"Le jour où le centre voudra exister, il comptera de manière déterminante dans le paysage politique français"
Invité d'Agora, la nouvelle émission politique de France Inter, François Bayrou s'est attaché aux côtés de l'historien Pierre Rosanvallon à répondre à la question suivante : le paysage politique français est-il en train d'éclater ? Retrouvez ici la retranscription des moments forts de l'interview.
« La vérité en politique est vitale »
« Pierre Rosanvallon a décrit le cycle auquel tout le monde était habitué, c’est-à-dire une élection, des promesses, des mensonges et puis après le retour au réel où l’on fait le contraire de ce que l’on disait. Ma thèse est que c’est devenu impossible, pour une raison première, centrale, c’est Internet. Vous tapez les mots de celui qui s’exprime, cela sort des vidéos et vous le voyez dire exactement le contraire de ce qu’il dit aujourd’hui. François Hollande, lors de sa conférence de presse, on lui a dit « Mais est-ce que vous ne pensez pas changer la règle électorale pour de la proportionnelle ou plus de proportionnelle ? ». Il dit « Mais ce n’est pas du tout la question, ce n’est pas du tout la raison pour laquelle… ». Dans la fameuse tirade du « Moi, Président », il y a cette phrase : « Moi, Président de la République, j’instaurerai la représentation proportionnelle ». Il ne dit pas « de la représentation proportionnelle », mais « la représentation proportionnelle parce que je veux que toutes les sensibilités soient représentées ». Beaucoup de Français ont pu soutenir cette idée et donc cette candidature aujourd’hui est démentie par les faits. C’est la première raison, Internet vous met devant les choses.
Ensuite, il est impossible d’obtenir l’adhésion d’un peuple à ce que l’on appelle « réformes », au changement nécessaire, contraint, voulu, que l’on doit apporter et qui demande à chacun des sacrifices si l’on n’a pas obtenu cette adhésion dès le départ du mandat. A ce double titre, je prétends, j’affirme que la vérité est vitale.
« La question de la légitimité de la représentation des citoyens est centrale »
« Est-ce que les partis politiques peuvent subsister dans l’état qui est le leur aujourd’hui ? Non. Ils sont tous en train d’exploser, ils n’ont plus de représentativité. UMP et PS se renvoient le pouvoir et font à peu près la même chose, notamment en attitude mensongère par rapport aux forces militantes qu’ils ont entrainées. Il y a une institution pour contrôler, seulement elle n’existe pas en France, c’est le Parlement. Quand vous avez un Parlement dont 50% des Français sont exclus, vous additionnez l’extrême-droite, environ 25% aujourd’hui dans les sondages ; l’extrême-gauche, environ 10% ; et le centre, 10-12%, sans compter les abstentionnistes, ceux-là sont totalement exclus. Ils n’ont pas de représentation, même dans les débats les plus classiques, les plus polissés, la discussion de la loi, les amendements, ceux-là sont des citoyens exilés. Convenons ensemble que dans le système classique d’une démocratie qui fait que les citoyens sont représentés par des courants qu’ils ont choisis, nous sommes le seul pays en Europe continentale dans lequel cette loi absurde règne. Et comme on élit le Président de la République à la majorité et que les élections sont contemporaines alors vous avez la séquence électorale qui ne permet aux citoyens que de se prononcer sur un sujet qui est la personnalité du Président de la République. Je ne dis pas que cela ne compte pas, je pense que cela compte beaucoup, on ne gouverne pas de la même manière selon ce que l’on est : attentif ou pas, excessif ou pas, décidé et volontaire ou pas, ce n’est pas la même chose.
Qui a la légitimité de décider que les uns seront représentés pléthoriquement - avec 22 ou 23% des voix vous vous trouvez avec 60% des sièges, ayant tout le pouvoir, les pouvoirs de nomination, installant des réseaux dans l’Etat, dans toutes les situations de responsabilité - et les autres totalement exclus ? Je prétends que nous avons là une question centrale de légitimité, et cette question centrale participe de manière très lourde à la déconsidération du politique puisque ceux qui parlent ne nous parlent pas et ne nous parlent pas d’un monde vrai. »
« Le centre, de Barre à Delors »
« Si le centre était uni, il serait très puissant dans le champ politique français, il pèserait d’un poids déterminant et en tout cas il serait un des mouvements porteurs de vision. Les aléas de la vie politique ont fait qu’un grand nombre de centristes ont préféré se ranger contre mon avis. Vous vous souvenez que le jour de la formation de l’UMP, j’étais monté à la tribune et j’avais dit : « vous dites que l’on pense tous la même chose et que donc nous pouvons faire un parti unique : si nous pensons tous la même chose, c’est que nous ne pensons plus rien ». Le seul problème du centre en France, c’est qu’il n’accepte pas de penser différemment des autres, de se sentir ou de se voir comme une famille politique à part entière avec ses axes, ses visions, ses choix. Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas faire des ententes ! Mais cette absence d’audace, ce recul devant le courage a fait que ces centristes n’ont pas fait ce pas. Mais je suis sûr qu’ils le feront un jour. Mon affirmation est que le jour où cette famille politique voudra exister, elle comptera de manière déterminante dans le paysage politique français. Elle doit exister comme unie et comme indépendante. »
« Nous devons prendre une part active dans la lutte contre Daesh »
« Nous devons être solidaires de ceux qui se battent contre cette innommable barbarie. Solidaires et activement solidaires ! J’ai eu des débats depuis sur le sujet de la Syrie avec la totalité ou presque des responsables politiques français. Je suis pour que nous prenions notre part active de cette lutte.
Question de présentation arrangée : François Hollande dans sa conférence de presse a dit « je viens vous annoncer que nous allons faire des vols de reconnaissance ». Si c’était pour annoncer cela, il n’y avait pas besoin de conférence de presse ! La vérité est qu’il entrait dans le sujet en annonçant une intervention de frappes aériennes par quelque chose qui paraissait anodin, qui était le plus adouci possible. Il faudrait au moins que l’on appelle les choses par leur nom ! Je suis pour que l’on dise « on a décidé qu’il y aurait une intervention aérienne » et intervention, cela veut dire frappes !
Tout le monde voit bien que c’est probablement au sol que ces choses se règlent mais je ne pense pas qu’il soit prudent de dire que ce sont les pays occidentaux qui vont mener la bataille au sol ; car cela donne à toute une série de forces la palme du martyre, l’idée que c’est une croisade. Donc il faut au minimum que les pays de la région, la ligue arabe par exemple, prennent l’initiative soutenue par les puissances extérieures d’entrer eux-mêmes dans la guerre, dans le corps-à-corps avec Daesh. Comme il n’y a pas de ligne de front clairement définie, ce n’est pas facile. Mais ce sont évidemment les pays de la région qui doivent être les premiers acteurs, les premiers moteurs et les premiers combattants de ce qu’il sera nécessaire de faire pour que Daesh soit mis hors d’état de nuire. »
« Les choix d’Angela Merkel sont des choix de leader »
« Angela Merkel a, par son intervention, ces derniers mois et ces dernières années, changé l’image de l’Allemagne et elle est d’une certaine manière « l’homme politique » n°1 en Europe. Elle a pris une position extrêmement courageuse mais dont il est évident qu’elle fait appel d’air. Marielle de Sarnez, députée européenne, était ces trois derniers jours à la frontière grecque, macédonienne, serbe, hongroise, autrichienne et elle me décrivait le spectacle absolument bouleversant de milliers de personnes, 7500 avant-hier, peut-être 10000 hier, qui traversent la frontière en disant « Allemania, Allemania » comme si l’Allemagne était devenue l’eldorado !
Angela Merkel n’a pas pris cette position solitairement, car il ne faut pas oublier que les premiers qui se sont exprimés en ce sens, c’est le patronat allemand qui depuis des mois dit : « il nous faut des immigrés puisqu’il nous faut de la main d’œuvre ». La responsabilité politique d’un chef d’État est double : elle est une responsabilité d’humanité, de femmes, d’hommes, pères de famille qui voient des gens en perdition et qui gagnent les pays qui sont les nôtres. Mais je pense qu’il y a une deuxième responsabilité : vous avez la charge du destin d’une société et de son équilibre. Or, chaque fois qu’il y a des apports de population trop déséquilibrés en nombre par rapport aux communautés qui sont ainsi rejointes, chaque fois, il y a des mouvements de rejets et de racisme. Je cite toujours cet exemple : à Mayotte, il y a des vagues de racisme inouïes, contre les dizaines de milliers de Comoriens qui viennent s’installer pour accoucher à Mayotte et pour que le droit du sol - espèrent-ils - fasse de leurs enfants des Français. Or, les Mahorais et les Comoriens, c’est la même race, la même religion, la même langue et les mêmes familles ! Simplement, apport de population, d’où déséquilibre, et les gens commencent à rejeter. Donc quand vous êtes à la tête d’une nation, d’un pays, vous êtes aussi obligé de considérer qu’il existe des mouvements dans la société qui vont déstabiliser et briser le pays qui est le vôtre. Et je n’ai pas envie, moi, d’alimenter ces sentiments explosifs et brûlants. »
« 24 000 réfugiés à accueillir en deux ans, ce chiffre est-il réaliste au vu de l’ampleur de la crise humanitaire ? »
« On nous annonce que 24 000 personnes en deux ans nous permettra de remplir notre devoir par rapport à la situation des réfugiés syriens. Moi, je ne crois pas un mot de cette histoire. Je ne crois pas que ce chiffre soit à la dimension de ce qui est en train de se produire et de se passer. Si c’est 24 000, il n’y a pas grande difficulté : si je fais une règle de trois simple, 24 000 pour le pays, les Pyrénées-Atlantiques c’est le centième de la France, ça fait 240, la ville de Pau c’est la quart du département, ça fait 60. 60 personnes en deux ans, ça veut dire une douzaine de familles, bien sûr qu’il est possible de les accueillir, de leur trouver subsistance et secours ! Mais est-ce que ce chiffre est réaliste ? »