Connexion
Archives

"Nous agirons autour de ce que j'appelle les '3I' : investir, innover et internationaliser"

Anne-Marie Idrac, ancienne secrétaire d'État au Commerce extérieur, rappelle l'importance des enjeux autour du "Produire en France" et de la réduction du déficit budgétaire qui est "la meilleure façon de favoriser les marges et de réduire les charges des entreprises".

Quel est l'enjeu du "Produire en France" ?

Anne-Marie Idrac : Le "Produire en France" je pense que c'est l'enjeu de politique économique le plus important. Plus important encore que la réduction du déficit budgétaire. Après tout, le déficit, c'est l'affaire de l'État et des pouvoirs publics, tandis que le déficit commercial, c'est la maladie de la France. Le déficit commercial, c'est le fait qu'on n’est pas capable de produire autant qu'on a envie d'acheter. François Bayrou a vraiment mis le doigt dessus comme une priorité absolue parce que c'est une perte de substance. Ça veut dire qu'on n’a pas autant d'emploi qu'il ne le faudrait, ça veut dire pas assez d'assiette fiscale pour les cotisations sociales. Donc c'est vraiment l'enjeu majeur de cette politique économique.

Comment favoriser le développement d'une production française ?

D'abord, je crois que le redémarrage de la production française est politique. C'est-à-dire qu'il faut faire de ce sujet une obsession, c'est l'obsession absolue. C'est-à-dire que toutes les décisions de politiques économiques sont prises en fonction de ce critère et de ce qui va favoriser la production. Par exemple, il y a beaucoup de décisions qui sont prises au nom la concurrence et qui favorisent les consommateurs. Donc, à court terme, on est content et puis on s'aperçoit que cela a facilité l'importation de produits chinois. Je n’ai rien contre les produits chinois, sauf que ce n'est pas de l'emploi en France et ce n'est pas de l'assiette fiscale en France. De ce point de vue, l'idée de Bayrou de créer un commissariat aux stratégies, je ne sais pas s'il s'appellera comme ça, c'est une occasion pour tout le monde de travailler à cette obsession. C'est la base. J'ai dit "tout le monde" parce que ce n'est pas simplement l'affaire du gouvernement, certainement pas, ni l'affaire des seules entreprises, les grandes ou les petites, mais c'est une affaire où l’on rassemble dans une espèce d'union nationale de reconstruction de l'appareil de production, comme il y a eu une reconstruction après la guerre, car nous sommes dans une forme de guerre économique. Rassembler syndicats, organisations patronales, chercheurs, pouvoirs publics, dans une espèce d'intimité en de compréhension de ce qu'il se passe.

On peut réfléchir à un certain nombre de dispositifs et l'analyse que fait François Bayrou et que nous partageons avec notamment Jean Peyrelevade et Robert Rochefort, c'est que ce qui est insuffisant dans la production française, c'est la capacité de ce que j'appelle les "3i" : investir, innover et internationaliser. Et pourquoi les entreprises françaises n'ont pas la capacité à investir, innover, internationaliser ? C'est parce qu'elles n'ont pas des marges suffisantes. Donc nous pensons que réduire le déficit budgétaire, c'est la meilleure façon qu'on a d'améliorer les marges. C'est la meilleure façon que l'on a de réduire les charges. On parle beaucoup de la réduction des charges, or la meilleure réduction des charges, c'est la réduction du déficit qui passe par la réduction des dépenses et par la capacité à restaurer progressivement la marge des entreprises, pour que comme les grands pays exportateurs d'Europe elles puissent se porter vers l'extérieur. Évidemment pas sur le "low cost", faut pas rêver. Ce n’est pas en réduisant les charges salariales qu'on va courir derrière des pays dits "low cost" et sur des produits "low cost". Donc le choix, il doit être sur ce qu'on appelle quelquefois les avantages hors couts. C'est à dire, l'innovation, le service après-vente, ou le marketing par exemple. C'est très important, il y a des boites qui réussissent à produire et à vendre et puis il y en d'autres qui n'ont pas les bons circuits de commercialisation. L'image de marque de notre pays est importante tout comme la mobilisation des consommateurs lorsqu'il s'agit de consommation individuelle.

Ne faudrait-il pas mettre en place un écosystème de la production ?


L'idée d'écosystème de production, c'est vraiment une formidable façon de voir les choses. Ça veut dire que les grandes entreprises travaillent avec les petites, ça veut dire que les chercheurs et les enseignants travaillent avec les entreprises, ça veut dire que les pouvoirs publics sont capables de comprendre les préoccupations des entreprises. Ça veut dire qu'entre les organisations syndicales et patronales, on se mobilise comme l'ont fait les Allemands. Sur cet objectif prioritaire, on va produire et vendre, bien entendu, pour pouvoir conserver de l'emploi et de la force de frappe française, en quelque sorte, que ce soit du point de vue économique, mais aussi du point de vue politique dans le monde.

Avez-vous un exemple concret de ce type d'écosystème

Je vais vous donner l'exemple de ce que j'ai fait quand j'étais le patron de la SNCF. Pour les contrôleurs, on a acheté des nouveaux uniformes avec un modèle de Lacroix. Et nous avons choisi, après appel d'offres évidemment, la société Armorlux. Tout à l'heure, j'ai dit que c'était très important de choisir la qualité, y compris la qualité marketing, mais j'aurais pu dire aussi ces services associés. En l'occurrence, dans le cas d'Armorlux, ils nous ont proposé pas simplement de l'équipement textile avec pas mal de pièces (pantalons, jupe, etc.) qui n'étaient pas toutes fabriquées en France et ils avaient prévu avec les syndicats une opération de responsabilité sociale et environnementale à l'égard des pays d'Afrique d'où venait le coton des T-shirts par exemple. Il y a donc de la valeur ajoutée pas uniquement sur l'aspect textile, mais aussi sur la logistique et en l'occurrence la possibilité de délivrer à plus de 15 000 salariés de la SNCF, des hommes et des femmes, des gens qui font du 38 et d'autres du 52, dans toutes les villes de France, un certain nombre d'éléments de vestiaires en les combinant et en les faisant arriver en temps utile. Ce qui évitait à l'entreprise et au maître d'ouvrage, donc à la SNCF en l'occurrence, d'avoir à se charger de ce service logistique qui n'est pas le cœur de métier d'une entreprise ferroviaire. Moi je crois énormément à la fois à l'innovation technologique, mais aussi à tous les services associés : la logistique, les services après-vente, la communication, le marketing… De ce point de vue là, l'économie numérique comme on dit, offre vraiment des possibilités nouvelles absolument sensationnelles. Gestion des stocks, accès aux clients, accès aux fournisseurs… Il y a des produits qui n'existeraient même pas si Internet ne permettait pas de les développer et de les distribuer. C'est un bon exemple de ce que l'on dit quand on parle d'innover de manière générale dans tous les domaines. Parce que produire en France c'est à la fois des sujets techniques pour l'industrie et des sujets économiques.

Filtrer par