François Bayrou, invité de l'émission "Dimanche en politique - Aquitaine" 

François Bayrou sera l'invité de l'émission "Dimanche en politique - Aquitaine" ce dimanche 11 février 2024. Découvrez en avant-première l'émission.

Sur le site de France TV : https://www.france.tv/france-3/nouvelle-aquitaine/dimanche-en-politique-aquitaine/5664402-emission-du-dimanche-11-fevrier-2024.html

Seul le prononcé fait foi.

Nicolas Morin : Bonjour François Bayrou. Merci d'avoir accepté notre invitation et de nous accueillir ici dans ce superbe Palais Beaumont. Jean Petaux est également avec nous aujourd'hui, politologue bordelais, pour évoquer longuement l'actualité de votre semaine François Bayrou, entre autres. Dans la première partie de cette émission, on va revenir sur l'actualité de ces derniers jours et il s'en est passé des choses : du procès à l'actualité plus politique du gouvernement.

Elise Daycard :  Et avant de parler politique, François Bayrou, comment allez-vous à la fin de cette semaine folle ? 

François Bayrou : Moi, je suis en pleine forme, mais j'aime bien les mouvements sportifs comme ça. Les moments de tension dans lesquels se révèlent des choses qu'autrement on ne voit pas, on ne perçoit pas, à la fois dans tous les acteurs de l'actualité et de soi-même.

J’ai cette espèce de goût, je ne sais pas comment on peut dire « sportif » « rugby ». Vous savez que chez nous, ça compte beaucoup. Et puis le sentiment que quand on peut ou quand on le choisit, de ne rien lâcher, de ne rien accepter, tout ce qui est inacceptable. Et de mener le combat. J’ai toujours aimé depuis tout petit Robin des Bois, Cyrano, notre compatriote en Aquitaine et Henri IV. Et donc c'est pour moi parmi mes moments préférés et je trouve, révélateurs. 

Nicolas Morin : Alors François Bayrou, d'abord, on va parler du gouvernement. L'élargissement du gouvernement, enfin au complet était annoncé jeudi soir. Avant de parler de votre cas personnel, les quatre membres du MoDem y sont toujours. Est-ce que vous êtes satisfait ? 

François Bayrou : Les quatre membres du gouvernement issus du MoDem avec des portefeuilles qui sont très importants et pour nous très importants, c'est à dire l'Agriculture, les Affaires européennes, la Famille et le numérique. Et si on regardait quatre enjeux majeurs de la société dans laquelle nous sommes aujourd'hui, qui sont là encore, à la fois moyens d'exprimer des angoisses de la société et de chercher des solutions et de regarder ce qui peut nous aider à nous en sortir : quatre portefeuilles qui sont très importants. Alors c'est comme toujours, quand on est à la tête d'une famille politique, on est heureux pour ceux qui y sont. Et on pense aussi à ceux qui n'y sont pas parce qu'ils méritaient ou qu'ils auraient mérité d'y rester ou auraient mérité d'y être. Mais oui, je trouve que notre place est mieux respectée. 

Elise Daycard :  Pourquoi avoir refusé de rentrer dans le gouvernement Attal ? Vous étiez candidat entre guillemets à l’Education nationale ? 

François Bayrou : Je n’étais pas candidat, j'étais chez vos confrères et on m'a demandé « Est-ce que vous accepteriez ? » Et j'ai dit oui. C'était lundi soir, sur le plateau de France 2, juste après la relaxe, j'ai dit oui, que j'étais disponible et dans mon esprit - et le président de la République le savait bien - pour un des grands domaines de crise du pays, parce que je suis très préoccupé par la situation de la France et dans mon esprit, il y avait au moins deux grands domaines de crise : un que je connais très bien et que j'aime beaucoup, et je crois que c'est réciproque, si j'ose dire, qui est le domaine de l'Education nationale, et l'autre qui est le domaine de cette rupture dont nous souffrons tellement dans tous les domaines, entre la base des Français et le sommet dont on croit ou dont on voudrait qu'il exerce le pouvoir.

Nicolas Morin : C’est l’aménagement du territoire.

François Bayrou :  Il y a l’aménagement du territoire, il y a la réforme de l'Etat, il y a la simplification, il y a le rapport des citoyens. Tout ça, évidemment, fait un système parce qu'on n’y réfléchit pas assez, mais toutes les crises que nous vivons : les agriculteurs, les paysans, les gilets jaunes, les profs, tout cela, c'est la même crise.

Nicolas Morin : Pourquoi ça n'a pas marché François Bayrou ? On a entendu le Premier ministre Gabriel Attal jeudi soir dire tout le bien qu'il pense de vous. On a aussi compris que vous aviez des divergences sur la manière de mener la politique de l’Education nationale. Il a indiqué que le peu de temps où il était ministre, il avait pris des mesures, des dispositions et que visiblement il souhaitait les voir mises en œuvre. Ce n'est pas du tout votre approche de l'Education nationale ? Vous avez parlé de divergences politiques profondes, ce sont celles-ci ? 

François Bayrou : Non, j'ai dit que nous n'avions pas trouvé l'accord politique profond. Ce qui n’est pas la même chose.

Elise Daycard : Vous parlez de différences d'approche sur la méthode à suivre qui était rédhibitoires. 

François Bayrou :  Oui, mais Gabriel Attal l'a dit hier soir. Il se trouve que j'ai des convictions en matière d'Education nationale et que ces convictions-là ne sont pas toutes en phase avec des orientations...

Jean Petaux : Sur l'uniforme, vous n'êtes pas d'accord.

François Bayrou :  Si, je pourrais l’être. Ce n’est pas un sujet majeur, mais sur l'uniforme, je pense que c'est intéressant. Mais il faut que ce soit choisi plus largement. Je ne crois pas aux injonctions pédagogiques qui viennent de Paris. Je pense que l'école, l'université, c'est sur le terrain que ça se joue. J'ai publié il y a un temps très long un livre qui s'appelait La décennie des mal-appris et qui avait fait un peu de bruit. J'étais très jeune et ça avait fait un peu de bruit à cette époque. J'étais très fier parce que j'avais eu le prix des lectrices de Elle et pour moi, ça valait le Goncourt. Et donc, dans ce livre-là, j'ai expliqué que la réforme de l'école, elle n'est pas administrative, que la réforme de l'école, c'est dans la classe qu'elle se passera si elle se passe. 

Nicolas Morin : François Bayrou est-ce qu'aujourd'hui, suite à ce qui s'est passé cette semaine - on a bien compris pourquoi vous n’êtes pas rentré au gouvernement, il n'y a pas eu d'accord – est-ce que vous vous considérez être dans la majorité ? 

François Bayrou : Oui. 

Nicolas Morin : Il y a des tensions. Comme on a vu quelques messages - notamment Jean-Louis Bourlanges - qui disent un peu que vous avez décidé tout seul. 

François Bayrou : Churchill disait une chose formidable et que j'essaie d'appliquer fidèlement. Il disait « Pour prendre une bonne décision, il faut toujours qu'on soit un nombre impair et ce nombre impair doit être nécessairement inférieur à trois ». Cette maxime de Churchill, c'est toujours comme ça que ça se passe. Que vous soyez président de la République, président de parti ou dans une circonstance de votre vie privée, au bout du compte, c'est en conscience que vous prenez les décisions. Et dans la vie politique comme au rugby, c’est la même chose. Il y a des moments où vous êtes obligé de réagir dans la seconde. Parce qu'autrement, si vous ne vous trompez pas, il y a des conséquences en chaîne qui vont compromettre l'action et réagir dans la seconde, oui, ça veut dire qu'il y a des jaillissements, des éruptions, comme disent vos confrères parfois. Et il ne peut pas en être autrement. 

Elise Daycard : François Bayrou, on va revenir sur l'actualité judiciaire puisqu'on le rappelle lundi, vous avez été relaxé en première instance dans le procès des assistants parlementaires du MoDem. Et jeudi, le parquet de Paris a décidé de faire appel. Est-ce que vous êtes l'homme à abattre François Bayrou ?

François Bayrou : Je crois que beaucoup de Français, ceux qui s'intéressent à ces choses, pensent quelque chose de cet ordre. Moi, je ne veux pas penser ce genre de chose parce que le complotisme est un mal de l'âme. Penser que perpétuellement, il y a des choses qui se trament et des manœuvres.

Elise Daycard : La concordance du calendrier était quand même un peu troublante…

François Bayrou : Je ne suis pas en train de vous dire que ça n'arrive jamais, que des bonnes ou moins bonnes intentions…. Je ne suis pas en train de vous dire que ça n'arrive jamais. Mais moi, ce que je ressens et ce que je vis, c'est que c'est un problème plus grave que ça. C'est un problème de machine judiciaire.

Elise Daycard : C'est-à-dire que la machine judiciaire veut aller jusqu'au bout, n'accepte pas cette relaxe.

François Bayrou : La machine judiciaire cherche ses propres raisons. Et la question, c'est les raisons d'intérêt général. Alors reprenons ensemble cette affaire que vous avez très bien suivie : sept années. Sept années d'enquête d'instruction avec un nombre phénoménal d'enquêteurs, de perquisitions, de mises sur écoute, de confrontations. Et puis des magistrats, des procureurs, des juges d'instruction. Et au bout de ces sept années sur la cible - j'étais la cible, le président l'a dit à l'audience - sur cette cible, on ne trouve rien. Alors de deux choses l'une : ou bien ils sont complètement manches, avec cette mobilisation phénoménale, ils n'arrivent à rien trouver, ou bien c'est qu'il n'y a pas de doute. Et ce que je vous dis, moi, ils n'ont pas trouvé un seul élément et ils n’en trouveront pas. 

Nicolas Morin : Alors pourquoi faire appel ? 

François Bayrou : Alors combien ça a coûté tout ça ? D'argent public et d'argent privé ? Des millions, pour nous 1 million et demi. Et pour l'argent public ? Des sommes du même ordre ! Il y a tant d'épouvantables choses à poursuivre dans la société : des trafics, des trafics d'êtres humains, des trafics de stupéfiants, de la violence. Et on se concentre sur quoi ? Les sommes en jeu, au terme d'un travail des enquêteurs et des juges d'instruction, c'est sur quinze années 200 000 €. 

Nicolas Morin : Jean Petaux, est-ce que cet appel du parquet, après la relaxe dont a bénéficié François Bayrou en début de semaine, est de nouveau quelque part une épine dans son pied ou une épée de Damoclès au-dessus de sa tête pour la suite, et peut-être pour une potentielle candidature à l'élection présidentielle 2027 ?

Jean Petaux : Je crois que le principal intéressé dira s’il ressent l'épine ou la silice dans la chaussure. Il y a un temps qui va être maintenant le temps du judiciaire pour l'appel et donc ça, d'une certaine façon, ça prolonge, j'imagine pour vous, cette épée de Damoclès…

François Bayrou : Non.

Jean Petaux : Ce que vous avez dit à l'instant, c'est qu'il n'y a pas de doute s’ils n’y arrivent pas. Sauf que dans la décision du jugement qui a été donnée, vous avez relaxé, relaxé au bénéfice du doute. 

François Bayrou : Alors 1, c'est toujours au bénéfice du doute. Je considère que ce type de remarques est diffamatoire.

Elise Daycard : C'est vrai, on s'est posé la question pour tout vous dire, lundi, quand on était dans la salle d'audience avec les confrères, on s'est posé la question : pourquoi avoir mis ça à la fin ?

François Bayrou : Probablement parce qu'il y a d'autres procès qui viennent de l'extrême droite à l'extrême gauche, au centre. Comme vous remarquerez les grands partis, les ex-grands partis, on n'est pas allé voir, il n'y a pas eu d'enquête préliminaire, même sur la même dénonciation. Je dis ça au passage. Les gens qui s'intéressent à ce sujet vérifieront que ce que je dis est vrai. Comme vous le savez, pendant sept ans, je me suis abstenu des grandes responsabilités nationales. Je me suis abstenu de déclarations sur cette affaire. Mais pour moi, cette affaire a été jugée. Il est - je vais choisir le mot le plus gentil - incompréhensible pour moi, comme citoyen, comme quelqu'un qui s'est vu confier les responsabilités de ministre de la Justice, c'est incompréhensible qu'on fasse un appel sur ça. Ou alors il n'y a plus jamais de décision de première instance. Et donc pour moi, je ne suis en rien gêné ou paralysé par cet appel. Ils trouveront dans les sommes considérables qui vont maintenant à nouveau être dépensées pour une affaire qui n'est pas fondée, ils trouveront exactement la même chose qu'en première instance, c'est à dire rien, car ces faits n’ont pas eu lieu. Un mot encore : le président du tribunal et le jugement disent : il n'y a pas d'enrichissement personnel, il n'y a pas d'emplois fictifs et il n'y a pas de système. Alors de quoi on parle ? De quoi parle-t-on ? Je vous donne simplement un chiffre pendant cette longue période de quinze ans : nous, nos députés européens - je rappelle que je n'étais pas député européen - nos députés européens ont eu 131 assistants parlementaires et les contrats qui sont mis en cause, à mon avis indûment, ces contrats-là, c'est 6 contrats à temps partiel, c'est six personnes à temps partiel, six personnes à temps partiel sur 131. Et on fait de ça une affaire d'Etat ? Sept années d'enquête et d'instruction, six semaines de procès. Alors, qu'est-ce qu'on fait pour un trafic de drogue ? Qu'est-ce qu'on fait pour un crime ? S'il y avait détournement d'argent public…

Elise Daycard : On rappelle que les députés européens ont été condamnés pour détournement d'argent public. 

François Bayrou : Avec sursis.

Elise Daycard : Avec sursis, oui.

François Bayrou : Laissez-moi une phrase encore parce que ce n’est pas tout à fait rien tout cela en enjeux, humains et qui ont entraîné des drames, en enjeux politiques, en enjeux financiers. S'il y avait détournement d'argent public, vraiment, alors pourquoi le sursis ?

Elise Daycard : Parce que c'est le code pénal.

François Bayrou : Non, pas le code pénal du tout. Pourquoi le sursis ? Qu'est-ce qu'on peut faire de plus inquiétant ? Et donc cette discordance entre les faits reprochés - et je répète : à tort et je répète : à tort - Je vais dire pourquoi. Nos députés européens sont poursuivis non pas pour ne pas avoir fait travailler suffisamment les quelques assistants parlementaires dont j'ai dit le nombre, la petite poignée d'assistants parlementaires. Ils sont soupçonnés de ne pas avoir travaillé assez pour leur député européen. Soit, c'est possible, mais ils sont poursuivis pour les avoir fait travailler pour le parti. Est-ce que ça a été expertisé ? Est-ce qu'on a regardé ? Moi, je dis qu’ils ne travaillait pas pour le parti. 

Elise Daycard : François Bayrou, on vient de le voir, vous avez été trois fois candidat à la présidence de la République. Est-ce que c'est d'actualité pour 2027 encore ? 

François Bayrou : Je ne renonce à aucun des droits d'un citoyen. Et si je voulais être complet dans ce que je dis, je ne renonce à aucun des devoirs d'un citoyen. Lorsqu'on pense que son pays est en danger, plus que ça, que pas seulement le destin d'une nation, mais le destin de ce que cette nation porte en Europe et dans le monde, alors on a le devoir d'y réfléchir. Mais je ne renonce à aucun de ces droits et à aucun de ces devoirs. 

Nicolas Morin : Le danger dont vous parlez, c'est la montée du Front national.

François Bayrou : Pas seulement. La France est un pays absolument singulier dans le monde, unique dans le monde. Pourquoi ? Parce que c'est un pays construit non pas autour d'un peuple, non pas autour d'une religion, mais autour d'un idéal. C'est très très rare, cela n'existe pas ailleurs. 

Jean Petaux : Je me permets de vous couper parce que je vais vous citer : Abus de pouvoir de 2009. Vous parliez d'idéal à la toute fin d’Abus de pouvoir, vous parliez même de vocation de la France. Vous dites à la fin « il n'est rien de plus libérateur que de retrouver sa vocation après l'avoir perdue. » Si on vous a bien entendu au début de l'émission, vous avez dit que vous considérez que maintenant vous êtes en toute liberté. Est-ce que vous allez donc retrouver cette vocation, éventuellement d'être candidat à la présidence ? 

François Bayrou : Je ne l'ai jamais perdue et pas seulement à une élection particulière ou à un mandat particulier, fut-il le plus important. Mais je reviens « Droits et devoirs » quand ce à quoi vous tenez le plus est en danger. Et ce qui est en danger, ce n'est pas seulement l'économie du pays, ce n'est pas seulement son équilibre, c'est l'idéal qu’il porte : la laïcité, on dit toujours liberté, égalité, on oublie le terme le plus important qui est la fraternité. La fraternité. Il faut réfléchir à ça, c'est de la philosophie de table de famille. La fraternité, ça n'existe pas sans la liberté, sans l'égalité. Les autres existent tout seul. La liberté, le libéralisme absolu de laisser faire, ça existe tout seul. L'égalité, on a connu des régimes qui prétendaient assurer l'égalité, ça existe sans la liberté. La fraternité, ça ne peut pas exister si les personnes ne sont pas libres et si elles ne sont pas égales. Et c'est quand vous réfléchissez à ça, vous vous dites ce patrimoine moral, il est en danger aujourd'hui, comme l'Europe est en danger dans son patrimoine moral et comme l'Occident est en danger sur son patrimoine moral.

Elise Daycard : On parle d'Europe au mois de juin, les élections européennes qui sont vraiment un élément clé pour la vie du pays. Est-ce que vous allez présenter une liste MoDem ? 

François Bayrou : La raison et la solidarité et le moment entraîne à présenter une liste qui rassemblera largement toutes les familles qui sont engagées dans ce combat européen. Et j'espère qu'il n'y aura pas de difficultés sur ce chemin. 

Nicolas Morin : L'Europe, c'est un chantier colossal. Aujourd'hui, ce sont peut-être les élections européennes les plus importantes de ces dernières années. Vous, l'Européen, convaincu est-ce que vous sentez que l'Europe peut basculer ? Il y a la montée des extrêmes droites un peu partout. Est-ce que l'Europe est en danger au niveau politique aujourd'hui ? 

François Bayrou : Oui, l'Europe est en danger au moment même où il suffit d'ouvrir les yeux pour voir que sans Europe, on ne peut rien faire. Ou alors c'est que nous n'avons pas les mêmes éléments. Songez à l'Ukraine et à la menace que Poutine fait peser en réalité sur tous les Etats européens et sur les valeurs de l'Europe, puisque, pour la première fois depuis Hitler, il a choisi d'aller attaquer un voisin pour le saisir par la force. Et on croyait que depuis 1945, au moins ça, nous était épargné et que les frontières seraient intangibles. C'est donc une menace incroyable.

Elise Daycard : Justement avec la montée des populismes européens qui sont plutôt pro Poutine. Il y a un réel danger.

François Bayrou : Il y a un très grave danger et c'est le moment même si vous regardez la Chine, si vous regardez ce qui se passe aux Etats-Unis, la société américaine est en train d'exploser et s'est révélée par cette élection présidentielle. Comme si la guerre de Sécession n'était pas finie. Comme si c'était encore le même prolongement de cette histoire qui a deux siècles. Et si vous regardez le Moyen-Orient et ce qui se passe. On a célébré dans un très bel hommage les victimes françaises du 7 octobre dans l'attaque terroriste du 7 octobre et puis les conséquences à Gaza avec cette offensive qui n'en finit pas et dont on a le sentiment qu'elle ne finira pas. Et ce qui se passe sur la mer Rouge qui a des conséquences incroyables sur le commerce international. Et en face de ça, il y a des gens qui nous disent : non, on va y aller tout seul. 

Nicolas Morin : Jean Petaux, quelle voix peut porter François Bayrou aujourd'hui en France sur ce vote aux élections européennes ? 

Jean Petaux : D’abord, il y a une grande tradition qu’il incarne. Pardon, c'est un héritage. Vous n'allez pas démentir je pense. C'est l’héritage démocrate chrétien qui a été essentiel en Europe, en France et en Europe. Parce que, sans revenir aux grands événements anciens, le Congrès de La Haye en 1948, qui fonde en quelque sorte l'idéal européen, trois ans après la fin de la guerre, il faut l'avoir en tête. Et puis après, bien sûr, on a en tête Robert Schuman. C'étaient des démocrates chrétiens. Il y avait aussi des socialistes, des sociaux démocrates. Ce sont les deux grandes familles et donc, d'une certaine façon, cette incarnation dans les propos, même si en France, on n'a jamais eu de parti qui s'appelait officiellement démocrate chrétien.

François Bayrou : Parce qu'on est un pays laïc. 

Jean Petaux : Exactement 

François Bayrou : Parce qu’on peut et c'est mon cas, être croyant et considérer que ce n'est pas la foi qui fait la loi. 

Jean Petaux : Voilà, il y avait juste un petit embryon de parti politique qui a pris cette appellation, mais ça s'est arrêté. Et là, je pense qu'effectivement, dans la perspective de ces élections de juin, le MoDem, en particulier par François Bayrou, a une voix à faire entendre, incontestablement.

Nicolas Morin : Est-ce qu'aujourd'hui, pour terminer cette partie sur les élections européennes, l'Europe peut garantir la paix en fait ?

François Bayrou : L'Europe ne peut pas garantir la paix. Mais la seule chance que nous avons de défendre la paix, c'est que l'Europe existe. C'est une condition pas suffisante mais nécessaire. 

Nicolas Morin : On va passer à la troisième partie de cette émission et on va se recentrer un petit peu plus sur votre ville, Pau, votre Béarn natal. Avec une question François Bayrou, vous êtes maire depuis 2014, depuis dix ans. À l'époque, vous disiez que c'était le rêve de votre vie politique. Vous le pensez toujours ? 

François Bayrou : Oui. Je n'ai jamais découpé l'engagement civique. C'est la même chose. Vous êtes un père de famille. C'est l'analogie qui existe pour moi le plus fortement.  Vous êtes un père de famille donc tout vous préoccupe : la ville dans laquelle vous vivez, dans laquelle vous voudriez que vos enfants vivent, les études, et donc les grands enjeux nationaux et européens, tout ça serait la même chose, les soucis d'un père de famille. Eh bien, ce sont les soucis d'un citoyen. Mais dans ces soucis-là, pour un homme politique, la ville de ses racines, permettez-moi de dire ça sans aucune intention péjorative à l'égard de qui que ce soit. C'est très rare qu'on puisse être élu chez soi. La plupart des hommes politiques, la plupart sont des parachutés ou des parachutages. Ils se font élire dans une circonscription qu'ils considèrent comme étant favorable ou que leur parti considère comme étant favorable. Et puis après ils s'en vont une fois battus ou vers d'autres destins, ils ne restent pas. Et la chance extraordinaire de pouvoir être élu par les siens. J'ai toujours considéré que c'était une partie importante d'un destin et ici, c'est la ville capitale de cette région capitale. On peut en faire exemplaire et elle a l'extraordinaire avantage d'être à dimension humaine. Comment vous pouvez trouver plus merveilleux ? 

François Bayrou : Vous disiez la chance d'être élu par les siens. Alors justement, on va revoir ce reportage réalisé par François Busson et Benoît Bracco juste après votre relaxe de lundi.

Reportage

Nicolas Morin : Tout le monde à Pau vous aime, c’est ça ? Même l'opposition dit du bien de vous.

François Bayrou : Je pense que tout le monde m’aime bien et apprécie ce qu'on fait. Après, être aimé avec adhésion, ça vient avec le temps, ça se sédimente. Mais c'est mais c'est formidable d'avoir un havre de compréhension chez vous et que tout le monde note les changements de la ville.

Elise Daycard : Voilà ce que je voulais vous dire. La ville s'est transformée et pourtant, il reste encore des points noirs et notamment le désenclavement de cette ville. Elle est située vraiment au sud aquitaine, avec un gros problème de transports ferroviaires, l'aéroport qui connaît de fortes, très fortes turbulences. Comment vous pouvez influencer pour désenclaver cette ville ?

François Bayrou : Vous savez bien, je l'ai dit que pour moi, un des deux principaux problèmes de la société française, c'est cette relégation de la province. Et nous, nous sommes - et pour moi, c'est une chance, je le dis tout bas - nous sommes la province la plus éloignée de Paris en distance kilométriques et en temps de transport. Et je considère qu'il est inacceptable qu'au cours des dernières décennies, cette grande ambition d'aménagement du territoire ait été en fait passée au deuxième plan. 

Elise Daycard : Pau est la victime collatérale de ce manque d'aménagement du territoire ? 

François Bayrou : Oui, de ce défaut ou de cet abandon d'aménagement du territoire. Regardez, vous parliez d’aviation. Air France, dans la crise qu'on a connue, l'Etat lui a apporté 9 milliards d'euros pour qu'elle passe le cap, d'argent public et sanitaire. Et Air France dit : on n'a pas d'obligation d'aménagement du territoire. Nous, notre seule obligation, c'est notre bilan, notre profit. Excusez-moi, vous n'êtes pas n'importe quelle compagnie aérienne, vous êtes le fruit de du travail des Français. 

Elise Daycard : On le rappelle à Pau, Air France d’est désengagé sur le vol vers Orly et maintenant il y a Transavia. Il n'y a plus qu'un seul vol aller-retour par jour. 

François Bayrou : Non, il y a quatre vols sur Roissy.

Elise Daycard : Oui sur Roissy mais sur Orly…

François Bayrou : Dans deux ans où il y aura la liaison ferroviaire rapide entre Paris et Roissy, ça changera un peu. Mais il n'empêche, on analysera tous les ans. Mais la responsabilité de la compagnie dans laquelle l'argent des Français a été, au travers des décennies investies, il n'est pas possible qu'elle soit abandonnée. Et vous disiez Il y a des difficultés, des tensions à Pau ? En réalité, parce qu'il y a à Lourdes un déséquilibre qui a été créé par un investissement d'argent public au détriment de l'équilibre avec Pau. Je suis persuadé qu'il faut que les deux aéroports et j'en ai parlé avec la présidente du Conseil régional d'Occitanie et j'en ai parlé avec les élus locaux et j'en ai parlé avec Alain Rousset, le président de la région Nouvelle-Aquitaine. Il faut que les deux aéroports soient rapprochés, il faut qu'ils soient articulés, il faut qu'ils soient complémentaires l'un avec l'autre. Le problème, c'est que c'est pour ça que je parle d'aménagement du territoire. Le problème, c'est qu'il arrive qu’on se retrouve devant des situations où c'est chacun pour soi. 

Nicolas Morin : Ce n'est pas un problème de Pau, Jean Petaux. C'est un peu le cas de toutes les villes de la taille de Pau dans ce pays, il y a un problème d'aménagement du territoire, de désenclavement, avec peut-être un pouvoir exécutif qui ne perçoit pas forcément…

Jean Petaux :  Tout à l’heure François Bayrou disait : « Je ne veux pas être méchant avec certains. » mais à l'évidence, certains élus sont hors sol, manquent d'imbrication dans les territoires. On pense en particulier à nombreux députés Renaissance ou la République en marche qui en 2017, se sont retrouvés un peu élus comme ça. Alors effectivement, il n'y a plus de grande politique d'aménagement du territoire par rapport aux années fastes des années 60, 70, voire 80. À partir de 80, les choses ont commencé à se détériorer très très nettement. Et là, typiquement, dans le cas précis de l'aéroport de Pau par rapport à Lourdes, eh bien là, on est dans une situation où on voit bien déjà comme c’est compliqué, par exemple sur la LGV Bordeaux Toulouse ou Bordeaux Dax d'avancer. C'est là que le territoire français - Jérôme Fourquet a écrit des choses définitives là-dessus – est archipelisé quelque part. 

François Bayrou : Mais vous voyez les causes ont des conséquences, et les conséquences ont des causes. On l'oublie tout le temps en politique. Je vais vous dire ce que je crois. Je crois qu'on s'est trompé. Je crois qu'on s'est trompé par cette attitude très intégriste en disant : on ne peut plus être à la fois maire et parlementaire. Cette décision interdisant ce qu'on appelle le cumul des mandats, le cumul des responsabilités entre une responsabilité locale et nationale, selon moi, c'est une erreur. On s'est trompé parce vous voyez bien à quel point le poids de la province est en train de décliner au profit de ceux qui vivent et sont nés ou ont fait leur vie dans la capitale.  

Jean Petaux : Vous dites toujours la province, c'est peut-être la transition avec Henri IV, mais c'est un terme d'Ancien Régime.

Nicolas Morin : Et on va en terminer là-dessus, cette partie, François Bayrou, si vous le voulez bien. 

Elise Daycard :  Oui, c'est la province contre les territoires. 

Nicolas Morin : On va parler du Béarn après mais on va vous écoutez-là-dessus. 

François Bayrou : Je pense que ça n'a jamais cessé d'être la province contre la capitale.

Alors ici, nous avons la chance d'être une capitale aussi puisque vous savez bien, c'était le royaume de France et de Navarre. La capitale de France, c'était Paris, la capitale de Navarre, c'était nous, c'était nous à Pau, et c'est, c'est assez profond si vous y réfléchissez. Mais oui, je pense que le poids relatif des 65 millions de personnes qui ne vivent pas à Paris ou dans la très proche couronne parisienne, je crois que ce poids relatif s'est affaibli et ce n'est pas normal. Et je considère que si on est responsable, il faut s'interroger sur les causes et la cause de cette fracture en disant d'un côté vous vous occupez de ce qui est de national, de l'autre vous avez le droit de vous occuper du terrain, ça ne correspond pas à l'histoire de France. 

Nicolas Morin : J'aimerais qu'on aborde maintenant le Béarnais que vous êtes. On va laisser un peu de côté la politique - pas trop, car la politique n'est jamais très loin de vous - pour évoquer le Béarnais. Vous êtes né à Bordères, pas très loin d’ici. Vous n'avez jamais quitté le Béarn ? 

François Bayrou : Jamais. 

Nicolas Morin : Pourquoi ? 

François Bayrou : Si je l’ai quitté pendant que je faisais des études à Bordeaux, 

Nicolas Morin : Jamais très loin : 200 kilomètres, 250 kilomètres de Pau. Pourquoi ? C'est votre engagement citoyen, votre engagement politique, votre vie, votre identité, votre culture ? 

François Bayrou : Oui, je suis un fils de paysan et mon père s'est tué dans un accident du travail il y aura dans un mois 50 ans et j'ai voulu reprendre ça. Je peux vous raconter une histoire que je n’ai jamais racontée. Quand je suis parti, étudiant à Bordeaux en hypokhâgne à Montaigne, ce qui était pour moi formidable. Et j'ai maintenant une fille prof de khâgne Bordeaux. Tout ça, c'est des boucles. Quand je suis parti, j'étais curieux de découvrir le monde. Je n'avais pas froid aux yeux, même si je connaissais grand chose du monde et je l'ai découvert. Et quand je suis rentré pour la première fois en vacances – à l’époque on rentrait tous les trois mois, j'ai dû rentrer pour les vacances de la Toussaint pour la première fois.

Nicolas Morin : Déjà l’aménagement du territoire était compliqué.

François Bayrou : Oui, il n'y avait pas de portable. On téléphonait à la maison une fois par semaine. Ou on écrivait. C'est un autre temps. Et quand je suis rentré, j'ai eu une révélation pour la première fois, j'ai vu les Pyrénées. Et là, j'ai été saisi par les Pyrénées et j'ai été saisi - les Béarnais comprendront ce que je veux dire - par le parfum de l'air, c’était les vacances de la Toussaint donc on venait de faire la moisson du maïs. Donc il y avait ce que cette odeur, ce parfum que vous connaissez bien dans l'air. Et j'ai redécouvert ou m’on’ été révélées en même temps, l'incroyable présence des Pyrénées et la formidable qualité de notre air de vivre. 

Elise Daycard :  Justement, vous parlez de la campagne, les pieds dans la terre. Quand vous avez vu cette crise agricole qui a déferlé sur la France, quelle a été votre réaction ? Est-ce que pour vous, les mesures gouvernementales sont suffisantes ?

Jean Petaux : Pourquoi vous ne seriez pas devenu ministre de l'Agriculture ?

François Bayrou : J'ai failli autrefois. Le ministre de l'Agriculture est un de mes plus proches et de mes bras droits. J'ai une grande confiance en lui. J'ai dit à propos de lui à un journaliste, il n’y a longtemps qu’au moins lui, quand les paysans le voient, ils savent que ce n'est pas la première fois qu'il met des bottes.

Elise Daycard :  Est-ce que vous l'aviez senti venir, cette crise agricole ?

François Bayrou : Elle vient depuis longtemps. Elle a une caractéristique que personne n'analyse et qui est incroyable : elle est européenne. Tous les pays européens - c'est parti d'Allemagne, comme vous le savez - c'est dans tous les pays d'Europe, partout et c'est une crise de civilisation. Parce que quelle est la principale souffrance des paysans ? Et on n'en parle jamais. Bien sûr, il y a tout ce qui est économique, tout ce qui est le revenu. Il y a tout ce qui est l'emploi du temps, de la charge de travail qui n'est pas payé à sa juste hauteur, les enjeux économiques, de commerce international, tout ça. La principale le drame des paysans, c'est qu’eux qui se vivaient comme étant les meilleurs connaisseurs et les meilleurs protecteurs de la nature, tout d'un coup, on leur fait le procès d'en être les abuseurs et ceci pour un métier qui est une vocation avec lequel vous vivez de la première heure du jour à la première heure de la nuit et pendant la nuit aussi, quand il faut. Je l'ai fait pendant des années se lever pour aller faire vêler une vache. Et évidemment, vous êtes appliqué à toutes les minutes de la vie. Mon père se levait, je me souviens très bien à 6 h du matin et tout et toute la journée et souvent la nuit. Vous êtes engagé. Et quand on vous prive de la légitimité d'être au moins ça, au moins les défenseurs de notre nature et de notre environnement, ça crée une souffrance inconsciente mais terriblement insupportable. Et donc, il est très important qu'on puisse, y compris dans le débat national le plus large ou européen, porter cette voix-là. Et il se trouve que le fait que la vie a fait que moi, je considère être cela être un de mes devoirs. 

Nicolas Morin : François Bayrou pour terminer cette émission, on va juste parler de votre goût pour la lecture, pour l'écriture, vous avez notamment écrit Henri IV le Roi libre en 1994.

Il est né à Pau. Il a redressé le pays. En une minute : est-ce qu'il y a une analogie à faire avec votre parcours ? 

François Bayrou : Ce serait prétentieux et je ne veux pas faire ça. Mais est-ce que c'est une inspiration pour moi ? Il n'y a aucun doute. Quand j'ai écrit cette biographie-là qui continue à se vendre, c'est incroyable 30 ans après, quand j'ai écrit cette biographie, j'ai dit ce n'est pas parce qu'il est béarnais, ça n’aurait été qu'anecdotique, mais ce parce que c’est l'homme qui a imposé dans notre histoire nationale et dans l'histoire du monde, la réconciliation entre ceux qui se faisaient la guerre, les protestants et les catholiques, et l'Edit de Nantes, qui est le premier pas vers la laïcité, c'est un accomplissement historique. Raison pour laquelle il est juste que cet homme né ici, à quelques centaines de mètres, une nuit de décembre 1553, soit le souverain préféré des Français. Ils ont raison.

Nicolas Morin : Et vous en parlez avec passion. Merci beaucoup François Bayrou d'avoir été notre invité aujourd'hui depuis le Palais Beaumont à Pau. 

Thématiques associées

Je reçois la lettre d'information du Mouvement Démocrate

Engagez-vous, soyez volontaires

A nos côtés, vous serez un acteur de nos combats pour les Français, pour la France et pour l'Europe.

Chaque engagement compte !

Votre adhésion / votre don

Valeur :

Coût réel :

20 €

6,80 €

50 €

17 €

100 €

34 €

Autres montants

Qu'est ce que la déclaration fiscale sur les dons ?
Filtrer par