"L'audiovisuel public n'est ni une filiale du pouvoir ni la propriété de l'État"
Interrogé par les journalistes du Point, François Bayrou a réaffirmé son attachement à l'indépendance et au pluralisme des médias, ainsi qu'au soutien à la création culturelle, jeudi 9 février.
Le Point : Reviendrez-vous sur la nomination des P-DG de l'audiovisuel par l'exécutif ? Si oui, quel système a votre préférence ?
François Bayrou : Oui. La nomination des présidents par le président de la République est un processus profondément malsain. L'audiovisuel public n'est ni une filiale du pouvoir ni la propriété de l'État. C'est le bien précieux de tous les Français, de toutes opinions, qui en assument le financement avec la redevance. Il n'y a qu'une seule mesure à prendre, revenir sur cette décision pour rendre la télévision publique indépendante et pluraliste. La nomination des présidents doit être la responsabilité d'une instance indépendante, représentative du pluralisme français, à l'image de ce qui se passe en Grande-Bretagne.
Pensez-vous que les programmes actuels de France Télévisions vont dans le sens du mieux-disant culturel ?
Il y a un débat répétitif et très français qui veut qu'on ne puisse pas faire de programmes populaires de qualité. Un autre préjugé aussi stupide veut que la culture soit socialement connotée "bobos" et CSP +. De quoi alimenter des pages et des pages du Dictionnaire des idées reçues, et fausses ! Regardez autour de vous, les musées sont pleins, les festivals débordent, et c'est pour la culture, pour voir du beau que nos concitoyens font la queue. Même chose pour l'audimat quand la télévision diffuse des fictions audiovisuelles tirées d'oeuvres classiques. Tout ceci devrait rendre ceux qui conçoivent les programmes moins frileux, plus audacieux. La découverte du grand, du beau et du passionnant est un droit. Et le grand et le beau ne sont ni forcément ennuyeux ni obligatoirement abscons.
La suppression partielle de la publicité vous paraît-elle satisfaisante ?
Ne nous engageons pas à l'aveugle dans de nouveaux bouleversements. Prenons le temps du constat et du bilan. Le désordre et le chaos naissent de la perpétuelle instabilité.
Le chantier de la rationalisation de l'Audiovisuel extérieur de la France, entrepris par Nicolas Sarkozy en 2007, touche à son terme par la fusion des rédactions France 24-RFI. Si vous êtes élu, reviendrez-vous sur cette réforme ?
C'est un travers du pouvoir, de longue date, pas seulement depuis 2007, que de vouloir dans l'audiovisuel regrouper puis séparer, séparer puis regrouper. Ce n'est que perpétuelle indécision, balancier d'une formule à l'autre. Sur le papier, l'idée de rapprocher les outils publics d'information internationale, France 24-RFI, a du sens. Mais la méthode employée, celle du fait accompli, n'a pas pris en compte comme il aurait fallu la diversité des missions assumées par les deux entités, de leurs statuts si différents et du personnel de RFI, considéré comme simple variable d'ajustement. Avec, cerise sur le gâteau, un débat largement pollué par les plus médiocres questions de personnes ! Faut-il revenir sur ce qui a été fait ? Défaire systématiquement ce que son prédécesseur vient de faire n'est pas ma démarche. Partons du pari nécessaire de la création d'un grand service audiovisuel extérieur. Avec une idée qui pourrait corriger toutes ces maladresses accumulées : celle de penser RFI et France 24 complémentaires dans la construction de la nouvelle entité.
Êtes-vous partisan d'une fusion de l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) et du CSA ?
Cette idée a sa légitimité. Les Anglais l'ont fait avec l'Office fédéral de la communication. Voyons ce qui pourrait être repris et adapté pour créer un "board" à la française avec comme perspective l'unification autour d'un seul régulateur.
Les géants américains du Net, de Google à Apple, menacent les dispositifs qui ont permis jusqu'ici de soutenir la création française. Avez-vous une solution à proposer pour les inviter à y contribuer à leur tour ?
Je ne laisserai pas porter atteinte aux mécanismes de soutien à la création française. Or ce n'est un secret pour personne : les grands opérateurs américains ont pris soin de se mettre à l'abri des contributions qui pourraient leur être demandées en basant leurs sièges hors de nos frontières. L'influence et le monopole sans les obligations ! Pour moi, c'est inacceptable. Les pouvoirs publics sont donc fondés à les convoquer à une table ronde où il serait fait un appel à leur sens de la responsabilité. Avertissement et dialogue exigeant, avant d'en venir à la contrainte. Ce serait une juste contribution à la création française qu'ils diffusent sans limite aucune.
François Hollande comme Nicolas Sarkozy considèrent tous deux que la crise ne doit pas impacter les dépenses culturelles de l'État. Est-ce que vous vous inscrivez dans cette ligne ? Et que ferez-vous du budget du ministère de la Culture si vous êtes élu ?
La réduction du déficit et de la dette est au coeur de mon projet, parce que déficit et dette sont une plaie matérielle et morale. Et je ne crois pas une seule seconde qu'un nouveau président, quel qu'il soit, augmentera le budget de la culture de 30 ou 50 %. Ce sont des promesses mensongères. Il nous faudra faire mieux à moyens constants, et cela ouvre déjà de très grandes possibilités. Le véritable sujet est que nous nous donnions une direction et une philosophie. Je veux rappeler que les trois décisions les plus importantes pour la création française : le prix unique du livre, les quotas de diffusion et le mécanisme de soutien au cinéma par les diffuseurs n'ont pas coûté au budget de l'État.
Concernant le spectacle vivant, tout le monde s'accorde pour dire que les spectacles créés sur deniers publics ne sont pas assez joués (sept représentations en moyenne). Nicolas Sarkozy propose d'y "réfléchir", François Hollande évoque une "loi d'orientation". Avez-vous une solution concrète et efficace pour élargir la diffusion des créations théâtrales ?
C'est un gâchis. L'argent public est suffisamment précieux pour qu'on insiste sur le devoir d'en multiplier les effets. Lorsqu'un spectacle est produit, créé et donné, les représentations supplémentaires, qui multiplient le nombre des spectateurs à un coût réduit, doivent être un devoir. La solution est simple et concrète : cette obligation est à inscrire au cahier des charges des spectacles subventionnés avant attribution de la subvention.