Soirée-débat à Roubaix : la culture, arme essentielle contre la désinformation

Mercredi 11 juin, à Roubaix, a eu lieu une soirée-débat sur le rôle de la culture dans une société où les émotions et les croyances irrationnelles prennent souvent le pas sur la réflexion. Frédéric Lefebvre (président du MoDem 59, conseiller régional, conseiller métropolitain et adjoint au maire à la culture et au patrimoine à Roubaix) nous a chaleureusement accueillis : autour de lui, Mathilde Desjonquères (historienne, ancienne parlementaire du Loir-et-cher et co-animatrice du village Arts et culture), Alice Bernard-Montini (présidente des Jeunes Européens et représentante de l'IED) et Olivia Leboyer (docteur en science politique, animatrice d'Université 133). Plusieurs élus locaux, de Roubaix, Lille, Tourcoing, Douai, Marcq-en-Baroeuil étaient présents pour échanger sur ce sujet crucial.
Au temps du numérique, la politique, la formation de l'opinion publique, la construction et la formulation même des problèmes se transforment. Notre rapport au temps et à l'espace est transformé en profondeur : nos croyances aussi, d'une certaine manière. Si la mésinformation est simplement une information fausse, la désinformation implique une intention de tromper.
Au niveau géopolitique, nous observons de plus en plus des stratégies de désinformation massives, qui exploitent sciemment les peurs et les angoisses diffuses au sein de nos sociétés. Dans la guerre contre l'Ukraine, la Russie a ainsi sciemment inversé le sens des valeurs en construisant un contre-récit où le mouvement Maïdan relève du nazisme et où l'Ukraine devient l'agresseur. Aux Etats-Unis, les élucubrations du président Donald Trump font fi de la vérité et assènent des affirmations volontairement choquantes. Le discours de J.D. Vance à Munich sur la défense de la liberté d'expression est un modèle du genre. Ces stratégies jouent sur les failles des démocraties libérales pour les attaquer en leur cœur. Cette phrase d'Hannah Arendt mérite attention : "Dans un monde incompréhensible (...) les masses avaient atteint un point où elles croyaient en même temps à tout et à rien, où elles pensaient que tout était plausible et rien n'était vrai." (Les origines du totalitarisme, 1951)
Les fake news représentent un danger véritable, même pour qui est a priori armé pour les repérer. Le flux d'information est tel qu'il est difficile de maintenir une vigilance constante. De plus en plus de bulles d'algorithmes enferment des groupes dans des spirales complotistes. C'est ce qu'explique notamment Gérald Bronner dans La démocratie des crédules. Face à un constat inquiétant, nous ne devons pas tomber dans la déploration ou le "c'était mieux avant". En soi, le numérique n'est ni bon ni mauvais, il constitue même un extraordinaire outil de découverte pour qui apprend à s'en servir.
C'est là le mot : comme en cuisine, où l'on apprend à combiner et cuire les aliments, les nouveaux codes, langages et comportements nécessitent un apprentissage. Frédéric Lefebvre montre que la politique culturelle ne doit pas être imposée sur un mode élitiste : un accompagnement est nécessaire pour parvenir à toucher ceux qui n'iraient pas spontanément vers l'offre culturelle, rendue encore plus profuse sur le net. La lecture publique, par exemple, dans une médiathèque, permet d'échanger en vrai, dans un lieu convivial. L'ouverture des médiathèques le dimanche est un moyen d'attirer davantage de jeunes vers ces espaces. Par la voix, l'écoute, l'explication, les textes prennent une autre dimension. La transmission est essentielle. De même, dans les musées, Frédéric Lefebvre recommande une approche interactive, où l'on n'est pas seulement spectateur. Les visites au musée devraient constituer une expérience, où l'on apprend à former son regard pour mieux décrypter ce qui nous entoure. Les tableaux ne véhiculent-ils pas, d'une certaine manière, les premières fake news ? On sait que l'art du portrait consiste à se présenter plus beau, plus riche, plus paré d'attraits que l'on n'est.
Dans le Loir-et-Cher, Mathilde Desjonquères a mené plusieurs actions culturelles, guidées par le souci d'amener la culture vers les gens, dans les rues : mettre des bibliothèques en lien avec les écoles, assurer leur gratuité, y créer des expositions temporaires. Les expositions, les spectacles sont des lieux d'échanges et de vie, où l'esprit critique se forge dans la discussion. L'association Loir-et-Cher Tech a confié une animation à une association spécialisée dans l'inclusion et l'acculturation. De la même façon, à Roubaix, une initiative très intéressante se développe : les petit-déjeuners de la Tech, qui visent à familiariser des personnes très éloignées du numérique avec ces outils, dans un cadre agréable et convivial.
Car nous sommes tous tombés d'accord sur ce point : les barrières psychologiques persistent. Le sentiment de déclassement est une réalité. Si la rencontre, le déclic ne se produisent pas, certains n'iront pas vers les propositions culturelles disponibles parce qu'ils ont intégré l'idée que cela n'est pas pour eux. C'est la thèse de Pierre Bourdieu, sur la reproduction. Pour ceux qui n'ont pas les codes, la médiation est une nécessité : par l'école, par les associations, par les bibliothèques et médiathèques, par les festivals. Alice Bernard-Montini développe cette idée du sentiment d'illégitimité et s'interroge sur ce que l'IA transforme dans notre rapport au monde et dans nos comportements. L'IA peut aussi se révéler un merveilleux outil de créativité. Encore faut-il que son usage soit régulé. Au niveau européen, cette action est vitale. L'Union européenne, précisément, est très souvent la cible de fake news, diffusées par des eurosceptiques. Des ponts culturels comme Erasmus, Arte, permettent de mieux appréhender les cultures dans leur diversité et de ne pas céder à la facilité de la peur de l'étranger.
Très riche en interrogations, la discussion a montré l'attention portée, au Mouvement Démocrate, à la lutte contre les inégalités de destin. La culture ne doit en aucun cas être un pré carré réservé à une élite. De même, penser que l'on détient telle certitude sur le bon goût est assez dangereux, même s'il est important, bien sûr, d'acquérir des connaissances et une méthodologie. Mais, là encore, l'apprentissage doit se faire ensemble, dans un esprit de curiosité et de questionnement.
Des livres pour aller plus loin :
- Post-vérité : la crédibilité du discours scientifique à l'heure des "faits alternatifs", sous la direction de Charles Mercier, Jean-Philippe Warren et Régis Malet, Presses universitaires de Rennes, Essais, avril 2025.
- France Forum numéro 416 (été 2024) : Comment le numérique (dé)fait la démocratie, préfacé par Jean-Noël Barrot, avec une interview de Marina Ferrari (anciens ministres délégués au numérique)