François Bayrou : « Le compromis sur les retraites est à portée ! »
Ce jeudi 26 juin, François Bayrou, Premier ministre, a tenu une conférence de presse à Matignon afin de faire l'état des lieux des dernières discussions avec les partenaires sociaux après la clôture du conclave sur les retraites lundi.
Seul le prononcé fait foi.
Bonjour à tous, tous aux féminins et aux masculins.
Je veux saluer mesdames les ministres Catherine Vautrin et Astrid Panosyan-Bouvet. Je veux saluer M. Jean-Jacques Marette qui a joué un rôle de coordination et de facilitateur tout au long de cette période.
Et puis mesdames et messieurs, le sujet de cette rencontre est le travail que nous avons conduit depuis quatre mois pour rechercher les voies d'une amélioration de notre système de retraite. Comme vous le savez, depuis mardi matin, j'ai reçu toutes les organisations qui ont participé à ce conclave de négociations. J'ai fait le point avec chacune d'entre elles, individuellement ou en collège. J'ai entendu leurs positions respectives. Et je leur ai demandé de dresser précisément leurs points d'accord et de désaccord. Ces organisations ont travaillé depuis quatre mois, sans interruption, dans un remarquable climat de franchise, sans intervention du gouvernement comme je m'y étais engagé, et sous la houlette de M. Marette.
Je veux le dire devant vous, ce travail, contrairement à ce qui a été abondamment dit et écrit, a été remarquablement utile. Il est vrai qu'il n'a pas, au terme de la journée de lundi, débouché dans un premier temps sur un accord immédiat, mais pour avoir fait l'inventaire détaillé, des pas en avant, des points d'accord et de dissonance, pour avoir de manière approfondie échangé avec chacune des organisations sur leurs priorités, sur leur vision de l'avenir. Je suis impressionné par les progrès, je crois que vous allez en avoir la preuve, qui ont été faits depuis 4 mois. Il y a pu y avoir des moments de tension, parfois d'agacement, c'est inévitable dans de telles négociations, et sur un sujet aussi passionné. Mais, j'affirme que les représentants des salariés et des entreprises ont chacun pris en compte les attentes de leurs interlocuteurs et ont ensemble pris en compte ce qui est plus important encore : l'intérêt général.
C'est ce bilan précis que je vais point par point détailler devant vous pour que chacun de ceux qui nous écoutent mesurent les progrès qu'un tel effort aura permis d'envisager. Ai-je besoin de dire que ce travail de démocratie sociale, et j'y reviendrai politique, intervient dans un moment particulièrement difficile de l'histoire de notre pays et de l'histoire du monde, où nous nous trouvons sous la pression des risques et des violences, de soubresauts menaçants dans toutes les parties du monde ? C'est-à-dire, selon moi, dans un moment où notre seule arme réelle comme peuple français, comme nation, comme pays, pour défendre ce que nous sommes, est celle de la prise de conscience et de l'unité du pays.
Mais avant de faire ce bilan précis, qui vous le verrez, est incroyablement avancé, Je veux dresser devant vous la liste des objectifs qui étaient ceux du gouvernement à l'ouverture de cette séquence inédite de démocratie sociale. Et ce sont ces objectifs qui demeurent naturellement aujourd'hui. Je vais énumérer ces objectifs d'intérêt général.
Premier objectif et le plus important : garantir l'avenir de notre système de retraite par répartition en rétablissant son équilibre financier d'ici à 2030. C'était la condition préalable, la seule que j'avais fixée aux partenaires sociaux et qui a été acceptée par tous.
Deuxième objectif : augmenter autant que nous le pourrons la proportion de nos compatriotes qui choisissent de rester au travail plus longtemps. La faiblesse de l'emploi des seniors en France est comparativement aux pays voisins un de nos handicaps et ce handicap menace l'avenir des retraites. Et c'est en tout cas à mes yeux un appauvrissement des compétences et des talents.
Troisième objectif : objectif de meilleure justice. Meilleure justice d'abord à l'égard des femmes, pour qui la maternité rend plus difficile l'acquisition des droits à la retraite, et ce n'est pas juste. Justice à l'égard de ceux qui sont contraints de prolonger leurs années de travail parce qu'ils n'ont pas leurs annuités pour éviter la décote, c'est-à-dire la diminution de leur pension. Justice à l'égard des salariés pour qui le travail pénible a des incidences sur leur santé. Femmes, âge, décote, pénibilité, voilà trois sujets sur lesquels nous souhaitions, nous espérions une amélioration du système.
Quatrième objectif : ne pas alourdir le coût du travail. Nous savons avec certitude, spécialement dans une période si difficile et dans une compétition aussi âpre que celle que nous traversons, un alourdissement du coût du travail est une menace directe sur l'emploi et sur les chances de nos entreprises dans la compétition mondiale.
Cinquième objectif, faire que le débat sur les retraites ne soit plus une fracture politique et sociale, et en particulier qu'il ne devienne pas ce qui est à mes yeux une vraie menace et peut-être une menace en cours de réalisation, un conflit de générations. Les plus jeunes se trouvant en droit d'accuser les générations plus anciennes d'avoir construit leur confort sur leur dos et en compromettant leur avenir.
Sixième objectif, poser pour l'avenir la question de la gouvernance. C'est une conviction ancienne pour moi que tous les sujets n'appartiennent pas au champ de la politique partisane, spécialement les sujets sociaux. Il y a d'autres modes de gouvernance et la gestion des retraites complémentaires de l'Agirc-Arrco sous l'égide des partenaires sociaux en apporte la preuve. Même si, et nous en avons peut-être la démonstration aujourd'hui, il peut se faire que la démocratie politique donne un coup de main décisif à la démocratie sociale, lorsque dans les derniers mètres, les blocages classiques doivent être dépassés.
Alors j'en viens maintenant à la négociation, à ce que la négociation a donné et a permis comme avancée et comme accord, pour ainsi dire, acquis. Je dis pour ainsi dire parce qu'il n'y a pas eu de signature, mais on a fait le bilan précis des conversations, des négociations, et ce sont ces avancées que je voudrais maintenant indiquer et partager avec vous.
Première avancée : tous les participants ont accepté le principe du retour à l'équilibre en 2030 pour assurer tout simplement la sauvegarde de notre système par répartition.
Deuxième avancée : tous les participants se sont accordés, et ça n'était pas facile, pour ne pas remettre en cause dans cette négociation, les conditions d'âge fixées par la loi de 2023. C'est une avancée décisive, et je veux saluer le courage des responsables qui se sont accordés sur ce point.
Troisième avancée : tous les participants se sont accordés pour améliorer la condition des personnes, spécialement celles qui ont eu des carrières hachées, souvent des femmes, le plus souvent des femmes, face à l'âge d'annulation de la décote, c'est-à-dire pour diminuer l'âge des départs à taux plein, ramené de 67 ans à 66 ans et demi.
Quatrième avancée : tous les participants se sont accordés pour améliorer sensiblement et immédiatement le droit à la retraite des femmes ayant eu des enfants. Au lieu de la référence aux 25 meilleures années pour calculer la pension de retraite, pour les femmes ayant eu un enfant, on gagne une année, la référence étant ramenée à 24 ans. Et pour celles ayant eu deux [enfants] ou davantage, deux années, en ramenant cette référence à 23 ans, aux 23 meilleures années.
Cinquième avancée : ils ont de la même manière accepté une meilleure prise en compte des trimestres liés à la maternité pour un départ anticipé au titre des carrières longues, gagnant ainsi deux trimestres au titre de la maternité.
Sixième avancée : tous les participants se sont accordés, c'était une demande très explicite et très soutenue des organisations syndicales pour que soit mieux prise en compte la pénibilité du travail.
Alors je vais énumérer les demandes qui étaient celles des organisations syndicales sur la pénibilité. [Elles] souhaitaient, voulaient d'abord la réintégration des trois critères de pénibilité dits ergonomiques - port de charges lourdes, exposition aux vibrations, et posture difficile - qui avait été écarté de la liste des critères de pénibilité, six autres critères, le travail de nuit par exemple, au moment de l'adoption de la loi de 2023. Ensuite, ils demandaient la définition à partir de ces trois critères d'une cartographie des métiers exposés : métiers à risque de pénibilité permettant un repérage précoce et donc, d'une certaine manière, permettant une cartographie du risque. C'était la deuxième demande des organisations syndicales. Ces deux premières demandes ont été acceptées telles quelles. Il y avait une troisième demande qui était la définition de la réponse à ces risques de pénibilité. Il y avait deux types de réponses évoquées. Le premier type de réponse, c'est la mise en place d'une politique de prévention généralisée. Et la deuxième réponse, c'est la recherche de réparation. Alors, la politique de prévention généralisée a été acceptée par tout le monde. Donc, deux exigences et demie satisfaites. Il reste une troisième, enfin, il restait la deuxième partie de l'exigence de prévention et de réparation, qui touche à la réparation. Et ici, la négociation n'a pas tout à fait permis d'aboutir. Entreprises et organisations syndicales s'accordant complètement sur la prévention, mais pas sur la réparation. Les uns, les organisations syndicales souhaitant une réparation générale, et les autres, les entreprises, une réparation individuelle sur décision médicale. Et sur ce point, en effet, il demeure une recherche d'accord. Je vais le dire autrement, sur ce point, une recherche d'accord est indispensable.
Mais je suis persuadé qu'un chemin d'accord existe et je voudrais dessiner ce chemin à partir précisément des travaux les plus récents des partenaires sociaux. Au mois de novembre et hier soir, les partenaires sociaux ont progressé beaucoup sur un accord dit transition-reconversion. Cet accord a été défini en novembre à partir de l'obligation d'une visite médicale à 45 ans. Et si l'on réfléchit à ce que pourrait être une politique générale de lutte contre la pénibilité, j'imagine qu'aucun d'entre nous ne souhaite que la pénibilité soit maintenue tout au long de la carrière. Si l'on se donne comme objectif de repérer, à partir de ces visites médicales et de cette cartographie, les expositions à la pénibilité, on peut souhaiter, vouloir, on peut imaginer qu'on puisse proposer des réorientations aux salariés qui y sont exposés.
Et donc si je résume sur ces questions de pénibilité : à la fois de définition il y a un accord complet, de cartographie il y a un accord complet, demeure un accord complet sur la prévention et il y a une discussion possible et souhaitable à propos de laquelle je pense qu'il existe une voie de sortie pour la réparation.
Enfin, s'agissant du financement de ces changements, deux accords ont été trouvés. Financement de la pénibilité dans le cadre des accidents de travail et des maladies professionnelles, c'est 500 millions. Et rationalisation possible du cumul emploi-retraite, c'est 500 millions supplémentaires. Il n'y a pas encore d'accord trouvé, c'est la même chose, c'est le point qui reste à éclaircir. Pour boucler le financement des mesures de justice et de retour à l'équilibre, c'est 400 millions, mais je suis persuadé pour avoir parlé avec toutes les organisations et envisagé avec elles des possibilités de compromis, ou d'innovation ou de découverte d'un chemin nouveau, je suis persuadé qu'on peut très vite trouver un accord sur ce sujet.
Et vous voyez bien qu'il n'y a plus que deux sujets qui demeurent à résoudre et qui sont des sujets, pardon de le dire, solubles, à portée de la main, alors que la totalité des décisions qui ont été l'objet d'un accord au moins implicite, sont impressionnants. Et vous conviendrez avec moi, j'en suis sûr, que rapporté à l'ampleur des progrès et équilibre de notre système, âge, carrière des femmes, décote et pénibilité, ces deux sujets à traiter sont peu de choses dans les derniers mètres.
Les experts et les négociateurs des organisations vont se remettre au travail pour rapprocher les points de vue. J'ai écrit dans mon texte « donnons-leur trois semaines », « donnons-leur quinze jours », parce que certaines organisations m'ont dit « trois semaines, c'est beaucoup trop long », « donnons-leur dix jours ». Je suis persuadé que ces deux points, je ne veux pas dire secondaires, mais seconds, par rapport à l'ampleur des progrès qui ont été faits, ces deux points sont faciles à traiter. Le compromis est à portée, et c'est ce que je souhaite !
Si les partenaires ne parvenaient pas à se mettre d'accord, le gouvernement prendrait ses responsabilités et proposerait des dispositions de compromis qui seraient introduites dans le texte qui en tout état de cause, prenant en compte tous ses progrès, sera, comme je m'y étais engagé, soumis au Parlement à l'automne dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il y aura donc une démarche législative, une démarche du Parlement pour répondre à toutes les questions posées.
C'est une méthode qui est fondée sur l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux. C'est une méthode de confiance, initiée par le gouvernement, conclue par le gouvernement au moment décisif, lorsqu'il s'agit non pas d'organiser un accord, mais d'entraîner les corps intermédiaires dans les derniers mètres. J'ai été très frappé par le travail et par l'esprit de responsabilité. Et je voudrais vous dire le nom des négociateurs. Parce que c'est eux qui ont fait, autour de M. Marette, le travail. Sous la responsabilité de Marylise Léon pour la CFDT, c'est Yvan Ricordeau. Sous la responsabilité de François Hommeril pour la CFE-CGC, c'est Christelle Thieffinne. Sous la responsabilité de Cyril Chabanier pour la CFTC, c'est Pascale Coton. Sous la responsabilité de Patrick Martin pour le MEDEF, c'est Diane Milleron-Deperrois. Et enfin, sous la responsabilité d’Amir Reza-Tofighi, pour la CPME, c'est Éric Chevée. Je trouve que le nom de ces femmes et de ces hommes qui ont participé à construire un tel accord sans se laisser entraîner dans des blocages définitifs, comme on vient de le voir, méritaient d'être dits.
Je suis persuadé que la méthode qui a été suivie, elle est un signe d'espoir pour la démocratie sociale. Et pour moi, un espoir pour la démocratie sociale, c'est un espoir pour la démocratie tout court. J'avais dit à propos d'un autre événement, « jamais sans les Français ». Je suis persuadé que ce n'est pas en accentuant les conflits qu'on résout les problèmes de la nation, c'est en essayant scrupuleusement de trouver des réponses et de dessiner des accords. C'est ce que nous avons fait et je remercie tous ceux qui y ont participé.
Je viens de faire devant vous la liste exhaustive des sujets abordés et des points d'accord trouvés. Et j'ai beaucoup de reconnaissance pour ceux qui ont consenti à cet effort, pour certains qui n'en avaient pas forcément envie, pour d'autres qui avaient probablement des buts et des ambitions beaucoup plus exigeantes. Mais ceci est fait pour améliorer la vie des Français et la vie de ceux qui, au travail, vont partir à la retraite ou envisagent de partir à la retraite. Il y aura d'autres améliorations dans le temps. Mais en tout cas, là, le texte relevant tous ces accords sera soumis au Parlement à l'automne dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Je vous remercie.