi dans laquelle nous nous complaisons parfois, qui est d'ailleurs la contrepartie d'une fierté qui me semble souvent excessive.

Il est donc absolument indispensable d'avoir conscience que notre tissu national, notre nation, bien loin d'être soudée autour d'un projet, est inquiète de ce qu'elle est, de ce qu'elle est devenue.

Je prends deux sujets très vite.

Des choses qui apparaissent comme des fondements de ce qu'est notre pays - l'école depuis longtemps et la Sécurité sociale depuis 1945 -, l'idée de dire que nous nous sommes organisés pour avoir une puissance publique, l'État pour l'école et l'organisation sociale pour la Sécurité sociale, qui sont capables de répondre à des besoins essentiels, la santé d'un côté et l'école de l'autre, ces deux piliers, ces deux fondements sont tous les deux en crise, en crise profonde.

Les gens les regardent en se disant qu'ils ne fonctionnent plus comme ils devraient et ils n'y trouvent plus leur compte.

L'éducation et tout ce qu'elle devrait amener à mes enfants n'est plus garantie dans des conditions qui me paraissent raisonnables, et beaucoup de nos concitoyens pensent cela, et l'accès aux soins et la qualité du soin, la qualité du soin n'est pas en cause, en général elle n'est pas du tout en cause mais l'accès aux soins est redoutablement complexe et dans le genre petit élément venant dissoudre la confiance et éroder la force du tissu national, il n'y a pas mieux.

Donc vous avez ces deux piliers en crise et vous avez cette défiance qui se poursuit et si vous ajoutez à cela une addiction à la dépense publique qui nous a conduits à avoir des dettes importantes, là aussi thème que François connaît par cœur et qu'il développe depuis longtemps, que je partage avec lui, eh bien nous attaquons une période difficile avec des fragilités. Elles ne condamnent en rien notre pays elles ne nous condamnent en rien, mais ne pas les voir serait dangereux, ne pas les voir serait même probablement irresponsable.

Un petit mot mais j'irai très vite sur les retraites, pas du tout pour dire ce qu'il faut faire, le débat a lieu, je n'ai pas envie de rajouter une petite phrase, je vais simplement vous dire cela.

La première fois que j'ai entendu parler de la question des retraites, j'étais en seconde, et c'était il y a longtemps croyez-moi malheureusement, et c'était mon professeur d'économie qui était au tableau, je peux vous dire qu'il n'y avait pas d'informatique, il nous a fait des courbes et nous a dit : « Vous voyez le système des retraites, un jour, il y aura un problème parce que de plus en plus, c'est la démocratie, etc.

Donc il va falloir régler le problème. C'était presque simple sur son tableau. Nous sommes un pays où depuis, autant que je m'en souvienne 35 ans, où nous savons qu'il y a un problème, où nous essayer de le régler, ou parfois nous apportons des pierres dans l'édifice et d’une certaine façon tant mieux, mais où ce problème est devenu constitutif de la crise de nerfs nationale, de notre incapacité à appuyer nos décisions sur des chiffres et avoir un débat rationnel.

Je le dis avec beaucoup d'humilité parce que j'ai beaucoup cotisé sur le sujet, pas pour le système de retraite aussi mais aussi, mais sur le sujet. Je le dis avec beaucoup d'humilité, je ne dis pas du tout que, moi, je sais ce qu’il faut faire et que les autres, ils ne savent pas. Ce n’est pas du tout cela que je veux dire.

Ce que je veux dire, c'est que collectivement, notre pays, depuis 35 ans, est empêtré dans un sujet dont je me permets d'observer qu'il a toujours été réglé dans tous les pays comparables de la même façon, ce qui devrait quand même nous laisser penser que… voyez… il doit avoir des solutions.

Eh bien non, on tergiverse on se perd, on hésite, on critique et on a le droit, on manifeste, on a le droit aussi et finalement on ne règle pas un problème.

D'une certaine façon, il ne faut pas s'étonner que les générations les plus jeunes nous disent : » Écoutez, l'urgence climatique, c'est vraiment compliqué à résoudre et vous n'y arrivez pas ? Cela, c'est plus simple les gens, ils ont déjà réglé et vous n'y arrivez pas non plus donc l'urgence climatique vous n'y arriverez pas. »

Il y a donc un problème de vraiment de capacité à faire avancer les choses, et les retraites s'inscrivent dans ce sujet. François a dit très clairement, et c'est parfaitement respectable et en plus c'est fondé sur une analyse qui est souvent juste, sa position.

Moi, j'ai dit avec le même souci que François d'arriver à la réforme et la même lecture des difficultés qu'il a pointées que, quoi qu'il arrive, nous soutiendrions fermement le gouvernement.

Mais décidons vite ne laissons pas dériver ce sujet, cette hésitation, décidons vite et faisons en sorte que, soit on bouge rapidement, soit on bouge un peu moins rapidement, mais disons comment nous allons faire. Nous n'avons pas besoin de rajouter des hésitations à un sujet qui est déjà assez compliqué, me semble-t-il.

Voilà ce que je voulais vous dire et voilà les sujets que l'on pourrait développer, sur l'école sur la justice aussi, sur la santé, mais je serais trop long si je continuais.

Je voudrais terminer par ceci qui intéresse Stéphane car la semaine dernière j'étais au congrès qui a permis la naissance de Renaissance, on peut le dire comme cela et je voudrais dire combien je trouve que c'est un nom extraordinaire, Renaissance.

La renaissance, dans notre imaginaire, dans notre histoire, dans notre culture, est très fortement associée à l'humanisme, Stéphane a eu raison de le dire. L’humanisme, dans le monde dans lequel nous vivons n’est pas moins important que dans le monde dans lequel cette valeur est née.

Il y a quelque chose qui m'a toujours paru, non je ne devrais pas dire cela car si je le dis cela va être mal interprété… non je ne vais pas le dire, non !

J'ai toujours été un peu agacé que l'on pense que la renaissance n'était que l'humanisme - il y a eu des trucs terribles pendant la renaissance, terribles - et que le Moyen Âge aurait été par définition la période la plus sombre de notre histoire alors qu’il y a des trucs glorieux.

Bref, une fois que l’on a dit cela et j'enlève toutes les analogies que vous pourriez entendre, je reviens à cette idée que la renaissance me paraît glorieuse, pas simplement pour l'humanisme, mais parce qu'elle est un moment qui nous dit beaucoup de choses sur notre situation aujourd'hui où, au fond, deux idées vont s'imposer je crois et se parler, l'idée de fondation et l'idée de réconciliation.

Comme je savais que j'allais venir ici, j'ai lu récemment un bon livre que je vous recommande qui est une biographie d'un roi qui était très lié à une ville du Béarn : Henri IV, le roi libre dit l'auteur qui dédie le livre aux amoureux de la réconciliation.

Eh bien, si l'on regarde les deux grandes figures de la renaissance française, c'est François Ier et Henri IV et au fond qui ont chacun leur part d'ombre, surtout François Ier d'ailleurs…

Rires…

François Ier, il a des parts d'ombre, il a des moments glorieux, il a fondé le Havre donc on lui pardonne tout, mais non, je vais très vite, pardon, ce sont deux figures qui existent par l'idée de fondation et par l'idée de réconciliation.

La fondation d'un État, François Ier et Henri IV sont pénétrés de l'idée qu'il faut créer une forme d'État qui va devenir l'État moderne, la fondation par la culture, c'est l’édit de Villers Cotterets, dont aujourd'hui on retient simplement l'article qui explique que l'on va écrire tout en français, qui dit plein d'autres choses et pas toutes glorieuses, mais enfin qui dit cela, le collège de France c'est-à-dire l'idée que le savoir et la connaissance ne doivent pas être réservés à la Sorbonne et à l'université, c'est incroyable et la ville du Havre, je le dis, je ne peux pas l'oublier, qui est l’idée d'une incroyable modernité me semble-t-il donc la fondation et, Henri IV, c'est la réconciliation.

Comme vous allez tous vous jeter sur le livre qui est d'ailleurs épuisé, François - en tout cas je n’ai pas réussi à l’acheter, j'ai dû l'emprunter dans une bibliothèque heureusement bien achalandée au Havre - vous y trouvez un chapitre qui s'appelle l'Art de gouverner.

Vous voyez qu'Henri IV, confronté à des difficultés considérables, - ce qui me permet de mettre un peu de distance entre ce que l’on vit car il y a d’autres moments dans l’histoire de France où il y a eu des difficultés considérables, j'ai quand même réappris et pour tout dire en fait un peu appris - l'excellent Henri IV avait, dans un moment de grandes difficultés, conçu l'idée d'une forme de Grand débat, mais c'est vrai, dont il n'a d'ailleurs pas suivi tous les enseignements sur le conseil de Sully, j'ai découvert les agacements profonds d'Henri IV face au Parlement qui était à l'époque plutôt la justice que le système parlementaire profond, je l'ai découvert incroyablement attaché au bon état des finances publiques, lui-même disant, et franchement cela devrait nous faire réfléchir, qu'il ne pouvait pas y avoir de réconciliations des français sans finances publiques tenues.

Cela fait réfléchir.

Cela a été écrit il y a longtemps, mais cela reste à mon avis extrêmement vrai.

Et puis la dernière chose, puisque j'étais à Fontainebleau avec Jean-Paul, puis à la naissance de Renaissance et que maintenant je suis avec François, l'Édit de Nantes, c'est-à-dire au fond un texte qui, d'une certaine façon, pourrait avoir valeur constitutionnelle, l'idée que l'on organise par le droit une forme de liberté notamment de liberté religieuse, ce qui est totalement nouveau dans le monde de l'époque, qui ne me paraît pas complètement la non plus dépassé voir déplacé, et qui sera abrogé en 1685 à Fontainebleau par Louis XIV.

Bref, dans le moment où nous vivons, dans le moment où Renaissance se crée, dans le moment où nous sommes confrontés à de telles difficultés, je pense que notre objectif, celui qui nous réunit, celui sur lequel nous pouvons partager et construire, c'est au fond l'objectif même de ces deux souverains de la Renaissance ; fonder la nouvelle puissance française et réconcilier les Français.

La puissance, ce n'est pas quelque chose d'hégémonique, c'est quelque chose qui sert à faire prévaloir ses intérêts et à être à la hauteur face aux enjeux du monde.

Fonder et refonder les éléments de la puissance française et réconcilier les Françaises et les Français avec eux-mêmes d'une certaine façon, et d'une certaine façon peut-être aussi avec la France.

C'est ce que je nous souhaite.

Merci beaucoup.

François BAYROU. - Je ne ferai pas de discours. Demain peut-être… Si vous revenez… Et vous reviendrez tous, et j'espère d'autres encore qui ne nous ont pas encore rejoints.

J'ai été très heureux de ce moment de rencontre et de franchise avec le sourire, avec profondeur, y compris profondeur historique et, d'ailleurs, concernant Henri IV et François Ier, François Ier est le grand-oncle d'Henri IV. C'est le frère de sa grand-mère et cela prouve donc qu'entre le Havre et Pau, qui sont les deux lieux de naissance de ces souverains, il y a quelque chose, au fond, de sympathique.

Il faut ajouter qu'à Pau, un autre souverain est né, qui s'appelle Bernadotte, qui a été roi de Suède et dont les descendants sont encore sur le trône, ce qui veut dire que l'adhésion récente de la Suède aux préoccupations qui sont les nôtres, pour des raisons militaires nous donne à penser aussi sur la difficulté des temps.

Les Suédois étaient venus chercher Bernadotte, car ils venaient de subir une immense défaite devant la Russie. Alors, ils ont cherché quelqu'un qui savait faire la guerre et ils sont venus à Pau.

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