François Bayrou : "Nous sommes aujourd’hui au rendez-vous le plus crucial de notre histoire récente"

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Retrouvez ci-dessous le grand entretien de François Bayrou publié dans la revue L'Hémicycle.

Propos recueillis par Marion Mourgue et Romain Rosso

La France vit avec le Covid depuis un an et demi. Dans quel état la voyez-vous à la sortie de la crise ? A bout de nerfs ? Déprimée ? Résiliente ? 

Résiliente, oui, sans doute. Je ne sens pas la France à bout de nerfs. Ce qui me frappe, c’est que nos sociétés, et parmi elles la société française, n’étaient pas prêtes. Elles n’étaient pas armées pour faire face à une vague de cette ampleur et à des défis d’une telle exigence. La crise sanitaire s’est surajoutée aux faiblesses accumulées depuis trente ans et qu’on avait été incapables de réparer ou d’équilibrer. Parmi ces faiblesses, certaines mettent en cause notre souveraineté, notre indépendance et les intérêts de notre pays. C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui au rendez-vous le plus crucial de notre histoire récente. 

Mais ne craignez-vous pas qu’après cette période de congélation, liée à la crise actuelle, la société déconfinée soit traversée par des mouvements de contestation, voire de violence ?

Je ne le crois pas. J’ai très tôt senti venir la crise des Gilets jaunes et la révolte sourde qui venait de la désinvolture avec laquelle l’État central traitait la situation des Français relégués géographiquement dans les périphéries. Aujourd’hui, je ne sens pas le même mouvement. Il y a eu un certain reversement des polarités avec la crise du Covid. La campagne n’était pas considérée, jusqu’alors ; elle est devenue un lieu prisé des Français qui fuient les métropoles. Il me semble que c’est un mouvement de fond. Le balancier est reparti de l’autre côté. Au lieu d’être désertique ici et embouteillé là, le territoire peut être plus harmonieusement équilibré. Le télétravail, avec tous les inconvénients qu’il comporte, le rend possible. 

Vous parliez des faiblesses accumulées depuis trente ans et mises à nu par cette crise sanitaire. N’a-t-elle pas souligné le déclassement de la France ? Les Français ont eu le sentiment d’être toujours en retard, que ce soit pour l’approvisionnement en masques comme pour la campagne de vaccination… La France est-elle toujours la grande puissance dont on pouvait se targuer il y a plusieurs décennies ? 

Parmi les effets majeurs et possiblement bénéfiques de cette crise, il y a eu la prise de conscience de l’affaissement de l’appareil productif du pays et de ses conséquences pour la souveraineté. Nous qui nous vivions comme une grande puissance pharmaceutique et médicale avons découvert l’absence ou la fragilité de nos approvisionnements en médicaments essentiels, indispensables aux traitements et à la santé de nos compatriotes, à la lutte contre l’épidémie, comme les masques, des équipements nécessaires aux soignants, comme les gants et les capes. Nous avons découvert que les stocks n’existaient pas ou n’étaient pas suffisants. Lorsqu’il s’agit de produits de consommation classique, ces pénuries sont gênantes mais gérables. Lorsqu’il s’agit, au contraire, de produits vitaux, de tels risques sont inacceptables. Nous avons compris que nous étions devenus dépendants par négligence et par des politiques à courte vue.

Pendant des années, la fixation des prix des médicaments a fait l’objet de batailles continuelles, avec un seul but : faire baisser les prix ; or, comme la fixation de ces prix commandait aussi les prix à l’exportation, les laboratoires sont partis s’implanter à l’étranger. L’administration de la santé et de la sécu avait de bonnes raisons, compréhensibles, mais le résultat au bout du compte traduit une absence de sens stratégique et de planification. Nous n’avons pas mesuré qu’une des conséquences de cette politique systématique était de délocaliser une grande partie de nos productions pharmaceutiques. Et ce n’est qu’un exemple de notre affaiblissement. Il faut aujourd’hui engager une réflexion plus large sur la définition et la sécurisation des secteurs stratégiques dont dépend, au-delà même de la défense nationale et de nos approvisionnements, la souveraineté de notre pays.

Mais ce sentiment de déclassement a durablement marqué les Français… 

J’espère qu’il les a marqués durablement : alors que nous vivions depuis la Seconde Guerre mondiale dans une société de croissance, fondée sur des interdépendances, la crise du Covid-19 met en lumière nos fragilités et nos failles ; il règne désormais une forme de désarroi, en tout cas d’intranquillité. Voilà pourquoi la renaissance d’un Commissariat au plan était si importante. Parce que la vraie prise de conscience d’une nécessaire reconquête – et qui est très différente de la relance – se trouve dans l’opinion publique, dans la conviction que les citoyens doivent porter sur leur avenir commun.  

Vous vous êtes prononcé pour un « plan Marshall » de sortie de crise pour reconstruire le pays. Que préconisez-vous et avec quel calendrier ? 

La reconquête de la production, c’est le plan Marshall. Je différencie la « reconquête » de la « relance ». La relance, c’est le soutien aux secteurs de production, aux filières, aux branches qui existent déjà. La reconquête, c’est la volonté de réinvestir dans des secteurs qui n’existent plus. Cela oblige à trouver une stratégie avec comme définition de réinvestir les secteurs dont, du point de vue de la demande de consommation intérieure et extérieure, du point de vue technologique et scientifique et du point de vue industriel, nous n’aurions jamais dû être chassés. La France est capable de produire des satellites, des fusées, des sous-marins nucléaires, des avions et des voitures parmi les meilleurs du monde, du luxe… Comment se fait-il, alors, que la France soit exclue de l’équipement de la maison, par exemple ? Rien que dans ce seul secteur, le déficit du commerce extérieur doit avoisiner les 30 milliards d’euros. Aujourd’hui, pour la première fois depuis cinquante ans, cette reconquête est possible. Si je l’avais dit il y a dix ans, tout le monde m’aurait opposé le coût de la main-d’œuvre. Désormais, les processus de production fondés sur le numérique, la robotisation, les data, les imprimantes 3D, etc. permettent à un pays développé comme le nôtre de reconquérir une vraie présence et j’espère une vraie puissance. 

Mais cela pose d’autres questions, cela souligne d’autres faiblesses. Par exemple, cela n’est possible que si l’éducation retrouve son niveau, notamment pour ce qui est de la langue et des mathématiques. Nous avons des résultats qui sont parmi les plus inquiétants du monde. Comment est-ce possible ? Comment en est-on arrivé là ? Quand j’ai quitté le ministère de l’Éducation nationale, un élève au début de la 6e en mathématiques avait un niveau supérieur à celui d’un enfant de 5eaujourd’hui. Comment comprendre que la France, le pays des grands mathématiciens depuis cinq siècles, se trouve dernière en matière de calcul mental ? Quand on prend les cahiers d’entraînement de Singapour – premier pays du monde en la matière –, on s’aperçoit qu’ils ont copié la démarche scolaire de mathématiques des jeunes Français d’il y a trente ans. Il faut replacer l’effort sur ces sujets. C’est possible et nécessaire. 

Est-on sorti de cette logique de mondialisation qui, jusqu’à présent, était le seul critère et un synonyme de progrès ?

Notre modèle de société, comme notre modèle de développement, a eu, depuis au moins deux siècles, pour principal moteur l’élargissement continu et l’augmentation exponentielle des échanges humains, industriels, agricoles et commerciaux de toute nature. Personne ne sait si la révolution du Covid, conduisant à un monde aux échanges limités, est destinée à s’établir durablement. Mais chacun sent qu’il va falloir au moins s’en accommoder un certain temps. On est à la recherche d’un nouvel équilibre. Il y a dans l’histoire des hommes une dominante cyclique mais non immobile. On ne reviendra donc pas à des équilibres antérieurs. Les circuits de consommation exigent que la production soit plus proche. Et cela ira de pair avec le fait que nos exigences en matière environnementale et sociale vont être mieux affirmées. Si l’électeur en a conscience, alors je n’ai pas de doute que les politiques feront ce qu’il faut.

La suite de l'entretien est disponible sur le site de L'Hémicycle.

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