François Bayrou : « La Russie fait ce que d'autres pays à la fin des années 30 ont fait sur leurs voisins »

Retrouvez l’entretien de François Bayrou, Premier ministre et Président du Mouvement Démocrate, ce vendredi 7 mars 2025 au micro de Cnews – Europe 1.

Seul le prononcé fait foi.

Sonia Mabrouk : Bonjour à vous, bonjour chère Laurence.

Laurence Ferrari : Bonjour Sonia.

Sonia Mabrouk : Et bienvenue à tous à la grande interview sur CNews et Europe 1 en format inédit, spécial, ce matin, alors que nous vivons un moment singulier sur la scène internationale, compte tenu bien sûr de ce qui est en jeu en Ukraine et plus largement en Europe et tout cela, avec un nouvel ordre mondial incarné par Donald Trump. Il y a beaucoup d'inquiétudes, il y a beaucoup d’angoisses et d'interrogations, de nombreuses interrogations. Pour y répondre ce matin, un invité exceptionnel : bonjour François Bayrou.

François Bayrou : Bonjour.

Laurence Ferrari : Bonjour monsieur le Premier ministre, merci d'avoir choisi nos antennes Cnews et Europe 1 pour vous exprimer. Monsieur Bayrou, les Français sont inquiets. Les mots « menace » et « guerre » ont été employés par le Président de la République. S'ils sont d'accord pour réarmer notre pays qui a trop longtemps négligé sa défense nationale, eh bien, ils se demandent aussi qui va payer la note. On va y venir dans cette émission, on aura le temps de nous exprimer. Mais d'abord une question, François Bayrou. L'Ukraine n'a jamais semblé aussi proche de la paix. Le Président Zelensky la veut. Le président Trump la veut. Et pourtant, l'Union européenne, et tout particulièrement la France, semble vouloir partir en guerre, et en guerre contre la Russie. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

François Bayrou : Oui, c'est une présentation que je crois un peu forcée, un peu excessive.

Laurence Ferrari : En quoi ?

François Bayrou : Je vais vous expliquer. C'est très simple. Nous avons connu, depuis trois ans, quelque chose qui était totalement exclu de la pensée de tous les pays européens et de tous les pays du monde, qui était de voir un pays parmi les plus puissants de la planète, le plus vaste, le plus doté de toutes les richesses du sous-sol, avec une armée qui est une des deux ou trois armées les plus puissantes du monde, se jeter sur son pays voisin pour l'annexer, pour en prendre le contrôle, pour en chasser les dirigeants, bref, pour le happer et le prendre. Or ce pays, la Russie, est membre du Conseil de sécurité des Nations Unies. C'est-à-dire qu'il est parmi les cinq pays qui sont le garant de la loi internationale. Ils sont, au nom de toutes les nations de la planète, ils sont ceux qui devaient, s'étaient engagés, à garantir qu'on respecterait la loi des nations. Et voilà que ce pays fait ce que d'autres pays dans les années 40, à la fin des années 30, ont fait sur leurs voisins. Et c'est une chose dont nous savions depuis le premier jour que ça changerait la manière dont les nations vont vivre ensemble.

Sonia Mabrouk : Et aujourd'hui, monsieur le Premier ministre ?

François Bayrou : Il est parti de là, c'est l'épicentre d'un tremblement de terre qui s'est répandu partout sur la planète. Et qui est au fond de dire : le monde dans lequel nous avons vécu depuis la guerre, le monde de la force de la loi est passé dans un autre monde qui est la loi du plus fort. Désormais, si vous avez les moyens, si vous avez l'armée, si vous avez l'aviation, si vous avez toutes les menaces que la guerre moderne a réunies, alors vous pouvez conquérir le voisin. Si on ne voit pas à quel point ceci est un déstabilisateur de toute la vie de la planète, on ne voit rien. Et donc, quand vous dites qu'ils veulent la paix, il y a l'Europe qui, franchement...

Laurence Ferrari : On n'a jamais été aussi proche de la paix.

François Bayrou : Oui, on est aussi proche de ce que cherchent un certain nombre des acteurs, c'est la capitulation. C'est qu'on consacre, sans rien dire, les bras croisés, l'idée que oui, l'annexion a réussi, la conquête a réussi, l'Ukraine sera à genoux et Zelensky sera à genoux, ce qu'on a vu dans le bureau ovale de la Maison-Blanche et qui est absolument sans précédent.

Sonia Mabrouk : François Bayrou, vaut-il mieux une paix imparfaite qu'une guerre interminable ?

François Bayrou : Cette présentation-là, on l'a connue dans les années 30, c'est une présentation qui nous a menés au pire. Ce n’est pas comme ça qu'il faut voir les choses.

Sonia Mabrouk : Comment présentez-vous la situation ? Il est vrai, comme l'a dit Laurence, le mot paix revient dans la bouche des Américains, alors que le mot guerre revient dans la bouche d'Emmanuel Macron.

François Bayrou : En aucune manière. Cette présentation-là qui tendrait, qui chercherait à faire croire que Poutine est un gentil garçon qui voudrait la paix, que ce qu'il a fait après tout, c'était presque normal. C'est ça qu'on entend à longueur de temps dans la bouche de certains.

Sonia Mabrouk : Qui le dit ?

François Bayrou : Vous, par exemple.

Sonia Mabrouk : Non, pardonnez-moi, c’est une question. Je pense que beaucoup de Français, de ceux qui nous regardent, nous écoutent, se la posent.

François Bayrou : Vous êtes trop avertis pour ne pas savoir que dans les questions il y a des réponses. Et donc on va essayer de dire les choses comme elles sont parce que ce que je viens de présenter n'est qu'un aspect de la situation. Il y a eu le déclenchement d'un tremblement de terre, un épicentre. Mais le tremblement de terre ne s'est pas arrêté là. Parce qu'il se trouve que l'élection du président des États-Unis, M. Trump, a ajouté quelque chose qui alors était non seulement inattendu, mais inimaginable.

Sonia Mabrouk : Inattendu ? M. Trump n'a cessé de prévenir les Européens, M. Bayrou. Les Européens sont sidérés de ce qu'ils ont vu arriver ?

François Bayrou : Sonia, nous n'avons pas de débat ensemble, je ne cherche pas à débattre. Je cherche à dire les choses comme elles doivent être dites. Et précisément sur cette antenne. Qu'est-ce que fait Donald Trump ? Il fait le renversement des alliances. Nous avions, depuis la guerre, payé au prix du sang. Nous avions payé au prix du sang du nôtre, les Français, des Européens, des Allemands qui ont été entraînés dans ce drame et y ont perdu des millions des leurs. Et aussi, ils ont perdu une certaine idée de l'humanité. Et du sang des Américains qui sont venus nous aider pour sauver ce qui pouvait l'être de la loi internationale. Nous avons vécu depuis la guerre dans ce climat qui était, nous avons en Europe et dans l'OTAN, l'alliance des libertés. Et voilà que M. Trump renverse ça, et il ne le renverse pas à moitié. Je rappelle, il est membre du Conseil National des Nations Unies et les Nations Unies sont sur son sol. Et bien que fait Donald Trump ? Alors il pousse la logique jusqu'au bout, c'est-à-dire, il dit au fond c'est Poutine qui a raison et je vais lui abandonner l'Ukraine. Je vais me payer en captant…

Sonia Mabrouk : En terres rares.

François Bayrou : …les minerais, les terres rares comme on dit, qui sont chez lui. Et deuxièmement, alors on ne va pas s'arrêter là : je vais prendre le canal de Panama, je vais prendre le Groenland, je rappelle que le Groenland c'est une terre membre de l'Union Européenne par le Danemark, contre ses alliés donc, je rappelle que le Danemark est membre de l'OTAN, je ne sais pas si vous voyez le... `

Sonia Mabrouk : On voit très bien, mais monsieur le Premier ministre, les Etats-Unis sont encore un allié ?

François Bayrou : De tout ça. Et il va plus loin et il dit je vais prendre Gaza. Je vais faire de Gaza une riviera. Quand on met les deux images l'une face à l'autre, on voit des choses qui sont extraordinaires. Et il ne s'arrête pas là.

Sonia Mabrouk : Est-il un allié ?

François Bayrou : Et il ne s'arrête pas là.

Sonia Mabrouk : Mais est-il un allié ?

François Bayrou : Attendez, laissez-moi poursuivre mon raisonnement jusqu'au bout. C'est une situation historique…

Sonia Mabrouk : Bien sûr.

François Bayrou : …suffisamment lourde. Il ne s'arrête pas là, il déclare à l'Europe une guerre commerciale. Notre pays vit en grande partie de ces exportations. Et à l'inverse, les États-Unis exportent chez nous. La balance commerciale entre les États-Unis et la France est à peu près équilibrée. L'Europe non, en raison de l'Allemagne, mais entre les Etats-Unis et la France, c'est à peu près équilibré. Il déclare la guerre commerciale qui va avoir, en termes de crise économique, des conséquences impressionnantes et très dangereuses pour nous.

Laurence Ferrari : Joe Biden l'avait fait aussi, pour nous.

François Bayrou : Il dit qu'il devait mettre 25% de droits de douane sur les produits européens. Vous vous rendez compte ? Alors vous dites, est-ce un allié ? Un allié qui décide de passer dans le camp de vos adversaires, un allié qui décide de passer dans le camp de ceux qui bouleversent et remettent en cause l'ordre international, un allié qui vous déclare une guerre commerciale et qui prétend annexer des territoires qui appartiennent à des pays libres, sans parler du Canada, a-t-il dit, comme ça, ça pourrait devenir un État américain.

Laurence Ferrari : Donc ça s'appelle un ennemi, François Bayrou ?

François Bayrou : Non, ça s'appelle une destruction de l'ordre international. Ça s'appelle la remise en cause de tout ce à quoi nous croyons. Et cette remise en cause, elle laisse les Européens stupéfaits parce que la quasi-totalité des pays...

Sonia Mabrouk : Comment expliquer cette sidération, monsieur le Premier ministre ? Pardonnez-moi, tout le monde a vu les déclarations de Donald Trump depuis des mois. Il a été élu pour ce qu'il a dit. Ça peut paraître étonnant en France, peut-être. Mais pourquoi cette sidération, alors qu'il a parlé de cette guerre commerciale, alors que nous savions qu'il y aurait un renversement des alliances, ne nous pousse-t-il pas finalement au réveil et au sursaut ?

François Bayrou : Alors, ce sont deux questions différentes. Est-ce qu'il faut être ému, choqué, scandalisé, révolté par ces attitudes ? Ma réponse est évidemment oui. Mais deuxième question, est-ce que ça appelle au réveil de l'Europe ? Évidemment oui ! Alors ce n’est pas une surprise pour les Français, spécialement pour ceux qui vous parlent dans le grand mouvement que depuis très longtemps nous avons défendu dans la politique française.

Laurence Ferrari : Donc ce n’est pas une surprise pour vous donc François Bayrou ?

François Bayrou : Non, ça n'est pas une surprise pour moi sur ce point que l'Europe doit se défendre elle-même.

Sonia Mabrouk : Parlons-en.

François Bayrou : Et c'est le seul point sur lequel je suis d'accord avec Trump. Un point. Les présidents successifs des États-Unis, depuis longtemps, ont raison de dire « vous n'êtes pas pauvre. Vous êtes parmi les ensembles les plus riches de la planète. » Si on prend le produit intérieur, la richesse des nations, l'Union européenne, c'est dix fois plus riche que la Russie. Parce que la Russie, grâce ou à cause de son système, elle a mis à mal toutes les structures qui font qu'une société marche bien.

Sonia Mabrouk : Enfin, l'économie russe n'est pas à terre.

François Bayrou : Je n'ai pas dit qu'elle était à terre. Vous ne m'avez pas écouté. Je vous donne les chiffres, comme ça, ça va être clair. Le produit intérieur russe, c'est quelque chose comme 2 000 milliards. C'est-à-dire, comme l'Espagne à peu près, un peu plus, un peu moins, et moins que la France. Et face à l'Union européenne, le produit intérieur de l'Union européenne, face à ses 2 000 milliards, c'est 17 000 milliards. Et si on ajoute la Grande-Bretagne, ça fait 22 000 ou 21 000 milliards. Et donc on est un ensemble dont la capacité est dix fois supérieure à celle de la Russie. Mais la différence, c'est que nous ne dirigeons pas cette capacité vers la guerre.

Laurence Ferrari : Et pas vers notre défense non plus.

François Bayrou : C'est ce que je dis. Alors que Trump consacre, écoutez bien, 40% du budget de son pays à la guerre.

Sonia Mabrouk : Et il demande aux pays de l'OTAN d'aller jusqu'à 5% du PIB pour notre défense.

François Bayrou : Non, je parlais de la Russie.

Laurence Ferrari : Vous parlez de la Russie, 40%, oui.

François Bayrou : Si j'ai fait un lapsus, excusez-moi.

Laurence Ferrari : C'est M. Poutine qui consacre 40% de son PIB à la défense.

François Bayrou : M. Poutine, le dirigeant russe, consacre 40% de son budget national à la défense, à l'armée et à la guerre.

Sonia Mabrouk : Et Donald Trump nous demande d'augmenter jusqu'à 5% du PIB.

François Bayrou : Ce n'est pas le point sur lequel je lui donnerai tort.

Laurence Ferrari : Les Européens se sont endormis, François Bayrou ?

François Bayrou :  Je lui donne tort de renverser les lois qui faisaient que nous vivions en paix. Je lui donne tort de faire de ses alliés des adversaires et des ennemis. Et je lui donne tort de rendre le monde plus insécurisé qu'il ne l'était, plus dangereux qu'il ne l'était. Et un jour ou l'autre, tout cela se verra de manière éclatante. Mais nous sommes devant une question, nous les Européens, qu'est-ce que nous faisons ?

Laurence Ferrari : Qu’est-ce que nous faisons ? Est-ce que nous ne sommes pas, François Bayrou, nous sommes sur Cnews et Europe 1, en train de nous réveiller, après nous être endormis pendant de longues années ? Nous n'avons pas consacré le budget nécessaire à l'OTAN. Les Etats-Unis payent 70% du budget de l'OTAN. Il est temps de financer notre défense et d'augmenter notre effort d'armement français. À quoi vous préparez les Français aujourd'hui ? À un effort national ? Une économie de guerre ?

François Bayrou : Cette évidence-là qu'il faut que l'Union européenne et la France au sein de l'Union européenne, la France qui est la seule à avoir fait des efforts d'indépendance, d'autonomie, pendant des décennies. Jusqu'à ce jour, nous avons été le seul pays à porter cette idée étrange aux yeux des autres qu'on avait besoin de construire une capacité, enfin une possibilité de se défendre, sans les États-Unis. Pas contre les États-Unis, sans les États-Unis.

Laurence Ferrari : Ça date du général de Gaulle.

François Bayrou : Ça date du général de Gaulle et il avait raison. J'ai lu l'autre jour à la tribune de l'Assemblée une déclaration qui était la sienne en 1962. Et il dit mais il faut faire attention parce que personne ne sait ce qui peut arriver aux États-Unis. Et il décrit les fragilités de la société américaine en montrant à quel point ça peut nous entraîner dans des choses inimaginables et impossibles.

Sonia Mabrouk : Il a été visionnaire. Mais que de temps perdu…

François Bayrou : Que de temps perdu, malgré la France.

Sonia Mabrouk : Malgré la France.

François Bayrou : Parce que s'il y a une chose certaine, c'est que tous les gouvernements successifs du pays ont construit, bâti l'idée que dans l'Alliance, alors la France pouvait et devait être indépendante. Et c'est la raison pour laquelle nous avons une armée qui est la seule indépendante dans les armées européennes, qui a toutes les facultés d'intervention dans tous les domaines, jusqu'au domaine suprême de la dissuasion nucléaire. Et nous sommes les seuls à être libres de déclencher ou pas ces défenses et ces attaques.

Laurence Ferrari : Donc on ne partage pas la dissuasion nucléaire, François Bayrou ?

François Bayrou : Mais on ne peut pas partager la dissuasion nucléaire.

Laurence Ferrari : D’accord.

François Bayrou : En revanche, c'est-à-dire celui qui doit prendre la décision en s'agissant du nucléaire et de l'arme nucléaire, c'est le président de la République française. Il est élu pour ça. Mais ça ne veut pas dire, et le général de Gaulle l'a dit dix fois, que les intérêts vitaux du pays, au nom desquels on peut prendre une décision aussi lourde de conséquences, les intérêts vitaux du pays, ce n'est pas que les intérêts de l'hexagone.

Laurence Ferrari : C'est toute l'Union européenne ?

François Bayrou : Non, ça dépend de l'appréciation du président de la République française de l'époque, du moment. Les intérêts vitaux. Est-ce que vous croyez qu'une attaque contre l'Allemagne n'est pas une partie des intérêts vitaux de la France ? Est-ce que vous pensez…

Laurence Ferrari : Contre la Pologne ?

François Bayrou : … qu'une attaque contre la Belgique n'est pas une partie des intérêts vitaux de la France ? Et en fait, sur l'ensemble de l'Union européenne sont engagés les intérêts vitaux de la France. Mais c'est important : il n'y a pas d'automaticité. Il y a l'appréciation par le président de la République française du moment où ces choses se produiraient. Il y a l'appréciation de savoir si nous sommes menacés dans ce qui est vital pour nous.

Sonia Mabrouk : Donc pas d'automaticité, pas de mutualisation ?

François Bayrou : Mutualiser, c'est considérer qu'on a des intérêts vitaux en commun. Mais vous voyez bien que le patron, ça reste le président de la République française du moment où ces choses se produisent.

Sonia Mabrouk : Pardonnez-moi - sur les armées françaises, et c'est tout à fait normal, il faut rendre hommage à nos armées, malgré tout, et on le déplore pendant des années, elles ont été, ces armées, et notamment les budgets, des variables d'ajustement, monsieur le Premier ministre. D'ailleurs, je suppose que ça vous a heurté à ces moments-là, et d'ailleurs un ancien chef d'état-major, Pierre de Villiers, a été contraint à la démission pour cette raison, il ne voulait pas dire à ses gars, les armées sont à l'os. Nous avons perdu beaucoup de temps ?

François Bayrou : Eh bien, ce qui a été vérifié depuis 2017, l'incident dont vous parlez, c'est 2017, c'est que nous avons, écoutez bien, multiplié le budget de la défense par deux. Vous en connaissez des pays qui ont fait ça ?

Laurence Ferrari : La Russie.

François Bayrou : Oui, alors eux, c'est plus que par deux. Et ce que vous venez de dire, il faut s'arrêter un quart de seconde.

Laurence Ferrari : Allez-y.

François Bayrou : Ce déploiement de la puissance militaire de la Russie, ça ne s'arrêtera pas là. Les usines sont lancées, les chaînes de production sont lancées. Et est-ce que vous connaissez dans l'histoire un pays qui s'est doté de moyens de cette nature et qui a renoncé à s'en servir ?

Sonia Mabrouk : D'accord, donc menace directe à nos frontières. Vous reprenez et vous êtes sur les mêmes lignes que le président de la République ?

François Bayrou : C'est une menace directe contre la liberté de l'Union européenne, ce qui se joue en Ukraine, ce n'est pas seulement le territoire malheureux de l'Ukraine. Ce qui se joue en Ukraine, c'est la loi qui fait que les nations peuvent vivre libres en Europe. C'est ça la question. Et l'histoire et nos concitoyens seraient en droit de nous faire des procès sur le thème impardonnable de « vous n'avez rien fait quand tout s'est présenté ».

Sonia Mabrouk : Est-ce que vous allez les associer ? Dans quelques instants avec Laurence sur CNews et Europe 1 nous allons parler de décisions historiques. Peut-être qu'ils vont engager un effort sans précédent. Est-ce que ce n'est pas le moment de consulter les Français ? C'est vraiment le droit des peuples de disposer d'eux-mêmes sur ces sujets-là…

François Bayrou : Oui, surtout ce que vous suggérez, c'est le droit des peuples à ne pas disposer d'eux-mêmes ou à ne plus disposer d'eux-mêmes ; à renoncer à leur liberté. C'est ça qu'on est en train d'entendre cheminer souterrainement, en disant, « ben tout ça, ça ne vaut pas la peine ».

Sonia Mabrouk : Non, consulter les Français pour savoir quelles orientations nous prenons c’est l’inverse.

François Bayrou : Oui, mais on ne peut pas consulter les Français en l'air. On ne consulte les Français, c'est la Constitution, que sur un texte, et sur des textes qui sont dans des domaines extrêmement précis, domaines économique et social, et domaines des institutions. Est-ce que c'est l'affaire de tous les Français ? Oui.

Laurence Ferrari : Bien sûr. François Bayrou.

François Bayrou : Et ce qui est à craindre, ou ce que nous avons vécu depuis des années, c'est qu'on a jeté un voile pudique. Sauf les huit dernières années, parce que là l'effort a été considérable et on l'a reproché. On a jeté un voile pudique sur les très grands enjeux. Ces enjeux-là, c'est le moment de les reposer.

Laurence Ferrari : Parlons des Français, François Bayrou. Nous sommes sur CNews et sur Europe 1. L'expression économie de guerre est désormais sur toutes les lèvres. Vous avez dit que vous ne vouliez pas sacrifier notre modèle social. Vous avez dit qu'il n'y aura pas d'augmentation d'impôts. On sanctuarise notre modèle social et pourtant il va devoir faire face à des dépenses extraordinaires. Où est-ce que vous allez trouver cet argent ? Est-ce que ce sont les Français qui vont payer ? Ceux qui nous regardent et nous écoutent ce soir.

François Bayrou : Permettez-moi de remettre la hiérarchie des choses. Nous avons devant nous cette question considérable, cet enjeu considérable, « est-ce que nous devons être un pays en mesure de se défendre avec l'ensemble de l'Union européenne ou pas ? ».

Il y a des gens qui disent non.

Laurence Ferrari : Et vous ?

François Bayrou : Mais la responsabilité du gouvernement, et a été exprimée par le président de la République avant-hier, il y a trois jours, la responsabilité du gouvernement est de répondre « non, nous ne pouvons pas laisser désarmer le pays c’est vital ». Et cependant, le gouvernement a une deuxième responsabilité, c'est de se poser la question des difficultés et des problèmes qui font que la France est en situation de faiblesse alors qu'elle devrait être en situation de force.

Laurence Ferrari : On n'oublie pas ses enjeux donc François Bayrou, au nom des Français…

François Bayrou : Et donc, on ne peut pas, au nom de l'enjeu de défense, oublier la totalité des autres enjeux. La France ne se défendra vraiment que si elle a un appareil de défense et si elle est forte. Et cette force du pays, dans tous les domaines où elle doit s'appliquer, je vais en citer quelques-uns devant vous, nous ne pouvons pas la laisser de côté.

Laurence Ferrari : Par exemple ?

François Bayrou : Bon, c'est très simple, l'éducation, nous ne pouvons pas la laisser de côté.

Laurence Ferrari : Les retraites ?

François Bayrou : J'y viens, je vais expliquer ça. On ne peut pas être un peuple fort si les générations nouvelles ne sont pas formées comme elles devraient l'être. Est-ce qu'elles le sont ? La réponse est non. Est-ce que le niveau en lecture, en écriture, en mathématiques dans l'école et le système de formation français, est-ce que ce niveau est suffisant ? Non. Est-ce qu'on peut laisser cette question de côté ? Non. Et les questions que je vais citer maintenant, nous avons le devoir de les traiter en même temps que nous devons réarmer la capacité de défense du pays.

Sonia Mabrouk : Monsieur le Premier ministre. On vous entend ce matin. Vous dites, à raison, qu'un pays miné de l'intérieur ne peut pas se défendre par rapport à l'extérieur. Vous parlez de l'école où il y a parfois des professeurs qui sont souvent visés et ciblés. On peut parler aussi malheureusement de certains quartiers perdus de la République. On peut parler de la menace islamiste. Que répondez-vous à ceux qui, dans l'opposition, vous disent « Eh bien, vous montez la surenchère sur cette guerre pour ne pas traiter la République et les besoins des Français » ? Vous l'entendez, cette attaque ?

François Bayrou : Sonia Mabrouk, vous avez entendu ce que j'ai répondu, et je le répète devant vous. C'est une priorité absolue de s'occuper de la défense du pays et de l'Union européenne, et cependant nous ne pouvons pas laisser de côté tous les autres problèmes qui se posent. Je continue mon énumération.

Laurence Ferrari Allez-y.

François Bayrou : Nous avons cette difficulté avec l'école qui est une difficulté qui traîne depuis des années. J'ai quitté le ministère de l'éducation il y a 25 ans, 30 ans, et le niveau des élèves était un an supérieur au niveau des élèves aujourd'hui. Ce n'était pas de ma responsabilité, vous voyez, la pente qui a été suivie. Je ne laisserai pas l'école sans réponse, et Elisabeth Borne, qui a cette responsabilité, ne la laissera pas non plus. Deuxièmement, on ne peut pas laisser les finances publiques dans l'état de délabrement, dans l'état de déséquilibre dans lequel elles sont.

Sonia Mabrouk : C'est un sujet que vous portez depuis longtemps.

François Bayrou : Que je porte depuis des décennies…

Sonia Mabrouk : Beaucoup de Français vous le reconnaissent.

François Bayrou : …Et que personne n'écoutait. Et cependant, aujourd'hui, déficit et dettes exigent un rééquilibrage.

Sonia Mabrouk : Comment, en économie de guerre, monsieur le Premier ministre ?

François Bayrou : En tout cas, un plan de rééquilibrage.

Sonia Mabrouk : Comment, en économie de guerre ?

François Bayrou : Parce que c'est précisément là qu'il va falloir être avisé dans les réponses.

Sonia Mabrouk : Original.

François Bayrou : Oui, original.

Sonia Mabrouk : Vous voulez dire ne pas convoquer l'impôt ?

François Bayrou : On peut trouver des adaptations, mais le recours à l'impôt, il est au bout de sa logique. Reprenons cette idée que j'ai défendue déjà à votre micro. Si vraiment c'était l'impôt qui faisait la prospérité des nations, et le bonheur des peuples, alors la France serait de très loin le pays le plus heureux du monde.

Laurence Ferrari : Donc on taille dans les dépenses sociales, François Bayrou, qu'est-ce qu'on fait ?

François Bayrou : Laissez-moi dire ce que je pense. Troisièmement, il y a tout ce qui relève, vous avez parlé des retraites, et les partenaires sociaux ont accepté de se mettre autour de la table pour réfléchir à une meilleure organisation sans dégrader la question de l'équilibre financier des retraites. Là encore j'étais le seul à dire qu'il y avait un problème d'équilibre financier des retraites, de déséquilibre financier des retraites, avec à la fois des déficits et un recours à l'argent public pour équilibrer les finances. Il y a un problème de l'action publique, de l'État, des collectivités locales, parce qu’en dépit de l'argent considérable ou des dépenses considérables, on voit bien que la réponse que les Français reçoivent n'est pas la bonne. On a un problème d'aménagement du territoire.

Sonia Mabrouk : On n'a que des problèmes, là, vous nous posez des diagnostics. Où sont les solutions ?

François Bayrou : Eh bien, on a un problème d'aménagement du territoire. Parce qu'il y a des zones qui se sentent abandonnées et qui en effet le sont. On a un problème de désindustrialisation et on a laissé sur 30 ans s'établir une situation qui n'est pas une situation qui permet de préparer l'avenir du pays.

Sonia Mabrouk : Et à votre tableau on pourrait ajouter la submersion migratoire que vous avez-vous-même énoncée…

François Bayrou : Et ma mission... On y vient parce que j'imagine bien que vous allez m'interroger sur ce sujet.

Sonia Mabrouk : Puisque vous en avez parlé.

François Bayrou : Et donc la situation du pays ne permet pas ni le désintérêt, ni la désinvolture.

Sonia Mabrouk : A qui le dites-vous, M. le Président ?

François Bayrou : Je le dis au gouvernement, je le dis à moi-même, je le dis aux parlementaires, je le dis à l'opinion publique française. Et comme vous avez eu la gentillesse de le noter, ce n’est pas d'aujourd'hui que je le dis. J'ai toujours essayé de porter cette prise de conscience qui n'a pas eu lieu et qui doit maintenant avoir lieu. Alors, vous posez une deuxième question. Est-ce qu'on a les moyens de faire ça ? En moyens supplémentaires, non. Ça n'est pas en dépenses supplémentaires qu'on va pouvoir trouver la réponse à ces questions-là.

Laurence Ferrari : On va piocher dans l'épargne des Français, François Bayrou ?

François Bayrou : Tout le monde le sait. Non. La question est une question de réorganisation de notre action, de réorganisation de l'action publique, de réorganisation en matière de santé - vous voyez bien la difficulté qui fait qu'un très grand nombre de Français n'ont plus accès - de réorganisation dans la simplification. J'ai cité à la tribune de l'Assemblée l'autre jour, il y a une très grande organisation d'études internationales qui a calculé ce que dans chaque pays faisait perdre la trop grande complexité des paperasses, de la bureaucratie, des normes et des règles.

Sonia Mabrouk : Ne vous cachez pas sur ce sujet, parce que des machins inutiles, il y en a beaucoup en France.

François Bayrou : Vous êtes en train de toucher du doigt, voyez que cette émission est utile, vous êtes en train de toucher du doigt ce que je veux illustrer. Cette très grande organisation internationale a calculé ce que tout cela faisait perdre à la capacité de production du pays. Et ils ont trouvé des chiffres stupéfiants. En Allemagne, ça fait perdre un peu plus de 0,5%. En France, ça fait perdre 4%.

Sonia Mabrouk : Donc vous serez l'homme du dégraissage de ce mammouth-là ?

François Bayrou : Ce n'est pas un mammouth, c'est la somme de nos paresses. C'est la somme, au fond, du laisser-aller et des logiques internes. La logique interne de ce genre de système, c'est la bureaucratisation continue. C'est que le président de la République fait très souvent, en tout cas dans les conversations que nous avons eues au travers du temps, il a très souvent été frappé par ceci : quand il y a un drame, l'État est formidable. Si vous avez un cyclone, un tremblement de terre, l'incendie de Notre-Dame, une grande catastrophe, alors tout l'État se met en route pour être présent, efficace, attentif, empathique, comme on dit, partager les émotions et apporter des réponses immédiates. Et dans le reste du temps, l'action publique en général, parce qu'il n'y a pas que l'État national, il y a l'action locale aussi, cet État-là devient un frein, un enlisement.

Sonia Mabrouk : Les Français le connaissent bien.

François Bayrou : Pourquoi ? Parce qu'on a laissé faire. Parce qu’hier, je présidais le comité interministériel sur le handicap. Et j'ai reçu des témoignages que j'ai lus et ont été exprimés par les associations de handicapés, des témoignages désolants sur ce point-là. Quand vous avez un enfant en situation de handicap grave. Le nombre de dossiers qu'il faut remplir… vous parlez, comme c'est utile et intéressant d'obliger les parents…

Sonia Mabrouk : Ce que vous dîtes doit toucher beaucoup de Français qui nous écoutent…

François Bayrou : …à remplir des papiers interminables, simplement pour avoir droit à l'aide que le handicap de leur enfant leur ouvre.

Sonia Mabrouk : La bureaucratie, la technocratie, mais les chiffres sont têtus, monsieur le Premier ministre. Permettez-moi de les citer. En 1960, notre défense pesait 5% du PIB et la dépense sociale, c'était 15%. Alors comment aujourd'hui on retrouve ce niveau de 5% avec une dépense sociale qui pèse deux fois plus ? C'est la quadrature du cercle, vous devez être très bon en arithmétique. Quelle est la solution ?

François Bayrou : C'est la quadrature du cercle et je vais vous dire quelque chose qui pour moi est évident : « si ça avait été fait par d'autres, je ne serais pas là ». Vous savez bien que c'est au terme d'un long processus de difficultés et de chutes successives qu'on se retrouve là. Mais je n'aliènerai, je n'abdiquerai en rien notre responsabilité. C'est notre responsabilité de traiter ces questions-là aujourd'hui. Et vendredi, vont m'être rendues les contributions que j'ai demandées à toutes les administrations centrales du pays. J'ai réuni tous les ministres et toutes leurs administrations. Avec une question simple, vous allez me dire ce que vous produisez, à quoi votre administration sert, quel est le service qu'elle rend aux Français et vous allez me l'expliquer en termes simples.

Laurence Ferrari : Ça va prendre du temps, tout ça ?

François Bayrou : Non, non, c'est ce matin, c'est fait.

Laurence Ferrari : Ok, très bien.

François Bayrou : Il y a 15 jours que j'ai lancé ce mouvement-là, pour moi il est très important parce que sur chacune des missions, on va évaluer et je vais partager avec les Français la liste de ces missions et de ces difficultés. Et on va aller plus loin. Vous parliez de ce grand problème de la simplification. Je vais mettre les usagers en situation de décideurs. Au lieu de laisser les usagers demander à l'administration d'accepter ou de refuser, la plupart du temps, les demandes qu'elles ont faites, on va inverser le processus. Ça ne veut pas dire qu'on va faire n'importe quoi. Mais ça veut dire qu'au lieu d'avoir des citoyens en situation de sujet, d'obéir à un souverain, l'État qui décide et multiplie, l'Union européenne, qui décident et multiplient les obstacles et les exigences, on va faire le contraire.

Laurence Ferrari : Une forme de décentralisation populaire.

François Bayrou : Les usagers vont être en droit de dire, « mais votre ligne 401 là, ça sert à quoi ? ». Je vais un tout petit peu plus loin et j'ai fini. Ça sert à quoi ? L'administration contrôle la totalité des déclarations des usagers. Ça prouve qu'ils ont tous les renseignements. Alors pourquoi on n'inverse pas le mouvement ? Au lieu de dire, « Les usagers vont avoir à remplir. Les usagers, les entreprises, les PME, les artisans, vont avoir à remplir toutes ces paperasses dont ils ne se sortent pas et ils s'arrachent les cheveux parce que tout le monde n'a pas une direction administrative pour faire les choses à sa place ». Encore qu'on a pu, grâce aux maisons France Service, aider une partie des citoyens. Au lieu de mettre toute cette charge sur les épaules des usagers, on va inverser le mouvement. Pourquoi est-ce que ce n'est pas l'administration qui remplit les papiers et les usagers qui contrôlent ?

Laurence Ferrari : François Bayrou…

François Bayrou : Et cette idée-là..J 'ai presque fini, parce que tout ça est une chaîne.

Sonia Mabrouk : On va simplifier la simplification…

François Bayrou : Pendant des années, dans des campagnes présidentielles qui ont eu plus ou moins de succès, parfois plus, parfois moins, j'ai défendu l'idée de la retenue à la source pour l'impôt sur le revenu. On me disait, ça n'est pas possible, c'est impossible, vous êtes un rêveur. Il y a même des gens très bien qui défendaient l'idée que ça n'était pas constitutionnel. Je vous dis que, heureusement, le président de la République est arrivé, le gouvernement l'a fait, Darmanin était à ce moment-là ministre du budget, on l'a fait et…

Sonia Mabrouk : Ça a marché.

François Bayrou : Et il n'y a pas eu une ride à la surface du lac.

Laurence Ferrari : On est sur CNews et sur Europe 1. Permettez-moi de revenir à des questions extrêmement concrètes parce qu'elles intéressent nos auditeurs et téléspectateurs sur CNews et sur Europe 1. Comment allons-nous financer cet effort de réarmement ? Les ministres de l'économie comme celui des armées, messieurs Lombard et Lecornu, ont tous les deux évoqué une mobilisation volontaire de l'épargne des Français, une forme de placement patriotique. Qu'est-ce que ça veut dire exactement ?

François Bayrou : Ça fait partie des solutions, mais je ne suis pas venu pour vous dire que les solutions sont arrêtées. Je pense que le travail que nous avons à conduire va prendre des semaines, peut-être jusqu'à deux mois, pour redessiner la manière dont notre pays va mobiliser ses moyens au service de ces deux objectifs que j'ai définis devant vous, c'est-à-dire la défense d'un côté et deuxièmement la refondation de notre manière de vivre ensemble.

Laurence Ferrari : Est-ce qu'on fait appel aux Français, monsieur le Premier ministre ? Un emprunt national ?

François Bayrou : C'est une possibilité. Mais encore faudrait-il que l'emprunt, encore faudrait-il, si on s'y décidait, je vous dis que pour moi sur ce point, la décision n'est pas du tout prise. Vous connaissez mieux que personne la faiblesse de ce monde politico-médiatique, la faiblesse c'est que...

Laurence Ferrari : C'est vous les politiques.

François Bayrou : Oui, et réciproquement, symétriquement, vous, vous êtes l'autre côté. C'est qu'on veut avoir les réponses avant d'avoir posé les questions. Vous êtes tellement pris, nous sommes tellement pris dans l'enchaînement des urgences, des prises d'antennes et des réseaux sociaux…

Sonia Mabrouk : Donc vous allez pouvoir nous répondre, monsieur le Premier ministre sur l’emprunt.

François Bayrou : Et donc, je dis, ce type de décision n'est pas prise. Nous allons les définir ensemble. Et il faut avoir du calme dans cette période. Parce que les Français ont besoin d'être assurés qu'il y ait du sang froid chez ceux à qui ils ont confié la responsabilité.

Sonia Mabrouk : Besoin d'être rassuré, monsieur le Premier ministre, pardonnez-moi, dans un monde de menaces. Nous avons parlé de la menace russe, il y a une autre menace sur notre propre sol, qui est la menace islamiste, terroriste islamiste. Et dans la foulée de l'attaque islamiste de Mulhouse, vous avez annoncé, aux côtés du ministre de l'Intérieur, donner six semaines à l'Algérie pour reprendre leurs ressortissants les plus problématiques. Sinon, il y aura un réexamen des accords de 68. De son côté, Emmanuel Macron depuis, le Portugal a nettement tempéré votre ultimatum. Certains disent que c'est un désaveu. Comment, monsieur le Premier ministre, et là peut-être la question est davantage adressée au président de la République, mais vous allez y répondre, on peut se montrer comme Churchill face à Poutine et comme Chamberlain face à Tebboune?

François Bayrou : Oui, je ne partage pas ce genre de formule un peu désobligeante. Ce n'est pas du tout ça la question. Le président de la République est dans son rôle parce que constitutionnellement, le défenseur des traités, c'est lui. La responsabilité de défendre les traités, c'est la sienne. Qu'est-ce que nous disons ? Qu'est-ce que je dis comme responsable du gouvernement ? Je dis quelque chose d'assez simple. Nous avons, avec l'Algérie, des accords super privilégiés.

Sonia Mabrouk : Des accords qui dépendent de vous, monsieur le Premier ministre.

François Bayrou : Il n'y a pas d'autres qui ont été faits en 68, et en 68, je vous jure que j'avais d'autres préoccupations que ces accords-là.

Sonia Mabrouk : Non mais du ressort du premier ministre. Il n'y a pas d'autres pays qui ont ces faveurs-là.

François Bayrou : Il n'y a pas d'autres pays dans le monde qui ont avec la France des accords aussi privilégiés que ceux que nous avons avec l'Algérie. L'histoire l'explique. Le drame que nous avons vécu ensemble, quelle que soit la situation de ceux qui le vivaient, il y a eu des blessures très importantes des deux côtés et il y a beaucoup de nos compatriotes pour qui ceci est encore brûlant.

Sonia Mabrouk : N'est-il pas temps de tourner la page des deux côtés ?

François Bayrou : Oui, mais quand vous avez des blessures profondes, seul le temps peut vous permettre de tourner la page.

Sonia Mabrouk : Il s’en est passé du temps, malgré tout.

François Bayrou : J'en ai passé du temps, malheureusement. Et il ne faut pas mépriser ou sous-estimer les blessures qui ont été le résultat de ce drame.

Sonia Mabrouk : Il ne faut pas, nous, les utiliser peut-être dans l'autre sens, monsieur le ministre.

François Bayrou : Oui, je partage exactement votre sentiment.

Sonia Mabrouk : C'est une question.

François Bayrou : Donc nous avons des accords super privilégiés. Des accords super privilégiés, ça signifie qu'on doit avoir du respect mutuel.

Laurence Ferrari : Faut-il les revoir, les réviser ?

François Bayrou : Et le respect mutuel, ça commence par le respect des accords. Avec compréhension, avec tact, avec une manière de parler. Pourquoi ?

Sonia Mabrouk : Que de précautions Monsieur le Premier ministre, après tant d'humiliations de la France.

François Bayrou : Excusez-moi, excusez-moi. Je ne sous-estime pas ce que vivent intimement dans notre peuple, des femmes, des hommes, des jeunes qui sont liés par leur histoire à ce drame, quel que soit leur lien. Je ne sous-estime rien de tout ça.

Laurence Ferrari : Vous pensez à Boualem Sansal notamment.

François Bayrou : Donc vous dites « que de précaution ». Oui, je pense à Boualem Sansal en particulier. Oui, je pense à ce grand écrivain qui a 80 ans, qui est malade, qui est retenu dans les geôles algériennes et c'est insupportable.

Laurence Ferrari : Que faites-vous pour la libérer ?

François Bayrou : Je dis, nous avons des accords super privilégiés. Des accords super privilégiés, ça impose un vrai respect. Réciproque, dans les deux sens. Ça commence par le respect des accords. Mais il y a d'autres questions. Le gouvernement algérien a développé, contre la langue française, contre la culture française, des politiques extraordinairement agressives.

Sonia Mabrouk : Notamment dans les écoles privées de....

François Bayrou : Est-ce que c'était normal ? Pour des pays qui ont ensemble des accords super privilégiés…Et ce n'est pas moi qui vais oublier que les gouvernants ont naturellement le souci du respect qu'on leur doit, de la manière dont on doit s'adresser à eux. Ce n'est pas du bras de fer que nous devons chercher, mais nous devons chercher à préciser la portée des accords que nous avons et ce que ces accords signifient en termes de respect réciproque. C'est ça, ce que j'ai défendu et c'est ce que je crois absolument nécessaire. Et je suis sûr, le président de la République, j'ai lu une déclaration de lui il y a trois jours, qui disait à peu près la même chose.

Sonia Mabrouk : A peu près oui.

François Bayrou : Oui.

Sonia Mabrouk : Non mais je comprends ce que vous dites, à peu près, donc pas exactement…

François Bayrou : Ben oui, mais il est président de la République, je ne le suis pas.

Sonia Mabrouk : « Lui c'est lui, moi c'est moi ».

François Bayrou :  Plus largement, un certain nombre de gens aimeraient qu'il y ait une querelle, une guerre. C'est impossible. Je ne laisserai pas faire ça. Parce que la situation du pays est trop grave pour qu'on se laisse aller à des attitudes nuisibles pour le pays, nuisibles. La situation exige que tous les responsables soient profondément solidaires entre eux. J'ai dit, il y a eu des temps de dépendance du gouvernement à l'égard du président de la République, souvent. Il y a eu des temps d'affrontement, de cohabitation. Nous ne sommes ni en dépendance, ni en cohabitation, nous sommes en coresponsabilité. C'est-à-dire que chacun dans son rôle, et les rôles ne sont pas les mêmes, le président de la République est élu au suffrage universel par tous les Français, ce n'est pas le cas du chef du gouvernement, mais nous avons chacun notre responsabilité de remplir cette responsabilité.

Laurence Ferrari : Merci beaucoup François Bayrou d'être venu ce soir, ce jour, pardon. C'est l'habitude de travailler le soir qui me fait parler ainsi.

Sonia Mabrouk : Merci monsieur le Premier ministre.

François Bayrou : Merci à vous.

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