« Le plafond de verre à l’épreuve de la génération MeToo » par Béatrice Ferrante

Après avoir tenuun atelier sur « Le plafond de verre à l’épreuve de la génération MeToo » avec Fadila Mehal lors de l’Université de rentrée du MoDem, Béatrice Ferrante, référente du mouvement territorial 13 à La Ciotat, signe ce billet d'humeur sur la génération MeToo et l’égalité femmes-hommes. Un appel à transformer les prises de conscience en véritables avancées.
Il y a des sujets dont on parle depuis si longtemps qu’on finit presque par croire qu’ils se sont dissous dans le temps. Le plafond de verre en fait partie. On le décrit, on le mesure, on le dénonce, mais il reste là, obstinément. Invisible et néanmoins bien présent, il sépare encore beaucoup de femmes du pouvoir, du confort de la reconnaissance, ou de cette simple égalité qui ne devrait plus être un combat.
Et pourtant, quelque chose a bougé. La génération MeToo a bousculé les choses. Elle a fissuré ce plafond de verre invisible en brisant « la loi du silence ». Elle a permis à des millions de femmes de dire « non », de dire « moi aussi », et de s’affirmer autrement. Mais fissurer n’est pas suffisant pour faire voler en éclats. Le plus difficile commence maintenant : transformer cette évolution de la conscience collective en avancée pérenne.
C’est dans cet esprit que j’ai coanimé, aux côtés de Fadila Mehal, conseillère de Paris et fondatrice des Mariannes de la diversité, un atelier intitulé « Le plafond de verre à l’épreuve de la génération MeToo ». Derrière ce titre, un enjeu : comprendre ce qui, malgré les lois, malgré les discours, continue de bloquer la marche des femmes vers la pleine égalité.
Un atelier d’écoute et de vérités
Dès le début, j’ai senti que cette discussion ne serait pas comme les autres. Nous étions une vingtaine, réunis dans cet espace agréable où flottaient à la fois la curiosité, l’émotion et le sérieux. Après de brèves présentations, nous avons esquissé un état des lieux : chiffres, lois, réalités. Puis, nous avons fait circuler la parole.
Une jeune femme du milieu du cinéma a pris la parole, la voix assurée mais les mots tremblants. Elle a évoqué cette étrange malédiction d’être jugée « trop jolie ». Sous couvert de compliment, une suspicion : celle de ne pas avoir gagné sa place, d’avoir réussi « autrement ». Derrière son sourire, on sentait une lassitude, celle de devoir souvent prouver deux fois plus pour être prise au sérieux.
Un peu plus tard, un homme, travaillant à l’ONU, a réagi avec sincérité. Il pensait, comme beaucoup, que son organisation incarnait la parité. La réalité était beaucoup plus éloignée : aucune femme n’a jamais occupé le poste de secrétaire général depuis la création de l’institution. Dans la salle, un silence s’est installé, révélateur de cette distorsion bien présente. Parfois, une simple statistique suffit à faire réajuster les certitudes.
Ces échanges, nourris et respectueux, ont rappelé que la question de l’égalité ne concerne pas seulement les femmes. Elle interpelle la société tout entière, y compris ceux qui croient, de bonne foi, que l’égalité est déjà acquise.
Mon engagement : du personnel au politique
Si ce sujet me tient autant à cœur, c’est qu’il s’enracine dans mon histoire. En 2007, j’ai déposé plainte pour violences. Une épreuve bouleversante, mais fondatrice. J’ai alors compris que le silence est l’allié du statu quo. À ma sortie de l’hôpital, j’ai commencé à parler, à témoigner, à écouter aussi celles qui, autour de moi, vivaient des situations similaires.
Quelques années plus tard, j’ai exercé comme déléguée du personnel, puis référente anti-harcèlement. C’est là que j’ai découvert le quotidien concret des inégalités. Derrière les slogans d’entreprise et les chartes bien rédigées, j’ai vu les visages de celles qui se heurtent au mur invisible : les écarts de salaires, les promotions différées, les carrières freinées par la maternité ou par les « habitudes de management ».
J’ai aussi découvert des hommes sincèrement désireux de comprendre, parfois maladroits, souvent démunis. C’est là que j’ai appris la valeur de l’écoute et la nécessité du dialogue pour faire bouger les choses.
MeToo : une étape symbolique, pas une fin
Le mouvement MeToo, né sur les réseaux sociaux en 2017, a été une onde de choc mondiale. Pour la première fois, des millions de femmes se sont reconnues dans une même expérience de domination et d’injustice. Ce fut une libération, mais aussi une rupture : rupture avec la peur, avec la honte et avec la complaisance.
Aujourd’hui, la génération MeToo ne veut plus seulement dénoncer. Elle veut bâtir. Elle réclame une société naturellement plus juste, plus équilibrée, où la parité ne devrait plus être un concept, mais une évidence.
Le cadre légal : clair et pourtant insuffisant
Avec Fadila Mehal, nous avons rappelé les grands textes qui encadrent l’égalité. Depuis la loi Roudy (1983), la France affirme l’égalité professionnelle entre femmes et hommes. La loi Génisson (2001) renforce les obligations des entreprises en matière de négociation. La loi Copé-Zimmermann (2011) impose 40 % de femmes dans les conseils d’administration. La loi Avenir professionnel (2018) crée l’Index de l’égalité femmes-hommes, que les entreprises de plus de 50 salariés doivent publier chaque année.
Et sur le plan politique, la révision constitutionnelle de 1999 et la loi du 6 juin 2000 ont ouvert la voie à la parité électorale. Malgré ces progrès, la réalité demeure inégale : les femmes représentent moins de 25 % des cadres dirigeants, et dans de nombreuses communes, les exécutifs restent massivement masculins.
Sur le papier, nous avons tout. Dans la pratique, tout reste à faire. Les écarts se nourrissent de l’histoire : différences d’ancienneté, de diplômes, de trajectoires. La maternité reste encore un frein silencieux, marquant un « temps d’arrêt » dans les carrières. Et cette charge mentale — invisible mais constante — continue de peser sur la vie quotidienne des femmes, qu’elles soient cadres, mères, indépendantes ou militantes.
Faut-il en passer par la loi ?
La question s’est imposée : faut-il toujours en passer par la loi et la contrainte pour obtenir la parité dans notre société ? Ce débat a animé toute la seconde partie de notre atelier. Et la vingtaine de participants présents étaient, dans l’ensemble, plutôt d’accord : sans contrainte, les bonnes intentions ne suffisent pas.
Nous avons échangé sur les limites des démarches volontaristes, sur les résistances culturelles, sur les réflexes inconscients. Plusieurs participantes ont rappelé combien la loi a souvent été le moteur du progrès. La loi Copé-Zimmermann, par exemple, a fait plus pour la parité dans les conseils d’administration que des décennies de discours.
D’autres ont mis en garde contre le risque de « parité d’affichage ». Une femme nommée pour respecter un quota ne doit jamais être réduite à son sexe : elle doit être reconnue pour ses compétences. Le véritable enjeu est celui de la culture du respect et de la légitimité partagée.
Quand les lois rencontrent la vie
Je leur ai confié ce que j’ai souvent observé dans le monde de l’entreprise : la loi pose un cadre, la réalité, elle, est faite de nuances. Harmoniser les salaires est un casse-tête : l’ancienneté, les diplômes, la date d’entrée, tout joue. Et puis, il y a cette maternité qui reste, qu’on le veuille ou non, un frein structurel. Non pas par choix personnel, mais parce que les systèmes de rémunération et de promotion ne savent pas l’intégrer.
J’ai milité pour la création des journées enfants malades dans mon entreprise. Ce fut un pas symbolique et révélateur : seules les femmes, ou presque, osaient les prendre. Comme si la parentalité restait une affaire féminine, malgré toutes les évolutions de société.
Une citation pour mémoire : la vigilance de Simone de Beauvoir
À un moment, une voix dans la salle a rappelé une phrase de Simone de Beauvoir :
« Il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Le silence qui a suivi fut éloquent. Oui, les droits des femmes sont fragiles. Ils avancent au gré des luttes, mais peuvent reculer au gré des crises. Les dernières années, marquées par les tensions économiques et sociales, l’ont montré : rien n’est jamais définitivement acquis.
Cette vigilance, c’est celle que nous devons exercer collectivement. Non pas dans la peur, mais dans la lucidité.
Un moment d’unité et d’espoir
À l’issue de l’atelier, l’énergie était palpable. Nous avions traversé ensemble les constats, les débats, parfois les désaccords, mais surtout une même conviction : le changement passe par la volonté collective.
Et maintenant ?
L’atelier s’est terminé comme il avait commencé : dans l’écoute et la franchise. Nous sommes ressortis lucides, mais déterminés. Les femmes et les hommes présents ce jour-là ont partagé une même conviction : l’égalité n’est pas un état, c’est un chemin. Et sur ce chemin, chaque avancée compte.
Le plafond de verre ne tombera pas d’un coup. Il s’effrite, fissure après fissure, grâce à celles et ceux qui osent questionner, débattre et tendre la main.
Alors oui, la génération MeToo a ouvert une brèche. À nous, maintenant, de l’élargir. Par la loi, quand il le faut. Par la culture, toujours. Par la bienveillance, l’exigence et l’exemplarité, surtout.
Car une société qui laisse ses femmes se heurter au plafond de verre, c’est une société qui se prive de la moitié de son talent. Pouvons-nous encore nous le permettre ?
Béatrice Ferrante, référente la Ciotat (13)