Tensions autour du mariage homosexuel : "Le gouvernement a une part de responsabilité"
François Bayrou a regretté, dimanche sur France Inter, que l'UMP et le PS aient fait du mariage homosexuel "un sujet emblématique de mobilisation" plutôt que de choisir le chemin de "la conciliation" nationale.
Tous politiques - 150.000 personnes à Paris dimanche d'après les chiffres de la préfecture de police pour manifester contre le mariage pour tous. François Bayrou, auriez-vous pu manifester vous aussi aujourd'hui aux côtés de Jean-François Copé ?
François Bayrou – Je ne l'ai pas fait depuis le début de cette mobilisation. Vous savez que j'ai défendu depuis dix ans l'idée qu'il fallait une union civile, je proposais qu'on l'appelle "union" tout simplement, pour qu'il y ait à la fois reconnaissance des couples homosexuels, de leur prise en compte, y compris par l'état civil, et reconnaissance de droits. Ce n'est pas le chemin qui a été choisi par le gouvernement, et la conséquence des choix que le gouvernement a faits, de mobilisation emblématique, d'en faire un emblème pour la mobilisation de son camp, c'est qu'aujourd'hui la France est très profondément divisée. Une partie qui n'est pas majoritaire mais qui est substantielle de la population française disent qu'ils ne s'y reconnaissent pas, ils ont l'impression d'une agression. Je suis certain qu'il existait un chemin pour que cette avancée nécessaire se fasse sans création de divisions et d'affrontements. Vous avez d'ailleurs vu que Ségolène Royal, hier, a repris la même idée.
Tords partagés, dans vos propos, ou vous soupçonnez l'UMP d'avoir soufflé sur les braises en appelant notamment à cette nouvelle manifestation après la promulgation ?
L'UMP fait son travail de parti comme elle peut, je trouve que l'esprit partisan est quelque chose qui n'aide pas beaucoup à faire avancer un pays quand il est en situation de crise. Mais je ne veux pas apporter de critiques parce qu'il y a une chose qu'on oublie trop souvent, c'est que le droit de manifestation est quelque chose que nous devons préserver comme la prunelle de nos yeux. C'est-à-dire que, quand vous êtes un citoyen, quand vous trouvez qu'il y a quelque chose qui ne va pas, vous avez le droit de l'exprimer en manifestant, c'est un des droits fondamentaux, constitutionnels, reconnu par les textes les plus importants. Dans les pays où le droit de manifestation n'existe pas, c'est très embêtant.
MARIAGE POUR TOUS : "L'UMP ET LE PS ONT UNE ATTITUDE CLANIQUE ET C’EST LE PAYS QUI TRINQUE"
Jean-François Copé veut profiter de cette manifestation pour recruter des adhérents à l'UMP. Est-ce que nous ne sommes pas là dans de la récupération politique ?
Oui, la récupération politique est bien entendu à l’œuvre, elle l'est absolument dans tous les camps. Je crois que ce ne sera pas la manœuvre la plus efficace. De tous ceux que je rencontre et qui partagent ce sentiment, parfois cette blessure, ceux qui ne se reconnaissent pas dans le texte et dans la manière dont il a été adopté, je n'en vois pas beaucoup qui ont envie, politiquement, d'aller prendre une carte à l'UMP. Ce n'est pas du tout, me semble-t-il, du même ordre. Donc, les jeux politiques voire politiciens existent, ce n'est pas la peine de le nier, mais ils ne sont pas les plus importants dans cet événement. Le plus important dans cet événement, c'est que la société française dans ses profondeurs, au lieu d'aller vers plus d'unité, autour d'un problème sociétal comme celui-là, vers plus de compréhension réciproque, elle va vers plus de clivages et d'incompréhension, voire même de rejet.
C'est la responsabilité du gouvernement selon vous ?
En tout cas le gouvernement a une part de responsabilité. Il faut comprendre, François Hollande est intelligent, il sait exactement les choses. Il avait le choix entre deux attitudes : avancer ou concilier. Il a choisi, pour avoir un argument pour son camp, pour la gauche française, d'avoir une de ces réformes emblématiques qu'on peut inscrire après dans le marbre. Je pense qu'il n'a pas choisi le chemin qu'un pays en crise devrait choisir.
On a entendu, "responsabilité" plutôt du côté du gouvernement. M. Bayrou, vous venez de prononcer le mot "crise", j'ai envie de vous poser la question suivante. Est-ce que dans chacun des deux camps, face à l'incapacité des politiques à apporter une réponse efficace aux problèmes sociaux, économiques, à la crise, est-ce que chacun finalement n'a pas cherché à utiliser le mariage pour tous pour éviter ce débat ? Le gouvernement pour donner à son électorat de gauche le sentiment qu'il se passait quelque chose, et la droite et M. Copé pour donner le sentiment qu'il y avait une vraie opposition alors que, sur les sujets socio-économiques, on ne l'entend pas.
C'est très intéressant et très juste comme point de vue. Nous avons un pays tout entier pour qui la principale question c'est l'impuissance politique. Une démocratie qui à chaque élection mime le grand soir, l'aube nouvelle, et puis, une fois l'élection passée et les applaudissements éteints, on s'aperçoit que, premièrement, ils ne peuvent pas grand chose – sans doute faute d'avoir une pensée juste, parce que je crois que nous pouvons des choses – et, deuxièmement, les solutions qu'ils appliquent sont finalement assez proches les unes des autres. Il n'y a pas de grand clivage entre les deux camps. L'un et l'autre, l'UMP et le PS, vivent de cette idée de camp, ce qu'il faut c'est mobiliser le camp, donc faire flamber les passions. Donc, ils prennent les sujets qui sont les plus agressifs, les plus sensibles, pour en faire des sujets de mobilisation. C'est précisément cela ma vision. Cette attitude clanique, cette attitude de priorité partisane avant tout, elle est peut-être favorable au parti, encore que je n'y crois guère, mais elle est très défavorable au pays. C'est le pays qui trinque dans cette affaire. Parce que, au lieu de se saisir des questions de son avenir, avec des dirigeants politiques responsables, actifs et vivants, si j'ose dire, il choisit au contraire des attitudes régressives.
Est-ce que l'UMP sort regonflée de cet épisode du mariage pour tous ?
Non.
Droitisée ?
Je n'aime pas beaucoup le mot de "droitisation". D'abord, il y a plusieurs UMP. Comme vous l'avez entendu, Alain Juppé ces derniers jours, et François Fillon un peu plus tôt, a pris soin de marquer, de manifester sa distance à l'égard de ces attitudes de mobilisation partisane à tous sujets.
Et la ligne de Jean-François Copé.
C'est très important à mes yeux. Je pense qu'il y a beaucoup de points de rencontre entre une sensibilité comme la mienne et la sensibilité que Alain Juppé, par exemple, exprime. Et à d'autres moments François Fillon. Il y a beaucoup de points de rencontre. Il y a là un courant avec des sensibilités diverses mais parfaitement compatibles entre elles et qui auront un jour, je le crois, des responsabilités pour que le pays fasse face aux défis et difficultés qui sont les siennes. Donc il y a plusieurs UMP. Mais l'UMP partisane au sens où vous l'entendez, vous me demandez si elle sort regonflée, je ne crois pas.
Et droitisée ? Même si vous n'aimez pas le mot.
Non, parce que ça, ce sont des courants particuliers à l'intérieur de l'UMP qui se font entendre. Cette semaine, Alain Juppé a dit que son regret, et presque son reproche, c'était qu'à l'intérieur de l'UMP on n'entendait que ceux-là qui veulent à tout prix durcir sur tous les sujets pour éviter et pour empêcher que la France ne relève les défis qui sont devant elle.
"IL Y A DEUX COURANTS ANTAGONISTES ET INCONCILIABLES A L’UMP"
Vous y croyez, François Bayrou, à un risque d'éclatement de l'UMP ?
Les organisations politiques ont beaucoup de ressources pour se survivre, même quand elles ne peuvent plus vivre ensemble, même quand elles n'ont plus à partager, c'est comme ça. Au Parti socialiste on le voit bien, à l'UMP aussi. Ce que je crois, c'est que les deux visions sont antagonistes et inconciliables. La vision qui veut à tout prix faire flamber les clivages et la vision de ceux qui disent "attention, les clivages sont dangereux pour le pays", on vient d'entendre Jean-Pierre Raffarin à l'instant...
Ce serait l'UMP Copé d'un côté, l'UMP Fillon/Raffarin/Juppé de l'autre ?
Vous mettez les noms mais vous voyez bien que ces deux sensibilités existent et, comme vous savez, je me suis dès le premier jour opposé à la création de l'UMP sur ce thème.
En venant dire au Congrès "Si on pense tous la même chose, c'est que nous ne pensons plus rien", on se souvient des sifflets et des applaudissements qui vous avaient accueilli ce jour-là, il y a une petite dizaine d'années. Si l'on prenait les choses autrement, c'est-à-dire plutôt via l'électorat, plutôt que les hommes et les responsables politiques. Est-ce qu'il n'y a pas une sorte de tea party à la française qui est en train de se former et qui a envie d'être représenté par des gens qui expriment quelque chose de plus radical ? Ce qui ne veut pas dire les thèses du Front National, mais ce qui veut dire quelque chose de plus radical, en y mêlant à la fois les sujets traditionnels et puis aussi les sujets liés aux valeurs et même à l'identité. Je suis frappé de voir qu'à la faveur de cet épisode pour le mariage pour tous, le mot "identité" est revenu très souvent.
Je vais vous dire quelque chose qui va vous surprendre. La première partie de la réponse ne va pas vous surprendre : oui, en effet, il y a un courant qui se radicalise. Deuxièmement, vous dites que ce courant a envie d'être représenté, ils en ont le droit ! Le problème fondamental des institutions dans notre pays, de la loi électorale pour parler simplement, c'est qu'elle empêche la représentation de courants absolument légitimes qui ont alternativement des fortunes électorales diverses.
Vous êtes en train de nous expliquer que les gens qui sont descendus dans la rue ces dernières semaines pour le mariage pour tous venaient réclamer de la proportionnelle ?
Non, je crois qu'il faut que vous évitiez de parler sur ce ton parce que vous vous trompez.
Ce n'était pas agressif de ma part, pardon si ça a été compris comme cela. Je croyais que vous étiez en train d'expliquer qu'il fallait en venir à une meilleure représentation.
C'était la question de votre confrère à l'instant. Il disait qu'ils ont envie, besoin de représentation. Ils ont raison d'en avoir besoin. Aujourd'hui, vous voyez bien à quel point la gamme des opinions est diverse. Cette gamme des opinions, on l'étouffe en la faisant représenter par deux appareils, qui eux n'ont plus la légitimité de représenter les Français. Alors, de partout, dans tous les coins du paysage politique, vous avez des expressions qui se lèvent, en disant "ces gens-là qui ont tout le pouvoir, quelle est leur légitimité ?". Ils sont incapables de résoudre les problèmes, ils sont incapables de faire sonner un son d'authenticité dans le débat politique, tout le monde s'aperçoit que c'est de la langue de bois et qu'ils parlent faux. Et, de surcroît, ils empêchent les autres au moins de se faire entendre. Voilà pourquoi je dis que, parmi les très grands changements qui sont nécessaires pour que la France puisse retrouver une vitalité, quelque chose d'attractif, il y a ce changement des institutions pour que les grands courants du pays, différents, puissent en effet se faire entendre. Ce jour-là nous verrons qu'en effet il n'y a pas un parti de droite et un parti de gauche comme vous voudriez nous le faire croire, que c'est ridicule, qu'il y a plusieurs sensibilités et que c'est légitime.
"LA FRANCE S’EN SORTIRA EN FAISANT PASSER LES IDEES AVANT LES ETIQUETTES"
Dans ces deux lignes qui se dessinent à l'UMP, on sent bien avec ce que vous avez dit sur Alain Juppé et sur François Fillon, que vous vous sentez plus proche de ces personnalités là, en tout cas de ce qu'elles représentent. Qu'est-ce que ça signifie en termes de recomposition possible et en termes de rapprochement que vous pourriez mener, conduire avec le MoDem ?
Permettez-moi de poser le problème non pas en termes partisans – j'ai dit tout à l'heure que ça avait son mérite mais c'est limité – mais en termes d'intérêt du pays. J'ai la certitude que ceux que je viens de nommer et d'autres, les uns à l'UMP et les autres au PS, dans une aile qui elle non plus n'a pas beaucoup le droit à la parole...
Vous avez des noms ?
Gérard Collomb, le maire de Lyon, par exemple, François Rebsamen, on peut trouver des noms de cet ordre là...
Ceux-là, ce sont des gens qui sont MoDem-compatibles ?
Non, tous les républicains...
En l'occurrence, ce sont des responsables politiques qui sont effectivement MoDem-compatibles chez eux, que ce soit à Dijon ou à Lyon.
Ils le sont effectivement parce que dans leur majorité, que ce soit Alain Juppé à Bordeaux ou les noms que nous venons de citer, ils ont la sensibilité que je représente. C'est une grande novation qu'un responsable politique dise "Je ne suis plus défini par mon camp, je suis défini par mes idées". Je peux travailler, pour répondre à la question qui était la vôtre, avec des gens qui ont des étiquettes différentes, pourvu qu'ils partagent les idées principales. Il n'y a que de cette manière que la France s'en sortira. Voilà ma certitude absolue. Je ne crois pas une seconde au succès de l'étape actuelle de la majorité socialiste que nous avons en France. Je ne crois pas une seconde que la boîte à outils de François Hollande suffise à inverser la courbe du chômage. J'ai repris les deux expressions qui étaient les siennes.
D'où votre proposition de gouvernement d'union nationale ?
Je dis "unité nationale", c'est-à-dire qu'on se met d'accord devant le pays. Le Président de la République propose devant le pays quatre ou cinq axes majeurs qui pour l'instant sont très loin d'être atteints et remplis depuis l'éducation jusqu'au droit du travail ou à la libération des forces économiques du pays. Il devra le faire un jour ou l'autre. Ce jour-là, il n'est pas impossible de penser que des sensibilités différentes puissent soutenir une même action, au moins pour un temps limité.
Question d’un auditeur – Comment arriverez-vous à donner à votre équation impossible entre ni droite ni gauche une réponse qui donnera envie au peuple de France de vous suivre ? Cette question, je vous la pose depuis quinze ans, vous ne m’y répondez jamais.
Je ne connais pas ce monsieur donc s’il me la pose depuis quinze ans… (sourire). Seul le corps électoral, seuls les électeurs et les citoyens français ont la clef de cette question. Quel est le moment déterminant qui va faire basculer ? C’est le jour où l’on s’apercevra que les politiques traditionnels sont incapables d’avancer vers la solution. Par exemple, je donne un rendez-vous. Si à la fin de l’année on s’aperçoit, comme je le crois, que l’amélioration économique promise, le nouveau cycle économique, l’éclaircie, l’inversion de la courbe du chômage, que tout ça n’est pas au rendez-vous, alors il va bien falloir que les responsables politiques et les Français réfléchissent ensemble aux raisons pour lesquelles cela ne marche pas. Ça ne peut pas marcher pour beaucoup de raisons mais l’une d’entre elles est que les formes politiques ne correspondent pas à la réalité du débat des projets.
Pourtant ce diagnostic d’inefficacité des politiques, du gouvernement socialiste – mais vous auriez pu faire le même avec leurs prédécesseurs de l’UMP – semble plutôt profiter aux extrêmes, en particulier à l’extrême-droite, si on en croit les sondages, plutôt qu’au centre que vous représentez.
Vous savez que j’ai publié il y a quelques mois un livre qui s’appelle De la vérité en politique, sujet que nous sommes en train de traiter sous des formes différentes, chez Plon. Dans la conclusion de ce livre, je dis que je suis certain que le chemin que je décris devra être proposé aux Français. Ce que je ne sais pas, c’est si ce sera avant ou après un épisode extrémiste.
Cela veut dire que vous envisagez que Marine Le Pen et le Front National arrivent aux responsabilités ?
Non, je n’envisage pas ça, mais j’envisage le choc, le traumatisme pour certains, pour beaucoup, que peuvent représenter des scores qui seraient très au-dessus des gammes habituelles, simplement par exaspération et lassitude des Français. Il y a beaucoup de gens qui votent pour le Front National en désespoir de cause, ou qui peuvent voter pour l’extrême-gauche en désespoir de cause. Tant la distance est grande ! Mettez-vous une seconde, non pas à la place des journalistes et des politiques du monde médiatico-politique dans lequel nous vivons, mais à a place des gens qui, chaque fois y croient, et qui chaque fois sont désabusés. Qui, chaque fois, se retrouvent avec une perpétuelle aggravation de la situation parce que, simplement, ils sont des actifs et on ne répond à aucun de leurs CV, on ne répond à aucune de leurs propositions pour trouver un emploi. C’est de plus en plus dur, même dans les régions de France où ça va bien. Je suis dans une région où, économiquement, les chiffres sont positifs et même très bons, parce que nous avons l’aéronautique, des centres de recherche très importants, de l’agroalimentaire… Même dans ces régions, c’est effroyable comme découragement, ce que vivent un très grand nombre de familles.
"JE SUIS POUR UNE AUTORITE INDEPENDANTE CHARGEE DE COMPTER LES MANIFESTANTS"
Nous avons ouvert cette émission tout à l’heure en donnant le chiffre de manifestants fourni par la préfecture, c’était 150.000. Un million revendiqué ce soir pas les organisateurs de la manif pour tous.
Vous me permettez une remarque sur ce point ?
Oui.
Je trouve que c’est complètement puéril que l’habitude se prenne dans notre pays que le chiffre des organisateurs et le chiffre des autorités soient de 1 à 6, de 1 à 8…
Il faudrait une forme d’union nationale sur les chiffres des manifs ?
Non. Il faut quelque chose de très simple, une autorité indépendante très légère, quelques personnes habituées avec des instruments et des outils, qui seraient chargées d’établir des chiffres indiscutables.
Un CSA des manifestations ?
Oui… enfin, une autorité. Reprenons l’idée avec laquelle je répondais il y a une minute, qui est que c’est un droit constitutionnel que le droit de manifester. Pourquoi est-ce un droit constitutionnel ? Parce que ceux qui ont inventé la démocratie ont pensé qu’il n’y avait pas que la démocratie représentative pour faire entendre la voix des citoyens, qu’il arrivait assez souvent que la représentation habituelle, classique, notable, ne représente pas suffisamment la voix des citoyens. Les citoyens ont donc un droit absolu, inaliénable, à une expression directe. Si ce droit est absolu et inaliénable, alors il doit être indiscutable dans le constat fait dans les chiffres. Nous avons maintenant des drones, des caméras, des ordinateurs. Vous savez, des drones qui valent quelques milliers d’euros à peine et qui survolent avec une caméra. Vous faites un programme informatique, ça ne doit pas être difficile, et vous avez un compte qui sera, cette-fois, un compte objectif. Je suis pour une autorité indépendante, objective, neutre, chargée de compter les manifestants quand il y a une manifestation.
"L'EXECUTIF PARISIEN DOIT ETRE OUVERT A LA REPRESENTATION DES DIFFERENTS COURANTS"
A Paris, vous avez une candidate, Marielle de Sarnez. Est-ce qu’elle pourrait faire alliance avec Nathalie Kosciusko-Morizet qui, justement, se fait attaquer par cette aile droite dont nous parlions il y a quelques instants ?
Je crois que, sans vouloir me faire l’interprète de ce que pense Marielle de Sarnez, mais j’en parle avec elle, ce qu’elle a à l’esprit c’est que le plus important, c’est la question de la gouvernance. Qu’est-ce qu’elle veut dire par là ? Elle dit que c’est quand même complètement absurde d’avoir une ville comme Paris dans laquelle les questions des élections municipales – circulation, place de la voiture, logement, sécurité, vie culturelle, patrimoine, fiscalité… – soient des questions auxquelles on répond avec comme seule préoccupation l’étiquette des prochains vainqueurs, étiquette PS ou UMP. Or s’il y a une ville en France dans laquelle le prisme partisan n’est pas un prisme exceptionnellement frappant, c’est Paris. Regardez, je vous donne deux chiffres. Je lisais récemment que le Parti socialiste à Paris avait 5.000 adhérents. C’est-à-dire quelque chose comme 0,2 ou 0,3% de la population. Et, aux primaires de l’UMP, et pourtant Dieu sait qu’il y a du battage autour de cette question, ils ont même poussé le zèle jusqu’à repousser la date de clôture, ils vont même, semble-t-il, permettre de s’inscrire pendant le vote…
On pourra continuer à s’inscrire alors que le vote électronique aura déjà débuté.
Ce qui provoque des débats sur l’objectivité ou les règles du scrutin qui ne sont pas minces. Mais vous voyez à quel point c’est dérisoire par rapport à la population. Donc, ce que nous apportons et ce que Marielle de Sarnez apporte, ce qu’elle veut dire en parlant de cette question là, c’est qu’il faut changer cette approche. Vous ne pouvez pas avoir dans une grande ville comme celle-là une municipalité dont l’identification soit partisane uniquement. On peut ouvrir la représentation des Parisiens, et même la présence des différents courants, dans l’exécutif de Paris. Ce n’est même pas qu’on "peut", c’est qu’on doit. Il n’y a pas une petite commune de France, dans laquelle le maire, quand il a besoin de composer sa liste, ne se dise pas "tiens, je vais représenter les gens qui sont un peu plus à gauche et un peu plus à droite, et puis on va essayer de les faire s’entendre pour discuter d’intérêt municipal". Vous savez autrefois on disait "des listes d’intérêt municipal", moi je pense que dans une ville il est vital que l’on puisse associer des sensibilités différentes. La vie d’une cité ne se détermine pas à partir des intérêts partisans. Donc, ce que je reproche le plus à un certain nombre d’équipes, c’est leur sectarisme, leur fermeture. Je pense que notre valeur ajoutée c’est que nous pouvons examiner, le jour venu, au deuxième tour par exemple, s’il ne peut pas y avoir des accords avec d’autres listes et d’autres sensibilités. C’est comme cela que ça devrait pouvoir se faire.
Au deuxième tour ou entre les deux tours, ça veut dire que vous ne direz pas avant à vos électeurs parisiens, par exemple, qu’il y a possibilité d’accord avec la gauche ou avec la droite ?
Il faut que vous invitiez Marielle de Sarnez et ses équipes, parce que ce sont des équipes qui travaillent beaucoup sur ce sujet et ils choisiront leur mode d’expression, ce n’est pas ma responsabilité.
Parce que la question vaut évidemment pour toutes les grandes villes de la France, on a évoqué la question rapidement tout à l’heure. Il y aura des accords à la carte ? C’est-à-dire qu’il y a certaines villes que vous pourriez cogérer avec des responsables socialistes, on a cité tout à l’heure François Rebsamen à Dijon par exemple. Il y en a d’autres, vous pourriez être d’accord avec la droite à Bordeaux, on a cité Alain Juppé.
Oui. Il se trouve que je considère que Alain Juppé est un très bon maire de Bordeaux. C’est la ville où j’ai fait mes études, où j’ai vécu le début de ma vie, où j’ai eu mes premiers enfants, c’est une ville que j’aime beaucoup. Je trouve que Alain Juppé est un très bon maire de Bordeaux, il a fait faire des pas formidables à la ville. Le centre-ville de Bordeaux était autrefois un moins dans le bilan de la ville, aujourd’hui c’est un plus, comme le rayonnement de la ville. Tous ceux qui habitent le sud-ouest, en particulier l’Aquitaine mais l’ensemble du sud-ouest, le savent. Donc, oui, c’est un bon maire. Pourquoi est-ce que vous ne voudriez pas vous entendre avec lui ? Et si on connaît Juppé, on sait que ce n’est pas l’étiquette partisane qui le préoccupe en premier. Nous venons de le voir par ses déclarations. Et la même chose ailleurs, je prends au hasard, je pense qu’à Lyon Gérard Collomb a une approche de cet ordre. Il a d’ailleurs beaucoup plus de difficultés avec la majorité de gauche qu’avec mes amis qui sont avec lui.
Donc, si je vous entends mais vous me dites si je dis des bêtises, ces municipales vont être aussi un peu pour vous l’occasion d’essayer cette stratégie du "ni droite, ni gauche"…
Non, ce n’est pas "ni droite, ni gauche". C’est vie municipale non partisane.
"C’EST LE PROJET QUI DOIT FAIRE LA MAJORITE POLITIQUE ET NON L’INVERSE"
D’accord. Mais est-ce que cette stratégie va vous permettre aussi d’essayer grandeur nature des choses qui jusqu’ici n’ont pas trop marché pour le MoDem, n’ont pas trop convaincu, en tout cas dans la dernière période. Est-ce que c’est pour vous une manière de reconquérir l’opinion ?
D’abord, quand je regarde les enquêtes d’opinion, je n’ai pas l’impression que je doive beaucoup reconquérir l’opinion. Il y a un grand nombre de Français qui sont plutôt en soutien aux choix politiques qui sont les miens. Mais ce n’est pas ça la question. La question c’est que, en effet, vous avez raison, c’est très difficile d’initier des attitudes politiques différentes. Ce qui est facile, c’est d’être dans les sentiers battus, dans les moules habituels. Mais il est vrai que nous apportons, dans cette élection, cette différence-là d’être ceux qui mettent les réalités de la vie municipale, locale, avant les intérêts partisans. Et nous disons "Ecoutez, nous qui sommes au centre et qui sommes partisans de l’unité nationale, oui nous pouvons montrer concrètement que nous pouvons partager des orientations et nous entendre avec des gens qui ont une étiquette différente de la nôtre". Si vous posiez cette question aux Français en disant "Est-ce que vous pensez que pour la vie locale, ce qui doit passer en premier c’est l’étiquette partisane ou les projets concrets pour la vie des gens ?", je suis certain que la deuxième réponse l’emporterait. Cette attitude nouvelle, considérez que nous en sommes les porteurs. Alors, je reconnais que nous ne sommes pas nombreux à défendre une thèse de cet ordre.
Un coup à gauche, un coup à droite ?
Pourquoi "un coup" ?
Vous nous avez parlé de Alain Juppé, de Gérard Collomb, de François Rebsamen… Un coup à gauche, un coup à droite.
Franchement, ce n’est pas "un coup à gauche, un coup à droite".
C’est le "coup" qui ne vous plaît pas si j’entends bien.
Non et puis franchement il ne représente pas la réalité. Les relations que j’ai avec Alain Juppé, ce n’est pas un coup. Ça fait vingt-cinq ou trente ans que nous débattons ensemble, j’ai été ministre dans son gouvernement, nous avons partagé des choses très importantes, c’est un homme que j’estime et j’espère que c’est un peu réciproque. Ce n’est pas un coup, vous comprenez. Précisément parce que nous sommes ce que nous sommes, nous refusons de nous définir à partir de gauche ou droite exclusivement, comme 50% des Français. Il y a au moins 50% des Français qui n’ont pas cette approche simpliste ou caricaturale.
Alors ce ne sera pas un coup à gauche, un coup à droite mais il y aura des alliances, des accords, au cas par cas, en fonction de la qualité humaine et de la qualité de gestionnaire. Est-ce que les alliances iront, pourquoi pas, jusqu’à l’ouverture au centre, à Jean-Louis Borloo et son UDI ?
Vous voyez bien que les points de vue se rapprochent. Vous avez entendu récemment Borloo faire des déclarations, d’ailleurs inattendues par ses choix dans les mois précédents. Je crois même qu’il a évoqué l’idée d’une entrée au gouvernement. Les points de vue se rapprochent, l’idée d’unité nationale que je défendais est une idée qui progresse du côté de l’UDI. C’est normal, il y aura des positions différentes à l’intérieur, mais Borloo évoquant cette idée, tout ça ce sont des pas qui sont faits dans le sens d’une nouvelle approche politique pour la France.
Question d’un internaute – Si François Hollande vous propose le poste de ministre de l’économie, êtes-vous partant François Bayrou ?
Je ne soutiendrai jamais une politique qui ne serait pas en cohérence avec ce que je crois d’important pour le pays. J’ai dit dans un livre il y a quelques années que désormais, comme je sentais les choses et comme je sentais la gravité de la crise, ce ne seraient plus les partis politiques qui devraient faire le projet mais le projet qui devrait faire la majorité des partis politiques. C’est le projet qui devrait définir qui le soutient : " vous faites cette politique, et bien il y a une majorité pour la soutenir". Donc, moi en tout cas, je ne peux entrer dans un gouvernement s’il n’y a pas eu fixation de buts que je considère comme essentiels pour le pays.
"IL Y EU UNE MANŒUVRE DE L’ETAT POUR VERSER 400 MILLIONS D’EUROS D’ARGENT DU CONTRIBUABLE"
Christine Lagarde, ancienne ministre de l’économie a comparu jeudi et vendredi devant la Cour de Justice de la République. La question est de savoir pourquoi a-t-elle eu recours à un arbitrage privé pour régler le différend qui opposait Bernard Tapie à l’Etat et qui s’est conclu par le versement de 400 millions d’euros à l’homme d’affaire.
400 millions d’euros d’argent public, d’argent du contribuable.
Nous allons y revenir dans un instant, d’abord les mots de Christine Lagarde à sa sortie de la Cour de Justice de la République qui affirme ne pas être surprise de ne pas être mise en examen parce qu’elle a "toujours agi dans l’intérêt de l’Etat et conformément à la loi." Est-ce que vous diriez qu’il y a toujours, encore aujourd’hui, une affaire Lagarde ou simplement une affaire Tapie ?
D’abord, il n’y a pas d’affaire Tapie, ou plus exactement, il n’y a d’affaire Tapie que secondairement, parce que ce n’est pas Bernard Tapie qui a signé les décisions qui ont été prises. Je vous dirai que c’est une affaire qui avance et qui, selon moi, avance ces dernières semaines de manière importante. Il y a désormais trois procédures qui sont en cours. Une procédure devant la Cour de Justice de la République qui vise Mme Lagarde et éventuellement d’autres, et qui est une procédure active puisque "témoin assisté" veut dire qu’il y a soupçon de choses graves et que la personne en question peut être mise en cause. C’est cela que veut dire "témoin assisté" et pas témoin normal. Deuxièmement, une procédure au pénal pour des actes très graves dans lesquels il y a faux, détournement d’argent public et abus de pouvoirs sociaux, comme on dit. Cette procédure au pénal avec trois juges d’instruction vise différentes personnes qui sont intervenues dans le dossier. Et une troisième procédure qui vise les fonctionnaires, qui est une procédure devant la cour de discipline budgétaire de l’Etat. Ces trois procédures montrent une chose à l’évidence, c’est qu’il y a dans ces décisions qui ont été prises un soupçon très important de la justice. Il y a eu, je ne sais pas s’il faut dire "manœuvre", ou une manipulation au cœur de l’Etat pour apporter, avec l’argent du contribuable, des centaines de millions à une personne qui n’aurait pas pu les obtenir par la justice. Vous posiez tout à l’heure la question en disant "Pourquoi est-ce qu’il y a eu un arbitrage ?". C’est très simple, il y a eu un arbitrage privé parce que l’arbitrage de la justice ne donnait pas les réponses que les intéressés attendaient. Même la Cour de Cassation dans sa formation la plus solennelle avait jugé qu’il n’y avait pas matière à ce type d’indemnisation. En particulier, le jour où l’on écrira cette affaire, il y a un point qui est absolument terrible pour la conscience civique élémentaire, ce sont les 45 millions d’euros de préjudice…
De dommages et intérêts ?
Non ! De préjudice moral. Vous savez ce qu’est le préjudice moral ? C’est ce qu’on vous donne quand vous avez subi quelque chose d’impossible à quantifier, à supporter, qui ne se mesure pas physiquement ou par les chiffres. C’est par exemple quand vous avez la perte d’un enfant. Vous avez un enfant qui est tué dans un accident, ou parce que un pan de mur d’une commune tombe sur lui et qu’il y a une responsabilité publique, ou quand votre conjoint meurt d’un cancer de l’amiante, alors on dit qu’il y a préjudice moral. Savez-vous combien on donne pour une mort d’enfant ou pour la mort d’un mari ?
C’est en centaines de milliers d’euros, non ?
Non, on donne 30.000 euros. Et à M. Tapie, on donne 45 millions d’euros. Si on lisait les attendus de cette décision impensable, alors on découvrirait que c’est vraiment avec des prétextes d’une si grande futilité que l’on rougit qu’une décision comme ça ait pu être prise. Vous savez pourquoi on donne du préjudice moral ? Parce que le préjudice moral n’est pas soumis à l’impôt. Les autres sont soumis à l’impôt. Vous voyez qu’il y a, j’ai employé le mot de "manœuvre", au sein de l’Etat. L’Etat qui est fait pour défendre la loi, les principes, les contribuables et les honnêtes gens.
"LES AFFAIRES FRAGILISENT LA FRANCE AUX YEUX DE L’EXTERIEUR ET AUX YEUX DES FRANCAIS"
François Bayrou nous vous écoutons, vous nous dites qu’il y a eu une manœuvre de la part de l’Etat, la question c’est : qui est le "on" ? Qui a appuyé sur le bouton ? Christine Lagarde, Nicolas Sarkozy ?
C’est une décision qui ne peut pas être prise sans l’accord du plus haut sommet de l’Etat. La Vème République c’est de demander son avis au Président de la République même pour acheter des crayons. En tout cas pour une nomination banale de sous-préfet ou de fonctionnaire. Le Président de la République s’occupe de tout et Dieu sait qu’on ne peut pas faire le reproche à Nicolas Sarkozy de ce point de vue de ne pas avoir été en première ligne. Tout le monde sait qu’il est impossible qu’une décision comme ça, que cet ensemble de décisions, que la mise en œuvre de cette volonté ait été faite sans qu’il y ait accord, évidemment, du plus haut sommet de l’Etat, c’est-à-dire du Président de la République ou de ses proches.
Ce que dément aujourd’hui Christine Lagarde, elle dit qu’elle a pris cette décision seule à Bercy.
J’ai presque fini en disant qu’il y a évidemment une difficulté morale pour le coup, c’est que, si ce scénario évident aux yeux de tous, aux vôtres, aux miens, aux yeux de tous ceux qui ont regardé l’affaire, si ce scénario est prouvé, la seule personne dont on ne pourra pas rechercher la responsabilité, c’est le Président de la République de l’époque, parce qu’il est frappé par l’immunité.
Donc il ne peut pas s’exprimer sur ce dossier. Vous souhaitez, vous, qu’il s’exprime ?
Le statut du Président de la République, il faudra s’interroger sur cette question, fait que les actes qu’il a commis dans l’exercice de son mandat de Président de la République, il n’en répond pas devant la justice. Vous voyez qu’il y a là quelque chose qui heurte le bon sens parce que les exécutants se retrouveraient poursuivis et ceux qui ont impulsé ou en tout cas inspiré la décision ne le seraient pas. Il y a là quelque chose qui est une question. Tant que nous en sommes là et à la justice, il y a une chose que je veux dire, la Cour de Justice de la République à mon avis fait très bien son travail, elle avance. Mais le jour où elle aura avancé assez, si elle y arrive, pour traduire des responsables devant elle, alors nous nous trouverons devant ce qui est une aberration française : qui sera juge ? Ce seront des parlementaires, des pairs choisis au milieu des députés par les députés et les sénateurs, ce qui fait que l’on passer d’un jugement juridique à un jugement politique.
Question toute simple : est-ce que Christine Lagarde, à vos yeux, même si elle est aujourd’hui dans un statut de témoin assisté, doit rester à la tête du Fonds monétaire international ?
J’ai dit que même si elle avait été mise en examen, c’était la responsabilité de ce qu’on appelle le Conseil d’administration du FMI.
Bien sûr, mais à vos yeux ?
Je pense que si elle était mise en examen, ça fragiliserait beaucoup sa position à la tête du FMI. On a souvent vu des ministres en France aussi dire "ce n’est pas parce que je suis mis en examen que je dois démissionner", mais au bout du compte ils le font systématiquement parce vous avez une fragilisation de la fonction. Donc, d’abord, je pense que c’est mieux pour elle que la décision ait été celle qu’a prise la Cour de Justice de la République, c’est mieux pour l’institution et c’est mieux pour la France. Parce que, si nous avions eu un deuxième épisode après le premier…
C’était la question que je voulais vous poser, est-ce que ça ne fragilise pas la France aussi ? DSK, Lagarde…
Tout cela fragilise la France, la succession des affaires. Cahuzac dont vous avez parlé, cette affaire Lagarde/Tapie au cœur de l’Etat, la décision d’arbitrage, les affaires diverses et variées dont on parle, de transferts d’argent de très hauts responsable… Tout cela est une fragilisation de la France. Alors vous, vous dites que ça fragilise la France aux yeux de l’extérieur. Monsieur, le pire, c’est que c’est une fragilisation de la France aux yeux des citoyens français. Ce sont eux qui sont les premiers heurtés et blessés par ce qui arrive à notre pays et qui n’est pas autre chose qu’un mécanisme de décomposition des deux appareils qui gouvernent le pays alternativement depuis un demi siècle.
"LES FRAUDEURS DOIVENT ETRE IDENTIFIES ET EXCLUS DE LA VIE POLITIQUE"
Nous avons évoqué d’un mot l’affaire Cahuzac. Un sommet européen a été consacré cette semaine justement à la lutte contre les paradis fiscaux. On ne souvient de la petite phrase de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était à l’Elysée nous promettant que les paradis fiscaux, c’était fini. Dans sa version 2013, François Hollande affirme que "l’impunité est terminée" et que "l’opacité est en voie d’extinction". Est-ce qu’il faut croire François Hollande ?
Je l’espère et je le crois. Autant je n’avais pas accordé de crédit à la déclaration sous la forme qu’avait faite Nicolas Sarkozy qui était "Les paradis fiscaux, c’est fini". Tu parles, mon œil ! Les paradis fiscaux, ce n’est pas fini. Mais que, entre les grands pays et notamment ceux qui forment l’Union européenne, se développe un état d’esprit auquel aucun ne pourra échapper, d’échange systématique d’informations notamment bancaires quand on soupçonne l’évasion fiscale, cela – peut-être suis-je idéaliste – je le crois. Je sais bien qu’il va falloir que des gouvernements fassent des efforts parce qu’il y a des gouvernements, c’était le cas de Chypre, c’est un peu le cas de mes amis luxembourgeois, dans lequel l’économie repose beaucoup sur la banque. Et, quand on repose beaucoup sur la banque, cela veut dire qu’on repose beaucoup sur le secret bancaire.
Et on est moins regardant.
Tout cela, il va falloir encore quelques efforts. Mais je dirais des efforts de quelques mois à peine, au moins au sein de l’Union européenne et dans son environnement proche. Vous savez, cela a été très simple, les Etats-Unis ont décidé il y a quelques années, trois, quatre ou cinq ans, je ne me souviens plus de la date exacte, que le secret bancaire suisse était impossible. Que c’était un très grand pays bancaire dont la compétence et pas seulement en banque, en industrie aussi, était très importante, mais que c’était fini. Alors ils ont pris les décisions nécessaires en disant tout simplement que les banques qui ne transmettraient pas les informations ne pourront plus travailler aux Etats-Unis. Ça a duré quelques semaines à peine, au bout de ces quelques semaines, les autorités suisses et les responsables des banques suisses ont dit qu’ils allaient faire ce qu’il fallait. L’Europe n’a qu’à faire la même chose. Ce n’est pas seulement vrai pour les paradis fiscaux proches mais aussi pour les paradis fiscaux lointains. J’ai proposé depuis longtemps une idée dont je suis sûr que l’efficacité est très grande, c’est que les pays développés qui considèrent qu’il y a dans des offshores, dans des pays exotiques, des règles bancaires qui permettent de détourner toutes les règles de droit, disent une seule chose : tout contrat signé dans ce pays ou avec des institutions de ce pays, notamment bancaires, sera nul et non avenu devant nos tribunaux. Cela suffirait à régler l’ensemble des questions qui se posent sur ces sujets. Si on ne le fait pas, c’est qu’on ne veut pas le faire.
François Bayrou, je voudrais vous faire écouter, avant que cette interview ne prenne fin, un témoignage recueilli cette semaine par Benoît Collomba dans le cadre de l’affaire Cahuzac. Justement, il s’agit d’un ancien cadre de la banque suisse Reyl, il s’appelle Pierre-Condamin Gerbier, il vient d’être entendu il y a quelques jours par les juges en charge de l’affaire. Il évoque une "pratique systémique de fraude" de la part "d’hommes et de femmes politiques français de tous bords" parfois "utilisés par des systèmes incluant des financements politiques". Il parle de "Cahuzac à gauche, à droite", et au centre François Bayrou ?
J’espère que non. En tout cas, dans le centre qui est le mien, je suis sûr que la réponse est non. Ces personnalités, si elles existent, et ce n’est pas la première fois que j’entends ce monsieur le dire ouvertement devant des caméras et des micros…
Oui, ce qui est quand même assez étonnant.
Si ces personnalités existent, si leurs noms existent, elles doivent être identifiées et exclues de la vie politique du pays. Parce que vous voyez bien qu’en France nous sommes impitoyables pour les petits. Vous êtes un artisan, vous avez du retard à l’Urssaf, je vous assure qu’on ne vous accorde pas trois jours de délai pour respirer, on ne vous accorde pas un crédit, on vous poursuit ou on vous fait vendre la maison. Vous êtes une mère de famille au RMI, j’en connais, ou une jeune femme au RMI, vous avez fait quelques heures de ménage de trop, on vous oblige à rembourser. Pour les petits on est impitoyable. Ce que les Français ressentent, c’est que ce n’est pas la même règle pour ceux qui sont puissants. Il importe que les choses soient réglés, tranchées, identifiées et que l’on ne puisse plus soupçonner que des pratiques de cet ordre aient lieu. C’est vital pour le contrat civique, pour notre pays et pour la République que nous voulons y faire vivre.