?? François Bayrou, invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFM TV et RMC
François Bayrou était l'invité de Jean-Jacques Bourdin dans la matinale BFM TV/RMC ce jeudi 3 septembre 2020 à 8h35.
Retrouvez ci-dessous la retranscription de l'interview :
Bonjour François Bayrou.
Bonjour.
Maire de Pau, président du MoDem et bientôt officiellement - car ce n'est pas encore officiel - vous serez nommé en Conseil des Ministres au Commissaire au Plan et à la Prospective, rattaché au Premier ministre.
Je ne sais pas ce que ce mot rattaché veut dire. C'est une autorité…
Indépendante…
Créée à la demande du Président de la République avec une lettre de mission du Président de la République et dont évidemment les moyens dépendent de la Fonction publique, c'est-à-dire du Premier ministre.
15 M€ de budget par an une centaine de collaborateurs et, vous, bénévole ? Des frais ?
Sans rémunération. Ce n'était pas très pratique, car il a fallu travailler les décrets car cela ne s'était, à la connaissance des spécialistes, jamais fait, mais c'est pour une raison très précise et que vous connaissez très bien.
Nous sommes dans un temps totalement obsédé par la question des privilèges : qui gagne quoi ? Combien gagne-t-il celui-là où celle-là ? Et si en réalité il va servir l'intérêt général, ce n'est pas pour l'intérêt général c'est pour lui, pensent les critiques qui sont nombreuses dans ces cas-là.
Parfois justes ?
Il n'y avait pour moi qu'un seul moyen de couper court à cette question, c'est de dire : écoutez, je le ferai sans rémunération.
Vous avez précisé votre rôle car vous l'avez pensé, vous l'avez réfléchi.
Le journal l’Opinion que vous lisez tous les matins vous représente ce matin allongé sur un tas d'or, ravi et vous dites : c'est mieux qu'être Président en fait et, vous rajoutez, l'homme providentiel qui va sauver la France.
Seriez-vous devenu l'homme providentiel qui va sauver la France ?
C'est bien de sourire et j'apprécie beaucoup le dessinateur de l'opinion qui est de surcroît le fils d'un de mes meilleurs amis et donc j'apprécie beaucoup, mais pour moi cela ne prête pas à sourire.
Qu'a-t-on découvert pendant cette crise ? Vous et tous les Français et moi, bien que j'aie depuis très longtemps plaidé pour la création de cette autorité qui a la charge de mettre l'avenir au cœur du présent.
Oui, inspirée par Jean Monnet.
Oui, inspirée par le Général de Gaulle.
Les pages les plus éloquentes, les plus fermes sur ce sujet de la nécessité de mettre l'avenir au cœur des décisions publiques et du débat public, c'est le Général de Gaulle qui les a écrites dans ses mémoires.
Vous savez le mot qu'il a utilisé ? Il a dit : « Le plan - on va dire dans une minute ce que c'est aujourd'hui - c'est une ardente obligation ».
L’obligation, elle ne doit pas être vécue seulement comme : on est bien obligé de le faire, mais avec l'ardeur - vous savez que c'était un mot que de Gaulle aimait beaucoup - qui caractérise les tâches auxquelles on se donne parce qu'on y croit.
Qu'allez-vous faire ? Éclairer les choix du Président de la République, éclairer les choix du Premier ministre ?
Et participer au débat public.
Contrairement à ce que l'on croit ce n'est pas les décideurs qui sont les chefs, c'est l'opinion et la maturation de l'opinion.
Pendant De Gaulle, l'État commandait aux entreprises, ce n'est plus le cas.
Heureusement d'une certaine manière.
J'avais commencé la question : qu'a-t-on découvert ? On a découvert que, devant une épidémie qui était prévue aux mots près dans des rapports très importants officiels, le Livre Blanc de la Défense par exemple en 2007 qui écrivait précisément ce qui pouvait se passer, l'État, le pays tout au long de cette période ne s'est pas armé.
Cela veut dire qu'aucun responsable politique n'a lu ces textes-là et aucun responsable politique n'a eu une vision d'avenir ? C'est ce que vous laissez entendre ?
Je pense qu'ils l'ont lu, mais ils avaient l'impression que c’était moins urgent que d'autres choses, que c'était des menaces lointaines.
C'est une réponse à la dictature de l'instant ?
C'est exactement, au mot près, cela, c'est la juste définition. Nous vivons, vous vivez, vous en êtes un des acteurs majeurs, avec la seule préoccupation de l'immédiat, de l'instantané, du scandale, de l'accident, de la mise en cause, de la mise en accusation, de qu'est-ce on va faire ?
J'ai écrit dans un de mes livres : Les chinois gouvernent à 30 ans et nous parfois même pas à 30 jours.
Nous les pays occidentaux et nous la France.
Or, pour la France, ceci est vital. Ce que les Français ont vu pendant cette épidémie, ce n'est pas seulement que l'on n'était pas prêt, on n'avait pas les masques, on n'avait pas les respirateurs, les tests, on n'était pas prêt, toutes ces choses.
Mais, tout d'un coup, nous avons découvert avec stupéfaction que nous n'avions plus de produits anesthésiques pour les opérations, le fameux curare, il n'y en avait plus en France ni en Europe. On n'avait plus d'antibiotiques, on n'avait plus de corticoïdes, on n'avait même plus de Doliprane, de paracétamol, on n'avait plus de produit pour les traitements contre le cancer.
Ces familles de produits vitales pour la France qui est un grand pays médical, un grand pays de pharmacie, eh bien, tout d'un coup, les approvisionnements étaient rompus.
Alors est-ce qu’un pays comme le nôtre et une union comme l'Union européenne car tout cela concerne évidemment tous les pays de l'Union européenne, comme celui que nous avons construit au long des générations peut être à ce point dépendant d'approvisionnements extérieurs que nous ne contrôlons pas et qui, dans une crise, disparaissent ?
Ce plan, c'est aussi un plan de patriotisme économique.
C'est un plan d'indépendance.
Au fond, on doit viser trois choses, on doit viser l'indépendance du pays et, pour moi, ce n'est pas différent de l'indépendance de l’Union européenne, il y a des productions qui sont des productions vitales et que nous n'assumons plus, que nous avons laissé partir car les arbitrages à l'intérieur des entreprises ou les arbitrages de ceux qui possèdent les entreprises ont jugé que, pour l'entreprise, c'était intéressant de vendre, ce que je comprends très bien. Mais la responsabilité de l'État, c'est de faire que ce soit l'intérêt général qui soit pris en compte et pas seulement les intérêts particuliers des entreprises.
Premièrement l'indépendance.
Deuxièmement, la prospérité. On ne peut pas vivre avec des effondrements de production et d'emplois comme ceux que nous avons rencontrés
Et troisièmement, pour tout cela, il faut un projet de société doit être à mes yeux un projet de justice car vous sentez bien que cela travaille la société française, comme d'autres pays.
Est-ce que ce que l'on fait est juste ou est-ce seulement pour le bénéfice de quelques-uns ?
Ce souci doit être placé au cœur de notre réflexion, une série de questions dont on ne parle jamais dont on ne traite jamais et dont ma mission sera de les défendre dans le débat public.
Est-ce que vous hésiterez à dire au Président de la République ou au Premier ministre qu'ils font de mauvais choix ?
Vous irez jusque-là ? Votre indépendance ?
Je ne crois pas avoir la réputation d'hésiter trop souvent. Je n'hésiterai pas, mais tout le but de ma mission, ce n'est pas d’entrer en conflit avec les décideurs, c'est…
Les aiguillonner, leur indiquer la voie à suivre ? Le chemin à suivre ?
Non, ce sont eux qui choisiront, mais de présenter des options cohérentes sur des sujets essentiels. Je vais en citer un.
Vous êtes un Premier Ministre bis, François Bayrou ?
Non.
Comment non ?
Il se trouve que j'ai la chance, cela ne m'est pas arrivé souvent…
Une centaine de collaborateurs, à Matignon peut-être !
Non ! Il se trouve, ce n'est pas arrivé souvent dans ma vie, que je suis en accord profond, je crois, avec le Président de la République et avec le gouvernement.
Je trouve que ce qu'ils font, ce que fait le Président de la République au Liban ces jours-ci, ce qu'il fait en Irak, cette capacité inédite à prendre le taureau par les cornes sur les pays, les régions les plus dangereuses de la planète, celles qui menacent l'équilibre même de notre société, de notre pays aussi, je trouve que cela vaut la peine d'être soutenu et salué et ce que fait le Premier ministre aussi.
Je vais revenir mais je m'arrête là une seconde. Une question me vient à l'esprit qui est sous-jacente : vous dites le Président de la République agit parfaitement au Liban ou ailleurs dans le monde, mais tous les présidents de la République française ont l'air d'agir bien mieux à l'extérieur qu'à l'intérieur.
Ce n'est pas vrai ?
Je suis en désaccord avec cette idée.
Pourquoi ? Parce qu'il est plus difficile peut-être de gérer la France que de parcourir le monde pour aller essayer de résoudre tel ou tel conflit ?
Là, je ne dis pas le contraire.
Il se trouve que la France est un pays comme chacun sait qui n'est pas évident à gouverner, mais le choix que le Président de la République vient de faire, c'est un choix qui vise à retrouver, défendre aux yeux de l'opinion ce qu'il considère comme essentiel pour sa fonction, c'est-à-dire la fixation des caps majeurs, des caps cruciaux pour l'avenir de la France et dans l'Union européenne.
Ceci est précisément la mission du Président de la République. Vous avez tout à l'heure employé le mot juste : on vit dans la dictature de l'instant.
Les décisions qui sont prises le sont sous votre pression, je dis vôtre au sens large, sous la pression médiatique, sous la pression des réseaux sociaux, sous la pression de l'opinion publique, et il est bien qu’il en soit ainsi, mais si on peut équilibrer tout cela en disant : il est légitime que l'immédiat soit pris en compte, le plan de relance qui vient d'être annoncé ce matin par le Premier ministre et le ministre de l'Économie, c'est évidemment une réponse à la crise si incroyable, sans précédent, que nous sommes en train de vivre. Et c'est très bien comme cela, mais il faut aussi que ce soit situé dans une vision de la construction d'avenir et donc je cite une question très simple dont on ne parle jamais.
La démographie de la France qui a été pendant très longtemps le pays en Europe dont la natalité, le renouvellement des générations se faisait mieux que chez les autres, la population allemande chute, c'est d'ailleurs probablement une des raisons pour lesquelles Angela Merkel a accepté un million de réfugiés du jour au lendemain pour qu'il y ait un meilleur équilibre de la population allemande, la population espagnole chute et, nous, nous avions la chance d'avoir un renouvellement des générations qui faisait que notre population continuait lentement à croître.
Il se trouve que cela baisse, cela baisse beaucoup à certains égards et donc c'est un sujet dont on peut parler ensemble.
Vous allez vous en emparer ?
Par exemple, les sujets d'indépendance industrielle que j’indiquais à l’instant, on vit tous avec les objets électroniques. Nous sommes incapables d'assurer la production des éléments électroniques indispensables à tous les objets que nous avons sous les yeux.
Si, un jour, il y a une rupture d'approvisionnement, on se trouve devant une crise incroyable.
La décision à mes yeux la plus exemplaire qui ait été prise par l'Union européenne, c'est Galileo.
On a tous des GPS dans nos voitures, le GPS situe votre position par rapport à des satellites. Jusqu'il y a quelque deux ans, ces GPS étaient tous américains.
Il suffisait qu'une décision extérieure à nous coupe le signal, nous n'avions plus de possibilités de diriger nos voitures, nos chars d'assaut, nos avions, etc.
On a construit l'équivalent des satellites américains dans un système européen qui nous rend indépendant qui s'appelle Galileo.
Votre rôle sera de réfléchir à tout cela.
François Bayrou, c'est une revanche pour vous ?
Non.
Franchement, dites-moi franchement ? Allons-y ! Auriez-vous aimé être Premier ministre ?
Je n'ai jamais réfléchi comme cela.
François Bayrou ! Franchement !
Ne faisons pas semblant de ne pas nous connaître, on se connaît assez bien.
Je vous pose franchement la question, vous auriez aimé être Premier ministre ?
J'aurais sans doute fait vraiment le mieux que je pouvais pour cette fonction, mais il se trouve que je n'ai jamais vécu avec l'idée que, au fond, ce serait dans ces fonctions pour moi que se trouverait mon bonheur, mon plaisir, ma réalisation.
Peut-être mais il n'empêche…
Jamais, vous entendez ?
Quand on est Premier ministre, on peut agir. Là, comme Commissaire au Plan, vous allez pouvoir agir, nous verrons comment, vous allez accomplir cette fonction.
Sur le plan de relance, 100 milliards, éviter un effondrement économique de la France, c'était indispensable.
C'était vital.
Est-ce que les choix faits vous paraissent les bons ?
Oui, je pense qu'ils ont travaillé sérieusement pour trouver cet équilibre qui était défendu depuis longtemps, c'est-à-dire éviter l'effondrement des entreprises, faire un pas pour la protection de l'environnement et choisir des caps pour l'avenir.
J'en ai cité un car il est crucial, en matière de pharmacie, nous ne produisons même plus les médicaments essentiels, pour de grands pays français, allemand qui ont été les leaders de la pharmacie dans le monde.
Oui, je pense que ces choix vont dans le bon sens.
Mais tout à l'heure vous disiez : vous avez la nostalgie ou c'est un retour au premier Plan, je ne sais pas quoi, je ne cherche pas et je ne chercherai pas le pouvoir.
Je pense qu'il y a des moments où l'influence…
Vous l'avez depuis que vous êtes là. Vous allez l’avoir, ce pouvoir.
Ce n'est pas du pouvoir.
Avec votre dialogue direct avec le Président de la République, vous en avez parlé avec lui avant d'être nommé.
Beaucoup.
Je le sais, c'est pour cela qu'il vous a choisi parce que vous lui avez exposé vos idées donc vous avez ce pouvoir. Un dialogue direct.
Ce n'est pas un pouvoir, c'est une confiance et peut-être une influence, et c'est de cela dont on a le plus besoin.
Sûrement une influence.
En tout cas, pour moi, cela justifie davantage un engagement que de vouloir à tout prix avoir des galons sur les épaules et voir se déployer les tapis rouges.
Ce n'est pas mon idée.
Tout le monde va se méfier de vous maintenant… Tout le monde va dire : Oh là là, il va aller voir le Président…
Vous allez peser sur la politique, vous allez repeser sur la politique nationale fortement, François Bayrou, vous le savez.
Votre expression signifie que vous croyez ou vous faites semblant de croire que j'aurais cessé de participer à la politique nationale depuis trois ans.
Je n'y crois pas du tout.
Et que, jamais, je n'ai défendu des idées.
Vous êtes discret.
Oui, j'aime bien cela.
Je sais.
Dans le livre de Nicolas Sarkozy, vous êtes épinglé, il paraît que votre tempérament profond vous porte à une détestation de toux ceux qui ont réussi là où vous avez échoué.
Il ajoute, parlant de vous : « il a toujours trahi ceux qu'il a choisis, Emmanuel Macron en fera l’amère expérience. »
C'est ce qu'il écrit.
C'est un peu difficile car tous ces passages semblent prouver que Nicolas Sarkozy continue à faire une guerre éternelle - il a quitté le pouvoir depuis bientôt dix ans - et qu'il a choisi comme cela pas seulement moi, mais Jean-Louis Debré, quelques personnalités comme cela pour ne jamais se poser la question de ses responsabilités à lui, car moi je considère que, si les hommes politiques perdent, c'est souvent de leur faute.
Et j'avais avec Nicolas Sarkozy un affrontement sur le fond et dont vous savez quelle était la nature.
Nicolas Sarkozy avait choisi de faire sa fortune électorale en divisant les Français dont il avait la responsabilité de réunir en opposant les uns aux autres ce qui est, pour moi, le contraire de la mission d'un Président de la République.
Donc, lui, poursuit cette guerre, moi pas.
Pour tout vous dire je ne pense pas souvent à Nicolas Sarkozy dans la vie de tous les jours et je n'ai pas envie d'entrer en conflit.
Alors, je vais passer à Christian Estrosi, un mot de politique, qui souhaite que la droite, les Républicains, trouve un accord avec Emmanuel Macron pour la présidentielle de 2022.
Bonne initiative que vous soutenez, que vous approuvez ?
Je pense que l'idée que le Président de la République deviendrait le candidat d'un camp contre l'autre est une idée non seulement absurde, mais qui est le contraire de la mission d'un Président et le contraire de son engagement.
Il dit : Il sera le candidat, non pas des progressistes, c'est lui qui le dit, contre les nationalistes.
Je ne crois pas. Je ne sens pas les choses comme cela et je crois que, lui, ne les sent pas exactement comme cela.
Il est le candidat de la réunion des Français, du rassemblement des Français.
Il sera candidat en 2022.
Il dit à juste titre que le but de son engagement, c'est précisément de dépasser ces affrontements stupides.
En tout cas je n'approuve pas l'idée que l'on referait les camps les uns contre les autres. Une droite qui se renouvellerait.
Toute ma vie j'ai été au centre. Qu’est-ce que cela veut dire être au centre ? Cela veut dire que l'on considère qu'il n'y a pas que la droite et la gauche, qu'il y a un courant original capable de rassembler les gens et de dépasser les frontières.
Je crois que le Président de la République est plus proche de cette idée. Alors qu'il y ait, dans les deux camps, des responsables qui réfléchissent et qui disent : finalement dans l'état du pays, cet homme, eh bien il fait le travail qui est nécessaire pour l'avenir et il mérite le soutien.
Alors cela, je trouve que c'est louable, mais je ne suis pas pour reconstituer les camps.
Merci François Bayrou.