Marc Fesneau : "Voter contre le Ceta, c'est du faux patriotisme"

Marc Fesneau
(© Nicolas Lascourrèges)

Notre ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, s'est entretenu avec La Tribune à propos du traité commercial avec le Canada et revient sur la colère paysanne qui persiste.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous interviendrez jeudi au congrès de la FNSEA, syndicat qui, malgré les nombreuses concessions du gouvernement depuis janvier, est loin de considérer la crise agricole comme terminée. Pourquoi n'arrivez-vous pas à apaiser les paysans ?

MARC FESNEAU - La crise vient de tellement loin et ses causes sont si multiples que les réponses à y apporter sont par nature complexes. L'Espagne, la Pologne, la Roumanie, les Pays-Bas, la Belgique sont confrontés au même problème. La logique des politiques publiques vis-à-vis de l'agriculture est en train de changer, mais il reste à crédibiliser la parole de l'État. Nous avons annoncé de nombreuses mesures. Je sais que l'attente pour avancer est très forte. Ce que nous pouvions faire immédiatement, nous l'avons fait. Mais nous sommes en démocratie : les lois doivent être adoptées par le Parlement, une modification réglementaire nécessite un décret en Conseil d'État. Je comprends les impatiences, mais nous sommes en train de régler des sujets qui traînent depuis quinze ou vingt ans.

La FNSEA vous demande néanmoins davantage de concrétisations. Et le délai est court, le Premier ministre lui a donné rendez-vous lundi...

Après avoir dialogué avec les syndicats, nous avons pris 62 engagements, et je les mets en oeuvre un à un avec la volonté d'aller le plus vite possible. Il y a des attentes exprimées par les agriculteurs eux-mêmes, comme le changement de l'indicateur du plan Écophyto et l'inscription dans la loi que l'agriculture est d'intérêt général majeur, qui n'entraînent pas d'effet immédiat dans les cours de ferme. Tout cela aura à terme un vrai impact sur la transformation de l'agriculture. Nous accélérons également le stockage de l'eau, mais tous les projets ne peuvent pour autant sortir de terre la semaine prochaine. Beaucoup d'avancées sont déjà visibles : les mesures de soutien pour les exploitations frappées par la maladie des bovins [MHE], par les tempêtes Ciaran et Domingos, pour la viticulture, l'évolution du statut du loup... Le plan de souveraineté fruits et légumes et le plan protéines, c'est de l'argent sonnant et trébuchant. Ce serait injuste de dire qu'on n'a pas progressé. Aucun responsable syndical n'aurait pensé il y a un an qu'on accélérerait autant en deux mois. À bas bruit, mes interlocuteurs le reconnaissent. Même si cela ne veut pas dire que la crise est derrière nous.

Vendredi, vous présenterez enfin en Conseil des ministres votre « projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture ». Saura-t-il répondre aux demandes des agriculteurs ?

Je mettrai toute mon énergie pour un texte qui soit équilibré : qui donne de l'espoir et de l'attractivité au métier, qui contienne des mesures de simplification et engage aussi les agriculteurs sur la voie de la transition écologique, car l'agriculture en a besoin. Le Parlement va naturellement s'en saisir et l'enrichir.

L'Union européenne a proposé vendredi d'imposer des droits de douane « prohibitifs » sur les produits agricoles russes importés. Qu'en pensez-vous ?

La Russie met à l'oeuvre une stratégie de déstabilisation de l'Europe, en envoyant de surcroît sur nos marchés des céréales volées à l'Ukraine. La mesure adoptée par l'UE vise donc à répondre, par des droits de douane, à cette déstabilisation et à cette déloyauté commerciale. Face à des acteurs économiques qui jouent contre la sécurité alimentaire et les intérêts de l'Europe, c'est tout à fait légitime. Je salue donc la sévérité de la réponse européenne.

Le Kremlin dit que « les consommateurs européens souffriront » si cette proposition s'applique...

Cette déclaration illustre le cynisme mortifère des dirigeants de la Russie. C'est bien la preuve que Poutine utilise sciemment l'alimentation comme une arme. C'est ce qu'il fait depuis le début du conflit en inondant les marchés mondiaux de blé de mauvaise qualité et à prix cassés, tout en bloquant la mer Noire, porte de sortie des céréales ukrainiennes. Devant cette menace, il est de notre responsabilité de renforcer notre souveraineté alimentaire, c'est-à-dire de défendre nos intérêts vitaux, en protégeant notre capacité de production, et de réduire nos dépendances pour garantir en quantité et en qualité l'alimentation des Européens. Mais aussi pour faire en sorte de nourrir des pays dont on ne veut pas qu'ils dépendent de la Russie.

« L'agriculture française est-elle une agriculture autarcique, repliée sur elle-même ? Moi, je dis non »

Jeudi, la ratification du Ceta a été rejetée par le Sénat. Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour l'agriculture française ?

Ceux qui, dans les mondes agricole ou politique, s'opposent par principe aux traités de libre-échange, doivent assumer leur choix. Ils doivent répondre à cette question : l'agriculture française est-elle une agriculture autarcique, repliée sur elle-même, qui ne doit couvrir que les besoins de sa population ? Moi, je dis non. Grâce au talent de ses agriculteurs, à sa compétitivité et à la qualité de ses produits, l'agriculture française peut s'exporter au-delà de ses frontières.

Elle n'a pas vocation à être simplement vivrière, elle a vocation à produire du revenu pour les agriculteurs et à nourrir plus que jamais le monde. La France s'oppose avec force au Mercosur, car tous les accords ne sont pas bons, mais le Ceta va dans le bon sens pour la « ferme France ». Peut-on aujourd'hui se priver de 250 millions d'euros d'échanges avec le Canada sur les fromages ou sur les vins et les spiritueux ? J'avais plutôt compris qu'on avait besoin de trouver de nouveaux marchés. Ceux qui votent contre font donc de la démagogie sur le dos de l'agriculture française. Que va-t-on faire des surfaces viticoles en trop, que les exportations permettaient de valoriser ? Si on a 50 % de surfaces de céréales qui vont à l'exportation et qu'on s'y ferme, à la fin on ne produira plus de céréales. Et c'est vrai aussi pour l'export intra-européen : si on n'exporte plus de bovins vers l'Espagne et l'Italie, c'est la mort de la filière bovine française. Je n'étais pas habitué à la démagogie sénatoriale. Jusqu'à présent, les sénateurs trouvaient que c'étaient plutôt les députés qui étaient trop souvent dans les jeux de posture. Mais manifestement, en ces temps, la démagogie est contagieuse. Je rappelle que le Ceta a été lancé sous Jacques Chirac, négocié sous Nicolas Sarkozy, signé par François Hollande, et que ceux qui ont été à la manoeuvre hier appartenaient à leurs partis politiques. Tous ces gens-là avaient accueilli Justin Trudeau les bras ouverts...

(...)

Le MoDem est réuni en congrès à Blois ce week-end. Les sorties de François Bayrou lors du remaniement n'ont-elles pas laissé des traces au sein du parti et dans la majorité ?

Dans la vie politique, le mieux, c'est d'être soi-même. Le MoDem a toujours eu une vision particulière sur les sujets démocratiques, sur la justice sociale et sur l'Europe. Ce n'est pas illogique pour une formation politique d'exprimer ce qu'elle est dans sa différence.

Le débat actuel au sein de la majorité porte sur l'augmentation des impôts des plus riches. La solution face au déficit est-elle d'activer le levier fiscal ?

En premier lieu, je trouve que sur les questions fiscales comme sur les prestations sociales il ne doit pas y avoir de débat tabou. Deuxièmement, l'engagement du président de la République est d'avoir une fiscalité qui soit incitative : en faveur de l'activité, de l'emploi et de la réindustrialisation. Et en troisième lieu, j'ai entendu avec intérêt Bruno Le Maire dire qu'il prélèverait le produit de la rente de ceux qui ont profité - parfois malgré eux - des différentes crises. Il a dit que ce serait le cas des énergéticiens. Regardons s'il y en a d'autres. Après, on laissera faire le débat des parlementaires. Ce à quoi il faut veiller, c'est d'avoir le bon équilibre et donc ne pas décourager les gens qui produisent de la richesse, ceux qui travaillent, les salariés qui essayent de s'en sortir. C'est la ligne que nous tenons depuis 2017.

Le groupe Renaissance organise mardi matin un débat sur la proportionnelle. Son président, Sylvain Maillard, a déjà fait savoir son hostilité. C'était pourtant dans l'accord de février 2017 entre Emmanuel Macron et François Bayrou. On a l'impression que vous n'arriverez jamais à imposer cette réforme...

D'abord, il n'y a pas que François Bayrou et Emmanuel Macron qui se sont engagés pour la proportionnelle. C'est toute la majorité qui, en 2017, s'y est engagée. Je trouve en outre curieuse cette propension à être d'accord pour la proportionnelle quand on n'est pas élu pour ensuite soutenir le scrutin majoritaire quand on l'est. C'est la maladie des PS, des RPR et des UMP, cela me semble plus incohérent venant du président du groupe Renaissance. Le sujet, ce n'est pas la façon dont on a été élu, c'est l'intérêt du pays. Je ne suis pas un défenseur de la proportionnelle tous azimuts, intégrale et n'importe comment. Mais reconnaissons le message qu'ont envoyé les citoyens en 2022 : on ne vous donnera qu'une majorité relative. Résultat : c'est une proportionnelle qui est subie et non pas voulue, et nous parvenons à construire des majorités sur des textes mais pas une coalition sur un projet d'ensemble. Par ailleurs, ceux qui s'opposent à la proportionnelle disent qu'elle produirait des élus déconnectés. Mais j'entends beaucoup de Français dire qu'avec le système actuel c'est déjà le cas. La proportionnelle permettrait d'avoir des institutions qui leur ressemblent davantage. Elle fait toutefois partie d'un tout. C'est aussi une attitude - et la première, dans la vie démocratique, c'est d'essayer de comprendre l'autre dans sa différence. Je conseille à tout le monde d'être sur cette ligne-là. Et je considère que c'est valable au sein d'une même majorité mais aussi avec l'opposition. J'ai des désaccords avec les LR, avec les PS et même avec les Verts. Mais il n'est pas indécent de penser parfois qu'on pourrait être d'accord avec eux sur certains points. La condescendance qui découle du fait majoritaire crée une incapacité à transformer le pays et nous dresse « tous contre tous ». J'invite à ce qu'on ait un véritable débat, au-delà des caricatures que je lis ici ou là ces derniers jours.

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