François Bayrou : "Les émeutes sont une crispation violente à laquelle il faut des réponses adaptées"

François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité d'Adrien Gindre dans la matinale de LCI, pour réagir aux émeutes dans les banlieues à la suite de la mort de Nahel.

Il est président du MoDem, maire de Pau, et il sera d'ailleurs tout à l'heure à l'Elysée pour la rencontre du chef de l'État avec les maires. 

Bonjour François Bayrou. Merci beaucoup d'être là ce matin. La nuit a été plutôt calme. 72 interpellations d'après le ministère de l'Intérieur. Il y en avait eu jusqu'à 1300 dans les nuits les plus violentes hier soir.

Le chef de l'État, Emmanuel Macron, s'est rendu aux côtés des forces de l'ordre dans une caserne du 17ᵉ arrondissement, entre autres. Depuis quelques jours, son entourage dit qu'il veut prendre le temps avant de prendre des décisions pour la suite. l'État du pays permet-il de prendre le temps, selon vous ?

En ce moment, ça me paraît la logique. On a eu une de ces crispations violentes qui arrive fréquemment dans la société française. C'est une crispation qu'il faut essayer de décrypter, de comprendre ce qui s'est passé réellement. Et ce n'est pas simple. Comme vous le savez sur votre antenne.

Et ce sera l'enjeu aussi de la rencontre à laquelle vous participerez tout à l'heure avec les maires.

Avec les maires des villes qui ont été visées. Et ce sera évidemment une partie des interrogations. Il faut trouver des réponses adaptées ou peut être mieux adaptées que beaucoup des réponses qu'on a trouvées depuis des décennies.

Mais la réponse aujourd'hui, elle est sécuritaire, elle est politique, elle est les deux à la fois. Où est-ce que vous placez le curseur ?

Je pense qu'elle est sécuritaire, c'est évident. On est dans dans une société qui exprime un besoin d'ordre, un besoin de prise en charge tous azimuts. J'étais très frappé. Il y avait cette petite manifestation qui avait été demandée par l'association des maires, hier, devant les mairies. Et à Pau, il y avait sans mot d'ordre, sans appel d'aucune sorte. Il y avait plusieurs centaines de personnes, 200 ou 300 personnes qui sont venues spontanément et parmi eux, il y avait pas mal de parents des cités parce qu'ils sont en première ligne d'événements que non seulement ils n'approuvent pas, mais qu'ils redoutent et qu'ils redoutent parce que c'est leur quartier. Il y a eu un jugement, une déclaration d'un responsable d'association de quartier qui a dit : « Notre quartier ne mérite pas ça ».

Ça, c'est la première chose. Deuxièmement, ils redoutent pour leurs enfants. Quand vous avez des enfants qui ont dix ou douze ans ou treize ans, vous voyez la fascination que la bande, la violence peut exercer sur eux. J'étais très, très frappé. Il y a eut, comme dans toutes les villes qui ont eu les mêmes incidents, chez nous, les incidents ont été pas horribles, mais il y a eu des barricades enflammées dans les rues, des voitures enflammées et un groupe d'une cinquantaine qui a essayé de mettre le feu à la nouvelle annexe du commissariat que nous venions de construire.

Mais est-ce que vous, vous avez craint ou est-ce que vous craignez pour votre sécurité, pour celle de votre famille ? Quand on voit, comme ce week-end, l'attaque du domicile du maire de la ville ? Ça a beaucoup marqué les esprits ? 

NonMoi, je n'ai jamais ressenti un risque de cet ordre. On a la chance de vivre dans une ville où les liens sont très puissants entre habitants, entre voisins, entre communautés, entre élus et populations. Je n'ai jamais eu ce genre de craintes, mais les parents qui vivent cela, les familles qui vivent cela, ont ce genre de craintes.

Il faut essayer de comprendre. Puis il y a eu des arrestations. J'étais en train de vous dire et c'est intéressant parce que les déclarations à la barre de ceux qui sont passés ou en tout cas ont été examinées devant le tribunal immédiat. 

Ils ont été entendus en comparution immédiate et ils ont dit deux ou trois choses qui sont intéressantes à réfléchir. Ils ont dit Naël, on s'en fiche un peu. On ne le connaissait pas.

Du prénom de ce jeune qui a été tué.

Ce n'est pas, ce n'est pas notre affaire, mais ce qui est apparu, c'est qu'ils ont trouvé dans ces incidents et dans ces événements quelque chose qui était intéressant à vivre, qui donnait du sel à la vie. Ce qui prouve qu'il y a une donnée fondamentale un certain nombre de ceux qui vivent ou qui créent ces incidents, en réalité, c'est leur vie qui qui ne les intéresse pas.

Mais ça relève de quoi ? Il y a quelques mois, le ministre de l’Intérieur avait été critiqué pour avoir dit il y a un ensauvagement de notre société. Le chef de l'État avait dit décivilisation. Certains à l'extrême droite disent : « on est au bord de la guerre civile ». Un syndicat de police, Alliance a dit : « Nous sommes en guerre ».

Quel mot vous vous mettriez sur ce que l'on est en train de vivre et la réalité que vous décrivez ?

Alors le mot ensauvagement, ça fait 30 ans qu'il est dans la politique française. C'est Jean-Pierre Chevènement qu'il avait mis.

Décivilisation, le mot était très justement choisi. C'est quoi les valeurs qui nous permettent de vivre ensemble pour un certain nombre de ces jeunes, quand ils sont jeunes ? C'est cela qui ne joue plus son rôle. C'est plus un repère.

Donc ça veut dire qu'ils ne font plus société.

Mais ça fait longtemps que ça dure. En vérité, et donc ça m'amène à une conclusion aujourd'hui : ce n'est pas seulement dans le béton qu'il faut trouver des réponses.

Je dis ça peut-être ça comme maire d'une ville qui a beaucoup rénové les quartiers qui sont maintenant, je crois, un exemple national, mais ce n'est plus dans le béton, ce n'est plus dans les gros investissements par millions, c'est dans la prise en charge des jeunes, des personnes, des jeunes filles et des jeunes garçons.

Vous parliez à l'instant des parents. Arrêtons-nous un instant sur cette question parce que c'est l'une des questions du débat aujourd'hui. Cette nuit, le chef de l'Etat, dans des propos qui sont rapportés par nos confrères du Parisien ce matin, lorsqu'il se rend au côté des forces de l'ordre qu'il échange avec elles, il a ces mots que je vais vous citer : « Il faudrait que la première infraction, on arrive à sanctionner financièrement et facilement les familles. Une sorte de tarif minimum dès la première connerie hier à votre place. Revenons à la possibilité de priver les familles des allocations familiales ». Est-ce que c'est un sillon qu'il faut creuser ?

Ce n'est pas la même chose, hein ? Ce n'est pas ce sont deux déclarations qui n'ont pas le même sens. Est-ce qu'il faut qu'il y ait sanction et sanction immédiate chaque fois qu'il y a un dérapage ? La réponse est oui. Évidemment, lorsqu'il s'agit de jeunes enfants, la sanction s'adresse aux familles. Les allocations familiales, c'est autre chose. Qui sont les parents et, en vérité, qui sont souvent les mères seules qui élèvent des enfants dans ces quartiers ?

Je ne crois pas que la seule réponse soit de les priver d'une partie de leur revenus minimum qui les font vivre.

Quel type de sanction imaginez-vous ?

Amende immédiate. S'adressant aux familles, c'est ce qu'a évoqué le président de la République. Mais vous voyez bien il y a une demande de la société française qui est une demande forte, qui est de prise en charge de la responsable de l'ordre dans la rue. Au fond, c'est ce que veut dire cette cagnotte si problématique et si enfin qui pose des tas de questions.

Vous parlez de la cagnotte. 1 million d'euros, 1 300 000 en soutien aux policiers soupçonné d'avoir tué le jeune.

Donc ce que ça signifie, c'est une partie des Français considère que l'ordre doit passer avant tout.

Vous dites une cagnotte problématique parce que vous ne la soutenez par vous ne donnez pas.

Vous voyez bien que un drame de cet ordre ne devrait pas donner lieu à bénéfice. Si on l'explique de cette manière-là, ça ne devrait pas entraîner un bénéfice. Et je suis sûr que le policier lui-même, qui est l'auteur de ce drame, je suis sûr qu'il est lui-même gêné. Ce n'est pas ce qu'il voulait. Alors, il reste à la justice, à la police, à comprendre ce qui se passe.

Mais le sens de ce que signifie ces multiples dons, ça signifie : Nous, on veut être du côté de ceux qui nous défendent.

Il y a une partie de la population qui soutient les policiers.

Et ils ont raison. Est ce qu'on peut imaginer ce qu'est le travail quotidien d'un policier dans les quartiers les plus difficiles ? Quand arrivent des moments les plus ?

Mais ce que ces Français qui ont participé, ce qu'ils expriment, c'est un besoin et c'est un besoin de solidarité avec ceux qui les défendent. Et vous voyez bien que la mise en cause perpétuelle des policiers, de leurs pensées, de leurs arrière-pensées, des accusations de racisme, tout ça bouleverse une grande partie des Français.

Et c'est d'ailleurs assez drôle parce que parmi les mouvements qui les accusent ainsi, il y a des élus. Le maire de Lyon. Vous connaissez son orientation politique.

Un écologiste.

Le maire de Lyon, avec un mouvement qui souvent met en cause les policiers, le maire de Lyon, il a des incidents. Que dit-il ? Il dit : Il nous faut plus de forces de police. Il n'y a pas assez de forces de police et vous voyez l'incroyable paradoxe dans lequel on se trouve.

Il y a une demande d'ordre. En effet, vous avez raison. Je voudrais juste revient aussi sur la question de l'éducation François Bayrou. C'est assez symptomatique. Le préfet de l'Hérault a eu des mots qui peuvent paraître presque d'une certaine banalité quand il dit : Si vous attrapez votre gamin, qu'il est pris en train de brûler des véhicules de police, caillasser des pompiers au pied des magasins. La méthode, c'est quoi ? C’est deux claques et au dodo. C'est une formule, mais c'est aussi une conception de l'éducation. On lui est tombé dessus, Il est critiqué pour ça. Est-ce que vous dites Il a raison ? La bonne méthode, c'est de claquer.

Alors franchement, moi c'est une déclaration que je ne peux pas critiquer parce qu'il m'est arrivé dans ma vie d'être confronté à des moments comme ça.

Il vous est arrivé en pleine campagne électorale en 2002, de gifler un jeune homme qui vous faisait les poches.

Oui, être un parent, un père de famille, être responsable d'un enfant, ça veut dire que oui, vous imposez. Enfin, vous devez imposer à ses enfants le respect de choses élémentaires. Alors je ne défends pas du tout ni les claques, ni les fessées, mais je défends l'autorité des parents. Je disais l'ordre des policiers. Mais il y a aussi l'ordre des parents, il y a aussi l'autorité et c'est une autorité qui, souvent dans les quartiers, a disparu.

Pourquoi alors, c'est compliqué ? J'ai des souvenirs de cette époque, de cet incident dont nous parlons. J’ai reçu à l'époque 10 000 lettres. Je ne sais pas si vous vous rendez compte, et c'était à l'époque par la Poste. Souvent des parents d'origine immigrée, souvent des parents des quartiers, disaient : Monsieur Bayrou, vous avez vraiment bien fait de faire ça. Mais nous, on nous interdit de le faire et on comprend très bien quand la violence et l'éducation, ce n'est pas de la violence, ce n'est pas terrifier, ce n'est pas frapper et un geste éducateur.

Vous voyez bien qu'il y a des différences et vous voyez bien que le fait de remettre ou non, on a vu une vidéo qui a beaucoup tourné sur les écrans. Le père de famille qui vient chercher son enfant, qui est dans les manifestations. Il le prend, il le met dans le coffre de la voiture, évidemment pas le l'idée de le mettre dans le coffre, c'est évidemment l'idée de dire : Écoute, tu reviens et on fait comme ça. Alors, vous voyez bien que lorsque le président de la République dit : il faut prendre son temps c'est à ça qu'on pense. 

Vous avez entendu ceux qui disent François Bayrou : il y a une forme de désœuvrement, alors c'est une coïncidence. Mais il y a une semaine, le président de la République, avant cet incident, avait posé la question, par exemple du calendrier scolaire, en disant : il y a des jeunes qui deux mois et demi de l'année, là on est en plein dedans dans l'été, ne sont pas à l'école parce que l'école s'arrête.

La première chose qu'il faudrait faire, c'est que pendant l'année scolaire, il y ait école. Un très grand nombre des élèves n'est pas allé à l'école les deux derniers mois. Il n’y avait pas d'élèves pour les profs qui étaient là et donc occuper le temps scolaire. Enfin, s'assurer que le temps scolaire est un temps utile. C'est la première chose à faire après les affaires du calendrier scolaire. Je dis ça amicalement à tout le monde. C'est très compliqué parce que vous avez l'économie du tourisme, les vacances, les locations et évidemment, ce sont des problèmes d'organisation qui ne se résolvent pas.

Je voudrais revenir à la dimension politique. Il y a eu hier une rencontre à Matignon des représentants des groupes politiques au Parlement, à la sortie, Mathilde Panot L'Insoumise a dit : Nous, on ne veut pas des rencontres comme ça. On veut un débat au Parlement au titre de l'article 51 de la Constitution.

Il faut que les parlementaires soient saisis de la situation. Vous êtes attachés au droit du Parlement. Est-ce que c'est au Parlement aujourd'hui de discuter de ce qui se passe bien ?

Vous voyez bien, il y a, il y a plusieurs niveaux. Il est juste qu'il y ait un débat au Parlement et que tout le monde puisse s'exprimer.

Il est juste que le gouvernement s'en occupe et il est juste que le président de la République s'en occupe aussi parce que le président de la République, il est en charge non pas des groupes parlementaires, non pas de l'avis du Parlement. Il est en charge de la nation, des grands courants de la nation et c'est tout à fait légitime et normal que le président de la République dans sa responsabilité, j'allais dire grand public civique, opinion civique. C'est juste que le président de la République s'en occupe.

Mais il devra en parler, il devra nous parler. Il est resté assez discret ces derniers jours. Il a fait le choix de se laisser du temps. Il y a une sorte de vide.

Il n'y a pas de vide. Mais bien sûr qu'on sait bien que d'ici au 14 juillet, le président de la République va s'exprimer et c'est normal qu'il le fasse. Mais c'est normal aussi que nous, nous réfléchissions nous tous. Bien sûr que les réseaux sociaux ont joué un très grand rôle dans la contagion de ces événements parce qu'ils ont fourni à un climat de…, ce n'est pas pour les uns de désœuvrement pour les autres, d'absence de but dans la vie. Pour les troisième dont on ne sait pas quoi faire et pour les quatrième aussi, un sentiment de révolte. Enfin, on n'est pas bien dans cette vie-là. Tout cela a fait amalgame et s'est passé en fait très vite.

Mais vous croyez qu'on pourra réellement réguler ça ? L'encadrer parce qu'on voit bien la lutte contre les géants du numérique, c’est un combat homérique. Les souhaits de régulation, ils sont là sur tous les thèmes racisme, antisémitisme.

Ça n'est pas parce que c'est compliqué qu'il faut rien faire. Le sens de ma vie, en tout cas de mon engagement. Je sais bien que les choses sont compliquées et vous le savez bien et mieux que d'autres. Et ce n'est pas parce que les choses sont compliquées qu'il ne faut rien faire. 

Prenons un exemple. Je parlais du vide de la vie d'un certain nombre de ces jeunes garçons et jeunes filles. L'idée d'un service civique dans lequel ils sont engagés au début, volontairement engagés, peut-être qu'on pourra un jour aller plus loin, dans lequel ils apprennent à servir service. Ça veut dire ça. Je vais servir les autres. Il y a 1000 fonctions dans la société qui ne trouvent pas de réponses et qui pourraient offrir à ces garçons et à ces filles des raisons de vivre, des raisons de se lever le matin, des raisons d'être fiers d’eux-même et de ce qu'ils font.

Et y compris de manière obligatoire ? Parce que la question s'était posée.

Vous savez bien que je défends cette idée depuis longtemps. Alors il faut le faire dans une démarche qui soit une démarche compréhensive, progressive. Et c'est d'ailleurs cela que le gouvernement a à l'esprit. Mais on a besoin de transformer des vies vides en vies pleines. Comment fait-on ? Eh bien, on transmet à ceux-là, qui sont notre préoccupation, à ces jeunes filles, ces jeunes garçons, on leur transmet les méthodes pour aller vers les autres, pour servir et pour rencontrer d'autres, pas pour rester enfermés dans la cité.

François Bayrou, au vu de la situation du pays, est-ce qu'il faut quelque chose qui ressemble à un gouvernement d'union nationale, un gouvernement des maires, un gouvernement des bonnes volontés ? Je ne sais pas quelle serait la bonne formule et comment il faudrait l'appeler. Mais est-ce qu'il va falloir aussi un mouvement, une modification politique ? Ça fait plusieurs mois qu'on s'interroge sur un remaniement.

La question se pose différemment aujourd'hui, mais elle se pose.

Alors vous dites quelque chose qui est très important : la dimension des problèmes que nous avons devant nous exige des démarches politiques inédites. Ce n'est pas facile parce il n'y a pas de partenaire pour l'instant en tout cas, qui manifeste son intention et son intérêt. Mais vous voyez bien que les questions qui se qui se posent là, ce n’est pas des questions d'affrontement classique, ce n'est pas les uns contre les autres.

La moitié de la France contre l'autre moitié. C'est plus profond et plus difficile que ça. Et si c'est plus profond et plus difficile, il faudra des démarches politiques plus rassembleuses dans lesquelles oui, on puisse montrer que les responsables du pays ne sont pas seulement dans la détestation de leur concurrent, ce ne sont pas seulement dans le sectarisme. Il y a des responsabilités à exercer et à partager, selon moi.

Encore une mission compliquée, mais vous dites compliquée n'est pas impossible. Merci beaucoup François Bayrou d'avoir été dans un instant. 

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