📻📺 François Bayrou, invité de "Questions politiques" sur France Inter et France Info
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité d'Ali Baddou, ce dimanche 4 octobre à 12h00, dans l'émission "Questions politiques", diffusée sur France Inter et France Info, en partenariat avec Le Monde.
Pour réécouter l'émission, rendez-vous sur le site de France Inter :
▶️ https://www.franceinter.fr/emissions/questions-politiques/questions-politiques-04-octobre-2020
Extraits :
Retrouvez ci-dessous la retranscription de l'émission :
Bonjour, François Bayrou.
Bonjour.
Il y a un an quasiment jour pour jour, vous étiez notre invité à cette même place. À la Une de l'actualité, on parlait du communautarisme, des listes communautaires. Il était question au Sénat que le groupe Les Républicains dépose un projet de loi pour interdire aux mères voilées d'accompagner les sorties scolaires.
Avant hier, le Président de la République prononçait ce grand discours sur le séparatisme islamiste.
Que dites-vous un an après ? Enfin ?
Je trouve que c'était un discours majeur, un moment où l'histoire est reprise en main. Tout le monde sentait depuis des années, non pas spécialement des sujets concernant les sorties scolaires, mais bien plus gravement s'agissant de la déscolarisation d'un certain nombre d'enfants et de pratiques que l'on sentait monter.
Tout le monde sentait qu'il y avait une grande interrogation de la société française et que l'on n'arrivait pas à y répondre, que les gouvernants successifs, d'inspirations différentes, d'une certaine manière, hésitaient ou bien faisaient de grands discours sans qu'aucune décision ne soit jamais prise.
Or, le discours du Président de la République, il dit une chose, il dit que nous choisissons l'unité du pays, que nous décidons, nous, Français, avec l'histoire de la République derrière nous, avec nous, que nous allons écarter la tentation de la division profonde de la société pour des raisons religieuses, car il faut appeler les choses par leur nom, pour des raisons pseudo-religieuses.
Ce n'est pas moi qui vais dire que la religion est l'ennemi de la République. Au contraire, je pense que les croyants ont toute leur place et j'ai trouvé extrêmement juste et très encourageant que le Président de la République manifeste une fermeté indiscutable et le fasse dans une ambiance de compréhension de ce que vivent les femmes, les hommes, les familles, les enfants de cultures différentes et qui ont cependant besoin de vivre ensemble.
S'agissant des décisions annoncées et des décisions prises, ce discours était un événement en même temps pour cette question de l'unité du pays et pour la place que le Président de la République a décidé de prendre dans ces questions angoissantes pour la société.
Ce n'était pas un discours sur la laïcité, mais sur les séparatismes et deux séparatismes sont nommés : le séparatisme islamique, mais aussi le séparatisme que les élus de la République ont contribué à creuser en créant des ghettos.
Êtes-vous d'accord avec cette philosophie et cette analyse ?
Oui.
Vous dites ce n'était pas un discours sur la laïcité, mais sur le séparatisme. Or, pardonnez-mois de vous le dire, mais la laïcité est la réponse au séparatisme.
Comme nous avons déjà une loi sur la laïcité, nous avons donc tout l'arsenal qu'il faut pour œuvrer ensemble ?
Cela n'avait peut-être pas été dit suffisamment sur l'école, sur un certain nombre de pratiques dans les mosquées, sur les imams qui n'étaient pas de culture française et n'avaient aucune intention de devenir de culture française, sur la formation, sur les rapports directs que la République décidait d'avoir avec l'Islam, comme elle en a eu par le passé avec la religion catholique ou avec le judaïsme.
C'est très important.
Vous dites séparatisme et pas laïcité, Madame Fressoz, mais c'est la même chose, car la laïcité est la réponse au séparatisme et c'est cette réponse qui nous permet cela en France, et nous sommes un des seuls pays du monde à avoir cette préférence, j'allais dire cette arme, mais ce n'est pas seulement une arme. La laïcité, c'est un moyen de réunir.
La laïcité ne répond pas à un autre danger qui est le séparatisme social et ce que la République elle-même a creusé en laissant se constituer des ghettos.
Ceci est une autre chose.
Je suis Maire et, tous les jours, je répare avec tous mes concitoyens qui habitent ces quartiers - on en a principalement deux à Pau qui ont défrayé la chronique dans le passé - et, oui, nous sommes entrés dans l'opération, dans les opérations de rénovation urbaine, mais, plus profondément, il ne s'agit pas seulement des bâtiments, il s'agit des femmes et des hommes, il s'agit des familles et, avec eux nous construisons, par tous les moyens disponibles (culturels, touchant au travail, à l'implantation du travail et d'entreprises, aux services publics, à l'école, au sport), du ciment pour vivre-ensemble.
J'ai été très frappé. Après le discours du Président de la République. J'ai reçu beaucoup de messages de personnes, pas toutes macronistes, qui avaient trouvé le discours très important dont beaucoup de musulmans qui disaient : "Enfin, car, nous, seuls, on ne peut pas résister à tout cela".
Pour faire référence au papier de Françoise Fressoz sur le quinquennat, pourquoi si tard ? Pas simplement car les journalistes disaient attendre un discours sur la laïcité, mais, que ce soit sur le volet social, ce que l'on peut appeler le volet Borloo, ou sur un certain nombre de réaffirmations, pourquoi on a attendu autant de temps et pourquoi, avant, on a été aussi lâche, si je peux le dire, dans tous les Gouvernements successifs ?
Depuis 30 ans…
Au moins et, lorsque vous étiez à l'Éducation nationale, il y avait peut-être déjà des problèmes.
C'est moi qui ai interdit le voile à l'école et, comme vous le savez, cela avait fait un peu de bruit. Je sentais bien que l'on ne pouvait pas, au sein de l'école, laisser se manifester cela et j'ai donc pris la décision, la circulaire Bayrou à l'époque, et il s'agissait d'une décision, pour moi, d'affirmation du fait que l'on ne venait pas à l'école avec sa propre loi. L'école, c'était le lieu où on se retrouve sous une seule loi, celle de la connaissance et du savoir.
Qui a convaincu Emmanuel Macron ? Manuel Valls, on le sait. Là, il a fallu 2 ans pour ce fameux discours. Il n'y a pas de temps à perdre avec ce sujet.
D'abord, Emmanuel Macron, pardonnez-moi de dire cela, est devenu Président de la République très jeune - plus qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait été si jeune - et il est devenu Président de la République avec une idée que j'aime beaucoup, qui était une idée de bienveillance réciproque et l'idée que l'on allait faire rentrer dans la vie nationale et dans la vie de la République tous ceux qui s'en étaient éloignés.
Vous y avez cru ? C'est un peu angélique…
J'y ai cru et j'y crois encore.
Je ne crois pas que l'on puisse construire quoi que ce soit de bon dans un pays si on cultive la division, la désunion et l'affrontement interne. C'est la raison pour laquelle…
Le Président de la République, lorsqu'il disait que nous avons laissé faire chez nous le wahhabisme, le salafisme, les Frères musulmans qui ont porté des messages de rupture, lorsqu'il disait, comme le rappelait Françoise, que la France a construit ses propres séparatismes en laissant se ghettoïser les quartiers par des politique d'intégration suffisante, quel rapport avec la bienveillance ?
Il a doublement raison. En dépit de ce qu'ont dit un certain nombre de responsables politiques, à mon sens mal inspirés, ce n'est pas un discours qui porte quoi que ce soit contre l'Islam, au contraire.
C'est un discours qui reconnaît explicitement à la conviction musulmane et à la pratique musulmane leur place dans la République et dit, avec cette compréhension que je trouve très importante, mais les mouvements que vous avez cités, qu'a énumérés le Président de la République, ce ne sont pas des mouvements du vivre-ensemble.
Non. C'est le moins que l'on puisse dire.
Ce sont des mouvements, et il a eu raison de le dire comme tel, du "séparons-nous", chacun chez soi, chacun sa foi, chacun sa loi et la loi qui nous fait vivre-ensemble, on s'en détache, on s'en va.
Lorsqu'il parle du wahhabisme - parlons très simplement - d'un courant de l'Islam totalitaire, pour le coup, il est porté, encouragé, diffusé par l'Arabie saoudite qui est un partenaire de la France. Là, on est face à une contradiction majeure.
Est-il question de non seulement se séparer, rompre, mais également interdire toute influence saoudienne sur la vie culturelle, religieuse et politique en France ?
Le monde est suffisamment…
C'est une question simple.
Justement, Ali Baddou, ce n'est pas vraiment avec des questions simplistes que l'on fait avancer le monde.
On ne peut pas critiquer le wahhabisme en étant l'allié de ceux qui le portent et le diffusent.
Le monde est suffisamment compliqué. Regardez ce qui se passe en Turquie, dans ce Moyen-Orient que nous évoquons, etc. Le monde est suffisamment compliqué pour que l'on n'aille pas jeter perpétuellement de l'huile sur le feu.
Il n'y a aucun doute qu'il y a, dans le monde, des régimes avec lesquels nous sommes en confrontation. Je vais vous en citer quelques-uns : l'Arabie saoudite, que vous indiquiez, mais pas seulement, l'Iran, la Turquie, la Chine.
Nous ne sommes pas en confrontation avec l'Arabie saoudite, François Bayrou ?
Vous ne m'avez pas écouté. Je reprends.
Nous sommes en confrontation avec des régimes dont l'idéologie n'est pas la nôtre, dont la ligne politique qu'ils voudraient imposer au monde n'est pas la nôtre et nous résistons à cela, mais, derrière cela, il y a des peuples et des réalités économiques et il y a le tissu si serré des relations internationales.
Dans ce tissu-là, la France a une ligne et elle doit la défendre.
Pour autant, nous ne pouvons pas jeter de l'huile sur le feu. Sans cela, nous allons nous retrouver avec un univers complètement explosé. Si nous pouvons éviter cela, je préférerais.
C'est tout l'art de la diplomatie pour le Ministre des Affaires étrangères et le Président de la République : défendre une ligne, défendre des valeurs, sans pour autant entrer en affrontement avec le reste des États qui n'ont pas la même ligne.
Restons sur ce que nous étions en train de dire. On parlait d'essayer d'unir tout le monde, on parlait d'unité.
Dans le discours d'Emmanuel Macron, vous y avez vu beaucoup de bienveillance, mais comment va-t-il permettre concrètement dans les actions qu'il peut ou va faire, que les jeunes Français d'origine musulmane se sentent totalement intégrés dans notre société ? Depuis 3 ans, je ne suis pas certaine que les personnes des quartiers se soient senties totalement intégrées dans la société.
Je ne partage pas votre sentiment. Si j'ose dire, je vis avec les quartiers tous les jours et au contraire.
Pas qu'à Pau, dans toute la France, car Pau n'est pas le centre du monde !
Non, bien sûr, mais ceci relève de politiques plus larges, pas celles directement dirigées vers une communauté, mais les politiques dirigées vers la communauté nationale.
Il y a les questions d'emploi, de santé économique, d'insertion, d'intégration, d'éducation. Si je pouvais souligner huit fois éducation, je le ferai !
Sur l'emploi, vous avez l'impression que les jeunes Français d'origine musulmane, pour eux, les choses sont plus simples pour accéder au marché de l'emploi ?
Je peux vous assurer, par des témoignages précis, que l'on peut proposer à plusieurs dizaines d'entre eux des intégrations dans l'emploi, des formations en alternance et la découverte de l'entreprise et que, tout d'un coup ils voient qu'ils y ont ou peuvent avoir leur place.
Je ne suis pas en train de vous dire que tout est facile pour eux, mais tout n'est pas facile non plus pour les fils des paysans des Pyrénées, tout n'est pas facile pour les fils d'ouvriers au chômage.
En réalité, notre société est vraiment une société, de ce point de vue, difficile et fracturée et Emmanuel Macron a raison de dire que nous l'avons laissée se fracturer au cours des années. Il y a des décennies que l'on n'a pas su faire face à cela et je trouve très courageux qu'il nomme cette dérive et que l'on y fasse face.
Vous disiez tout à l'heure que l'on agit un peu sur une poudrière et qu'au fond, la difficulté sur laquelle butent tous les Gouvernements, c'est l'organisation du culte musulman en France.
Il y a un problème de contrôle de financement, un problème de contrôle des prêches et, là, le pari est de donner au Conseil français du culte musulman davantage de pouvoirs.
Cela a été fait il y a quelques années, avec des progrès très lents et, certains, comme Gérald Darmanin, avaient envisagé un concordat.
Pourquoi, à votre avis, cette solution n'était pas la bonne aujourd'hui ?
Le Président de la République a traité cette question dans son discours. Il a traité cette réponse en indiquant qu'un concordat aurait posé des problèmes avec l'Islam et les autres religions.
Il a souligné qu'il avait envisagé cette idée.
Qu'est-ce c'est le concordat ? Il s'agit de la prise en charge des animateurs religieux, des imams en l'occurrence, par l'État, payés par l'état. On sait bien à quel point cela aurait pu soulever des vagues.
Cela signifie aussi qu'en s'appuyant sur le CFCM, il ne va pas se passer grand-chose, car cela n'a jamais fonctionné avec le CFCM.
Car je ne pense pas que ce soit la réponse exacte.
Il a choisi la loi de 1905, qui est une organisation des relations entre le culte musulman et la puissance publique. Je parle de la puissance publique exprès et pas de l'État, car je crois que cela doit beaucoup passer par les autorités locales.
Je pense que l'on peut agir localement. Il est plus difficile d'agir nationalement en général. Je pense que l'on peut trouver des chemins localement, mais il ne se contente pas de cela. Il dit : "On va former les imams".
En France, en français et selon les valeurs de la République, on va monter…
C'est au CFCM de l'organiser ?
Vous n'allez, bien sûr, pas dire aux responsables de la communauté musulmane qu'ils n'ont pas leur place dans cette affaire.
Le CFCM dysfonctionne tout de même depuis 2002, depuis qu'il existe.
Laissez-les essayer.
Il s'agit de monter un institut universitaire scientifique et d'analyser philosophiquement ce qu'est l'Islam. Je trouve que ce sont de très, très grands progrès.
Ce sont des progrès d'autorité pour éviter les dérives et les imams qui ne parlent pas un mot de français, qui véhiculent d'autres discours que ceux dont nous avons besoin comme communauté française.
Le religieux a toute sa place, les déstabilisations, non.
J'aurais deux questions précises à propos du plan proposé par Emmanuel Macron : l'école obligatoire a 3 ans - école et non instruction -, trouvez-vous qu'il s'agit d'une une bonne idée et que cela peut permettre de re-scolariser 50 000 enfants aujourd'hui, donc probablement 25 000 qui, pour raisons religieuses, n'iraient pas à l'école, trouvez-vous que c'est une bonne solution ?
Deuxième question : une ouverture plus grande à l'enseignement de l'arabe pour éviter que cela se fasse dans des caves comme dirait N. Sarkozy, mais que cela se fasse plutôt à l'école.
La droite a déjà poussé des hurlements, comme si on était en train d'imposer l'enseignement de l'arabe à tout le monde.
Pensez-vous que ces deux pistes sont deux bonnes choses ?
Nous avions devant un développement de la déscolarisation pour les enfants et spécialement pour les petites filles.
Déscolarisation et pseudo-scolarisation au CNED. En fait, car, quand vous avez un enfant de 3, 4, 5 ans…
Vous parlez de l'enseignement à distance ou par correspondance.
Ce n'est pas l'enseignement par correspondance qui va pouvoir apporter quelque chose, mais il faut qu'il existe, en cas de maladie par exemple.
Très souvent, ce sont les parents ou des répétiteurs qui servent de relais, mais, dans ce cas-là, non, car on est dans une séparation culturelle.
Jean-Michel Blanquer parlait de 50 000 élèves concernés.
Oui. Peut-être, peut-être plus, on ne sait pas.
25 000 pour raison médicale et le reste pour des raisons religieuses.
S'agissant de cette déscolarisation, il fallait une décision, car, lorsque ce type d'attitude progresse, alors il faut qu'il y ait un stop, car les petites filles font partie de la France et de la République.
Faut-il remettre en cause la loi Falloux ? Vous aviez été confronté au problème quand vous étiez Ministre de l'Éducation nationale.
Je ne sais pas si vous connaissez le contenu de la loi Falloux.
Il s'agit de la liberté de l'enseignement. En l'occurrence, jusqu'où ira l'interprétation de la loi Falloux ?
La loi Falloux, ce n'est pas cela, c'est l'interdiction de financer par la puissance publique des écoles privées, même sous contrat.
En effet, cela a fait des vagues à l'époque.
Si on regarde avec 25 ans de distance, on s'apercevra que le texte que je proposais à l'époque, et qui est d'ailleurs assez souvent entré dans les faits, même si la loi a été supprimée, était modéré et équilibré.
Concernant l'enseignement de l'arabe, qu'en pensez-vous ?
Je pense que l'arabe est une des très grandes langues du monde et qu'il est naturel qu'on la transmette et plus facile à transmettre pour des enfants acculturés ou qui sont dans cette culture.
Je rappelle tout de même qu'entre l'arabe littéraire et l'arabe dialectal dans chaque pays, il y a des différences qui ne sont pas minces.
Vaut-il mieux que ce soit pris dans le giron de l'enseignement public ou privé sous contrat, plutôt que de laisser cet enseignement se faire ailleurs ?
C'est la même chose pour le chinois. C'est la même chose pour l'anglais. C'est la même chose pour l'arabe et je serais très content qu'il y ait beaucoup de jeunes, y compris issus de l'immigration à la deuxième ou troisième génération, qui maîtrisent cette langue, qui est une des très grandes langues du monde, comme le français est - je le rappelle car tout le monde l'oublie - une des grandes langues du monde et va être une des grandes langues du monde, parlée par des centaines de millions de personnes.
Cela n'en prend pas le chemin.
Si. Vous vous trompez.
C'est un autre sujet.
Non.
L'augmentation de la population en Afrique fait que, d'ores et déjà, des centaines de millions de personnes parlent français dans le monde. Il n'y a qu'un seul peuple qui l'oublie, ce sont les Français et les autorités françaises qui, trop souvent, se livrent à une espèce de jargon.
Il suffit d'aller à l'Europe pour s'en rendre compte.
Vous avez parfaitement raison.
La responsabilité des dirigeants français devrait être de défendre la langue française qui est, par la loi, par la loi européenne, par la loi mondiale, une des deux ou trois grandes langues d'échange dans le monde.
Les seuls qui ne la défendent pas, ce sont les Français.
Toujours concernant le séparatisme, une dernière question très concrète : Emmanuel Macron a-t-il a raison de vouloir laisser les mères voilées accompagner les sorties scolaires ?
Tout d'abord, le mot "voilé", pardonnez-moi de vous le dire, est une ambiguïté.
Une femme portant un voile ?
Portant un foulard.
Le hidjab est-il un foulard ou pas ?
Bien sûr que non.
C'est assez paradoxal d'en parler aujourd'hui, mais allez-y, François Bayrou. Essayez de nous convaincre qu'il ne faut pas voiler son visage !
Le visage dissimulé est interdit par la loi.
Pour des raisons de sécurité, pas pour des raisons idéologiques ou libération des femmes.
Dans les faits, comment est-il encore possible de tenir ce discours, François Bayrou ?
Vous connaissez l'histoire, non ? Vous y êtes en plein, puisque vous aviez un masque lorsque je suis arrivé. Ne me dites pas que l'on peut se promener à visage dévoilé.
Non. Comme nous devons dissimuler notre visage, comment demander à des femmes de ne pas dissimuler le leur ?
Très sérieusement.
Je suis très sérieux.
Il y a, dans la société, aujourd'hui, un certain nombre de personnes qui pensent que le masque sanitaire est un abus. Je me suis fait moi-même agressé à Paris il n'y a pas dix jours par une jeune femme tout à fait avertie, semble-t-il, qui était avec ses enfants et qui m'a dit : "Cela suffit les abus que vos amis imposent. Le virus n'existe pas, c'est une blague pour prendre le contrôle de notre vie".
Or, quand nous constatons les dégâts de ce virus - nous avons tous perdu des amis, j'ai perdu des amis proches -, nous nous disons que ce type de dérive est dangereux. Je ne plaisante donc pas.
Ce qui a été interdit par la loi, c'est le visage voilé pour des raisons culturelles et religieuses, car, en France, nous sommes, nous étions le pays du visage dévoilé et, donc de ce point de vue, le voile est interdit.
Après, que les mères accompagnent les enfants dans les sorties scolaires, cela ne m'a jamais choqué.
Y compris une mère qui porte un hidjab ?
Non. Le hidjab, c'est la totalité voilée.
Il sera toujours temps de voir le contenu de la loi qu'a promis le Président de la République, qui sera présentée à l'automne et qui devrait être discutée début décembre au Conseil des Ministres, avant d'être examinée par le Parlement.
Essayons de voir ce dont nous parlons.
Un petit enfant de 3, 4, 5 ans qui va à l'école publique, avec les mères des autres enfants qui accompagnent les sorties scolaires.
Ou les pères !
Ce sont plus souvent les mères, même si cela devrait être aussi les pères.
À cet enfant, on lui dit que sa maman n'a pas le droit d'accompagner une sortie à cause d'une tenue qu'il la voit porter à la maison et dans les rues de la ville tous les jours.
Je fais donc la différence entre le voile qui est une tradition, et le message politique, car, après tout, les directeurs d'école sont là pour cela.
Emmanuel Macron dit qu'il faut renforcer la neutralité dans le service public. L'école est un service public.
Faut-il, ou pas, renforcer la neutralité ?
On confond tout. Il ne s'agit pas des enseignants qui, eux, sont soumis à l'obligation de neutralité. Il ne s'agit pas des accompagnants, des assistantes maternelles, car tous sont soumis à l'obligation de neutralité.
Il s'agit des parents ayant le droit d'être dans la rue avec ce type de vêtements ou de couvre-cheveux. Ne faisons pas des guerres de religion à propos de tout. Réservons la fermeté de la loi à ce qui en vaut la peine.
Très souvent, on laisse dériver vers, je crois, des mises en cause qui ne font que jeter de l'huile sur le feu, à mon avis.
Vous parliez tout à l'heure du port du masque et de l'importance de le porter. De fait, l'épidémie reprend dans plusieurs grandes villes. Estimez-vous que le Gouvernement a eu un défaut d'anticipation ou a trop proclamé que la reprise arrivait en septembre et que nous pourrions peut-être vivre normalement.
Tout le monde a eu un défaut d'anticipation. Tout le monde a cru que c'était fini et notamment les plus jeunes, disons les moins de 50 ans, les moins de 30 ans encore d'avantage et les moins de 20 ans peut-être plus encore, qui, pendant les vacances, ont cru que l'on pouvait de nouveau faire la fête.
C'était un relâchement.
C'était une manière de retrouver la vie et de la fêter.
Avec cela, l'épidémie est repartie. Nous avons eu hier 17 000 contaminations et, dans une ville comme la mienne où l'organisation des tests est très avancée et très élaborée - nous en réalisons plus de 1 000 par jour -, on retrouve une augmentation de la contagion très inquiétante.
Pour l'instant, nous n'en subissons pas les conséquences s'agissant des hospitalisations et notamment en réanimation aussi forte que ce que nous avons connu et que nous craignions, mais, du point de vue des contaminations, il n'y a pas de doute, nous sommes arrivés à un seuil de 6 % à 7 % de contaminations diagnostiquées via les tests.
À propos des décisions qui doivent être prises, est-ce que c’est le gouvernement, à savoir M. Castex ou M. Véran, qui doit décider ou alors tout doit-il être négocié entre le préfet et le maire si bien que l'on risque d'avoir des choses à deux vitesses ? C'est un peu la réaction des Marseillais lorsque le durcissement a été décidé à Marseille.
Qui doit décider ? Est-ce que, finalement, on n'a pas l'impression que c’est erreur au-delà des Pyrénées et justice en delà et que cela doit se faire un peu de gré à gré ?
Est-ce que ce n’est pas le boulot du gouvernement de décider ?
Je suis pour que les élus locaux soient associés…
Associés, cela suppose une négociation ?
Qu’ils soient associés, qu’il y ait une discussion, une négociation, que l'on échange de ce sujet quotidiennement, ce que les maires des villes font naturellement avec les préfets ou avec l’État.
S'il y a un doute qui doit in fine dire : C’est comme cela ?
S'il y a un danger c'est l’État qui doit prendre ses responsabilités, c'est sa responsabilité.
Il y a d'autres responsabilités de l’État. Vous avez rappelé que j'avais la charge du Plan et on a découvert pendant cette épidémie à quel point nous étions désarmés ou, nous nous étions laissés désarmer sur un certain nombre de sujets essentiels. On a connu les masques, on a connu les tests. Mais il y a aujourd'hui même un sujet sur lequel les soignants se trouvent complètement désarmés : on ne trouve plus, ou presque plus, de gants médicaux pour faire les prélèvements et les infirmiers, les infirmières, lorsqu'ils ou elles ont besoin d'aller chez un patient malade, qui a des symptômes pour faire un prélèvement pour savoir si, oui ou non, il a été contaminé, s'ils n'ont plus de gants, alors il y a autour des gants une dérive qui s'est développée.
La boîte de gants chirurgicaux au début juillet coûtait 5 €. Aujourd'hui, elle en vaut entre 15 et 20.
Comment se fait-il qu'un pays comme le nôtre se laisse ainsi désarmer ? Les gants, c'est du latex, c'est de l’hévéa, c'est en Malaisie qu'on le trouve, je comprends que ce soit limité. Mais il y a deux autres sortes de gants qui ne sont pas en latex, qui sont en nitrile ou en vinyle, or ce sont des produits de la chimie, du pétrole.
Donc on peut-on doit pouvoir en produire autant qu'il faut.
Comment se fait-il que nous nous laissions désarmer ainsi ? C'est la responsabilité de l’État et le ministre de la Santé a dit au mois de juillet qu'il avait commandé des centaines de millions de paires de gants supplémentaires, tant mieux, mais où sont-elles ?
Politiquement, est-ce que vous avez ce sentiment, cette impression que l'on navigue à vue ? Est-ce exagéré quand on dit cela ou est-ce justifié ?
Non, on navigue en partie à vue, l'humanité navigue en partie à vue. L'humanité découvre au jour le jour une épidémie un virus qu'elle n'avait pas rencontré dans son histoire, ou en tout cas pas depuis la grippe espagnole qui a fait entre 40 et 50 millions de morts au lendemain de la guerre de 14 dont Apollinaire, dont je salue au passage la présence poétique auprès de nous.
Eh bien, 40 ou 50 millions de personnes, là, on vient de passer 1 million.
Oui, on a l'impression que l'on découvre et, de ce virus nous, nous ne savions rien. On a cru au début que c'était un virus bénin, ce n'était pas le cas. Nous avons découvert depuis à quel point il pouvait être agressif, notamment pour des tranches d'âge un peu plus âgées, et encore qu'il y ait des jeunes aussi qui soient gravement atteints
Votre portrait, François Bayrou.
Vous avez été, François Bayrou, député, ministre, chef de différents partis
Toujours du même sous des noms différents !
Ce qui représente 38 ans d’une trajectoire politique plutôt bien chargée et, Haut-Commissaire, c’est vrai que vous ne l’aviez encore jamais été.
Haut-Commissaire au Plan, à un poste qui, certes, a déjà existé par le passé, mais en le ressuscitant, reconnaissez qu'il a été subtilement ajusté à votre itinéraire et votre personnalité. Tout a été fait pour que vous puissiez rester maire, le maire de Pau et peu importe que vous cumuliez une fonction nationale avec un Exécutif local. Tout a été fait aussi pour que votre interlocuteur principal soit bien sûr le Président, de même que vous avez accepté une mission non rémunérée, peut-être pour ne pas faire réapparaître cette affaire des assistants présumés fictifs du Modem qui n'a toujours pas été soldée.
En tout cas, incontestablement, vous avez choisi aujourd'hui d'être dans la réflexion bien plus que dans l'action, ce que vous avez en réalité souvent privilégié, vous le paysan lettré, fier de ses Pyrénées-Atlantiques et qui a construit vraiment petit à petit sa carrière politique.
Le tracteur est un endroit sur lequel je réfléchis très bien ! La situation dans laquelle je m'éloigne de tout ce qui se passe de désagréable ou d'agité dans le monde politique.
Vous avez quand même un sacré savoir-faire.
À ce moment-là, nous sommes en 2007, à 56 ans c'est votre deuxième campagne présidentielle et votre image devant un tracteur est absolument parfaite. Cela dit, le spécialiste en communication politique a su régulièrement réfléchir et poser les bons diagnostics. On l'a complètement oublié, mais cinq ans plus tard en 2012, le « produire français » c'est vous, François Bayrou, qui en avez parlé le premier et qui avait su l’imposer. Ce n'est certainement pas Arnaud Montebourg qui, certes, l’a fort bien incarné, mais qui n’a fait que reprendre votre idée.
De la même façon, la dette, avant de devenir l’obsession de François Fillon, c'est encore vous qui avez repéré le sujet et qui avez poussé toute la classe politique à se positionner.
Dans le discours de Nicolas Sarkozy dimanche, il n'y a pas eu un mot sur le déficit et la dette.
Évidemment, on ne met pas au premier plan la question du déficit et de la dette, alors on est porté à dire : tout est possible.
Donc le haut-Commissaire, que désormais vous êtes, a déjà eu l'occasion de montrer qu'il avait du flair, à une exception près peut-être, votre conviction de voir rassemblées droite et gauche pour mieux réconcilier les Français.
Trois ans après, le bilan, pour l'instant, est loin d'être convaincant.
Il y a un sondage ce matin qui dit, entre autres, qu'Emmanuel Macron, le Président de la République, arrive en tête des intentions de vote et je trouve donc que ce rassemblement.
S’il y avait une élection présidentielle aujourd’hui.
Au-delà des questions de droite et de gauche, contrairement à votre diagnostic affûté, je trouve que ce rassemblement qui n'est pas exactement ce que je pense…
Est-il encore un président de droite et de gauche ?
Bien sûr, il suffit que vous regardiez l'effondrement de la gauche dans ce même sondage.
Lorsque la gauche, dans ce sondage IFOP de ce matin, présente un candidat unique il est à 15 % des voix, sur les trois courants qui la forment. Vous voyez bien qu’un grand nombre de Français se rendent compte que l'attitude la plus compréhensive, celle qui veut faire le plus avancer le pays, c'est le Président de la République qui la porte et donc ce diagnostic que vous faisiez avec sourire n'est pas exact.
Je voudrais dire quelque chose, je n'ai jamais pensé que mon combat politique, c'était réunir tous les camps, non.
J'ai pensé qu'il était anormal et stupide de vouloir présenter la vie politique française comme l'affrontement de deux camps, droite contre gauche.
J'ai toujours trouvé que c’était une stupidité abyssale et qui nous conduisait à la catastrophe.
Excusez-moi de regarder les États-Unis et vous verrez à quoi porte cet affrontement-là, à quelle dérive, à quelle stupidité malsaine cet affrontement porte.
J'ai toujours pensé qu'il y avait plus de deux courants, souvenez-vous, je suis allé à Toulouse un jour dire : Si vous dites que nous pensons tous la même chose, c'est que nous ne pensons plus rien,
Et j'avais raison sur le fond.
Vous avez été hué par le public, d’ailleurs !
Ils étaient là pour cela, si vous permettez. Pour moi, c'est très clair. Il y a plusieurs courants fondamentaux.
L'un de ceux-là est celui que l'on appelle central, du centre démocratique. Ce courant, qui aujourd'hui a une place importante dans les intentions de vote, est le seul à même de pouvoir réconcilier et dépasser les frontières.
Si on pense comme Christian Estrosi qu'en gros il y a un gros centre, centre-gauche, centre-droit, Emmanuel Macron et tout le monde autour et qu'il n'y a plus rien ou des extrêmes, est-ce totalement sain pour la démocratie quand on voit le nombre de gens qui votent ?
C’est cette espèce d’agrégation de tout le monde, les forces du bien.
Ce sont des questions formidables et, formidables, pas du tout au sens terrifiant, mais au sens rigolo du terme.
Pourquoi ? Quand la gauche l'emporte, personne ne dit : Est-ce sain pour la démocratie que la gauche l'emporte ? Quand la droite l'emporte, personne ne vient vous dire est-ce sein ?
La gauche a été aspirée, la droite est détruite. Maintenant, il y a Emmanuel Macron, centre-gauche et centre-droit et plus rien sauf Marine Le Pen.
Excusez-moi, mais j'ai le souvenir qu'un jour quand la droite l'a emporté en 1993, il y avait 29 députés du PS à l'assemblée tout le reste était à droite et vous n'êtes pas venus dire…
Mais qu'est-ce vous en savez ? !
Vous n’êtes pas venus dire : Est-ce sain pour la démocratie ? Non.
J’aimerais reprendre l’idée de Françoise Fressoz sur la malédiction de fin de mandat.
Non, on y vient après. Je vais vous répondre, car j'ai quelque chose à dire sur le fond dans cette affaire-là, pour parler pas seulement du présent, mais aussi du futur.
Quand c'est le courant central qui l'emporte, alors, on vient pleurer des larmes de crocodile en disant : « Mais comment ? Vous osez arriver devant les autres, vous osez leur prendre la place ? Mais est-ce sain ? »
Oui, c'est complètement sain.
Je crois qu'il y a quelque chose d'heureux dans la démocratie, c'est quand les gens qui pensent le plus juste l'emportent.
Je ne dis pas que c'est tout le temps comme cela, mais vous avez eu la gentillesse de noter que c'était arrivé dans mon histoire un certain nombre de fois de repérer les sujets qui allaient être vitaux pour l'avenir.
Donc il y a une phrase d’Anatole France que j'aime beaucoup et qui m'a servi de viatique pendant toutes ces années de combat, il dit : Nous aurons raison, parce que nous avons raison.
Allons un peu plus loin. La question, c'est celle des institutions.
Pourquoi on pose ces questions-là ? Parce que nous avons des institutions de tout ou rien, parce qu’il se trouve que l'organisation des choses fait que, quand la présidentielle est gagnée, alors aux élections législatives qui suivent, les autres courants disparaissent et ceci est malsain.
Il faut changer cela ?
Depuis longtemps, le moment est très important pour poser cette question, je prétends qu'il faut une loi électorale juste.
La proportionnelle.
Dans laquelle chacun trouvera, pour l'Assemblée nationale qui doit être le lieu du débat, le nombre de sièges qui doit avoir l'adhésion de ces contemporains.
Là, vous parlez presque d’une proportionnelle intégrale.
Je parle d’une proportionnelle départementale, celle que Mitterrand a faite en 1984/86.
Ce sera pour plus tard, on est d’accord ?
Cela dépend pour plus tard si l’on considère qu’en effet le combat ne doit pas être livré. Il se trouve que moi, non pas comme responsable, ou en partie, de la réflexion sur l'avenir, mais comme responsable politique, je pense que ce combat est un combat essentiel.
Avant la fin du quinquennat ? Vous pensez que les Français ont la tête à cela ?
On a jusqu'au mois de juin.
Regardez la vie politique américaine. Pourquoi est-ce qu’elle a pris ce tour de violence absolument destructeur pour le pays ?
Il y a deux raisons, il y en a une sur laquelle on ne s'interroge pas assez, c'est le financement de la vie politique américaine et une deuxième qui est que ces élections, ce sont des élections du tout ou rien. À une voix près on prend tous et à une voix de moins, on ne prend rien.
Si on accepte l'idée que la vie politique, c'est un pluralisme de courants, que l'on ne pense pas tous la même chose et que, d'une certaine manière, le débat adoucit les mœurs, il n'est pas normal et je vais dire quelque chose que j'ai vécu : à la dernière élection présidentielle, Marine Le Pen était au deuxième tour, elle se retrouve avec 4 ou 5 ou 6 députés à l'Assemblée. J'ai approché 20 % en 2007 je me suis retrouvé avec 2 députés à l'assemblée.
Tout ceci est anormal.
Je plaide pour que l'on ait une vie politique qui reconnaisse le pluralisme et où chacun trouve sa place.
Ce ne sera pas le blocage de la quatrième République car, entre la quatrième et la cinquième, il y a quelque chose qui a changé, c'est l'élection du Président de la République au suffrage universel.
De Gaulle disait : « nous allons enlever le gouvernement aux manœuvres de partis, il sera nommé par le Président de la République élu - comme on sait - en tenant compte des nuances de l'Assemblée Nationale. »
Si vous avez ce pluralisme et cette prééminence du Président, je trouve que ce serait bien et je trouve que tous les partisans de la loi électorale juste devraient s'allier pour que l'on en parle vite avant le mois de juin puisque c'est le mois de juin qui est la limite.
Puisque vous êtes chargé d’éclairer l'avenir, il y a un problème monstrueux sur lequel, on bute c'est la dette publique. Pierre Moscovici, le Premier Président de la Cour des comptes disait qu'elle avait augmenté en quelque semaine de 6500 € par Français, que cela atteignait des proportions catastrophiques.
Qu'est-ce qu’on va faire de cette dette ? Comment on va la rembourser ?
Au fond, ce sera la grande thématique de la prochaine élection présidentielle.
Est-ce qu’il faut dire la vérité aux Français ?
J'ai fait, dès le début de cette crise, des propositions précises sur ce sujet.
Vous savez à quel point, vous l'avez rappelé, je me suis inquiété de ce sujet.
Nous ne sommes pas devant une dette ordinaire. Nous sommes devant un cataclysme qui a submergé la planète sans que personne n’en soit responsable.
Ce n'est pas la même chose qu'une dette dont un pays qui se gère mal encoure la charge à raison de son incapacité à se gérer.
Donc, c'est de la bonne dette.
Celle-ci, en revanche, est une dette pour se sauver, pour maintenir la tête du pays hors de l'eau et pour se protéger…
Cela reste une dette, François Bayrou, il faudra bien la rembourser.
Attendez. J’ai donc proposé depuis le début que l'on isole la dette due à cette épidémie, qu'on la cantonne et que l’on se donne 10 ans - je crois qu'ils ont choisi 8, mais c’est la même idée - pour la rembourser, que l'on fasse un différé d'amortissement ou, en d'autres termes, qu'on la renouvelle le temps nécessaire pour venir, dans huit ou dix ans, la rembourser.
On pourrait aussi imaginer que la BCE décide de nous relayer dans ce report et dans cet effort et qu'elle soit remboursée dans quelque deux ou trois décennies.
Est-ce que vous trouvez crédible le discours du gouvernement de dire que l'on n'augmentera pas les impôts, qu'il y aura de la croissance, que tout cela permettra alors qu’on laisse aux jeunes un poids et une charge faramineuse ?
Pourquoi vous ne l’avez pas dit les uns et les autres pendant les trente années où je me battais tout seul sur ce sujet ?
Pourquoi avons-nous été si peu nombreux à considérer que c'était un problème national ?
Si on regarde l'Allemagne ils ont pu dépenser.
La vraie question, c’est pourquoi vous ne le considérez plus comme un problème fondamental ?
Jamais la dette n'a été aussi élevée et vous n’avez plus l’air de considérer que c’est un sujet majeur.
Pas du tout, je le considère comme un problème fondamental sauf que nous sommes placés dans une situation par la catastrophe mondiale qui s'est abattue sur tous les pays, qui a démembré les économies internationales.
Si l’on imagine le Plan dont vous êtes chargé, comment essayer de réfléchir à dix, vingt, trente ans lorsqu'on est extrêmement endetté, mais que l'on ne sait même pas à quel moment on pourra sortir, non seulement de la crise, mais de cette charge considérable qui pèse sur le pays.
Je comprends que vous ayez la question, mais je ne suis pas sûr que vous m'ayez bien écouté. Cette dette-là, je propose qu'on la cantonne, qu'on identifie clairement la part de cette dette qui a été dévolue à lutter contre l'effondrement.
Quand on s'effondre, il faut être là. C'est même la raison pour laquelle…
Oui, mais c'est rarement la personne endettée qui va décider non seulement de l'échéancier, mais qui, en plus, va discuter avec sa banque pour dire : « Ça, c'était vraiment exceptionnel », mais on va mettre cela de côté.
Là, excusez-moi, ce n'est pas de la France qu'il s'agit, mais de tous les pays du monde qui sont tous devant cette énorme échéance.
Nous, nous allons dépenser 1 % de plan de relance. Les États-Unis en sont à 5 ou 6 %.
C'est la Banque Centrale Américaine qui permet cela, mais il y a une question que vous ne posez pas : Où en serait-on s'il n'y avait pas la BCE ?
Où en serait-on si, par malheur à l’époque, le non à Maastricht l’avait emporté et que nous soyons aujourd'hui, nous, avec nos épaules limitées de la Banque de France, sous les assauts perpétuels de la spéculation qui ferait que l'on devrait payer nos emprunts 8 ou 10 % par an ?
Nous sommes sauvés par le choix de la BCE et, cela, cela nous permet de commencer à rembourser dans 8 ou 10 ans, quand les choses seront rétablies.
Un petit peu de politique politicienne : pour les régionales, on s’allie avec qui ? Quels sont les fronts pour les Régionales ?
Vous devriez examiner la question, vous de savoir si vous vous présentez et avec qui vous vous alliez !
Vous allez faire de grandes coalitions qui peuvent aller d’où à où ?
J'ai une vision qui n'est peut-être pas exactement celle de tous mes amis. Les élections régionales sont des élections régionales.
Cette tautologie-là, cette vérité première devrait nous entraîner à regarder la situation région par région.
Par ailleurs, la loi pour des élections de cet ordre, qui sont au scrutin majoritaire - dans un tel scrutin, l’emporte celui qui fait le plus de voix - doit être celle du rassemblement et d’abord, autant que possible, du rassemblement de la majorité. Puisque nous sommes, d'une certaine manière, attelés à la même responsabilité, il faut que l'on soit le plus uni possible.
Puis, après, on examine la situation.
Vous pouvez faire des alliances au cas par cas !
Vous devriez faire du journalisme politique !
J'essaierai !
Le référendum en Nouvelle-Calédonie vient d'avoir lieu. Le non à l'indépendance est en tête selon des résultats partiels. Il est en l'occurrence autour de 53 %, les résultats ne sont pas définitifs.
Ce serait donc le non à l'indépendance qui l'emporterait.
Si c'est cela, c'est une bonne nouvelle. Je trouve que la Nouvelle-Calédonie ne serait pas la Nouvelle-Calédonie sans la France et que la France ne serait pas entièrement la France sans la Nouvelle-Calédonie.
Je pense que cette terre lointaine présente un exemple.
Et l'aspiration à l'indépendance, à la décolonisation ?
On avance largement sur ce sujet et, comme vous le savez, il y a des autorités Kanak avec des provinces qui font avancer le sujet dans ce sens.
Ce n'est pas un résultat massif. Cela veut dire que la population est vraiment scindée en deux.
On verra quand on aura les résultats.
Je trouve qu'il y a là un risque.
Sur quoi va se jouer la prochaine présidentielle et comment éviter le sentiment d’enlisement ou en cas la difficulté à voir l'avenir depuis cette pandémie qui recommence en ce moment ?
La prochaine présidentielle va se jouer sur le sentiment des Français de savoir si le Président de la République a fait face aux problèmes du pays.
Dieu sait qu'il n'y a jamais eu de Président qui ait eu autant de tsunamis en face dans une si courte période.
Ce que je ressens, c'est qu'il fait montre d'un courage et c'est une vertu qui n'est pas si fréquente dans le monde politique.
Il s'occupe encore des Français ou il s’occupe plus des affaires internationales en ce moment ?
S'occuper des affaires internationales, c'est s’occuper des Français.
Si l’on ne comprend pas que le sort de la France se joue en Europe par exemple et dans les contacts entre la chancelière allemande et le Président de la République, mais je parle assez souvent avec le Président de la République sans jamais révéler quoi que ce soit de ce que nous nous disons, je puis vous assurer que son souci constant est la situation du pays et notamment, dans le pays, la situation de tous ceux qui se sentent coupés des pseudo-prétendues élites.
La question pour lui, mais j’en atteste et on vient de le voir dans ce grand discours sur le séparatisme, c'est la base, c'est la France que l'on prétend être la France d’en bas et cette France d’en bas…
On va devoir terminer. Une dernière question : est-ce qu’il y aura un arbre de Noël à Pau ou est-ce que vous trouvez que certains écolos ont tendance à dériver ?
Il y a un arbre de Noël chaque année dans la mairie.
Cela ne vous dérange pas d’avoir des arbres morts ?
Une chose toute simple. Que je sache, les écologistes aiment les constructions en bois.
Qu'est-ce le bois avec lequel on construit les planches et les poutres ? Ce sont les arbres, c'est le puits à carbone le plus efficace que l'on puisse trouver et l'arbre de noël, en plus, c'est de la lumière dans les yeux et je suis très content que ce symbole païen, car c’était un symbole païen, soit devenu le symbole de Noël.