Tribune : "Adoptons le scrutin proportionnel pour élire les députés, il y va de l’avenir de notre démocratie"

Tribune proportionnelle

Le scrutin majoritaire accorde tout le pouvoir au vainqueur, qui ne représente qu’une minorité, sans avoir réussi à freiner la progression du Rassemblement national. Un collectif de chercheurs et d’élus, parmi lesquels notre Secrétaire générale, Maud Gatel, estime urgent, dans une tribune au « Monde », de passer à la proportionnelle.

Social, fiscalité, migrations, environnement, éducation, sécurité… Nos opinions peuvent diverger sur de nombreux sujets. Nous partageons cependant la conviction qu’il faut modifier d’urgence le mode de désignation des députés à l’Assemblée nationale, pour adopter un mode de scrutin proportionnel. Il y va de l’avenir de notre démocratie.

Tout d’abord, dans son principe même, le scrutin majoritaire actuel ne permet pas une représentation équilibrée des différentes sensibilités de la société française. En donnant tout le pouvoir au vainqueur, il autorise finalement des courants politiques qui ne représentent qu’une minorité de la population à gouverner et à modifier les lois de la République, sans avoir à tenir compte de l’avis de la majorité de nos concitoyennes et concitoyens.

De ce fait, il contribue à délégitimer la représentation nationale aux yeux de beaucoup et alimente un abstentionnisme croissant, qui risque, à terme, d’être fatal à notre démocratie. Rappelons que, lors des élections législatives de 2022, seuls 37 députés, soit 6,5 % de l’ensemble, ont été élus avec le soutien de plus de 30 % des électeurs inscrits de leur circonscription au second tour ; 61 députés représentent même moins de 20 % de ces inscrits.

Instabilité préjudiciable

Contrairement à ce qui est souvent mis en avant par ses défenseurs, le scrutin majoritaire engendre en réalité une instabilité préjudiciable des politiques publiques, parce que des politiques décidées sur une base minoritaire se heurtent à de fortes résistances et les gouvernements qui les portent sont souvent rejetés par les électrices et les électeurs au bout de cinq ans. De plus, avec la nécessité d’alliances de second tour, ce mode de scrutin favorise une logique d’affrontement entre blocs qui décourage la recherche de compromis permettant de rassembler une large partie de la société.

Enfin, un sondage réalisé en décembre 2023 indiquait que, avec le scrutin majoritaire, le Rassemblement national (RN) pourrait obtenir la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale, bien qu’il comptabilise moins de 30 % des voix. Pendant quarante ans, le mode de scrutin actuel a contribué à sous-représenter le Front national, puis le RN, sans freiner pour autant sa progression. Au contraire, il l’a aidé à s’enraciner comme parti protestataire, en lui évitant d’avoir à prendre ses responsabilités à l’Assemblée nationale. Mais aujourd’hui ce même mode de scrutin risque de transformer la progression du RN en un raz-de-marée qui lui permettrait de mettre en œuvre sans entrave son programme irresponsable, pro-Poutine, xénophobe et liberticide.

Pour toutes ces raisons, il est urgent d’adopter un mode de scrutin proportionnel pour les élections législatives de 2027, comme c’est déjà le cas chez la plupart de nos voisins européens. Pour combiner représentation proportionnelle et ancrage des élus de la nation, il conviendrait d’organiser ce scrutin proportionnel sur une base territoriale à déterminer, régionale ou départementale.

Une simple loi suffit

Nos concitoyens demandent très majoritairement que l’« Assemblée du peuple » joue enfin pleinement son rôle dans l’équilibre des institutions. Certains souhaitent, pour cela, doter le pays d’une nouvelle Constitution. Ce débat est légitime, mais la mise en chantier d’une nouvelle Constitution est un processus par nature complexe. Et ce n’est pas un préalable au changement de mode de scrutin. Celui-ci est parfaitement réalisable, en effet, dans le cadre de la Constitution actuelle : il suffit pour cela d’une simple loi. Cela avait d’ailleurs déjà été fait en 1986, sans empêcher qu’une majorité se dégage.

(...)

Face à une telle perspective, on redoute souvent que la proportionnelle n’encourage l’instabilité gouvernementale, mais de nombreux exemples, et notamment chez nos voisins allemands – auxquels nous aimons tant nous comparer –, montrent que ce n’est pas nécessairement le cas. Depuis 1980, la France a eu en effet vingt chefs de gouvernement différents avec le scrutin majoritaire, alors qu’avec une proportionnelle intégrale l’Allemagne n’en a eu que cinq.

Le spectre de la IVe République, régulièrement agité, fait fi de l’existence, dans la Constitution de la Ve République, de mécanismes qui empêchent de renverser les gouvernements sans majorité alternative ou permettent, le cas échéant, à des gouvernements de faire adopter des lois, même s’ils sont minoritaires.

Nous appelons donc tous les démocrates, par-delà le camp politique dans lequel ils et elles se reconnaissent aujourd’hui, à se mobiliser ensemble pour faire aboutir sans délai cette réforme du mode de scrutin législatif maintes fois promise par la plupart des partis politiques, mais toujours repoussée. Elle est indispensable pour faire reculer l’abstention, renforcer la légitimité de nos institutions, développer une culture de rassemblement et de compromis, et barrer la route à une extrême droite qui reste minoritaire dans le pays.

📰 Retrouvez la tribune complète dans Le Monde

Signataires : Loïc Blondiaux, politiste ; Antoine Bristielle, directeur de l’observatoire de l’opinion de la Fondation Jean Jaurès ; Cyrielle Chatelain, députée (Les Ecologistes) de l’Isère ; Marie-Anne Cohendet, constitutionnaliste ; Daniel Cohn-Bendit, ancien député européen ; Raquel Garrido, députée (LFI) de Seine-Saint-Denis ; Maud Gatel, secrétaire générale du MoDem ; Jérôme Guedj, député (Parti socialiste) de l’Essonne ; Yannick Jadot, sénateur (Les Ecologistes) de Paris ; Rémi Lefebvre, politiste ;  Bertrand Pancher, député de la Meuse et président du groupe LIOT à l’Assemblée ; Thierry Pech, directeur du think tank Terra Nova ; Barbara Pompili, présidente du parti écologiste En commun ; Christophe Prochasson, historien ; Chloé Ridel, porte-parole du Parti socialiste ; Frédéric Sawicki, politiste.

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