? François Bayrou, invité de Darius Rochebin sur LCI
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de Darius Rochebin pour le grand entretien de son émission mercredi 25 mai, à 20h25 sur LCI, dans l'émission Le 20h de Darius Rochebin. Retrouvez ci-dessous la retranscription de l'interview.
Bonsoir François Bayrou.
Bonsoir.
Vous êtes l'homme du long terme, même très long terme, on va en parler. Quelques mots sur le très court terme. Exemple, à l’instant, Gérald Darmanin versus Audrey Pulvar, la plainte, plus la plainte, la rencontre : c'est de l'action ou de l'agitation ?
Ne me mettez pas dans des situations comme cela car j'ai un principe qui est de ne pas trop dire du mal des gens et encore moins des gens qui sont dans la majorité ou dans le courant majoritaire.
Donc vous en auriez un peu envie.
Non, je pense que tout le monde a compris que ce n'est pas de cette manière-là que l'on doit exprimer des idées politiques, et encore moins des jugements politiques.
Il y a toute l'arène politique pour défendre des positions et des principes.
Pour nous, journalistes, c'est très amusant, le ministre qui twitte quelques minutes après le passage d’Audrey Pulvar sur LCI. Très bien.
Pour la politique, est-ce bien ?
Un, que ce soit amusant pour vous, journalistes, c'est une chose que j'arrive à comprendre, mais ce n'est pas ainsi que finit l'histoire. Ce n'est pas dans l'amusement des journalistes.
Non. Vous savez bien quelle est la pression du moment, la pression de l'instantané. Vous êtes une chaîne qui vit de la pression.
Je ne parlais pas de l’instantané, mais plutôt du problème du gouvernement en l’occurrence.
Donc, la pression est très importante. Je pense que les politiques doivent y résister.
Ils n'y résistent pas assez. M. Gérald Darmanin n'y résiste pas assez, selon vous ?
Non, n’essayez pas, vous ne me prendrez pas à ce piège !
Des ministres aussi en campagne ou régionales, on voit que les mœurs changent, c’était l’usage qu’un ministre se présente avec un risque, s'il perd, il doit démissionner. Maintenant, on dit : non, non, il peut y aller, s'il perd, tant pis.
Est-ce normal ?
Non, ce sont des élections locales. J'aurais souhaité qu'elles fussent encore plus locales qu'elles ne le sont.
La France a une faiblesse qui est de nationaliser tous les scrutins.
Vous qui êtes Suisse, vous savez exactement que l'on peut avoir des débats locaux et même des majorités locales qui ne se décalquent pas sur une majorité nationale et, chez vous, en plus la situation institutionnelle de la Suisse fait qu'il n'y a pas de majorité comme cela.
Envoyer plusieurs ministres, cela nationalise.
Non, je pense qu’ils ont voulu montrer quel était leur engagement dans la majorité ; je ne vais pas leur en faire reproche.
J'aimerais un jour arriver à vivre dans un pays qui ait une vie démocratique suffisamment riche pour que l'on ne soit pas obligé de nationaliser toutes les élections locales !
Vous avez des débats, des enjeux qui sont régionaux, des enjeux municipaux et vous n'allez pas en faire le décalque. J'ai toujours refusé de faire une majorité locale qui soit le décalque de la majorité nationale ou de l'opposition nationale.
On va parler des régions, de la vie des régions qui vous tiennent à cœur.
Quelques mots encore sur l'hyper centre, Emmanuel Macron, l'homme que vous avez soutenu il y a quatre ans, cette alliance très forte, vous l'avez vu évoluer, le contraste est saisissant. Vous, cela fait bientôt 40 ans que vous avez été élu pour la première fois et, lui, cela fait 4 ans.
40 ans/4 ans.
En 4 ans, est-ce qu’il a changé ?
Oui beaucoup
Pourquoi ?
Il suffit de regarder son visage. Vous êtes des médias de l'image, vous regardez le visage et vous voyez sur son visage le choc de la réalité, les chocs qui l'ont atteint, plus qu'aucun de ces prédécesseurs.
Les gilets jaunes notamment. Il en parle dans l'interview à Zadig aujourd’hui. Les gilets jaunes, cela a été un choc, notamment.
Cela a été un choc. J'étais l'autre jour dans un magasin à Pau. Il y avait des vendeuses très sympathiques autour de moi et qui m'ont dit : « Monsieur Bayrou, vous le voyez, vous, M. Macron, souvent ? »
J’ai dit : « oui, cela m'arrive ».
Elles m’ont dit : « Écoutez, vous allez lui dire quelque chose de notre part, c'est plutôt lui que nous, car, ce qu'il a affronté, on ne voudrait pas être à sa place. »
Autre mouvement, le Mouvement Démocrate a montré un peu d’humeur sur un certain nombre de sujets ces derniers temps, sur le pass sanitaire que les députés ne voulaient pas voter en première lecture, sur la proportionnelle : promesse non tenue.
Est-ce qu’il y a une déception?
Non.
Pour l’instant...
L'incident dont vous parlez sur le texte d'état d'urgence sanitaire a duré deux heures. Il faut être objectif.
Mauvaise humeur de 2 heures, admettons. Mais enfin, est-ce que vous êtes déçu ?
Mauvaise humeur pour des raisons fondées.
Pour la proportionnelle que vous évoquez, je sais bien que tout le monde considère ; affirme urbi et orbi que c'est une affaire pliée.
Moi, je ne suis pas de cet avis. Je pense que c'est un combat absolument essentiel. Il faut comprendre. De quels outils disposons-nous si l’on considère qu'il faut trouver un nouvel équilibre, un meilleur équilibre entre la fonction présidentielle et la représentation du pays.
Quels outils ? Aucun. Si l’on veut continuer comme cela, on est sûr que les mêmes causes reproduiront les mêmes effets et ma conviction, à moi, c'est qu'il y a une chose très simple à faire, c'est décider que, dans une Assemblée Nationale qui représente le pays, tous les grands courants du pays seront représentés.
Ainsi, il y aura un équilibre.
François Bayrou, vous parlez d'un pouvoir plus décentralisé à tous points de vue. On en est si loin aujourd'hui ? On a l'impression au contraire que, non seulement dans la lettre, mais dans l'esprit, tout est très centralisé, au fond : un cerveau Emmanuel Macron, un autre cerveau, Alexis Kohler, son secrétaire général à l’Élysée, souvent, on a l’impression que cette relation un peu Richelieu, Père Joseph... Ce sont les personnes qui ont tout en-tête, c'est très central.
Cela pourrait donner cette image, mais ce serait centralisé si c'était efficace.
Ce que je reproche à l’État aujourd'hui, ce n'est pas tant d'être centralisé que d'être inefficace : haute administration, vie gouvernementale, et vous avez l'impression qu'aucun des problèmes que le pays a découvert, diagnostiqué depuis des années, ne se trouve réglé.
Vous savez que je suis beaucoup intervenu par exemple sur l’effondrement de notre appareil productif, industriel, agricole, de services et on se retrouve en queue des classements sur un très grand nombre de sujets où nous pourrions exister.
Vous pourrez faire campagne sur ces sujets, notamment.
On va développer certains de ces sujets de fond, mais un mot encore sur Emmanuel Macron, l’avenir, la candidature à la présidentielle cela peut être quand ?
Janvier.
C'est d'abord à lui de décider s'il se représente ou pas.
Il va se représenter, évidemment.
Vous avez des certitudes, je vous laisse vos certitudes.
Vous savez, je suis frappé d'une maladie très bizarre. Je n'ai jamais aucun souvenir des conversations que j'ai avec le Président de la République, c'est une amnésie récurrente, comme l'on dit.
Mais c'est à lui de prendre la décision et, après, de regarder la manière dont s'organise le temps politique. La France va présider l'Union Européenne à partir du 1er janvier, responsabilité très importante. Elle va être concomitante avec l'élection présidentielle. Je ne sais pas si vous mesurez l'ampleur des sujets qu'il faut saisir.
C'est un beau tremplin.
Oui. En tout cas, cela donne une bonne échelle qui permet de mesurer la dimension de la fonction et l'engagement de celui qui s'y investit.
François Bayrou, parlons du temps long et même très long, bien plus loin que 2022, c'est la natalité de la France, le déclin démographique. C'est une de vos grandes propositions : faire davantage d'enfants.
Regardons les chiffres qui résument tout : la fécondité en moyenne.
On était à un peu plus de 2 enfants par femme en 2010, on est maintenant à peu près autour de 1,8. Quel est le minimum pour renouveler la population ?
C'est deux, on est passé en-dessous.
Énorme événement.
C'est un signe très inquiétant pour la France car la France était le pays d'Europe qui avait la natalité la plus dynamique. Ceci est un problème très important, car il y a un élément auquel on n'attache pas d'importance et qui est vital : c'est qu'en France tous nos systèmes de solidarité, tous nos systèmes sociaux et tous nos systèmes de services publics sont fondés sur les actifs.
Il faut les payer.
Ceux qui payent des impôts et ceux qui cotisent pour les assurances sociales et donc, si vous avez une population qui se restreint, forcément, les services publics et les assurances sociales, la solidarité, vont se restreindre aussi.
Or, la France, ce n'est pas possible car la France est un pays qui est fondé sur ce contrat social-là.
Pour payer les retraites, pour payer ce système, est-ce que, qu'on le veuille ou non, ce n'est pas l'immigration qui sera la seule solution ?
Non. Tout à l'heure dans votre introduction, vous avez dit : «François Bayrou dit que».
Non. À la question que vous posez : est-ce que l'immigration peut être la réponse à cette baisse et peut-être à cet effondrement, la réponse est non.
Pour deux sortes de raison. La première est arithmétique. Il y a à peu près entre 8 et 10 millions de femmes qui sont en âge d'avoir des enfants en France.
Si on voulait y adjoindre un nombre suffisant de personnes d'origine étrangère, est-ce que vous vous rendez compte de la dimension du nombre de personnes qu'il faudrait introduire ?
Cela n'a pas de sens arithmétiquement et c'est dangereux culturellement, car si vous organisez un choc entre communautés diverses… Vous savez, les Allemands l'ont fait en une fois, ils ont introduit un million de personnes.
Un million de migrants en 2015. Madame Merkel. On se rappelle ces selfies avec les migrants.
Pas seulement Mme Merkel. Trois ou quatre mois avant la décision de Mme Merkel, je crois savoir que le patronat allemand a dit : « Il nous faut 1 million de personnes supplémentaires. »
Ce sont eux qui le voulaient, ils l’ont eu.
Le patronat demande, le gouvernement décide. On a fait entrer un million de personnes en une seule année.
Je crois qu'une telle expérience n'est pas renouvelable.
François Bayrou, lorsque l’on regarde la réalité, nos confrères d’AFP Factuel ont montré à quel point, lorsque l’on regarde les courbes : c'est très spectaculaire ! Sans détailler, la petite courbe bleue en bas représente ce que serait l'accroissement naturel sans l'immigration dans l'Union européenne.
On voit à quel point la société se métisse, de fait.
Est-ce que là on ne se voile pas la face ? Notre société est en train de se métisser et elle se métissera toujours. N’est-ce pas le cas ?
Elle se métisse, du moins se pluralise ; il y a des mélanges d'origines et de populations depuis des siècles.
Là c'est beaucoup plus récent. En prenant mon exemple, je suis moitié iranien, j'étais dans une classe d'école il y a un certain nombre d'années et j'étais très exotique à l'époque ! Aujourd'hui, cela s'est complètement déplacé.
Il n'y a pas que des inconvénients à tout cela. Le fait que l'on puisse avoir des rencontres de cultures, de communautés différentes, des manières différentes de voir la vie, pour moi il peut y avoir des aspects positifs.
Les nationalistes appellent cela le « grand remplacement », c'est leur langage. Est-ce faux selon vous ?
Oui.
Pourquoi ?
C'est faux car, numériquement, ce n'est pas vrai. En France, le nombre d'immigrés qui entrent tous les ans est un des plus faibles des pays qui nous entourent, mais ce n'est pas la question.
Si vous voulez réfléchir une seconde, si vous donnez à une population qui a son histoire, son identité, sa culture, le sentiment que demain ces enfants ne vivront plus dans le même pays, n'auront pas les mêmes repères culturels, alors vous déstabilisez profondément ce pays.
Est-ce que ce changement n'a pas déjà lieu ? Tout à l'heure on regardait une photo de classe ; il y a des sites de fans de François Bayrou.
Là vous êtes sur la photo, vous allez nous le dire.
Je suis le deuxième au premier rang en partant de la gauche.
Il ne s'agit pas du tout de caricaturer, mais cette photo, ce monde-là, de fait a-t-il changé ? Oui, c’est davantage métissé aujourd'hui. Culturellement, à tous points de vue, est-ce que l’on n'est pas en train de mésestimer complètement cette réalité ?
C'est une réalité avec laquelle nous allons devoir vivre. Le nombre de familles, parmi les personnes que je connais, dans le monde pyrénéen rural, le nombre de familles qui étaient très à cran sur ces questions de rencontres, de couples, de mariages…
Ils ont évolué.
…Quand ils ont vu leur fille épouser quelqu'un d'une origine complètement différente, parfois d'une religion différente, ou leur fils avoir un couple qui soit un couple biculturel, ils découvrent tout d'un coup qu'il y a des richesses aussi, là-dedans.
Cela peut marcher mais vous savez très bien que beaucoup de gens pensent que non, cela amène aussi des problèmes.
Qu'est-ce vous dites à Éric Zemmour qui dit « il y a moins de prénoms français » ? Qu'est-ce que vous dites à la femme qui dit « à Montpellier, il n'y a plus de Pierre ». En réalité beaucoup de personnes…
Il n'y a plus de Pierre nulle part ! Si je vous disais les prénoms de mes petits-enfants, vous auriez de sérieuses surprises ! C'est comme cela les histoires des prénoms, il y a des vagues.
J'ai toujours pensé que si j'avais eu plusieurs vies, j'aurais fait une vie de sociologue et j'aurais étudié cette question : je suis fasciné par cela. Vous avez des familles, des couples qui, lorsqu’ils apprennent qu'un enfant arrive, se creusent la tête pendant des mois pour trouver un prénom original et tout le monde choisit le même.
Chez vous, vous avez six enfants, dont Calixte, c'était le nom de votre père. Combien de petits-enfants avez-vous ?
C'est un secret professionnel.
Plus de 20 je crois. Cela met la population d’accord, mais on voit bien à quel point c'est difficile.
Pourquoi d'accord, si vous le concédiez ! ?
Vous savez très bien qu’en réalité, forcer la natalité c'est quasi impossible. Il y a des personnes de Droite qui vous disent « autorité » et ceux de Gauche qui dirigent les crèches, etc. En réalité cela ne fonctionne jamais, dès que les individus atteignent un certain niveau social, ils font moins d'enfants…
Monsieur, je ne crois pas du tout cela, je pense que la clef, le secret est dans l'optimisme du pays. Si l’on continue à avoir en effet à avoir un pays démoralisé, alors les pays démoralisés ne feront plus d'enfants ou en feront moins, car ils ne peuvent pas se projeter dans l'avenir.
Aussi, cette question de dynamisme national, est aussi la question du dynamisme démographique, mais il est possible d’y aider ! Il se trouve que si vous regardiez la courbe de la natalité française, le jour où l’on a coupé les allocations à un certain nombre de Français, sous le quinquennat de François Hollande, cela s'est effondré.
Il existe donc aussi des responsabilités : avoir des crèches ou des assistantes maternelles et garantir aux femmes qui ont des enfants que cela n'aura pas une conséquence négative sur leur carrière : très souvent ce n'est pas le cas. Faire aussi en sorte que les pères de famille puissent prendre des responsabilités ; au fond faire en sorte qu'il y ait une attitude compréhensive de soutien de la Société. Cela, c'est une vraie clef !
Plus de natalité, on voit que chez vous cela vous tient à cœur. Nous parlions tout à l'heure de la sensibilité démocrate-chrétienne. Est-ce que qu’elle fait partie de cela ?
J'essaie de ne jamais mélanger les problèmes civiques et les problèmes de convictions spirituelle et personnelle, ce n'est pas un secret que je suis croyant et que je suis même, comme on dit pratiquant, mais je ne mélange pas ces sujets.
Le sujet du dynamisme démographique de la France est un sujet civique, c’est un sujet démocratique. Encore une fois ce qui est en jeu, c'est de savoir si nous allons garder le contrat social le plus généreux au monde que nous avons ou est-ce qu’il va s'effondrer ?
Est-ce que l’on accepte qu'il s'effondre ? Est-ce que l’on accepte autrement dit, de baisser sans cesse dans la reconnaissance des nations ?
Mon avis, c'est qu'il est une responsabilité générale de pouvoir aller dans le sens de ce dynamisme et il y a une preuve, une chose que l'on doit prendre en compte pour retrouver l'optimisme dont je parle. Lorsque l’on fait des enquêtes d'opinion, pour demander aux femmes ou aux couples combien d'enfants ils voudraient, la réponse est généralement trois, alors qu’ils en ont moins de deux. Vous voyez bien ce que je veux dire, il y a une attente.
Est-il possible de soutenir cette attente ou rassurer face à cette attente ? Je trouve que c'est le devoir d'un pays.
Allons-y ! Ce soir vous dites aux couples : « Allez-y, il est 20 h 48, faites trois enfants et plus ! ». C’était Debré qui disait cela.
Non, franchement je ne dis pas ce genre de chose - Dieu sait que c'est un sujet qui peut prêter à sourire - mais je ne dis pas ce genre de choses, car la décision d'avoir des enfants est une décision située précisément au carrefour du plus intime de l'intime et de l'enjeu de Société : je ne mélange pas l'un et l'autre.
Ce que je constate, c'est que les femmes ou les couples voudraient avoir en moyenne un enfant de plus que ceux qu'ils ont. Aidons-les à les avoir.
Vous avez eu 70 ans hier, 40 ans de vie politique, Yann Barthès, dans Le Quotidien vous « chambrait » là-dessus.
J'ai beaucoup rajeuni !
Ah bon ? !
Beaucoup, d'un seul coup.
Jusqu'à récemment, j'avais six ans de moins que le Président des États-Unis et maintenant j'ai neuf ans de moins que le président des États-Unis.
Tout est relatif !
Les grands dirigeants de la planète, quels âges ont-ils aujourd'hui ? Ils ont l'âge de l'expérience : vous prenez Vladimir Poutine, Xi Jinping, vous prenez évidemment Joe Biden et vous voyez que les peuples ont assez souvent besoin d'expérience.
En France, nous avons la chance d'avoir un Président jeune et autour de lui, des personnes qui ont en effet une capacité, une expérience ; je trouve que c'est plutôt bien.
Quant à moi, je me sens d'une juvénilité que j'ai rarement rencontrée dans ma vie.
Longue vie à vous, le temps qui passe tout de même a pris un sens particulier avec la mort d’une personne, Marielle de Sarnez, qui était comme une sœur pour vous en politique.
C'est très rare en politique des gens qui, à leur mort, recueillent une sorte d’unanimité comme cela dans l'hommage.
Pour vous, cela a été un cap ?
C'est un moment de bascule de choses très importantes. Vous perdez quelqu'un avec qui vous avez partagé 35 ans de vie et d'engagement et avec qui, tous les jours, dix fois par jour ou quinze fois par jour, vous examiniez les choses et les questions.
Oui, évidemment, c'est un manque, mais ce manque-là, pour moi, d'abord, il ne s'efface pas.
J'ai perdu aussi mon bras droit à Pau qui a disparu.
La mort précoce de votre père, la mort de plusieurs personnes de votre famille de manière accidentelle, elle était là ?
Elle était là, elle est là et elle donne son sens à la vie. Il y a des gens qui pensent que, la mort, c'est quelque chose qui est fini.
Pour moi, non. Je pense que les gens qui ont disparu, d'une certaine manière, ils sont là et peut-être on pourrait dire d'une manière certaine. Ils sont là et ils sont non seulement présents, mais, pour moi, agissants.
Évidemment, cela crée des liens. Ce ne sont pas des liens tout à fait ordinaires. Ce sont des liens dont la présence n'est pas sensible.
Vous croyez à leur intervention ?
Oui, j'ai toujours pensé, j'ai toujours vérifié lors d’événements tragiques très précoces dans ma vie, qu’en effet ils étaient là et qu'ils pouvaient aider.
Ce sont de grands mystères, car c'est très difficile à comprendre.
J'ai toujours pensé que la mort, ce n’était pas la disparition, c'était la sortie du temps.
Nous, nous sommes dans le temps, vous et moi, surtout vous qui avez le chrono qui tourne ! Nous, nous sommes dans le temps, et eux, tout d'un coup, ils ont acquis un autre mode d'existence.
Mais je vous fais, là, des confidences personnelles qui ne sont pas très habituelles sur des plateaux de télévision.
François Bayrou un mot de conclusion.
Hier, nous recevions Stéphane Bancel, l'homme de Moderna. Je ne vais pas vous faire reparler de votre jeunesse, mais lui était dyslexique, vous étiez bègue et lui disait très bien à quel point cela avait été une force pour lui de surmonter sa dyslexie.
Vous êtes d'une espèce différente, vous, les bègues et les dyslexiques ? Est-ce qu’il y a une forme de…
Je ne sais pas bien... En tout cas, je sais que c'est moins agréable à vivre que ce n'est à raconter après coup par les observateurs.
C'est une épreuve en réalité on ne l'oublie jamais quand on a été bègue ou dyslexique ?
Je pense que c'est ineffaçable et je pense que c'est bien que ce soit ineffaçable, car cela vous met tout d'un coup en relation avec les gens à qui il arrive de méchantes bricoles dans la vie, à qui il arrive des accidents, avec les gens dont on se moque, car cela joue un très grand rôle.
Vous aviez été moqué, beaucoup ?
Forcément, comment voulez-vous qu'il en soit autrement ? Vous connaissez quelque chose de plus cruel qu'une cour de récréation ? Je vous garantis qu'il n'y a rien de plus cruel.
C'est comme cela, c'est comme dans la meute des petits loups, on se mordille et donc, oui, c'est franchement pas sympa, comme on dirait.
Et, en même temps, cela vous conduit à quelque chose qui est de retrouver l'enfant que vous étiez et peut-être de l'apprivoiser un peu.
Voyez ce que je veux dire ?
Cela remonte encore ? On s'en guérit à jamais ou il y a toujours quelque chose ?
Je pense que l'on n'en guérit jamais, mais on paraît en guérir. C'est déjà pas si mal.
Merci beaucoup François Bayrou.