Pologne : le droit européen protège-t-il de la montée des populismes ? 

Frédéric Petit
(© MoDem)

L’Union européenne se construit depuis sa naissance sur les principes du droit et de son application. Fait inédit dans l’histoire récente, la Cour constitutionnelle polonaise a estimé que certains articles du traité de l’UE, concernant la justice, étaient incompatibles avec le droit polonais et, par conséquent, inapplicable. Épisode passager, crainte fondée ou début d’un mouvement de fond, le député des Français établis en Allemagne, Europe centrale et Balkans et Secrétaire général adjoint du PDE, Frédéric Petit, éclaire la situation

Pouvez-vous nous expliquer clairement ce qu’il s’est passé en Pologne ?

Ce qu’il s’est passé en Pologne, tout d’abord, ce n’est pas le début d’un Polexit. Il est très important de faire cesser cette petite musique que l’on entend autour de cette prédiction fantasmée d’une sortie de la Pologne de l’Union Européenne. Personne en Pologne, mis à part certains extrémistes qui ne représentent même pas 10% de la population polonaise, ne souhaite sortir de l’Europe. Même le parti au pouvoir. 

Je vis en Pologne depuis plus de trente ans, les Polonais sont farouchement attachés à l’Union Européenne car elle représente avec l’OTAN leur meilleure alliée pour leur sécurité, leur paix et leur prospérité. J’irai même plus loin, je pense que les Polonais voudraient avoir plus de responsabilités en Europe, notamment sur la protection de la frontière orientale de l’Union Européenne. De par leur histoire et leurs cultures, ils ont conscience du rôle qu’ils peuvent jouer pour la sécurité de tous les Européens. Donc arrêtons de jouer à nous faire peur et regardons avec rigueur ce que dit cet avis du Tribunal Constitutionnel polonais. 

D’où vient-il ? C’est une réponse à une demande expresse du Premier Ministre polonais, c'est un avis, pas un jugement sur une affaire précise. Il détaille certains paragraphes des traités européens que le Tribunal Constitutionnel déclare non conformes avec certains paragraphes de la constitution polonaise. Mais le Tribunal Constitutionnel ne dit pas que le droit polonais est désormais supérieur au droit européen. Le tribunal ne se prononce pas là-dessus. Il faut être précis si l’on veut correctement contester cette décision.

Cette remise en cause du droit européen est-elle inédite ? 

Inédit ? Oui si l’on considère que c’est une première en Europe. Mais cette « remise en cause du droit européen » n’est aucun cas écrit de cette façon : désormais le droit polonais est supérieur au droit européen, non. Il y a deux lectures de cet avis extrêmement technique.

Soit ce jugement enfonce une porte ouverte juridique car ces articles européens ont été introduit après l’adoption de la Constitution polonaise de 1997, et ces articles ont été votés par référendum par le peuple polonais qu’en 2004. Ces articles européens ne pouvaient pas être exactement conformes à la Constitution polonaise votée 7 ans plus tôt. Se prononcer sur cette différence entre les articles constitutionnels polonais et européen, c’est clairement enfoncer une porte ouverte. 

Soit cette décision du Tribunal Constitutionnel représente une tentative d’instrumentalisation politique. C’est la résultante d’un bras de fer entre le parti au pouvoir et la Commission Européenne. Mais encore une fois, en aucun cas, ce jugement ne proclame la supériorité du droit polonais sur les traités européens.

Peut-on craindre que ce ne soit qu’un début et que d’autres pays suivent cet exemple ?

De ce que j’entends de la part de mes interlocuteurs polonais, c’est que cette décision du Tribunal Constitutionnel a également été prise dans d’autres pays, donc que la Pologne a également la possibilité de la prendre et que c’est elle qui a suivi cet exemple. Mais c’est faux, les cours constitutionnelles des autres pays n'ont jamais remis en cause le contenu des traités votés par les peuples, considérant qu'ils étaient engagés. Elles ont parfois analysé une décision précise, en demandant, au plus, de la reformuler ou de la valider différemment. Aucune n'a jamais considéré que le contenu des traités était lui-même anticonstitutionnel, mais au contraire, le peuple s'y étant engagé, que les traités complétaient ou amendaient la constitution.

Pour répondre plus précisément à votre question : oui on peut le craindre. Nous voyons déjà que cet avis rendu par le Tribunal constitutionnel polonais émerveille au moins deux candidats plus ou moins assumés à l’élection présidentielle, Éric Zemmour et Arnaud Montebourg. Mais ils instrumentalisent cette décision. Ce qu’ils demandent c’est la supériorité du droit français sur le droit européen, ce n’est pas l’avis qui a été rendu. 

L’Europe est-elle assez solide pour répondre à ce défi qui lui est lancé ?

Je crois que c’est d’abord les Polonais qui doivent répondre à ce défi. Il faut arrêter cette machine infernale qui crée de grands espaces de vide juridique, et que le parlement polonais reprenne la main en sortant de ce piège. C'est possible et c’est cette volonté qui a été exprimée dans la rue, dans toute la Pologne, ce dimanche. 

L’Europe sera assez solide pour répondre à ce défi si elle conserve son calme, si elle ne rentre pas dans une bataille de slogans et qu’elle parvient à dépassionner ce débat. 

Sommes-nous en plein dans ce que nous constatons à l’échelle nationale aujourd’hui : une défiance vis-à-vis de l’Europe et le retour en force du sentiment national, voire nationaliste dans certains cas ? 

Il faut détacher cet avis du Tribunal Constitutionnel des débats actuels que nous avons en Europe entre « progressistes » d’un côté et ce que l’on appelle communément les « populistes ». Comme je l’ai rappelé, les Polonais sont attachés à l’Europe, donc il n’y a pas de défiance fondamentale vis-à-vis de l’UE mais il y a une tentative d’instrumentalisation de certains politiques sur les « pouvoirs » de l’Union Européenne, qui jouent sur des aigreurs du passé.

Quand ils parlent « d’ingérence » de la Commission Européenne et de la Cour de Justice Européenne, cela parle à une partie de l’électorat polonais qui a peur de se retrouver déposséder de sa souveraineté. Mais en face notre réponse doit être simplement : ce n’est pas de l’ingérence. La Cour de Justice de l’Union Européenne est prévue dans les traités plébiscités par nos amis polonais eux-mêmes il y a presque vingt ans ! C’est eux qui ont voté pour ces articles. De plus, ce n’est pas de l’ingérence, c’est de la gestion d’argent public ! 

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