« L’Europe de la défense, ou l’art de s’entendre sans toujours se comprendre » par Sabine Thillaye

Faut-il voir dans la coopération franco-allemande un mariage d’amour ou de raison ? À travers ce billet d’humeur, Sabine Thillaye revient sur les défis et les promesses de la construction d’une défense européenne, portée par des projets communs comme le SCAF ou le MGCS. Alors que Paris et Berlin commencent à parler le même langage stratégique, elle plaide pour un sursaut politique et parlementaire, seul capable de faire décoller l’autonomie stratégique de l’Europe.
Il y a des jours où l’on se demande si la coopération franco-allemande est un mariage d’amour ou de raison. En matière de défense, c’est un peu des deux – avec ses disputes, ses silences gênés, mais aussi ses élans sincères. Et pourtant, c’est de ces deux partenaires que dépend une bonne partie de l’avenir stratégique de l’Europe.
Soyons clairs : face à un monde de plus en plus instable, où les menaces se démultiplient et ne se ressemblent plus, Paris et Berlin, comme les industriels français et allemands, n’ont plus le luxe de tergiverser. Leur relation en matière de défense n’est plus un supplément d’âme européen, c’est le cœur même de la crédibilité de notre continent.
Deux programmes en particulier concentrent nos espoirs (et parfois nos frustrations). Le SCAF, ou Système de combat aérien du futur promet de nous propulser dans la défense de demain. Nouvel avion de chasse, drones, IA, combat collaboratif… Le projet est aussi ambitieux que complexe. Et forcément, chacun y va de sa vision : la France regarde vers l’extérieur, avec l’objectif de pouvoir projeter ses forces hors de ses frontières, quand l’Allemagne est plus tournée vers son propre territoire. Deux cultures stratégiques, deux approches légitimes, mais pas toujours compatibles.
Et c’est là que nous, parlementaires franco-allemands, avons un rôle à jouer. Car au-delà des ingénieurs et des feuilles de route industrielles, il faut du courage politique. Trouver une ligne commune. Accepter le compromis sans renier ses convictions. Si on veut que le SCAF vole un jour, il faudra d’abord que nos décisions politiques s’élèvent au même niveau que nos ambitions technologiques.
Même chose pour le MGCS – le char du futur – qui avance, lentement mais sûrement, sur des rails franco-allemands. La gouvernance est équilibrée, les responsabilités sont partagées, les industriels s’y retrouvent… Reste à savoir si les décideurs politiques suivront le rythme.
Et pour cela, il faut un pilotage à la hauteur. On ne bâtit pas une autonomie stratégique sur des mécanismes qui fonctionnent par à-coups. Si nous voulons avancer ensemble, il est temps de remettre en mouvement nos outils communs, à commencer par le Conseil franco-allemand de défense, trop longtemps en sommeil, et notre propre assemblée parlementaire, qui reprend enfin ses travaux après une pause prolongée.
À Berlin, le nouveau chancelier Friedrich Merz prévoit la création d’un Conseil national de sécurité, directement rattaché à la chancellerie – une évolution importante qui ouvre la voie à un dialogue stratégique plus fluide et plus structuré.
Et surtout – fait rare – l’Allemagne affiche désormais une volonté assumée de structurer un véritable marché européen de l’armement. Standardiser, mutualiser, consolider : autant de mots-clés que la France martèle depuis des années. Paris et Berlin commencent enfin à parler le même langage.
Alors oui, il y aura encore des désaccords. Des frottements. C’est inévitable. Mais aujourd’hui, plus que jamais, l’Europe n’a pas d’autre choix que d’agir. Et si la défense européenne doit vraiment décoller, ce sont les parlementaires – nous – qui devons baliser la piste.
Sabine Thillaye, députée d'Indre-et-Loire, membre de l’Assemblée parlementaire franco-allemande