Sarah El Haïry : « Après le procès Le Scouarnec vient le temps de l’action politique »

Sarah El Haïry, Haute-commissaire à l'Enfance et vice-présidente du MoDem, a accordé un entretien au Point, principalement consacré à la lutte contre la pédocriminalité, alors que le procès de l’ancien chirurgien Joël Le Scouarnec touche à sa fin.
Le Point : Le procès Le Scouarnec s'achève, il n'aura pas eu l'écho souhaité par certaines parties civiles et leurs avocats. Un collectif de victimes vous a sollicitée, regrettant que « rien ne bouge ». « Combien faudra-t-il de victimes pour que l'État protège réellement les citoyens ? » se demandent-elles. Ce collectif souhaite l'ouverture d'une commission interministérielle associant le haut-commissariat à l'Enfance, le ministère de la Santé et le ministère de la Justice. Que leur répondez-vous ?
Sarah El Haïry : Le procès Le Scouarnec révèle une réalité douloureuse et insupportable : 299 victimes, 35 ans d'impunité.
Ce n'est pas seulement un drame personnel, c'est une défaillance collective qui nous engage toutes et tous.
J'ai lu attentivement le courrier que m'a adressé le collectif de victimes et mes équipes ont également pu échanger avec elles. Je comprends leur frustration au regard de ce qu'elles ont vécu durant toutes ces années, tout simplement parce que je serai toujours du côté des victimes.
Mais ce temps du procès, c'était le temps judiciaire. Maintenant, après trois mois de procès, vient le temps de l'action politique. Le temps du réveil institutionnel. Je leur tends la main, je les recevrai avec le Ministre de la Santé dans quelques semaines et je le redis ici : je serai à leurs côtés. Pour écouter leur ressenti à la suite du procès, mais surtout pour changer structurellement ce qui a permis qu'un homme puisse agresser des enfants dans plusieurs hôpitaux, en toute impunité, sous l'autorité de structures censées protéger.
Nous devons traduire cette étape judiciaire en réformes fortes, durables et structurelles. Je ferai tout mon possible pour que jamais plus un tel drame ne puisse se reproduire.
Qu'est-ce qui a changé depuis l'affaire Le Scouarnec, révélée en 2019 ? La parole de l'enfant est-elle mieux prise en compte ?
Beaucoup a été amorcé, mais tout reste à amplifier. Nous avons déployé et renforcé les UAPED (unités d'accueil pédiatriques enfants en danger dans les hôpitaux, initiées par Martine Brousse de La Voix de l'Enfant) et nous en ouvrirons vingt-cinq de plus en 2025. Pourquoi ? Parce que leur modèle fonctionne. Alors que 160 000 enfants sont victimes d'inceste chaque année, qu'un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents, le rôle des UAPED, au sein de nos hôpitaux, est crucial.
Parce qu'elles incarnent une vérité simple : c'est aux institutions d'aller vers l'enfant, pas l'inverse.
C'est bien là que réside toute la force des UAPED : prévenir, repérer, accueillir, auditionner, protéger. Aujourd'hui encore, ce sont les enfants qui doivent trouver la force de parler. Ce sont les enfants qu'on attend de voir « crédibles » et « clairs » dans leurs mots. Mais où est notre responsabilité collective quand ce sont les plus vulnérables qui doivent alerter ? Notre devoir, c'est d'écouter sans condition, d'intervenir sans délai. Et ça commence par une détection systématique dans les lieux où ils sont : l'école, la PMI, l'hôpital, les foyers… Alors non, tout n'est pas réglé. Mais oui, les lignes bougent. Et elles doivent trembler encore davantage.
La libération de la parole de l'enfant est ma priorité.
Une condamnation pour détention d'images pédopornographiques (comme ce fut le cas pour Joël Le Scouarnec en 2005) est-elle davantage prise au sérieux en 2025 et perçue comme un possible passage à l'acte ?
Évidemment ! Une condamnation pour détention d'images d'enfants attouchés, violés, est déjà un passage à l'acte. Une capture de violence. Un consentement à l'abject. Je n'ai pas besoin d'un diplôme en criminologie pour affirmer qu'un professionnel de santé condamné pour de tels faits n'a rien à faire en contact avec des enfants, ni même avec des patients.
Là aussi, l'institution doit changer de logiciel : on ne peut plus fermer les yeux.
N'y aura-t-il plus d'affaires Le Scouarnec dans les hôpitaux français ?
Je ne fais pas de promesses vides.
Mais je peux vous dire une chose : l'État a ouvert les yeux, et je ferai en sorte qu'il ne les referme plus. L'État sera au rendez-vous.
Le ministre de la Santé l'a dit : les ordres professionnels auront un accès renforcé au casier judiciaire, y compris pour les soignants non condamnés définitivement. Le FIJAIS, fichier des délinquants sexuels, doit devenir un outil de prévention, pas un simple registre de condamnations passées. Le gouvernement veut aussi qu'une inscription au casier judiciaire soit faite même s'il y a appel de la personne condamnée, pour éviter que celle-ci ne passe entre les mailles du filet. Les ministres de la Santé et de la Justice mènent un travail conjoint pour permettre qu'il y ait un suivi de l'honorabilité des professionnels de santé par les conseils de l'ordre.
Je soutiens l'ensemble de ces mesures qui permettront de mieux prévenir.
Il n'est plus possible qu'un professionnel mis en cause puisse continuer à exercer sans qu'un feu rouge ne clignote.
La libération de la parole des victimes a créé un électrochoc. Je serai au rendez-vous. Pour elles, comme pour toutes les femmes, hommes et enfants que nous devons protéger à l'avenir.
Le 6 mai, Ouest-France révélait qu'un ORL mis en examen pour agressions sexuelles à Vannes, et interdit d'exercer sa spécialité, travaillait désormais comme médecin du travail en Vendée… Est-ce normal ?
Non. C'est un fait choquant et inacceptable. Et ce n'est pas une question de droit, mais de décence. Quand une personne est mise en examen pour des violences sexuelles, la première des précautions, c'est de la suspendre de tout contact avec des patients.
Je crois en la présomption d'innocence, mais aussi au principe de précaution, et je crois encore plus à la protection des innocents.
Et dans ce genre de situation, c'est simple : s'il y a doute, on protège.
Les affaires de pédocriminalité se multiplient en France, se développent sur les réseaux sociaux, les pédophiles sont de plus en plus jeunes… Pourtant le sujet est peu relayé au niveau du gouvernement. Comment la France compte-t-elle lutter contre ce fléau ?
Le numérique est devenu une zone de chasse pour les pédocriminels. Plus jeunes. Plus organisés. Plus invisibles. Tout cela est particulièrement inquiétant : d'un côté, les mineurs sont de plus en plus tôt sur les réseaux sociaux et, de l'autre, les prédateurs y sont de plus en plus présents. Face à cela, on ne peut pas rester avec les réponses d'hier. Les deepfakes, la pornographie générée par l'IA, les messageries chiffrées : ce sont les nouvelles armes des prédateurs. Avec la ministre Clara Chappaz, nous travaillons à des solutions de régulation forte.
J'en profite pour remercier les associations, qui mènent un travail remarquable pour repérer les contenus pédopornographiques, les faire retirer et les interdire dans les meilleurs délais, ainsi qu'accompagner les mineurs et leurs parents. Je recevrai très rapidement le « Groupe Miroir » de la Ciivise, composé de jeunes [15 adolescents et adolescentes de 14 à 17 ans, NDLR], pour écouter leurs propositions de terrain.
Par ailleurs, les plateformes telles que Mym et OnlyFans participent à une hypersexualisation et peuvent être une porte d'entrée vers des relations tarifées, notamment chez les jeunes.
Elles doivent assumer leur part de responsabilité (contrôle de l'âge, suppression des contenus, etc.). Si un contenu pédopornographique reste en ligne plus de quelques minutes, alors c'est déjà trop tard pour une victime.
Concernant le suivi des pédophiles en prison et après leur sortie : les rechutes sont nombreuses, les traitements médicamenteux ne sont pas obligatoires et le suivi psy en prison, insuffisant… Comment la France compte-t-elle rattraper son retard ? Faut-il s'inspirer de ce qui se fait au Canada ou dans les pays d'Europe du Nord ?
Ce sujet relève de la justice. Mais je le dis comme haut-commissaire à l'Enfance :
Quand un individu est dangereux pour les enfants, notre responsabilité ne s'arrête pas à la porte de la prison. Il faudra aller plus loin.
Mieux encadrer, mieux suivre, mieux traiter et je vais y veiller. Pour les enfants qu'on doit protéger demain. Parce que ces enfants ne sont pas que ceux des autres : ce sont les nôtres.
Lire l'entretien dans Le Point.