"L'UMP n'est pas un alliage durable, le parti unique de la droite et du centre est une illusion"

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Dans une interview à Atlantico, le maire de Pau se montre très critique envers la politique de François Hollande, mais ne regrette pas ses attaques passées contre Nicolas Sarkozy, au nom de ses "responsabilités" de citoyen de dénoncer des "dérives qui menaçaient notre pays".

Atlantico - La politique économique de François Hollande ne semble pas produire les résultats escomptés pour le moment. Pourtant, différentes stratégies ont pu déjà être expérimentées, dont le revirement vers une politique de l’offre en janvier dernier. Comment analysez-vous la situation économique actuelle ?

François Bayrou - Il faut voir les choses très simplement. La France s’affaiblit depuis 15 ans sans qu’il n’y ait eu, à aucun moment, un ressaisissement. Le chiffre le plus significatif est celui du commerce extérieur : 70 milliards de déficits. Cela est insoutenable dans le temps dans un pays qui a un contrat social très ambitieux. Un Etat extrêmement structurant de la société, mais très cher, des collectivités locales trop nombreuses et labyrinthiques, des déficits publics les plus importants de l’Union européenne.

Cet Etat-là ne peut avoir en même temps un appareil de production qui s’effondre continuellement. Ceci créera des problèmes très importants dans le temps. D’autant que la vie politique est elle-même  profondément dégradée.

Tout cela décrit une France au propos de laquelle les français ont bien raison de se faire du souci. Quand François Hollande choisit la politique de l’offre, ce choix dans les mots est de bonne inspiration. Mais dans les réalités, qu’y a-t-il de changé ? Lorsque le 14 juillet il déclare faire 50 milliards d’économie et « donner » 40 milliards aux entreprises. Très bien.  Mais où sont les 50 milliards d’économie ? 

Pour ma part, je ne crois pas que l’on puisse faire 50 milliards d’économie à structure constante. Il faut une reconfiguration de l’Etat, des collectivités locales et de la sécurité sociale. Et la plupart des décisions prises sont contradictoires avec l’objectif affiché. J’en prends une comme exemple, que le gouvernement a annoncée et que François Hollande a mise en valeur. Tout le monde sait qu’il faut responsabiliser en matière de sécurité sociale, de dépenses de santé. Or que nous annonce-t-on, comme une grande victoire ?  L’introduction du tiers payant chez le médecin, c’est-à-dire la déresponsabilisation absolue. Cela est donc incohérent, illogique, et nuisible dans le long terme. Car la déresponsabilisation est un aller sans retour. Les gens considèrent que les avantages nouveaux accordés deviennent un dû. Cela est absurde et nous conduit à une situation de laquelle nous ne sortirons pas. Du moins aussi longtemps qu’un mouvement profond et assumé dans la société française ne nous conduira pas à choisira la reconstruction de type 1958. A une différence près, en 1958, la croissance était de 5%, alors qu’en 2014 nous sommes à 0.

Vous dites que la France s’affaiblit depuis 15 ans, et vous mentionnez le commerce extérieur… Faites-vous un lien avec l’euro ?

Non, ce n’est pas mon analyse. Je fais un lien avec une série d’évolutions contraires à notre vitalité économique, dont les 35 heures a été la plus symbolique. Tous les pays qui nous entourent sont en excédent de commerce extérieur, ils ont pourtant tous l’euro. Même l’Espagne, même l’Italie. Je ne crois  pas du tout à la mythologie française de la dévaluation comme la solution aux maux du pays. Cette vision nous a tellement fait de mal. En nous persuadant que l’on peut éviter les efforts de reconstruction du pays grâce à la transformation de notre monnaie en monnaie de singe, on nous détourne du travail nécessaire. 

Je pense que la monnaie doit être une traduction du réel. Jouer avec sa valeur, ce ne sont que des palliatifs de court terme. De surcroît lorsque vous avez 2000 milliards d'euros de dettes, il devient impossible de jouer avec la monnaie. Car cette dette est refinancée en empruntant plus d’un milliard d’euros par jour ouvrable. Chaque jour. Et si vous avez des taux d’intérêt qui explosent alors vous ne pouvez plus vivre. Vivre au quotidien, puisque qu’en France on emprunte pour payer les salaires des fonctionnaires, on emprunte pour payer les feuilles de la sécurité sociale. Cette démarche là nous conduirait à la catastrophe, au gouffre, comme on le voit avec des pays d’Amérique latine qui ne s’en remettent pas. Demandez à l’Argentine. 

Hollande, Valls et Montebourg enchaînent les grandes annonces sur l'Europe tout en s'appliquant à faire en sorte qu'elles ne soient pas suivies des faits. Dernier exemple en date : l'incapacité française à défendre sa place dans les instances européennes. Pourra-t-on s'en sortir sans réformer l'Europe et le fonctionnement de la zone euro ?

Nos problèmes ne viennent pas de l’Europe. Nos problèmes viennent de chez nous. Il y a des problèmes en Europe, mais les problèmes de la France, de la société française, ne viennent pas de l’Europe. Les problèmes de la capacité créative du pays, de la place faite à l’entreprise, de la fiscalité, de l’inadéquation de nos codes, de la dérive de l’éducation nationale, notre problème de formation professionnelle, la question de notre vie publique honteuse. Ces problèmes la sont la conséquence d’une vie politique qui s’est peu à peu délabrée et d’une absence de vision, de fermeté dans la vision et dans l’expression, des dirigeants successifs, de leur capacité à entrainer les peuples sur le chemin de la lucidité et du courage. 

Par ailleurs l’Europe a des problèmes qui entrent en confrontation avec l’attente des citoyens. Ceci est autre chose. Mais chercher à faire croire que c’est l’Europe qui est la cause des difficultés, c’est un dévoiement. Nos regards ne doivent pas se tourner vers l’Europe mais vers la France. Cependant je crois que le désir légitime des citoyens de reconstruire s’affirmera un jour ou l’autre.

La France perd-t-elle effectivement ou supposément  de son influence ? 

La perte d’influence est effective, mais cela ne date pas de ces derniers mois. Cela fait des années que la France qui occupait des positions clés au sein de la communauté des responsables européens s’affaiblit, que la position de la France est de plus en plus discutée. Parce que la France ne fait pas le constat de la responsabilité qui est la sienne sur sa situation. Quand vous avez autour de la table quelqu’un dont il est clair qu’il n’a pas organisé sa maison comme il le devrait, qui la laisse peu à peu se dégrader, et qui vient vous dire « Mesdames et Messieurs c’est de votre faute », son crédit s’affaiblit nécessairement. 

Il n’y a pas eu de stratégie suffisante, de long terme, dans l’occupation des responsabilités européennes, et de surcroît le discours de la France en Europe est illisible. 

Nicolas Sarkozy est entré violemment en conflit avec une certaine vision des dirigeants européens en prétendant qu’il allait faire un condominium franco-allemand, ce dont les allemands eux même ne voulaient pas. Qu’il décidait par ukase à la place des autres, à l’égard de l’Italie par exemple. Ceci est le contraire d’une vision européenne.

Le même Nicolas Sarkozy, quelques jours après son élection en 2007, est allé à l’Eurogroupe pour faire « sauter » la discipline des 3%, mettant son autorité de Président de la République française nouvellement élu au service du laxisme, alors que nous étions dans une période de relative croissance. Les dirigeants européens, et Jean-Claude Juncker en premier, n’ont pas oublié cela. C’était un bras de fer au service d’une grave erreur stratégique.

Considérez-vous qu'il soit satisfaisant d’un point de vue démocratique que l'Europe se dirige tout droit vers le fédéralisme sans que le peuple en ait exprimé le désir ? N'a-t-on pas épuisé les charmes des décisions prises contre les électeurs ?

Je n’ai pas voté le Traité de Lisbonne. Car c’était une mauvaise démarche de forcer la main des peuples. Quand un peuple vous dit « non » au référendum, le surprendre par ruse et lui imposer sans clarté, de manière opaque, ce qu’il avait refusé, est une très mauvaise démarche. J’avais proposé pour ma part un texte court, simple, mais soumis au référendum, pour que les français puissent adhérer vraiment à une nouvelle orientation.

Cela dit, il y a au moins une chose positive ces dernières semaines. Avec l’élection de Jean-Claude Juncker, l’engagement démocratique a été respecté, alors que beaucoup ne voulaient pas le tenir. Cet engagement qui est de dire aux citoyens, si vous votez pour tel parti, alors vous aurez tel président, candidat du parti vainqueur, a été finalement tenu. Je trouve que cela est positif car ainsi les prochaines élections européennes prendront une autre dimension. Jean Claude Juncker est un homme d’Etat de grande expérience, de grande conviction. Il est à la fois de grande conviction européenne et de grande conviction dans le projet de société. Il est un homme qui pense que la société ne doit rien lâcher en termes d’efficacité, et rien non plus en termes de solidarité. C’est quelqu’un en qui je mets de l’espoir. Si quelqu’un est capable de débloquer la machine, lui l’est. Ce n‘est pas une garantie, ce n’est pas une certitude, mais il en a la capacité. Il faut maintenant qu’il en ait la force, qu’il soit plus fort que les puissances de paralysie et de retour en arrière.

Etes-vous convaincu par les dernières déclarations de François Hollande concernant le budget de la Défense ?

Le 14 juillet, François Hollande a affirmé qu’il avait sanctuarisé les crédits militaires. Est-ce que cela est vrai ? Ce n’est pas ce que pensent les officiers et les cadres de l’armée. Toujours la même distance entre les déclarations et le réel. Mais je souhaite qu’il le fasse. Nous sommes devant un monde qui est de plus en plus périlleux, instable, et l’une des capacités de la France, c’est sa capacité d’intervention. Je souhaite que cette capacité d’intervention soit mutualisée avec d’autres états européens. Mais si ces derniers sont dans l’hésitation, l’inaction et l’enlisement, il faut que la France ait sa liberté d’agir. Je me refuse à tirer un trait sur les nécessités de la défense nationale.

Considéreriez-vous l’exclusion du budget de la Défense au sens du déficit de Maastricht ? 

Cela ne serait pas absurde. Car cette capacité de défense est en notre nom mais elle est aussi en nom des autres Etats européens. Nous ne sommes pas seuls. Notre doctrine d’intervention inclut, dans les intérêts vitaux du pays, les intérêts vitaux de l’ensemble européen auquel nous appartenons. A juste titre. 

Vous vous placez dorénavant clairement dans l'opposition. Au-delà des affaires qui plombent l'UMP, comme Bygmalion, sur le terrain des idées, quelle part de responsabilité estimez-vous porter dans le fait que l'opposition soit complètement inaudible ?

Aucune. Je me suis battu sans cesse pour que la France se ressaisisse et que le centre soit un acteur majeur de ce ressaisissement. J’ai vu venir très tôt les dérives qui s’étalent aujourd’hui en première page de tous les journaux. Je ne me suis pas contenté de les voir venir, j’ai écrit un livre qui s’appelait Abus de Pouvoir qui en était l’analyse clinique et engagée. Parce que j’ai une responsabilité civique, comme tout citoyen français. Et cette responsabilité je l’exerce. Je fais aujourd’hui moins de déclarations virulentes à l’égard de Nicolas Sarkozy que n’en font ses propres amis. Je me battais contre ce que je voyais d’inacceptable alors qu’il était au sommet, adulé de tous. C’est plus difficile, mais c’est plus juste.

J’ai pris mes responsabilités, parce que je pensais que ces dérives menaçaient notre pays sur deux points principaux. Le premier est que Nicolas Sarkozy et ceux qui l’entourent avaient fait du clivage perpétuel et de la montée des passions des Français les uns contre les autres un carburant pour leur puissance politique. Division et exaspération des divisions. Alors que pour moi, qui suis profondément unitariste quand je pense à mon pays, je pense que le devoir des dirigeants est de rassembler. Un dirigeant qui divise est un dirigeant qui affaiblit.

La deuxième raison est qu’au travers de nombreuses affaires, il était  clair pour moi que le pouvoir de cette époque avait pour pratique constante de prendre toute liberté avec la loi et ses principes. La loi et les principes, c’était pour les autres. Pour eux, la fin justifiait les moyens. Or je pense que la grande ligne de clivage de la politique est entre ceux qui pensent que la fin justifie les moyens et ceux qui pensent, au contraire, comme Ghandi que « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la graine ». Il y a une unité substantielle entre la fin et les moyens. Et ceci crée deux comportements politiques. C’est pour cette raison là que j’ai fait le choix de l’alternance. Après, est ce que François Hollande a été ce qu’il aurait dû être, c’est autre chose. Et évidemment la réponse est non.

En 2012, vous avez voté pour François Hollande. Au regard du bilan qui est le sien, comprenez-vous ceux que cela pourrait faire douter de votre clairvoyance ? 
 
Ce qui était en jeu était beaucoup plus important encore qu’une question de programme. Imaginez-vous où nous en serions aujourd’hui, avec l’explosion des affaires, si l’issue du scrutin avait été différente ! Avec ce que nous avons appris de Bygmalion et de l’effarante explosion des comptes de campagne, où en serions-nous ? Imaginez le climat dans le pays, les manifestations, et la gauche qui triompherait en prétendant détenir les clés et les solutions de l’avenir. Aujourd’hui, les illusions sont enterrées et les scandales conjurés. La vérité apparaît enfin ! Il y a des moments où il faut avoir le courage, même seul contre tous, de prendre des décisions cruciales. Mais ce qui est terrible dans cette prise de responsabilité, c’est qu’elle a été solitaire. 

Récemment, un éditorial du Figaro posait une bonne question : « Pourquoi tous ceux qui critiquent Sarkozy aujourd’hui dans son camp ne l’ont-ils pas critiqué lorsqu’il était au pouvoir ? Comment n’ont-ils rien dit si les choses étaient si graves qu’ils l’affirment aujourd’hui ? Et comment imaginer qu’ils aient pu ne rien savoir, étant données les responsabilités qu’ils exerçaient ?  » Etre citoyen c’est prendre ses responsabilités, même seul. J’ai fait cette expérience de solitude et je ne le regrette pas. 

Vous avez déclaré que Nicolas Sarkozy ne pouvait pas être le rassembleur de la droite. Comment expliquez-vous qu'il garde une telle audience auprès des sympathisants UMP ? Qui d'autre à l'UMP pourrait jouer ce rôle ? Par ailleurs, étant donnée la tendance à la radicalisation de l'électorat de droite, est-ce imaginable que celui qui portera la voix de la droite ne soit pas issu de l'UMP ?

Je ne crois pas que l’UMP soit un alliage durable. Je ne l’ai jamais cru. Je suis allé déclarer mon scepticisme le jour de la fondation du mouvement à Toulouse, parce que « le parti unique de la droite et du centre », c’est une illusion.  Vous savez ce qu’est une émulsion en physique. Vous avez beau agiter le mélange, l’huile et l’eau ne se marient jamais vraiment et finissent toujours par se séparer. Il y a deux  sensibilités politiques au sein de l’UMP, et ces deux sensibilités ne croient pas les mêmes choses, n’ont pas la même vision ni les mêmes valeurs. Et d’ailleurs, que chacun soit fidèle à ce qu’il est, c’est cela qui est la vérité, c’est cela après tout qui est estimable et noble. 

Nicolas Sarkozy est évidemment favori dans sa reconquête de la droite. D’abord parce qu’il ne trouvera jamais un corps électoral aussi favorable que les adhérents de l’UMP au 30 juin 2014. C’est le meilleur corps électoral imaginable pour lui. Deux options au choix : soit il prend l’UMP, soit il crée un parti nouveau, ce qui l’exonère au passage de 80 millions de dettes. Je ne vois personne capable de le devancer dans l’état actuel de la droite et je ne vois personne capable de fédérer cet ensemble disparate. J’entends des candidats réclamer une génération nouvelle. J’avoue être sceptique face à la théorie des générations. Je me souviens assez bien de ce discours que tenait Rocard face à Mitterrand, trois ans avant 1981 !... Je crois aux personnalités denses. Nicolas Sarkozy, avec qui je suis si souvent en confrontation, est une personnalité dense, Alain Juppé est une personnalité dense, et François Fillon est également en piste. Qui d’autre ? Pour être dense, il faut traverser des événements un peu lourds. Il faut être capable de s’extraire du conformisme ambiant. Et il faut accepter de prendre des risques. On verra qui est capable de le faire.

Seriez-vous capable de travailler avec Nicolas Sarkozy sur une ligne politique déterminée ?

La ligne politique, la conception du pays et de la société, c’est précisément cela la question. Nicolas Sarkozy a porté une vision politique et des « valeurs » qui, jusqu’à maintenant, sur des points essentiels, ont été le contraire des celles auxquelles je crois du plus profond de mi-même. 

Comment à droite parvenir à recréer la synthèse qui n'a aujourd'hui plus cours entre conservatisme et libéralisme ?

Ce sont des catégories qui sont aujourd’hui fort discutables. Conserver quoi ? Les institutions ? Il faut les réformer. L’éducation nationale ? On n’en est plus à conserver, il faut reconstruire à partir de valeurs, qui certes, ont été des valeurs républicaines très soutenues par l’école et qui ne le sont plus du tout aujourd’hui.  Mais il ne s’agit en aucun cas de conservatisme. S’il s’agit de l’économie, je ne sais pas ce que conservatisme veut dire. 

Pour le libéralisme, c’est un sujet très problématique pour la France. Ce que la France appelle libéralisme, et qui crée une polémique énorme dans notre pays, c’est la gauche dans d’autres pays. Aux Etats Unis, être libéral c’est être à gauche, en France être libéral cela veut dire être très à droite, et on ne comprend pas pourquoi. 

Si on en revient aux fondamentaux, le Parti Démocrate Européen que je préside siège au sein d’une alliance avec les libéraux européens. Démocrates et libéraux appartiennent au même groupe pour peser ensemble au centre de la vie politique européenne autant qu’il est possible. 

Je ne crois pas à l’étatisme. Est-ce que l’énergie économique d’un pays peut être décidée du sommet ? Je ne le crois pas. Je pense que l’économie, la vie, la créativité c’est « Que 1000 fleurs s’épanouissent ! ».  Le devoir de l’état est de créer un biotope à partir duquel ces 1000 fleurs puissent s’épanouir. Mais la somme des intérêts particuliers ne fait pas l’intérêt général. Il y a une responsabilité de l’État, particulièrement en France, qui n’a pas  été exercée ces 15 dernières années, et qui est de veiller aux grandes orientations stratégiques. L’État, par exemple, s’est fait le complice d’une idéologie de liquidation de plusieurs grands secteurs de production, ou en tout cas a été indifférent à leur liquidation. Il a été complice de l’idéologie qui prétendait qu’il n’y avait pas de différence structurelle entre les services d’un côté, la banque, l’assurance, et d’un autre côté la production, l’industrie ou l’agriculture. 

Or il arrive un moment où une société qui se détourne de la production, du moins des grands secteurs de production, ne peut plus défendre son contrat social !

Un exemple tout bête. Nous vivons et allons vivre de plus en plus dans un monde d’écrans, du smartphone à l’ordinateur portable, de la télévision à l’écran géant. Immense marché chez nous, immense marché mondial. Or plus un seul de ces écrans n’est fabriqué en Europe ! Plus un ! Et ce n’est nullement une question de coût du travail : le prix du travail est marginal dans un écran. Nous avons laissé partir toute la technologie, la capacité d’inventer, la maîtrise du produit, le design, l’investissement… et ceci est une faute qui relève des politiques. Je ne dis pas qu’il ne faut pas accepter la concurrence, elle est positive, mais les politiques ont un devoir de stratégie. En laissant faire les acteurs économiques sur leurs propres capacités de décision, d’appréciation et de retour sur investissement, jamais une filière ne sera défendue. Il faut une vision claire et une capacité d’entraîner, tout en n’étant pas dans la caricature.

Je crois à la liberté nécessaire à l’invention, à la création, et je crois à la responsabilité d’un État capable de fédérer, d’entraîner, de penser le long terme et les grands équilibres.

Vous avez dans l'esprit des Français la stature et la notoriété pour incarner le rassemblement du centre. Mais il vous manque les cadres et la structure. L'UDI les a : en prendre le contrôle, est-ce une option que vous envisagez ?

Je ne participe à aucune manœuvre de cet ordre. La plupart des responsables de l’UDI ne sont pas des étrangers pour moi et beaucoup sont des amis personnels. Nous avons été ensemble et nous serons ensemble à nouveau un jour, c’est ma conviction. Si le centre veut dire quelque chose, alors il faut qu’il se rassemble. Il faut qu’il arrête de se vendre au plus offrant, ce qu’il a l’habitude de faire depuis trop longtemps, dans des manœuvres compliquées où il se perd lui-même. Il faut aussi qu’il arrête d’être une auberge espagnole où se précipitent des ralliés intéressés, en provenance de n’importe quel horizon, avec le projet d’en prendre le contrôle alors qu’ils n’ont rien à voir au fond avec cette sensibilité. 

Les personnalités qui sont vraiment du centre, je n’ai pas envie de les surprendre par une manœuvre d’enveloppement.

Une telle manœuvre serait vouée à l’échec parce qu’elle ne serait pas construite autour des questions essentielles.

Et puis, il faut que j’ajoute quelque chose : je pense qu’aujourd’hui la question est bien plus nationale que partisane. C’est-à-dire que je m’efforcerai de m’adresser plus largement qu’au centre. Mais il faut que le centre s’assume. Il peut avoir un dialogue républicain, civique, avec d’autres sensibilités quand il s’agira de reconstruire le pays. 

La capacité qui est la mienne, quelle qu’elle soit, je la mettrai au service de cette reconstruction-là. Qui n’est pas seulement la reconstruction du centre. Il faut des voix qui parlent au pays dans ses profondeurs. Si je peux être une de ces voix, je serai dans mon rôle. 

Je ne crois pas que la forme partisane traditionnelle du XXe siècle soit la forme adaptée à l’avenir. Organiser un vote dans un parti avec des gens qui vont acheter des inscriptions, cela n’a aucun sens. 

Quel destin envisagez-vous pour la droite ? Quelle influence cela pourrait-il avoir dans votre stratégie d'alliance avec l'UDI ?

Je ne pense pas le pays en droite et gauche. Je sais bien pourtant que depuis des décennies, c’est comme cela que les choix se font. Mais regardez où cela nous a conduits ! Bien sûr, le bipartisme facilite la prise de pouvoir. Mais qu’est-ce que le pouvoir si on ne peut rien en faire ? Il m’importe peu de savoir quel bord est au pouvoir si les deux bords se trompent. Or ces dernières années, les deux bords se sont trompés à l’envi. 

Mon engagement dans la vie politique française, il n’est pas autour de la question de la prise de pouvoir, il est autour de la question de la prise de conscience du pays. La prise de conscience, c’est le préalable à tout redressement.

Mon engagement est qu’il y ait un courant, une force politique, qui travaille autour d’une approche lucide et de la formation d’une volonté nationale. La question est française. C’est notre vie publique qui depuis longtemps ne produit plus la volonté et la lucidité qui font les pays courageux et rayonnants. Notre pays, depuis des années, manque de pensée ferme et de leadership. 

C’est cela qui m’intéresse, pas les conflits de personnes, pas l’ambition au sens carriériste. Je suis passionné par mes deux responsabilités, locale et nationale. Il est passionnant d’être à la tête d’une ville qui a une grande histoire et un grand avenir. Pau est la capitale de ma région, la capitale historique, économique et intellectuelle d’une région à très grand potentiel, avec des entreprises de pointe dans le monde, et un grand nombre de chercheurs, le Béarn. Et il est passionnant d’avoir la responsabilité du Mouvement Démocrate, un mouvement uni, avec une vision originale, au moment où tous les partis autour de nous sont dans les affres, les fractures ou les crispations. 

Mais comment ne pas s’inquiéter en voyant notre pays dans l’état où il est ? C’est une cause de profond souci pour quiconque qui aime la France. Un responsable politique, ou simplement un citoyen, ne peut pas être heureux quand il voit son pays malade. Ce sont des centaines de milliers de destins qui sont profanés par ce désespérant imbroglio. Contribuer à la prise de conscience et au ressaisissement de notre pays, voilà ma mission. 

Et une telle mission ne peut pas être remplie si on pense à soi-même d’abord. La prise de conscience suppose un esprit d’ouverture et le souci du rassemblement. 

Vous participez à un numéro de Causeur sur les nouvelles fractures françaises. Christophe Guilluy rappelle que la France des 60 % d'exclus est celle des campagnes. Comment développer une offre politique qui prenne en compte cette nouvelle donne, qui parle à la fois aux bénéficiaires et aux débiteurs de la mondialisation ?

Je fais une déclaration d’optimisme. En France, si nous savons mettre de l’ordre chez nous, tout le monde peut être bénéficiaire de la mondialisation. Ce qui me frappe c’est que notre civilisation européenne et spécialement la France peut être une référence dans le monde. Quand je vois la situation de la Chine, je ne l’échange pas avec la situation de la France. Les problèmes sociaux, démographiques, environnementaux, politiques de cet immense pays sont sans commune mesure avec les nôtres. Nous serons une référence si nous savons ce que nous sommes et si nous sommes capables de le dire, de nous adresser en même temps aux nôtres et au monde. 

Les capacités du peuple français ne sont pas en cause. Mais nous avons laissé s’effriter les piliers de la maison. Est-ce réparable ?  Je pose la question avec crainte. 1958, comme je viens de le rappeler, c’était 5% de croissance annuelle… Mais je veux croire que oui. Nous sommes un peuple qui sait se ressaisir. À condition d’avoir un cap. Le coup de Génie de De Gaulle, ce n’est pas tant la prise de pouvoir, c’est qu’il avait une pensée claire et lisible par tous ses concitoyens. Restaurer l’Etat, rebâtir l’indépendance de la France, jouer les cartes de notre pays les unes après les autres en acceptant la mondialisation de l’époque qu’était le Traité de Rome. Ce que ses partisans récusaient, et ses adversaires aussi, y compris Mendès France. Il l’a fait. 

Quant à la France des campagnes, je la connais mieux que d’autres. Elle n’est pas, dans son désarroi, si différente de la France des quartiers, avec une grande question d’identité, et une très grande difficulté à penser son avenir. Ce sont ces deux mondes que Jean Lassalle a arpentés. Et c’est à ceux-là que nous réfléchissons.

Comment expliquez-vous que la classe politique reste muette et démunie face à ces mutations profondes de la société ? Le Modem en a-t-il pour sa part pris la mesure ? Concrètement, par quelles propositions cela se traduit-il ?

La classe politique a été sélectionnée au travers d’institutions et de filtres qui, avec le temps, ont fini par générer de lourdes déformations. Cette sélection ne conduit pas à comprendre le monde comme il va, pas le monde des quartiers populaires, mais pas davantage l’économie ou l’entreprise. Encore moins ce mode de sélection conduit-il à penser le monde comme il devrait être, à en imaginer les changements bienfaisants, à en écarter les dérives. Cette inadaptation n’est pas très différente de l’inadaptation qui a entraîné la chute de la Chine des mandarins.

Un exemple pour illustrer ma pensée. Ce qui est déterminant pour une carrière politique aujourd’hui, c’est l’habileté à progresser dans l’appareil des deux partis dominants. Les qualités nécessaires sont le conformisme, la soumission aux puissants du moment (les « écuries ») et la dissimulation. C’est à peu près le contraire des qualités requises pour les vrais gouvernants. 

De même pour la sélection précoce des élites administratives, dès l’âge de vingt ans. L’esprit pratique n’y a aucune place et l’aptitude au commandement pas davantage. C’est une sélection sur bases théoriques, non digérées par la vie. Ce n’est pas adapté pour penser le changement. Un mode de sélection comme l’école de guerre, qui intervient plus tard dans la vie, après une vraie expérience du métier militaire, me paraîtrait bien plus adapté. 

Rien de tout cela ne favorise la créativité, l’audace, la pensée différente.

Les changements d’époque dans le domaine de la pensée sont de l’ordre de la créativité personnelle de ceux qui les portent. Je ne crois guère aux commissions, aux groupes de travail. Clémenceau disait « qu’est-ce qu’un dromadaire ? C’est un cheval dessiné par une commission ». La mission d’un responsable politique est de faire naître des solutions nouvelles. Or la pratique quotidienne de la responsabilité politique pousse au conformisme. Les responsables politiques, pour le plus grand nombre, n’écrivent plus un mot de ce qu’ils vont prononcer ou signer. Imaginerait on De Gaulle prendre un collaborateur, même doué, pour écrire Vers l’Armée de Métier ? Plus personne n’assume le travail d’accouchement de sa propre pensée. Alors il n’y a plus de pensée originale. 

Il devrait revenir aux  responsables politiques d’assumer le leadership en matière de pensée. En France, c’est un échec généralisé. Dans le pays pourtant qui était le plus apte à le faire. La pensée politique est une œuvre de création, et non de reproduction. Pour cela, la pensée doit être simple. Aujourd’hui, la pensée est techno-spécialisée, parle par sigles et acronymes, c’est-à-dire qu’elle est devenue incompréhensible par le commun des mortels. 

Les dirigeants devraient avoir le minimum de culture ou d’intuition historique qui permet de rapporter  les évènements contemporains à l’expérience de l’humanité. Le monde politique français tel qu’il est devenu en manque cruellement. 

Ce n’était pas le cas il y a quelques décennies. Les études historiques, la maîtrise de la langue, comptaient beaucoup dans la sélection. Et la guerre, la Résistance, permettaient au moins de repérer des caractères et de sélectionner des gens qui ne se couchaient pas.

Concrètement, si cette réflexion est juste, il faut profondément changer nos institutions politiques, pour que les intrigues internes aux appareils de deux partis politiques ne soient plus le passage obligé et changer le mode de recrutement et de formation des hauts fonctionnaires. Il faut que pour diversifier les parcours le pluralisme retrouve sa place dans nos institutions. Et il faut que l’expérience de la vie et l’esprit pratique retrouvent leur place dans la sélection des futurs responsables administratifs.

Traditionnellement, le centre est plutôt constitué d'électeurs et d'élus bien intégrés socialement. En quoi s'adresser aux exclus constitue-t-il un défi particulier pour vous ? Comment comprendre le vote qui s'exprime soit dans l'abstention, soit dans les extrêmes ? Et comment leur proposer une alternative ?

Les peuples ne votent pas pour des programmes abstraits. Ils votent pour des personnalités et pour des visions. 

Ceux que vous appelez « exclus », ceux qui ne se reconnaissent pas dans le système dominant, ou de moins en moins dominant, comme il faudrait écrire, savent, ou sauront qui les prend en compte non pas politiquement, mais humainement. D’une certaine manière, le fait de ne pas appartenir aux forces dominantes, ruinées, déconsidérées, mais dominantes, est un atout pour se faire entendre d’une partie de ceux qui ne sont pas dans le système et qui en souffrent. Ce n’est pas pour moi un défi particulier, mais une chance particulière. 

Pour leur proposer une alternative, un chemin différent, il faut les considérer non pas comme des personnes ou des familles à assister, mais comme des personnes ou des familles qui peuvent apporter aux autres et à eux-mêmes. Il faut leur proposer l’autonomie et l’engagement.

L'alternative se pose-t-elle forcément entre le centre-droite ou droite-fn ou une évolution à l'italienne avec une Marine Le Pen débarrassée de son père et qui aurait achevé la mue du FN vous semble-t-elle possible ?

Y a-t-il une tendance de l’électorat de la droite classique à des rapprochements avec le FN ? Probablement oui, sans doute. Peut-être même majoritairement. Pour autant, il faut avoir en face de cette proposition politique, élargie ou pas, une pensée ferme. Je n’ai pas et n’ai jamais eu l’obsession du Front national. Ma seule question est «  Est-ce qu’il y a  dans le projet de ces courants politiques quelque chose de bien pour le pays » ? La réponse est non. Il ne s’agit même pas des attitudes, des déclarations, des provocations du Front national avec lesquelles je suis en affrontement. Je suis en affrontement avec ce courant parce que leurs solutions et leurs obsessions entraineraient le pays vers le gouffre. 

Le Front national dit deux choses, « c’est la faute aux immigrés », et « c’est la faute à l’euro ». Or, ce n’est ni la faute aux immigrés, ni la faute à l’euro. Les immigrés sont une charge bien sûr, mais ils peuvent aussi apporter beaucoup. Et surtout le monde entier doit vivre avec le poids de la misère qu’il a laissé prospérer sur des continents entiers. Quand ils ne peuvent plus nourrir leurs enfants, les nourrir au sens propre, au sens quotidien du mot, quand il n’y a plus à manger le matin pour  le soir, les pauvres ne restent pas derrière des frontières. Quant à nous, Français, si nous avions été la société vivante que nous devions être, nous les aurions intégrés, mis au travail,  et ils nous auraient aidés à créer de la richesse, pour nous et pour eux. Cela n’aurait pas été sans tension, mais cela n’aurait pas été sans espoir. 

Accuser l’Europe nous empêche de penser que l’État de la France est uniquement de notre responsabilité de citoyens français, de peuple français, que nous en sommes là par la faute de décisions erronées et d’habitudes néfastes trop longtemps acceptées. La question des dirigeants qui auront un jour la charge de reconstruire, ce sera leur capacité à entrainer les peuples, à se faire entendre, à prendre des décisions simples et fortes. La France a subi une entreprise de dévoiement de la conscience nationale. 

À mes yeux, est homme d’État celui qui affirme que nos problèmes sont chez nous et que nous allons les résoudre chez nous. A partir de là nous seront forts et nous aurons des dialogues constructifs, exigeants avec ceux qui nous entourent. Donner à un peuple des raisons de vivre, de travailler, d’inventer, de rire, d’être ému, et non le conduire vers cette névrose paralysante qui veut toujours accuser les autres de ses propres difficultés. 

 

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