François Bayrou : "Le centre, c'est la garantie du pluralisme, en refusant la bipolarisation."

François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité d'Arnaud Bousquet à 12h45 ce samedi 5 novembre sur France Culture.

Extraits

Le Haut-commissariat au Plan

« Il y a des sujets stratégiques que l'on doit prendre et nous l’avons fait de la manière la plus honnête possible, en proposant sur chacun de ces sujets une stratégie lisible par tout le monde : ça n’est pas des tableaux excel multipliés, des statistiques à perte de vue, c’est un constat et une vision stratégique, pour chacun des sujets. »

Nucléaire

« La seule source qui n’émette pas de gaz à effet de serre disponible en dehors de l’hydroélectricité, c’est le nucléaire. 

Au lieu d’opposer nucléaire et renouvelable, on a compris – et je crois que la note du Plan a joué un très grand rôle – que le pilotable était le complément nécessaire du renouvelable. 

Cela a changé la vision et ça a permis de reprendre tard - après 15 ans ou 20 ans d’ignorance du sujet – un programme électro nucléaire qui nous permettra, avec la crise énergétique que nous vivons, d’être un jour plus autonome. »

Définition du centrisme

« Il n’est pas vrai que la vie, la vie d’une société ou la vie des personnes, se divise en deux parties : gauche et droite. Cette bipolarisation est une manière de tromper les électeurs et de tromper la vie de la nation. 

Le centre c’est le choix de refuser le simplisme de la bipolarisation. 

Le centre garantit le pluralisme. Si on refuse la bipolarisation, alors on entre dans un autre univers qui est le pluralisme. Et on a droit à des opinions ou à avoir le kaléidoscope des opinions. 

En France, je dirais qu'il y a six grands courants d’opinion. Certains se divisent entre eux, mais il y a six grands courants d’opinion : l'extrême gauche, le Parti socialiste, les Verts, le centre, LR - disons la droite de gouvernement - et l’extrême droite. On a droit aux six, et peut-être d’autres viendront, parce qu’ils apporteront un regard différent sur les choses. 

Je pense que, y compris les courants politiques que j’ai combattus toute ma vie, sans aucune exception, ont droit de cité. Je pense qu’il est légitime que la démocratie respecte et cultive le pluralisme. C’est d’ailleurs désormais inscrit dans la Constitution. Et nous avons joué un rôle important, en tout cas certains de mes amis ont joué un rôle important pour que ce soit inscrit dans la Constitution. » 

Europe

« Il n’y a pas un seul des problèmes cruciaux qui se posent dans les sociétés contemporaines spécialement aujourd'hui où nos pays qui sont pris dans le retour de la guerre, de la guerre physique sur le continent européen, le retour de la guerre commercial, le retour de la question des grandes influences sur le choix des pays de dimension moyenne par le nombre... 

Il n’y pas un seul de ces problèmes qui ne peut se régler si nous ne continuons pas dans le sens de cette création absolument unique, qui est l’Union européenne. Volontaire, forcée par personne, elle n’est pas le fruit d’une victoire militaire, pas le fruit d’une soumission, elle est la libre volonté des peuples qui décident ensemble de se rapprocher et de s’unir pour faire face aux grandes tempêtes du temps. »

Être maire

« On peut attester qu’on réussit à faire changer le visage d’une ville en peu de temps - parce que cela s’est fait en quelques années seulement ! Baudelaire a dit « la forme d’une ville change plus vite hélas que le cœur d’un mortel “, il a dit ça après les travaux de Haussmann à Paris, mon ambition c’est qu’on puisse aussi un peu changer le cœur de ceux qui habitent dans une ville. »

📝 Retrouvez ci-dessous la retranscription de l'interview : 

François Bayrou, bonjour.

Bonjour.

Soyez le bienvenu dans « Sens politique », François Bayrou, Haut-commissaire au Plan, ce plan qui a navigué comme il a pu, au fil de l’eau, parfois à contre-courant depuis sa création en 1946 par le Général de Gaulle. On a commencé par l’appeler le « Commissariat général au Plan » ou « du Plan » chargé de proposer à titre indicatif des plans quinquennaux et ainsi de définir la planification économique du pays à la sortie de la guerre. Votre prédécesseur d’alors s’appelait Jean Monnet, et lui-même expliquait qu’il s’agissait d’une fonction indéfinissable. Alors est-ce que vous voulez bien, 76 ans plus tard, François Bayrou, relever le défi et nous donner le sens de cette fonction, du moins telle que vous l’occupez depuis 27 mois ?

Alors comme vous le rappelez à juste titre, beaucoup de choses ont changé. Et le Plan aussi. En tout cas, l’idée que l'on se fait du Plan. L’idée du Plan après la guerre, c’était un peu un Plan à la soviétique, c’est-à-dire un Etat tout puissant qui était chargé de reconstruire la France, avec l’aide des Etats-Unis. Il ne faut pas oublier que c’est le Plan Marshall, c’est-à-dire ces milliards de dollars apportés par les Etats-Unis, pas à fonds perdu, parce que quand vous donniez de l’argent aux agriculteurs français pour acheter des machines agricoles, et que les seuls fournisseurs de machines agricoles étaient les Etats-Unis, vous ne perdiez pas tout. Loin de là.

C’était l’idée qu’un pouvoir central pouvait définir l’avenir du pays, sa reconstruction, et ses étapes. 

Et on s’est aperçu évidemment que chaque fois que l'on centralisait, il y avait des erreurs et puis la mode a profondément changé. Et nous en sommes arrivés au fil du temps à l’idée qu’il ne fallait pas planifier, que la vie, les affaires, les investissements privés, définiraient mieux l’avenir qu’une vision plus centralisée. 

A l’époque, Jean Monnet devait établir des plans quinquennaux.

Oui.

Aujourd’hui, ça s’appelle des notes.

Oui, parce que ce sont des notes stratégiques. Et c’est ça le but. Problème par problème. Alors évidemment, ça n’a plus du tout la portée que cela avait à l’époque. Mais cependant, j’ai toujours été persuadé que cela avait du sens et j’ai fait tout ce que j’ai pu pour convaincre le Président de la République qu’on devait reconstruire quelque chose de cet ordre. J’ai toujours été persuadé qu’à avoir trop « le nez sur le guidon » comme on dit pour les cyclistes, ou dans une autre manière de s’exprimer « ne voir que l’arbre qui cache la forêt », l’arbre de l’immédiat, l’arbre de l’urgence, on se trompait. Et on s’est trompés à de nombreuses reprises en raison de cette courte vue en France. Je vais prendre un exemple simple : l’établissement du numerus clausus en médecine, le fait qu’on a décidé qu’il fallait limiter, contingenter le nombre de médecins en France. Nous en payons le prix aujourd’hui, et le prix le plus cher. Un grand pays médical comme la France, réputé dans le monde entier, et qui se trouve tout à coup, face à une pénurie de médecins, incapable de fournir des soignants à la propre société française, c’est une erreur majuscule et une erreur qui est due à l’absence de planification.

Donc là, c’est un constat. Quelles prévisions ? Quelles préconisations ?

Alors évidemment, on ne peut plus décider à la place de la société française parce que la France est un pays ouvert. Mais il y a des sujets stratégiques que l'on doit prendre et nous l’avons fait de la manière la plus honnête possible, en proposant sur chacun de ces sujets une stratégie lisible par tout le monde, ça n’est pas des tableaux excel multipliés, des statistiques à perte de vue, c’est un constat et une vision stratégique, pour chacun des sujets.

On va en choisir un ou deux : l’électricité, la démographie. Lequel on choisit ?

L’électricité, c’est très simple. Je crois que la note stratégique que nous avons publiée sur l’électricité a joué un grand rôle dans le changement de perspective qui a été celui de l’exécutif en France. 

Jusqu’à cette note, le nucléaire, c’était banni. Tout le monde disait qu’on allait vers la suppression du nucléaire. Et puis, nous avons conduit une analyse qui est assez simple et que je vais refaire devant vous en quelques phrases. Si le but c’est la confrontation entre énergie et climat, les engagements que nous avons pris à juste titre, c’est de baisser la quantité de gaz à effet de serre que nous envoyons dans l’atmosphère et notamment du CO2. S’il faut baisser le CO2, alors il faut exclure l’électricité produite avec du gaz, du pétrole ou du charbon. Donc il faut aller vers du renouvelable. Or, il se trouve qu’en raison de la situation géographique de la France en particulier, renouvelable, que ce soit de hydro électricité, éolien, photo voltaïque, ce renouvelable-là – en tout cas pour éolien et photo voltaïque – il a une caractéristique : c’est qu’il est intermittent car il n’y a pas tout le temps du soleil ou du vent. Et donc s’il est intermittent, il faut un complément. Ce complément on l’appelle « pilotable ». Quand il n’y a pas d’électricité produite par le vent ou le soleil, on injecte de l’électricité et il faut une autre source. La seule source qui n’émette pas de gaz à effet de serre disponible en dehors de l’hydro électricité, c’est le nucléaire. Au lieu d’opposer 

nucléaire et renouvelable, on a compris – et je crois que la note du Plan a joué un très grand rôle – que le pilotable était le complément nécessaire du renouvelable. Cela a changé la vision et ça a permis de reprendre tard - après 15 ans ou 20 ans d’ignorance du sujet – un programme électro nucléaire qui nous permettra, avec la crise énergétique que nous vivons, d’être un jour plus autonome.

Votre rôle en 2022, comme en 1946 du reste, est consultatif, je le rappelle. Est-ce que ce n’est pas par hypothèse assez frustrant pour quelqu’un qui, comme vous, François Bayrou, a été 4 fois ministre et 3 fois candidat à la présidentielle ? 

Non. Parce qu’il faut de tout pour faire un monde. Une de nos forces, c’est que nous ne sommes pas partie prenante des combats souvent de clans qu’il y a autour de la décision politique. Je plaide pour l’impartialité.

Et ça, c’est nouveau. Vous n’êtes pas rattaché au gouvernement alors que vos prédécesseurs depuis 1946 l’étaient. 

Oui, j’ai beaucoup insisté sur ce sujet. Je ne suis pas sûr que cela m’ait rendu populaire partout mais j’ai beaucoup insisté pour être rattaché directement au Président de la République parce que je considère que la fonction dans nos institutions, qui est celle du long terme, c’est la fonction présidentielle. Et cela permet d’être plus libre vis-à-vis des décisions gouvernementales. Le gouvernement, les ministres sont toujours pris dans un entrelacs de pressions et il est plus intéressant pour moi d’être un peu en retrait de ces pressions-là. Je transmets évidemment nos notes stratégiques, mais je ne les soumets qu’au Président de la République. 

François Rebsamen, maire socialiste Macron compatible de Dijon, ancien ministre du Travail, répond ceci dans Le Point : pourquoi il n’a pas voulu rentrer au gouvernement ? « Parce que je ne suis pas fait pour être dans un gouvernement aujourd'hui. Et puis les ministres, ce n'est plus ce que c'était ! Ce sont plutôt des chargés de mission. ». Est-ce que le prix de la liberté, François Bayrou, pour un acteur de la chose politique au sens le plus noble qui soit, ce n’est pas de rester à l’extérieur du pouvoir exécutif ?

On ne sait pas. Le temps est long. J’ai postulé comme vous l’avez dit à la fonction présidentielle et au moins une fois en approchant d’assez près le succès. 

2007, un peu plus de 18%.

Je n’ai jamais écarté l’engagement dans l’action. Je pense qu’au contraire, c’est ce qui donne sa dignité à l’action politique. Mais comme, par ailleurs, j’ai une fonction exécutive locale dans la ville, la région, le pays qui est le mien, ça fait une vie assez équilibrée.

Le dernier commissaire au Plan avant vous fut le regretté Alain Etchegoyen, philosophe choisi en 2003 par Jean-Pierre Raffarin. Il a tenté de rénover l’institution, et je me souviens de la violence dont il témoignait et qu’il décrivait dans un livre au titre glaçant : Votre devoir est de vous taire. Cette phrase-titre, Etchegoyen l’attribuait au Premier ministre Dominique de Villepin. Vous, le Commissaire au Plan, votre devoir est de vous taire. Finalement, Dominique de Villepin a carrément supprimé la fonction en 2006. Emmanuel Macron l’a recréée en 2020 pour vous la confier. Est-ce que vous êtes certain, François Bayrou, d’être à l’abri de ce genre de rappel à l’ordre ?

Absolument certain. Absolument certain pour beaucoup de raisons. Comme vous l’avez rappelé, je me suis entouré de précautions. La première de ces précautions c’est que je ne rends compte qu’au président de la République, et pas au gouvernement, parce que cet affrontement entre Alain Etchegoyen - que j’aimais beaucoup - et Dominique de Villepin s’est déjà produit. Jean Monnet raconte tout le temps dans ses mémoires le conflit qu’il y avait avec le gouvernement. Les gouvernements, les ministres, n’aiment pas que quelqu’un interfère avec les décisions exécutives. Ils n’aiment pas que quelqu’un pose les pieds sur le pré carré qu’ils considèrent être le leur. Je crois qu’ils se trompent. Je pense qu’on apprend beaucoup quand d’autres viennent précisément sur le champ qui est le vôtre pour apporter des idées ou un regard critique, ce que je ne fais pas. Donc oui, je suis sûr que je ne suis pas exposé à ce risque. J’ajoute que j’ai pris une autre précaution : j’ai décidé d’exercer cette fonction bénévolement. Intégralement bénévolement, ce qui me donne une certaine liberté.

Vous vous êtes par ailleurs donné la mission presque Don Quichottienne de vous bagarrer non pas contre des moulins à vent mais contre des structures de l’Etat - ce qui revient peut-être au même - qui considèrent les citoyens comme une gêne dans la gestion du pays. Ce sont vos mots. Là encore, François Bayrou, qu’est-ce qui factuellement vous conduit à cette analyse ? En bon Haut-commissaire au Plan, qu’est-ce que vous préconisez pour que le citoyen devienne ou redevienne a minima un acteur voire un partenaire des structures de l’Etat ?

C’est un des combats de ma vie. Vous avez rappelé le milieu social d’où je viens et même le milieu géographique d’où je viens, c’est-à-dire loin des cercles de pouvoirs parisiens. Et je me suis toujours tenu soigneusement à l’écart des clubs, des amicales, des réseaux, qui à Paris structurent le pouvoir. J’ai toujours refusé d’y participer. Pourquoi ? Parce que je ne me sens pas appartenir au cercle - on dirait en anglais - des “in”, des gens qui sont dans le pouvoir, qui sont bien dans le pouvoir.

On pourrait dire les premiers de cordée, on pourrait dire la France d’en haut.

Et moi je me sens plutôt des “out”, même si je connais un peu le cercle des “in”. Et donc j’ai toujours refusé [d’y appartenir]. Par exemple, j'ai été élu, il y a 30 ans, très jeune, au Siècle. J’y suis allé une fois parce que les gens qui m’avaient élu sont des amis chers.

[à propos du Siècle] C’est un club, c’est un club parisien.

C’est un club où tous les pouvoirs se rencontrent. J’y suis allé une fois et j’ai dit à celui qui m’y avait engagé : “écoute, je suis venu une fois mais je ne viendrais plus”. Parce que je ne veux pas appartenir au cercle privilégié. Peut-être que c’est une espèce d’orgueil de ma part, mais je tiens à être à l’extérieur pour avoir la liberté du regard.

Dans cette émission, François Bayrou, nous nous appuyons à trois reprises chaque semaine sur des archives sonores pour illustrer, comprendre le sens de l’engagement et de l’action politique de nos invités. Je vous propose de commencer - et ça a peut-être un lien avec ce qu’on vient d’évoquer sur le club et la centralisation du pouvoir - par l’extrait que vous avez choisi de partager avec nous sur France Culture. Nous allons l’écouter et ensuite vous nous direz pourquoi vous souhaitiez nous faire découvrir ou re-découvrir cette archive dans Sens Politique. François Bayrou, on vous laisse d’abord nous la présenter.

C’est le général de Gaulle. C’est le 30 mai 1968. C’est un moment dramatique de l’histoire du pays parce qu’il a failli quitter le pouvoir. Il s’est même enfui, il est parti à Baden-Baden…

La veille !

La veille ! Et il revient en hélicoptère et il décide de parler à la radio, et voilà ce qu’il dit :

[Extrait]

“Françaises, Français, étant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j’ai envisagé depuis 24 heures toutes les éventualités sans exception qui me permettrait de la maintenir. J’ai pris mes résolutions. Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas. J’ai un mandat du peuple, je le remplirai. Je ne changerai pas le Premier ministre, dont la valeur, la solidité, la capacité, méritent l’hommage de tous. Je dissous, aujourd’hui, l’Assemblée nationale.”

Charles de Gaulle. Alors, le Premier ministre évoqué à l’instant, c’est Georges Pompidou. Le coup de poker est gagnant puisque c’est un raz-de-marée pour les candidats gaullistes dans les législatives qui suivent cette dissolution. Il va quand même changer de Premier ministre : Couve de Murville entre à Matignon et Pompidou en sort, et va se préparer à la succession de Charles de Gaulle qui aura finalement lieu un an plus tard. Quel est le sens de votre choix d’archive, François Bayrou ?

Alors, je vous raconte. J’ai à peine 17 ans, je viens de fêter mon anniversaire, je suis en terminale, je viens d’être élu représentant des lycéens de mon lycée. C’est un souvenir délicieux pour moi : représentant au comité d’action lycéen. J’ignorais cordialement ce qu’étaient les comités d’action lycéens.

Mais vous étiez élu !

Mais j’étais très content d’être élu, et c’était une ambiance révolutionnaire, que d’ailleurs les enseignants entretenaient auprès de nous parce qu’ils devaient imaginer qu’ainsi ils allaient pouvoir mettre une partie de leur empreinte sur la suite des choses. C’était : effervescence, ébullition. On ne savait pas où on allait et j’ai écouté cet extrait, avec mon père dont je ne savais pas qu’il allait mourir peu de temps après, et ma mère, sur un petit transistor noir et jaune. Sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, il y avait du soleil. 30 mai. Sur la cour qui comme la cour des fermes béarnaises est pavée de galets, il y avait des animaux. Et, il a commencé à parler et j’ai découvert quelque chose qui ne m’a plus jamais quitté : quel était le poids de l’autorité, c’est-à-dire, quelqu’un qui jusqu’à une minute avant était remis en question, gravement, par tous les mouvements d’opinion, il suffisait qu’il parle à la radio… Il avait choisi la radio, pas la télévision, pour renouer avec le de Gaulle de 40.

De Londres.

De juin 40, et de Londres. A la minute où il a fini de parler - je crois que l’allocution a duré 4 minutes et quelques - c’était fini. Le sens physique des choses, que le jeune garçon que j’étais et qui découvrait tout ça avec tous les enthousiasmes et tout l’allant de cette adolescence à peine finie, a compris que c’était instantanément fini. Je n’ai jamais oublié ce qu’une parole d’homme est capable de faire pour changer les choses devant un événement historique. Pour moi, cette idée qu’au fond les hommes sont capables de modeler l’histoire ne s’est jamais effacée.

Dissolution, il s’agissait de ça. François Bayrou, je crois que vous resterez avec ce record pour un long moment : vous avez servi dans des gouvernements sous quatre présidents de la République différents. Vous êtes chargé de mission au ministère de l’Agriculture dès 1974, ministre de l’Education nationale sous François Mitterrand et Jacques Chirac, et plus récemment, quelques semaines ministre de la Justice à l’entrée d’Emmanuel Macron à l’Elysée. Vous avez personnellement fait les frais d’une dissolution, celle de 1997, par Jacques Chirac. Vous allez un an plus tard prendre la présidence de l’UDF.

Je l’avais prise avant.

Vous êtes à ce moment-là conseiller, vous étiez… Secrétaire national ?

Non, je suis devenu président du Centre, du CDS de l’époque qui s’est transformé après, y compris en UDF. Et j’ai pris cette présidence en 1994.

Et alors, le sens du positionnement d’un centriste à ce moment-là, François Bayrou, ça veut dire quoi ?

Ça veut dire deux choses, qui sont pour moi capitales. Première chose : il n’est pas vrai que la vie, la vie d’une société ou la vie des personnes, se divise en deux parties : gauche et droite. Cette bipolarisation est une manière de tromper les électeurs et de tromper la vie de la nation. Ça c'est la première chose. Et donc, le centre c’est le choix de refuser le simplisme de la bipolarisation. Il y a une deuxième chose, c’est que le centre garantit le pluralisme. Si on refuse la bipolarisation, alors on entre dans un autre univers qui est le pluralisme. Et on a droit à des opinions ou à avoir le kaléidoscope des opinions. En France, je dirais, il y a six grands courants d’opinion. Certains se divisent entre eux mais il y a six grands courants d’opinion : l'extrême gauche, le Parti socialiste, les Verts, le centre, LR - disons la droite de gouvernement - et l’extrême droite. Six grands courants d’opinion. On a droit aux six, et peut-être d’autres viendront, parce qu’ils apporteront un regard différent sur les choses.

Vous allez, François Bayrou, vous affranchir de l’étiquette de centre-droit au fil des ans, de l’étiquette de l’UDF à l’époque.

Absolument, parce que si vous êtes obligé de mettre un adjectif, c’est que le nom ne compte plus.

Donc, en 2007, l’UDF est morte, vive le MoDem. Le contenu a aussi beaucoup évolué puisqu’il n’y a plus cette étiquette de centre-droit. En quoi votre centrisme, celui du MoDem, celui de votre triple candidature à l’Elysée - 2002, 2007, 2012 - est-il différent du macronisme de 2017 ? En d’autres termes, quelles circonstances ont permis à Emmanuel Macron de réussir dès la première tentative où vous avez échoué ?

On peut être précurseur, puis après d’autres viennent et on peut continuer à se battre ou à partager le combat. C’est [la démarche d’Emmanuel Macron] la même idée. Elle n’a pas été exprimée de la même manière et surtout, peut-être, les temps étaient mieux et la personnalité même du président de la République a rendu possible ce succès que l’on avait effleuré dix ans avant. Mais, sur le fond, je vous fais une confidence. J’ai très souvent parlé avec le président de la République. Je n’ai jamais eu de divergence stratégique avec lui. Je n’ai jamais eu de différence d’analyse avec son regard sur la société française. On n’en a pas toujours tiré les mêmes conclusions. On peut avoir des nuances. Mais, je dirais que sur le fond, celui des présidents de la République que j’ai vu qui est le plus proche de cette aspiration, c’est lui. Il en est même, si j’ose dire, un peu plus proche que Giscard ne l’était. Giscard venait de la droite, et même assez à droite dans le parcours personnel qui était le sien : Algérie française, ou en tout cas l’attachement à l’Algérie française. Emmanuel Macron est plus stabilisé au centre.

Vous dites 10 ans avant. Donc 10 ans avant Emmanuel Macron, c’est 2007, on prépare les élections municipales, les premiers mois d’existence du MoDem, et localement, au cas par cas, vous donnez vie à ce qu’on peut appeler désormais le « en même temps » en faisant partie de majorités de gauche en 2008 dans des grandes villes comme Dijon avec François Rebsamen, ailleurs dans des grandes villes majorité de droite comme à Bordeaux. Ce sont les électeurs ou c’est la classe politique qui n’étaient pas prêts à cette époque-là pour transformer cet essai sur des scrutins nationaux.

L’Histoire a son rythme. Et le rythme de notre histoire collective, de l’histoire de notre société n’étaient pas encore prêts à ça. C’est l’inconvénient d’être précurseur, d’être en avance, Edgar Faure qui avait sa personnalité a écrit des mémoires et le premier tome de ses mémoires s’intitule « Avoir toujours raison, c’est un grand tort » et avoir raison en avance, ce n’est pas un avantage, ce n’est pas un avantage pour exercer le pouvoir, après vous avez des satisfactions, c’est à dire que quelques années ou décennies après vos copains, vous disent : tu avais bien raison.  

J’aurais naturellement, comme tout le monde, préféré que cette justesse d’analyse entraîne les foules pour qu’on puisse aussi exercer le pouvoir directement.

Parmi les différents sens presque physiologiques des centristes de l'UDF hier, le MoDem depuis 2007, il y a le sens européen indissociable de votre engagement partisan. Les personnalités de l'UDF devenant avec l’âge eurosceptiques ont quitté le navire et je voulais donc consacrer la deuxième archive de l’émission François Bayrou à la question européenne, extrait en lien avec votre parcours personnel et votre engagement. Voici une personnalité politique parmi les plus populaires aujourd’hui 5 ans après sa disparition, des livres, des documentaires et même un film il y a quelques semaines. En 1979 ce sont les premières élections européennes au suffrage universel direct, nous sommes le 4 mai 1979, moins d’une semaine avant le scrutin et Antenne 2 organise un débat, Mitterrand pour le PS, Georges Marchais pour le PC, Chirac pour le RPR et voici Simone Veil qui vient juste de quitter le gouvernement de Raymond Barre pour conduire la liste UDF.

Extrait de Simone Veil: « Je m’étonne un peu de ce que monsieur Chirac a dit, « l’Europe miracle est une fumisterie », et je me demande si ce n’est pas ce qu’il aurait dit il y a 25 ans, exactement dans les mêmes conditions par rapport au projet de traité de Rome et cette Europe n’a pas été une fumisterie, personne ne croit actuellement que l’Europe résoudra tout mais en même temps les gens de bon sens, les gens sérieux savent qu’un certain nombre de problèmes - et c’est déjà le cas actuellement - ne peuvent être réglés qu’au niveau de l’Europe, le problème de protection sociale, nous savons tous qu’on ne peut pas aggraver la compétitivité des entreprises françaises si les autres entreprises européennes n’ont pas les mêmes charges et on pourrait donner comme ça quantité d’exemples qui montrent bien que les Européens sont intéressés à ce qu’il y ait des solutions au niveau européen, c’est le cas de l’environnement, de l’énergie, il faut absolument avoir un plan européen en matière d’énergie, c’est le cas de certaines entreprises industrielles, on sait déjà ce que l’Airbus a pu produire et les exemples pourraient être multiples. »

Six jours plus tard, la liste UDF qu’elle emmène remporte en France les élections européennes et Simone Veil devient la première Présidente de ce Parlement européen, élue au suffrage universel direct, François Bayrou votre réaction à ce plaidoyer de Simone Veil ?

J’ai ressenti comme je ressens là que tout est juste dans ces affirmations, il n’y a pas un seul des problèmes cruciaux qui se posent dans les sociétés contemporaines spécialement aujourd'hui où nos pays qui sont pris dans le retour de la guerre, de la guerre physique sur le continent européen, le retour de la guerre commercial, le retour de la question des grandes influences sur le choix des pays de dimension moyenne par le nombre... 

Il n’y pas un seul de ces problèmes qui ne peut se régler si nous ne continuons pas dans le sens de cette création absolument unique, qui est l’Union européenne. Volontaire, forcée par personne, elle n’est pas le fruit d’une victoire militaire, pas le fruit d’une soumission, elle est la libre volonté des peuples qui décident ensemble de se rapprocher et de s’unir pour faire face aux grandes tempêtes du temps.

Lorsqu’en 2007, pendant votre campagne présidentielle, certains sondages commencent à indiquer la possibilité Bayrou au second tour, certains anciens amis de l’UDF - des références et peut-être des mentors : Valéry Giscard d’Estaing et Simone Veil justement - vont jusqu’à des propos d’une grande violence à votre égard. “Imposture”, dira Simone Veil. Ce sont des moments qui vous ont marqué, voire blessé ?

Ça ne fait pas plaisir, mais ils étaient fascinés par Nicolas Sarkozy, et par les perspectives que Nicolas Sarkozy leur ouvrait. Le problème de ce centre a très longtemps été son tropisme pour aller d’un côté ou de l’autre, et spécialement du côté du pouvoir. Alors, ce n’est pas agréable, mais comme toute ma vie atteste du fait que c’était un engagement fondamental pour moi à titre de citoyen ou de père de famille, mais surtout pour ce courant politique là, dont nous avons fini par prouver que, oui, il était légitime à exercer le pouvoir en France. Donc, j’ai oublié et effacé tout ça.

Dernière archive sonore, François Bayrou… C’est vous. Un morceau d’interview dont je ne donnerai aucun élément de contexte, même pas la date. Vous ne savez pas pour le moment quelle archive nous avons choisie dans Sens Politique. Je vous propose de la découvrir sur France Culture, et vous allez sûrement, à l’écoute, la resituer facilement. François Bayrou, on vous laissera donc nous dire dans quelles circonstances vous vous êtes exprimé, et le sens, évidemment, de votre intervention.

[Extrait]

“Si Madame Le Pen n’a pas ses signatures, ça pose une question à la démocratie française, et je propose que les grands courants démocratiques du pays en parlent entre eux, pour permettre en France au pluralisme d’exister.

Jean-Michel Aphatie : Une élection présidentielle sans Marine Le Pen, c’est inimaginable ?

Non, en tout cas c’est un trouble. Donc je pense qu’il est impossible qu’une formation politique seule, comme la mienne, dise “écoutez, on va faire ce qu’il faut”, parce que cela ferait manœuvre. Je ne le ferai pas. En revanche, en parler avec les autres responsables politiques pour que le pluralisme ait le droit de cité en France, je suis prêt à le faire s’ils en sont prêts, ce dont je ne suis pas certain.”

On a reconnu l’accent de Jean-Michel Aphatie, c’était sur RTL. Est-ce que vous retrouvez la date, ou en tout cas la période ?

C’est la dernière élection présidentielle ? Non, c’est l’élection présidentielle suivante. Ce qui prouve que je ne change pas souvent d’avis.

C’était encore la précédente, 2012.

Oui, ce qui prouve que je ne change pas d’avis. Je pense que, y compris les courants politiques que j’ai combattus toute ma vie, sans aucune exception, ont droit de cité. C’est ce que je décrivais tout à l’heure à votre micro. Je pense qu’il est légitime que la démocratie respecte et cultive le pluralisme. C’est d’ailleurs désormais inscrit dans la Constitution. Et nous avons joué un rôle important, en tout cas certains de mes amis ont joué un rôle important pour que ce soit inscrit dans la Constitution.

Mais concrètement, on est en 2012, qu’est-ce qui a changé 10 ans plus tard parce que Marine Le Pen affirme encore que les 500 signatures sont difficiles à obtenir, et vous, vous proposez votre parrainage à Marine Le Pen.

Elles ont été très difficiles à obtenir. C’est celle des candidats qui a eu le plus de mal à obtenir les signatures.

Comment on sort de ça ?

Qu’est-ce que ça aurait eu comme signification, une élection présidentielle dont un des protagonistes majeurs aurait été exclu ? Est-ce que les Français s’y seraient reconnus ? Elle a été au deuxième tour deux élections de suite. Pour moi, et ayant combattu toute ma vie ses idées ou ses arrière-pensées, je soutiens néanmoins qu’il est nécessaire que ces courants politiques soient représentés. Je ne veux pas d’une démocratie qui soit confisquée, y compris par ceux que je respecte ou que j’aime bien. La démocratie, c’est fait pour que tous les courants politiques puissent se faire entendre. Après, c’est le combat qui commence. Ce combat doit mobiliser en effet toutes les forces, toutes les sensibilités, toute l’intelligence nécessaires.

Quelques secondes justement là-dessus, dans les engagements d’Emmanuel Macron en 2017, quand vous discutez avec lui d’une alliance, il vous garantit la mise en place de la proportionnelle aux législatives. Toujours rien cinq ans et demi après. Est-ce que c’est un engagement non tenu, ou ça le sera avant la fin du décennat du président ?

Je crois que ça le sera.

Dernière question, François Bayou, vous êtes maire de Pau depuis 2014 vous en avez encore pour 28 ans si vous voulez battre le record d’André Labarrère, quel sens donnez-vous à ce mandat ? 

 J’ai battu d’autres record mais je ne pense pas que je battrai celui-là.

Dans cette ville que vous n’avez jamais quittée depuis votre naissance. Élu local sans discontinuer à partir de 1982, vous vivez à Bordères dans le village ou vous êtes né. C’est à 16km de Pau. Quel sens donnez-vous à votre mandat de Maire ? Quel est l’enjeu pour une ville comme Pau et qu’on précise quand même que les moyens et les urgences ne sont pas les mêmes qu'à l'époque de Labarrère…

C’est une de mes grandes fiertés comme vous le sentez bien, ce n’est pas seulement d’exercer un mandat, d’être choisi par ses concitoyens mais de pouvoir changer le visage d’une ville.

C’est temps-ci, il ne se passe pas de journée sans que des concitoyens viennent me voir en me disant « on n’est pas toujours d’accord avec vous politiquement mais ce que vous avez fait pour la ville, c’est formidable »,  je vous invite à venir visiter parce que je crois que c’est authentiquement sensible, on peut voir ce qui s’est passé dans le visage de cette ville, dans ses équipements, dans l’organisation de la cité, y compris l’organisation morale parce qu’on a lancé par exemple un plan anti-solitude dont pour moi cette urgence devrait être constatée partout.

On a fait sur le plan de la cité, de l’urbanisme, des grands équipements sportifs culturels. On a fait des choses qui je crois sont tellement fortes que le grand réseau qui s’appelle LinkedIn, que vous connaissez tous parce que tous les professionnels sont adhérents au réseau, 25 millions d’adhérents en France, 850 millions dans le monde. LinkedIn vient de lancer une grande enquête parmi ses adhérents pour savoir quelle serait la ville où ils souhaiteraient s’installer et c’est Pau qui arrive en tête sur les deux études successives devant Bordeaux, Toulouse, Nice et Marseille. 

Et c’est pour moi comme une récompense de voir à quel point une ville dont vous-même vous avez insinué, que pendant très longtemps elle était en déclin, tout d’un coup on découvre qu’elle peut rayonner à nouveau et attirer.  C’est donc pour moi c’est une grande fierté et ça veut dire une deuxième chose, la plupart de nos concitoyens pensent que la politique ne peut pas faire grand-chose, c’est cela qu’ils pensent, que c’est des mots, que la politique est sympathique parfois antipathique souvent, mais que ça ne peut pas faire grand-chose.

Or on peut attester qu’on réussit à faire changer le visage d’une ville en peu de temps - parce que cela s’est fait en quelques années seulement ! Baudelaire a dit « la forme d’une ville change plus vite hélas que le cœur d’un mortel “, il a dit ça après les travaux de Haussmann à Paris, mon ambition c’est qu’on puisse aussi un peu changer le cœur de ceux qui habitent dans une ville.

Alors je n'insinuais pas le déclin de Pau, je vous demandais juste comment passer derrière 35 ans du mandat d’un même homme avec des moyens qui ne sont pas les mêmes, l’argent se fait plus rare. Quel visage souhaitez-vous lui donner ? 

Vous citez André Labarrère avec qui j’ai eu quelques débats et qui avait un caractère flamboyant, il disait “ Pau sera la Florence du 21ème siècle”, c’était déjà gonflé et moi je ne me contente pas de le dire, je fais tout ce que je peux pour que cela soit vrai, ce qui est encore plus gonflé probablement que ce qu’André Labarrère exprimait.

Merci François Bayrou.

 

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