François Bayrou, invité de Darius Rochebin sur LCI ce dimanche à 18h

François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, sera l'invité de Darius Rochebin sur LCI ce dimanche 11 février 2024 à 18h.

Seul le prononcé fait foi.

Darius Rochebin : Merci d'être avec nous. Nous recevons ce soir l'homme au cœur de l'événement politique. François Bayrou est avec nous. Merci. Bonsoir François Bayrou.

François Bayrou : Bonsoir.

Darius Rochebin : Voilà, on vous entend. On va bien vérifier que le que le son passe bien. L'événement évidemment, c'est l'événement politique. Vous avez été au cœur de cet événement cette semaine, c'est aussi la crise migratoire très grave qui se produit à Mayotte avec ses effets, déjà. Le gouvernement forcé de réagir dans l'urgence, qui veut supprimer le droit du sol sur l'île en révisant la Constitution. Un mot d'abord à ce sujet, comment est ce que vous jugez l'urgence de ces mesures ? Supprimer le droit du sol, et il dit aussi un rideau de fer pour arrêter les migrants comoriens autour de Mayotte.

François Bayrou : J'ai proposé cette décision dès 2007, il y a presque 20 ans, 25 ans en tout cas. Je suis persuadé depuis cette époque qu’on ne peut pas échapper à la réalité telle qu'elle se présente à Mayotte. La réalité de Mayotte, elle a 2 aspects principaux. Le premier aspect est un aspect migratoire avec une migration constante, continue depuis les Comores, les îles sœurs de Mayotte, avec les mêmes origines, les mêmes ennemis. Et cependant ça provoque des vagues de rejet qui sont dangereuses et considérables, avec le sentiment des Mahorais qu'il y a une délinquance qu'on ne parvient pas ou qu'on ne maîtrise pas. Constante et continue de la part de ces pauvres gens, qui sont aussi de pauvres gens, qui arrivent des autres îles, des îles voisines, à laquelle s'ajoute aujourd'hui une migration africaine. Parce qu'il y a des camps en Tanzanie dans lesquels les passeurs trouvent aujourd'hui une « clientèle », si je puis employer ce mot qui en serait presque choquant, une « clientèle » pour l'immigration clandestine au travers de Mayotte, dans la France et dans l'Union européenne. Il y a là une décision qui est à mes yeux inéluctable depuis des décennies. Je rappelle, j'ai proposé ça, j'ai vérifié ma mémoire, en mars 2007. Si on avait fait ça à cette époque, on n’en serait pas là.

Darius Rochebin : On a vérifié, regardez la citation. C'est pour lire ce que vous-même vous aviez écrit. On a nos classiques de François Bayrou, le verbatim de ce que vous déclariez en 2007, il va s'afficher ici : « je suis favorable à ce que la nationalité française ne soit plus automatique dès l'instant qu'en Guyane ou à Mayotte, on est venu seulement pour accoucher sur le territoire national ». Et vous ajoutiez : « quand on est humaniste, on doit être dans ces affaires, fermes ». François Bayrou, 2007, ça fera… Ça fait beaucoup, beaucoup d'années. Est-ce que vous comprenez ce qu'ils diront, notamment au Rassemblement national : Regardez, en réalité, tous ces gens au pouvoir ont beaucoup promis et n'ont rien fait.

François Bayrou : Ça doit nous inciter. Vous avez raison de dire qu'il y a forcément, si on fait pas attention, une exploitation qui est là pour agiter les braises et allumer le feu. Mais de ce point de vue-là, les gouvernements successifs n'ont pas fait ce qu'il fallait. Je voulais ajouter qu'il y a à Mayotte un deuxième problème au moins évident, économique, pire que ça, humain, qui est le problème de l'eau. Alors aujourd'hui, ces jours-ci, ça va un peu mieux parce qu'il pleut. Cependant, il y a de l'eau qu'un jour sur deux et quand il ne pleut pas, c'est encore beaucoup plus rationné que ça. À telle enseigne que le précédent responsable gouvernemental des Outre-mer, Philippe Vigier, avait organisé des transports par bateau de centaines de milliers de bouteilles d'eau pour porter aide à la population. Et dans une circonstance comme celle-là, il n'y a à mes yeux qu'une chose à faire, c'est de faire un plan spécial pour Mayotte. D'ailleurs probablement pas seulement pour Mayotte, parce que ces problèmes d'eau se posent aussi en Guadeloupe par exemple. On doit prendre en charge ces besoins, fixer des objectifs, donner un calendrier, autrement dit nous imposer à nous-mêmes un agenda et des objectifs à atteindre. C'est ce qu'on appelle le plan et je suis frappé toujours de voir que la France, qui a pendant longtemps pratiqué cette discipline du plan, elle paraît très souvent ne plus avoir en tête l'idée que l'action publique doit être analysée et planifiée.

Darius Rochebin : Une telle décision, est-ce que ça ne traduit pas quand même un certain affolement. Changer la Constitution, il s'agit de ça. Changer la Constitution après un soulèvement, après quelques jours, franchement ça, ça ne traduit pas une maîtrise du cas migratoire très exemplaire.

François Bayrou : Sans doute je ne veux pas dire que tout va bien et que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Comme vous savez, je ne le pense pas. Mais je sais qu’il y a des situations qui ne se règlent jamais si on ne les affronte pas, si on pousse la poussière sous le tapis. C'est le cas de ces puissantes vagues d'immigration que subissent et dont ne peuvent pas émerger les territoires dont nous parlons. Et je répète qu'il n'y a dans cette affaire aucun racisme, ce sont les mêmes origines ethniques, les mêmes religions, les mêmes langues souvent. Et cependant, il n'y a pas de population dans le monde qui puisse supporter d'être, de ce point de vue-là, débordée par des arrivées si nombreuses qu'il n'y a rien à faire pour faire face. Mayotte est un cas qui doit nous amener à réfléchir.

Darius Rochebin : François Bayrou, je vais vous poser la question du RN qui évidemment fait son miel de ce genre de sujet. C'est un des changements avec ce nouveau gouvernement : changement de ligne entre Gabriel Attal et Madame Borne. Madame Borne avait des propos très sévères sur le RN, le mettant en dehors de l'Arc républicain, disant que le RN est l'héritier de Pétain. Changement avec Gabriel Attal qui dit « l'Arc républicain, c'est l'hémicycle ». En quelque sorte il clôt le débat. Qui a raison selon vous : Madame Borne qui mettait le RN en dehors ou le Premier ministre actuel qui dit « l'Arc républicain c'est l'hémicycle, on parle avec tout le monde ».

François Bayrou : Darius Rochebin, je ne veux pas opposer les uns aux autres parce que chacun cherche le chemin, le meilleur chemin. J'ai le mien. De ce point de vue-là, pour moi, c'est très clair : l'idée de faire de Madame Le Pen et de ses alliés ou de ceux qui essaient de la contourner, l'idée d'en faire les ennemis publics numéro un perpétuel, éternel, et à chaque instant, cette idée-là rend à l'extrême droite le plus grand des services. Il n’y a pas de service plus efficace qu'on pourrait rendre à la progression de l'extrême droite que de ne parler que d'elle sur tous les sujets. Elle devient l'opposant universel. Et moi je pense que la vraie attitude qui permet de résister à la montée des extrêmes : c'est un, d'avoir évidemment la lucidité des risques que ça présente. Et vous accepterez l'idée que je n'ai jamais, jamais, jamais minimisé ces risques. Et je n'ai jamais, jamais, jamais pactisé en quoi que ce soit, pas seulement avec les mots mais avec les arrière-pensées qui sont celles des extrêmes en général et de l'extrême droite en particulier. Et cependant, notre attitude, ça doit être d'identifier, de nommer et d'agir.

Darius Rochebin : François Bayrou. La semaine qui s'est écoulée, avouez que certains commentaires à votre égard ont été assez sévères et je vous propose de clarifier. Beaucoup ont dit « on ne comprend pas François Bayrou, il s'est longuement expliqué pourquoi il est fâché, il n'est pas fâché, il continue à soutenir ce gouvernement, mais il le critique ». Question très simple, réponse simple s'il vous plaît. Au fond, qu'est-ce qui vous différencie de ce gouvernement aujourd'hui, s'il fallait retenir un principe ?

François Bayrou : Je ne cherche pas des différences, mais dans les problèmes qui se sont posés, ou bien les questions qui sont posés dans la semaine, dans les interrogations, j'ai dit que, bien sûr, je soutenais le gouvernement. Je le soutenais depuis le premier jour. Pourquoi ? Parce que si ce gouvernement échouait, alors nous aurions devant nous les plus grands risques. On a un devoir. Simplement, dans un certain nombre de domaines d'action du gouvernement, j'ai cité l'éducation et je cite ce drame qu'on vit perpétuellement, qui est la coupure entre les Français qui se battent en bas et ceux qui décident ou croient décider en haut. Et l'exemple de Mayotte qu'on vient de voir est de ce point de vue-là hyperbolique : on ne peut pas trouver plus éloquent comme exemple que ce que vous venez d'analyser en début de cette interview. Mais c'est vrai pour tout, c'est vrai pour l'école, c'est vrai pour les médecins, …

Darius Rochebin : Est-ce que vous pourriez vous opposer davantage que dans le passé sur un certain nombre de textes par exemple ? Est-ce que c'est une possibilité pour vous - non pas de passer dans l'opposition, on a bien compris que ce n’est pas votre cas - mais de vouloir peut-être pratiquer une contestation sur certains sujets ?

François Bayrou : Mais vous voyez, la phrase que vous utilisez, elle signifie que je choisirai, nous choisirions, ceux qui représentent le courant politique dont j'ai la responsabilité au Parlement, que nous choisirions une opposition systématique, c’est stupide et c'est le contraire de la politique. Tous les textes, nous devons les analyser et proposer. Pas s'opposer systématiquement en quoi que ce soit, pourquoi voulez-vous que nous le fassions ? Mais proposer des démarches différentes et je crois, je sais, que les parlementaires démocrates ont tout à fait l'intention de le faire. Et moi-même j'ai l'intention d'être au fond plus engagé dans la proposition et dans les stratégies que je ne l'ai été sans doute jusqu'à maintenant. Et vous me demandiez quelle différence… Bon, j'ai une différence. Le Premier ministre l'a dit, nous avons une différence dont nous nous sommes expliqués et qui est sur l'Education nationale, sur l'idée qu’on va très tôt, dès le collège, séparer ceux qu'on considère comme bons de ceux qu'on considère comme mauvais, ou en tout cas n'arrivant pas à suivre. Je ne crois pas que cela puisse marcher.

Darius Rochebin : Selon vous, c'est une forme d'élitisme ?

François Bayrou : Non, c’est l’idée qu’au fond, l'Ecole ne doit pas, à cet âge précoce, s'adresser de la même manière à tous. Je crois que le grand enjeu de l'Ecole, c'est qu’on mette en place des organisations, des manières de motiver les enseignants pour que chacun d'entre eux dans chaque classe soit entraîné et qu'on lui donne les moyens de faire avancer plus vite toute sa classe. Pas de couper la classe en 2 ou en 3. On a fait ça pendant des années avant les années 60 ou 70 et vous vous souvenez que ce n’était pas parfait puisque on a changé. Je pense que le gouvernement, que le Premier ministre, que la nouvelle ministre de l'Education nationale et ses collaborateurs - que je connais bien - sont pleins de bonne volonté et je suis sûr que dans le monde de l'Education nationale, il y a une immense majorité qui partage ce que je vous dis. 

Darius Rochebin : On a bien compris votre position sur l'Ecole de la déconnexion. Vous avez dit, il y a dans ce gouvernement un manque de… Vous dites « il n’y a pas de ministre du Sud de la Loire ». Qu'est-ce que vous entendez par là ? Est-ce que ce gouvernement non seulement trop parisien, il est trop déconnecté plus profondément d’un pays réel ?

François Bayrou :  Je ne veux pas critiquer les personnes. C’est comme ça. Je sais que c’est toujours une tentation. Ce n’est pas ce qui m’intéresse. Pendant des décennies, la province, les figures de la province, Gaston Defferre pour Marseille, Pierre Mauroy pour Lille, étaient à la fois représentants de leur territoire et pesaient puissamment dans le débat national. Aujourd’hui - peut-être parce qu’on a fait des erreurs, j’y reviendrai dans une minute – ce n’est pas le cas. Et vous regardez aujourd’hui une carte de France, et vous vous apercevez que la concentration du pouvoir – et je ne critique pas ceux qui le font parce que c’est leur milieu politique – sur le tout petit périmètre parisien, Île-de-France - et encore que certains départements d’Île-de-France - cette concentration est un danger pour le pays. Elle empêche de faire entendre la voix de ceux qui sur le terrain vivent la vraie vie. Ce n’est pas une critique, c’est un avertissement. C’est un feu pour avertir et demander qu’on prenne tout cela en compte. Je le disais, je crois qu’on s’est trompés dans la loi qui interdit désormais le cumul d’une responsabilité locale avec une responsabilité nationale. Parce que la France ce n’est pas comme ça. C'est doublement nuisible. C'est nuisible parce que la voix de la province n'est pas entendue et c'est nuisible parce que les élus nationaux ne peuvent pas s'engager sur le terrain qui est le leur.  Peut-être cette position que j'exprime est minoritaire, mais je vois bien les dégâts de tout ça. Et donc faire entendre la voix du terrain et singulièrement la voix des provinces françaises dans les décisions nationales, pour moi, c'est un enjeu qui celui-là aussi doit être relevé. 

Darius Rochebin : François Bayrou, rappelons l'image de 2017, vous avez beaucoup compté pour faire gagner Emmanuel Macron, dans l'histoire de ces deux quinquennats, vous avez joué un rôle très important. Voilà, on revoit l'image, 2017, 2024. Est-ce que - question un peu cruelle - la vieille politique, c'est la crainte est la meilleure garantie d'une alliance ? Est-ce que vous faites encore assez peur ? Beaucoup disent : il crie beaucoup, mais il ne mord pas. 

François Bayrou : Je n'ai jamais eu comme objectif de mordre ceux qui mènent le combat avec moi ou avec qui je mène le combat. Je trouve que c’est une conception complètement archaïque des choses. Comprenez-moi bien Darius Rochebin, c'est une conception archaïque, l'idée qu'on ne puisse pas poser de problème et parfois dire « non » de manière indiscutable. Et comme vous le voyez, je le fais. Cette idée-là, l'idée que tout le monde doit être totalement aligné et se taire s'il sent quelque chose que tellement urgent, cette idée-là n’est pas la mienne.

Darius Rochebin : Est-ce qu'Emmanuel Macron a été ingrat avec vous ? Je relisais Les mémoires de Louis XIV que je recommande. Il dit : « Une des premières qualités d'un roi, c'est d'être ingrat, il faut savoir être ingrat ». Est-ce qu'il a été un peu ingrat avec vous ? Vous aurez été ministre deux mois et c'est tout. Sept ans ont passé maintenant.

François Bayrou : Non. Pardon, vous vous trompez parce que vous éludez une affaire judiciaire, profondément injuste et au bout de laquelle, lundi dernier, nous avons obtenu une relaxe. J'ai obtenu et mes plus proches collaborateurs ont obtenu une relaxe. Et le tribunal n'a pas trouvé d'éléments comme je le dis depuis le premier jour. Et donc vous éludez cela : c'est moi qui ai quitté le gouvernement de ma propre initiative. Le président de la République l'a dit l'autre soir dans sa conférence de presse et c'est la vérité stricte. Et donc je maintiens que d'abord, le président, ça n'est pas un roi, contrairement à ce que beaucoup pourraient croire. Un président de la République, ce n’est pas un roi, ce n’est pas un souverain de droit divin. Il est là parce qu’il a été choisi par les Français. Deuxièmement, je n'ai jamais demandé de gratitude. Ce n’est pas cela mon engagement. Pour finir cette phrase, je n'ai jamais demandé de gratitude, je n'ai jamais demandé de passe-droit. Je n'ai jamais demandé aucun avantage et je n'en ai jamais voulu aucun. Je pense que nous avons une responsabilité partagée : le Président de la République, moi-même, le gouvernement, les Français - les Français - on a une responsabilité partagée. On a le sentiment d'une dérive qui conduit à de graves accidents. Je n'accepte pas cette dérive. 

Darius Rochebin : Merci beaucoup François Bayrou, un mot encore : est-ce qu'il y a une logique, l'aboutissement de tout ça, c'est forcément d'être candidat en 2027 ?

François Bayrou : Forcément, je ne sais pas, mais l'échéance de 2027, c'est une échéance dont aucun citoyen ne peut se considérer étranger et je suis un citoyen et je ne me considère pas étranger. Je n'ai jamais abdiqué le droit de participer aux grandes échéances nationales et le devoir qu'il accompagne de ne pas abandonner son pays aux accidents. 

Darius Rochebin : Merci beaucoup François Bayrou.

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