"Le gouvernement doit avoir le courage de ses ambitions budgétaires"

Jean-Jacques Jégou, Maire du Plessis-Trévise et ancien vice-président de la Commission des finances au Sénat, appelle le gouvernement a "entendre les recommandations de la Cour des comptes" et faire preuve de "courage" en matière budgétaire.
La Cour des comptes vient de rendre son rapport annuel. Qu'en retenez-vous ?
Jean-Jacques Jégou - Je note d'abord une évolution sur la forme. Il y a encore quelques années, personne ne parlait du rapport annuel, tout le monde s'en fichait. Maintenant, les médias non seulement en parlent, mais le décortiquent. Même si, en réalité, ça ne modifie que peu son impact. Sur le fond maintenant, au-delà du fait qu'elle épingle un certain nombre d'organismes comme EDF, la Cour des comptes rappelle la permanence et la persistance de déficits trop importants sur les budgets de l'État et de la Sécurité sociale.
L’Exécutif a des objectifs d'économies dès 2013. Est-ce une réponse suffisante ?
Non. Pour l'instant, nous voyons bien qu'il n'y a pas vraiment de rendez-vous de pris entre l'État et ses partenaires, pour mener à bien les réformes structurelles indispensables à l'équilibre des comptes publics. L'objectif des 3 pour cent n'a que peu de chances d'être atteint. Et pour cause : le déficit budgétaire reste encore très élevé, de l'ordre de 80 milliards d'euros. Pourtant, la Cour des comptes alerte les gouvernements depuis de nombreuses années sur les mesures à prendre...
Selon vous, quelles sont les mesures qui devraient être prises ?
Nous parlons souvent du train de vie de l'État, mais il ne faut pas s’appesantir là dessus. L'État n'a plus de "train de vie" depuis un certain nombre d'années. En revanche, ce sont ses interventions – tout ce qu'il finance – qui sont démesurées. Prenons l'exemple des 35h : elles ont été détricotées par la droite, de manière à pouvoir être allègrement contournées. Mais les allégements de charges prévus pour les compenser ont été maintenus. Cela représente 20 milliards d'euros par an, avec un effet d'aubaine pour un certain nombre d'entreprises. Autre levier : les niches fiscales. Elles ont plusieurs fois fait la Une de l'actualité, mais elles sont toujours là. C'est 70 milliards d'euros de dépenses fiscales par an, dont un tiers voire la moitié n'ont aucune réalité économique. Enfin, je pense à la CSG. Les retraités bénéficient d'une majoration de 0,2 pour cent par rapport aux actifs. La supprimer aurait très peu d'incidence sur les foyers mais permettrait à l'État de dégager 2 milliards d'euros supplémentaires par an. Vous voyez qu'avec un peu de courage politique, le gouvernement pourrait tenir ses objectifs budgétaires.
La Cour des comptes pointe également le déficit de la Sécurité sociale...
À juste titre ! Des économies ont été faites à la marge, par exemple grâce à la baisse de la consommation des médicaments remboursés. Mais le problème structurel reste intact. La première réforme à mener est celle de l'hôpital : il représente à lui seul 50 pour cent des dépenses de santé. Sa modernisation est attendue depuis de nombreuses années, mais elle n'est jamais venue. Je pense à l'informatisation et à l'amélioration de l'organisation. Prenons l'exemple du dossier médical partagé. Il consiste à la dématérialisation de votre dossier médical, qui est alors consultable par n'importe quel professionnel, partout en France. Ses avantages sont connus de tous : il évite la redondance des examens et les tâtonnements, permet au médecin d'aller plus vite et d'exprimer un diagnostic plus abouti. Beaucoup de nos voisins, comme le Danemark et l'Angleterre, en ont fait une priorité et saluent ses résultats. En France, nous en sommes toujours au point mort, alors qu'il permettrait une économie de 3 à 4 milliards d'euros par an. Nous proposons également un guichet unique à l'entrée des hôpitaux. Comme les généralistes n'assurent souvent plus de garde, les patients se reportent sur les urgences. Or, l'urgence médicale est facturée à la Sécurité Sociale 250 € lorsque c'est l'hôpital, contre 60 € lorsque c'est un médecin de ville. Avec un service d'accueil, qui déterminerait s'il s'agit d'une urgence ou d'une pathologie pouvant être traitée par la médecine de ville, nous ferions près de 2 milliards d'euros d'économies.
Deux ans après la réforme Fillon, le déséquilibre de notre système de retraites est à nouveau préoccupant. Faut-il reculer l'âge de départ des salariés ?
Il est vrai que nos 62 ans paraissent bien loin des 65 ou des 67 ans de nos voisins européens. Le livre blanc de Michel Rocard, en 1988, soulignait déjà qu'il faudrait accepter de travailler plus longtemps en contrepartie du fait de vivre plus longtemps. Mais l'âge de départ à la retraite ne règle pas tout. Avec François Bayrou, nous proposons une remise à plat globale, pour mettre en place un système par points. Chaque année travaillée permettrait au salarié d'accumuler des points. Ce nombre de points varierait selon la nature du travail et sa pénibilité, prendrait en compte l'engagement associatif, le nombre d'enfants pour les femmes, etc. Le salarié aurait la liberté de partir en retraite à la date de son choix, plus tôt ou plus tard que la moyenne, en fonction de sa vie personnelle. Il saurait à tout moment ce que serait sa pension en fonction de sa date de départ. Et les comptes seraient à l'équilibre, entre cotisations et pensions.
Les collectivités territoriales doivent-elles également être mises à contribution ?
Tout le monde doit participer à cet effort national. L'État peut réduire les dotations aux collectivités, à condition de le faire sur des principes de justice et de solidarité. Il existe aujourd'hui une vraie disparité, entre des communes qui ne savent pas comment dépenser leur argent et d'autres qui n'arrivent pas à boucler leur budget. Il s'agit donc de réaliser une véritable péréquation, beaucoup plus importante que celle qui existe aujourd'hui, pour prendre aux villes les plus riches et reverser à celles les plus pauvres.