Chlordécone : "ll est urgent de renforcer la prévention et l’information auprès des populations"

Justine Bénin
(© Assemblée nationale)

La députée de la Guadeloupe, Justine Bénin a porté un amendement au projet de loi de finances  2020 pour une prise en charge gratuite du dépistage du taux de chlordécone dans le sang de la population. Amendement qui a été adopté  le mardi 17 décembre 2019. Entretien. 

Le chlordécone est une molécule qui fut utilisée comme insecticide dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique de 1972 à 1993, pour lutter contre un nuisible, le "charançon du bananier". Reconnu comme cancérigène possible dès 1979 par l’OMS, c’est un perturbateur endocrinien et un polluant persistant, c’est-à-dire qu’il se désintègre très lentement. Les terres et les eaux de Guadeloupe et de Martinique sont ainsi aujourd’hui polluées pour des dizaines, voire des centaines d’années.

Quelles sont les conséquences sanitaires et économiques de l'utilisation passée du chlordécone

Justine BeninLe chlordécone a provoqué des conséquences graves, tant sur le plan écologique, sanitaire, qu’économique.

En matière de santé d’abord, car la recherche scientifique a démontré qu’il augmentait le risque de survenue du cancer de la prostate, alors que nos populations détiennent un des records mondiaux de cette pathologie. Il est avéré également que l’exposition au chlordécone augmente le risque de prématurité des naissances, ainsi que les troubles de développement cognitif des nouveau-nés.

Sur le plan économique, cette pollution a aussi aggravé les difficultés de nos filières agricoles et marines. Nos territoires souffrent en effet de difficultés structurelles, marquées par l’insularité, l’étroitesse des marchés locaux, et la concurrence internationale. A cela s’ajoute donc la contamination des terres et des zones côtières, ce qui impacte fortement les filières maraîchères, l’horticulture ou encore la pêche et l’aquaculture. 

Qu’aurait pu ou dû faire l’État ? 

L’Etat a manqué à son devoir de vigilance en autorisant dès 1972 un produit dont on connaissait pourtant la dangerosité. C’est ce que nous ont montré les archives du ministère de l’Agriculture. 

Dès les années 1960, la toxicité et la persistance du chlordécone étaient déjà documentées. Surtout, dans les années 1970, deux rapports successifs témoignent de la concentration anormale de produits phytosanitaires dans les eaux de Guadeloupe. En 1979, l’OMS classe le chlordécone comme cancérigène "possible". Surtout, en 1976, une usine de transformation du chlordécone explose à Hopewell, en Virginie, polluant les zones environnantes et exposant les ouvriers à de graves troubles pulmonaires et neurologiques. Et malgré toutes ces alertes, les pouvoirs publics français poursuivent les autorisations provisoires de vente du chlordécone, qui sera finalement retiré en 1993, soit presque vingt ans après les Etats-Unis ! 

Les acteurs économiques ont-ils leur part de responsabilité ? 

Les archives du ministère de l’Agriculture ont montré que les groupements de grands planteurs, les industriels et même certains élus locaux ont fait pression sur le ministère de l’Agriculture pour poursuivre l’utilisation du chlordécone. Durant des années, ils ont considéré - à tort - qu’il s’agissait d’un produit miracle, dont on ne connaissait pas d’alternative aussi efficace. Des considérations économiques ont pris le pas sur la santé des populations et la protection de l’environnement.

Comment réparer les préjudices causés ? 

Le Président de la République l’a reconnu lui-même en septembre 2018, lors de sa venue aux Antilles : « l’Etat doit prendre sa part de responsabilité (…), il est nécessaire d’aller vers le chemin des réparations et des projets. »

Ces réparations doivent se traduire par plusieurs engagements.

D’abord dans le champ de la santé, avec la mise en place d’un dépistage et d’un suivi sanitaire spécifique pour les populations à risque (agriculteurs, femmes enceintes, enfants) et pris en charge par l’assurance maladie. Il est également urgent de renforcer la prévention et l’information auprès des populations.

Les réparations doivent aussi concerner les agriculteurs et les pêcheurs, pour mieux les accompagner et réparer les préjudices qu’ils subissent depuis trop longtemps. Le chlordécone ne touche que les légumes-racines, les cucurbitacées, les animaux d’élevage ou les produits de la mer. Il n’affecte pas les produits dits "hors-sol", comme les bananes. Les agriculteurs touchés par la pollution sont donc ceux qui n’en sont pas responsables ! 

Il convient donc de mobiliser davantage les fonds européens et les aides de l’Etat, en développant des techniques de culture alternative et des aides à la conversion agro-écologique, pour tendre vers le "zéro chlordécone dans l’alimentation". Il est également nécessaire d’engager des indemnisations pour les agriculteurs et les pêcheurs, avec une étude d’impact pour évaluer les dommages occasionnés par la pollution.

Les marins-pêcheurs doivent aussi pouvoir bénéficier de fonds européens pour renouveler leur flotte, puisqu’à la suite d’arrêtés successifs d’interdiction de pêche, ils se retrouvent aujourd’hui contraints d’aller pêcher en haute mer.

Enfin, nous ne sommes pas au rendez-vous en matière de recherche, que ce soit sur le plan médical ou en matière de techniques de dépollution. Je propose d’ériger la recherche sur le chlordécone en priorité stratégique dans la prochaine loi de programmation de la recherche, pour attribuer des financements dédiés à la dépollution et à la recherche médicale.

Ce n’est qu’en 2008 que le premier "plan chlordécone" a été activé pour tenter de réduire l’exposition de la population à l’insecticide, quelles préconisations faites-vous pour le 4e plan chlordécone prévu en 2020 ? 

Lors de nos auditions, aussi bien à Paris que sur le terrain, nous avons fait le constat que la gouvernance était défaillante. Manque de coordination interministérielle, verticalité du pilotage, manque d’association des populations aux Plans Chlordécone…

Il est urgent de repenser le pilotage des politiques dédiées à ce sujet, sans quoi nous ne pourrons pas restaurer la confiance des populations envers l’Etat.

Aujourd’hui, les Guadeloupéens et les Martiniquais ressentent une inquiétude légitime, un sentiment d’abandon, parfois même de la colère et de l’exaspération.

Je propose qu’un Délégué Interministériel dédié au chlordécone soit nommé pour les deux territoires, afin de personnifier et de coordonner l’engagement de l’Etat sur ce dossier. Un comité stratégique sur chaque territoire, chapeauté par ce Délégué, devra également suivre l’élaboration et le déploiement des actions du Plan Chlordécone. Et un Conseil citoyen, sur le même modèle que l’actuelle Convention citoyenne pour le Climat, également présidée par le Délégué, devra élaborer des recommandations au Gouvernement et évaluer la mise en œuvre des politiques sur le terrain.

Il faut rompre avec la verticalité et la centralisation des politiques sur le chlordécone. L’heure est à la co-construction.

Enfin, ces réparations ne pourront se réaliser sans un engagement législatif, c’est la raison pour laquelle je propose qu’une loi d’orientation et de programmation de sortie du chlordécone soit présentée et débattue au Parlement.

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